Distr.

GENERALE

E/C.12/2000/SR.64
27 novembre 2000


Original: FRANCAIS
Compte rendu analytique de la 64ème séance : Belgium. 27/11/2000.
E/C.12/2000/SR.64. (Summary Record)

Convention Abbreviation: CESCR

COMITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS

Vingt-quatrième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 64ème SÉANCE

tenue au Palais Wilson, à Genève,
le vendredi 17 novembre 2000, à 10 heures

Président : Mme Bonoan-Dandan

SOMMAIRE



EXAMEN DES RAPPORTS :
La séance est ouverte à 10 h 5.


EXAMEN DES RAPPORTS :
Deuxième rapport périodique de la Belgique [(E/1990/6/Add.18); document de base (HRI/CORE/1/Add.1/Rev.1); profil de pays (E/C.12/CA/BEL.1); liste des points à traiter (E/C.12/Q/BELG/1); réponses écrites du Gouvernement belge (HR/CESCR/NONE/2000/11; distribuées en séance, en anglais, en français et en espagnol)]

Sur l'invitation de la Présidente, la délégation belge prend place à la table du Comité.

1. M. NOIRFALISSE (Belgique) explique que la politique menée par son pays dans le domaine des droits de l'homme s'articule autour de trois grands axes. Tout d'abord, la Belgique reconnaît l'universalité et l'indivisibilité des droits de l'homme, y compris des droits économiques, sociaux et culturels. Elle se félicite de l'importance qu'accorde l'Union européenne à ces valeurs communes, qui devrait se traduire par l'adoption, lors du Sommet du Conseil européen qui se tiendra à Nice en décembre 2000, de la Charte des droits fondamentaux. Elle affirme ensuite sa volonté de coopérer loyalement avec tous les mécanismes des droits de l'homme qui veillent au respect de ces droits et les soumettent à la vigilance collective et à l'autocritique permanente des États. Enfin, son adhésion aux instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme témoigne de sa détermination à renforcer sa démocratie d'une part et à prolonger d'autre part sur le plan international son engagement en faveur de la lutte contre toutes les formes de discrimination, y compris le racisme, l'intolérance et le révisionnisme.

Articles 1er à 7 du Pacte

2. La PRÉSIDENTE invite les membres du Comité à poser des questions sur les articles 1er à 7 du Pacte.

3. M. SADI, soulignant que la Belgique est un État fédératif, demande des précisions sur le partage des compétences entre le Gouvernement fédéral, les communautés et les régions. Étant donné que certains domaines, comme la santé, sont du ressort à la fois des communautés et des autorités fédérales, il souhaite savoir si les activités menées par ces différentes instances ne font pas parfois double emploi.

4. M. GRISSA, demande si les communautés sont liées par les engagements pris par le Gouvernement fédéral au niveau international, et notamment par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ?

5. M. RIEDLE voudrait connaître la position de la Belgique sur la Charte des droits fondamentaux qui mettrait sur un pied d'égalité les droits économiques, sociaux et culturels et les droits civils et politiques. La Belgique souhaite-t-elle que cette Charte devienne contraignante ou préférerait-elle que le Sommet de Nice de décembre 2000 aboutisse à une déclaration solennelle traduisant un engagement moral et politique ? Par ailleurs, la Belgique assortit-t-elle son soutien au projet de protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de certaines conditions, par exemple que les droits visés puissent être invoqués devant les tribunaux ? Enfin, la Belgique est-elle favorable à l'adoption d'un système de réclamations collectives, d'une procédure de dépôt de plaintes par des particuliers ou d'un système mixte ?

6. M. ANTANOVICH félicite la Belgique de s'être dotée, lors de sa dernière révision constitutionnelle (1994), de l'article 23, qui garantit les droits économiques, sociaux et culturels. Toutefois, d'après la communication de la Ligue des droits de l'homme de Belgique, aucune disposition juridique n'a été prise en application de l'article 23. La délégation pourrait-elle donner un complément d'information à ce sujet ?

7. M. WIMER, se référant à l'exposé introductif de M. Noirfalisse, demande si celui-ci faisait bien allusion aux thèses révisionnistes mises en avant par certains historiens tendant à nier l'Holocauste. Dans l'affirmative, quelles mesures le Gouvernement belge a-t-il prises pour lutter contre ces thèses ?

8. Mme JIMENEZ BUTRAGUEÒO se félicite des bonnes relations qu'entretient le Gouvernement belge avec les ONG, comme en témoigne la présence de représentantes de la Ligue des droits de l'homme de Belgique. Elle souhaite savoir si les ONG ont toutes été consultées lors de l'élaboration du rapport et si elles ont eu connaissance de l'examen du deuxième rapport périodique de la Belgique par le Comité à la session en cours. S'agissant des droits économiques, sociaux et culturels consacrés par l'article 23 de la Constitution belge, elle demande si le Gouvernement fédéral exerce un contrôle sur les autorités locales chargées d'en assurer l'application effective. À cet égard, elle attire l'attention des Membres de la délégation sur le paragraphe 9 de l'Observation générale No 3 (1994) du Comité qui stipule que "toute mesure délibérément régressive dans ce domaine doit impérativement être examinée avec le plus grand soin, et pleinement justifiée par référence à la totalité des droits sur lesquels porte le Pacte, et ce en faisant usage de toutes les ressources disponibles".

9. M. KOUZNETSOV rappelle, à propos de l'applicabilité directe du Pacte que, suite à l'examen en 1994 du rapport initial de la Belgique, (E/1990/5/Add.15) le Comité s'était dit préoccupé par le fait qu'il n'était pas possible d'invoquer le Pacte devant les tribunaux belges. La situation a-t-elle évolué depuis lors et le droit international prime-t-il à présent sur le droit interne ? Enfin, d'après les sources disponibles, la législation belge prévoit que les litiges portant sur des droits politiques relèvent en principe du pouvoir judiciaire. La loi peut néanmoins les soustraire à la compétence de ce pouvoir. La délégation peut-elle donner des précisions sur les dispositions pertinentes ? Ces dernières visent-elles également les droits économiques, sociaux et culturels ?

10. M. THAPALIA demande en quoi a consisté la contribution de la Belgique à la coopération internationale au cours des cinq années précédentes. Il souhaite également savoir ce que la Belgique attend d'une telle coopération.

11. M. HUNT signale que la Charte sociale européenne s'est dotée d'un nouveau protocole prévoyant un système de réclamations collectives. La Belgique a-t-elle ratifié ce protocole, et dans la négative, envisage-t-elle de le faire ? Par ailleurs, la Belgique a-t-elle mis en place un plan d'action dans le domaine des droits de l'homme conformément au paragraphe 71 de la Déclaration et du Programme d'action de Vienne de 1993 ? Dans la négative, a-t-il l'intention de le faire ? Outre le Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme, existe-t-il en Belgique des organismes nationaux de protection et de promotion des droits de l'homme qui soient indépendants, qui œuvrent pour la défense de tous ces droits, et qui ne combattent pas seulement le racisme ? Enfin, si la Constitution garantit dans son article 23 les droits économiques, sociaux et culturels, il n'a été adopté aucune loi d'application pour en permettre l'exercice plein et entier. La délégation peut-elle fournir un complément d'information sur ce sujet ?

12. M. NOIRFALISSE (Belgique) répond à M. Riedle à propos de la Charte des droits fondamentaux. La Belgique souhaite que ce document fasse partie intégrante de la législation européenne et qu'il ait force de loi. Elle espère à cet égard que la déclaration solennelle à laquelle devrait aboutir le Sommet de Nice du Conseil européen constituera une étape dans cette voie. M. Noirfalisse explique ensuite que le système fédératif belge est organisé de façon telle qu'il n'y a pas de chevauchement entre les activités des communautés, des régions et du Gouvernement fédéral. Il y a, au contraire, complémentarité entre ces différentes instances, qui interviennent sur un pied d'égalité, mais dans des champs d'action différents : les communautés régissent en effet les droits de la personne, tandis que les régions régissent les activités de la personne sur une base territoriale. Ce système se caractérise en outre par des particularités : d'une part, le règlement des conflits entre les différentes institutions est soumis à la Cour d'arbitrage et, d'autre part, les organes fédérés peuvent intervenir sur la scène internationale. Enfin, les engagements internationaux pris par le Gouvernement fédéral lient également les instances fédérées. D'ailleurs, lorsque ces instruments portent sur des questions dites mixtes, à savoir des questions dont certains aspects relèvent de la compétence de l'État fédéral et d'autres de celle des États fédérés, l'instrument international doit être ratifié par le Parlement fédéral et par toutes les instances parlementaires fédérées concernées. Ce système est lourd, mais très démocratique : le degré d'adhésion de l'État à l'instrument international n'en est que plus élevé.

13. M. NAYER (Belgique) dit que la Belgique a adopté une structure fédérale en 1993. L'article premier de la Constitution stipule que la Belgique est un État fédéré qui se compose des communautés et des régions. En conséquence, il existe trois types de pouvoirs publics : l'État fédéral, les communautés et les régions, sans qu'il y ait un lien de subordination entre eux, car ils sont complémentaires. L'État fédéral, les communautés et les régions ont chacun un gouvernement et un parlement. Les trois communautés sont définies par les langues officielles du pays : le néerlandais, le français et l'allemand. D'une manière générale, leurs compétences portent sur les questions liées à l'expression de la personne : la langue, l'enseignement à tous les niveaux, la radio et la télévision, et la culture. Les trois régions sont la Flandre, la Wallonie et Bruxelles-Capitale. Leurs compétences ont un caractère géographique et englobent notamment les questions concernant l'eau, l'énergie, certains aspects des communications et l'économie. Si la Flandre et la Wallonie sont unilingues, la région de Bruxelles-Capitale est bilingue et est dotée de mécanismes visant à protéger la minorité néerlandophone. Enfin, des pouvoirs sont dévolus aux provinces, en partie assujetties aux régions, et aux communes.

14. M. NOIRFALISSE (Belgique) dit que diverses instances indépendantes veillent au respect des droits de l'homme : le parlement, les tribunaux, le Centre belge pour l'égalité des chances, qui fonctionne sous l'égide du Premier ministre, les ministères, en particulier ceux des affaires étrangères et de la justice, et la presse. Il convient également de mentionner le mouvement associatif, ce qu'illustre la présence de deux représentantes de la Ligue belge des droits de l'homme, qui accompagnent la délégation.

15. En ce qui concerne la contribution à la coopération internationale, la Belgique attache une grande importance à la coopération au développement, qui est une expression de la solidarité internationale. La Belgique coopère au développement pour des raisons non seulement éthiques, mais également dans un but stratégique, car le respect des droits de l'homme est un facteur de paix. Pour le Gouvernement belge, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme est une organisation dite de concentration de la coopération multilatérale au développement. En effet, la législation belge prévoit que la coopération doit être concentrée sur 25 pays et un nombre limité d'organisations. Le budget de la coopération au développement comprend des crédits de plus en plus importants destinés au Haut-Commissariat et aux mécanismes de protection des droits de l'homme, y compris des fonds affectés à la préparation de la Conférence mondiale sur le racisme. Par ailleurs, le budget du Ministère des affaires étrangères comprend des engagements croissants au titre de la diplomatie préventive par le biais de la défense des droits de l'homme, en vue d'actions menées notamment par l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe et le Conseil de l'Europe. Enfin, la Belgique agit en faveur des droits de l'homme dans le cadre d'initiatives de l'Union européenne.

16. Le Parlement a adopté une loi qui, entre autres dispositions, érige en délit le révisionnisme, terme qui désigne essentiellement la négation de l'Holocauste. Les tribunaux ont eu à connaître de plusieurs affaires dans ce domaine. Dans une affaire récente, des libraires qui vendaient des publications révisionnistes ont argué de leur bonne foi, en faisant valoir qu'ils ne pouvaient connaître le contenu de tous les écrits qu'ils vendaient. Le tribunal les a acquittés mais, dans les attendus du jugement, a fait observer que la détention de telles publications allait de pair avec une responsabilité à laquelle les prévenus auraient dû être attentifs. Le même texte législatif peut être utilisé pour engager des poursuites en cas d'expressions en contradiction avec la loi réprimant notamment les actes racistes.

17. M. VANDAMME (Belgique) dit que la Belgique étudie le projet de Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et devrait en principe le ratifier, comme elle a du reste l'intention de ratifier d'autres protocoles comparables, tels que le Protocole facultatif à la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes et le Protocole additionnel à la Charte sociale européenne prévoyant un système de réclamations collectives. Ces instruments jouent un rôle considérable dans la promotion des droits de l'homme et permettent aux organisations non gouvernementales et aux individus de participer activement au système de contrôle, au lieu de ne bénéficier de ces instruments que de façon indirecte.

18. En ce qui concerne la différence de qualité entre le deuxième rapport périodique et les réponses aux questions de la liste des points à traiter, elle est due à l'utilisation de méthodes différentes dans les deux cas. Le rapport a été établi en étroite collaboration avec un centre universitaire spécialisé dans le droit social, dans le cadre d'un enseignement axé sur le Pacte et les instruments des Nations Unies. En revanche, pour la réponse aux questions, une méthode classique de coopération interdépartementale a été utilisée. Les deux documents forment un tout et ne mettent nullement en évidence l'existence de différences de sensibilités à l'égard du Pacte. Pour ce qui est des relations entre le Gouvernement et les organisations non gouvernementales, il existe une coopération à différents niveaux. Certaines organisations se sont plaintes de ne pas avoir été associées à l'établissement du deuxième rapport périodique. Il est vrai qu'il n'existe pas de structure officielle de consultation des ONG en ce qui concerne le Pacte, mais des consultations informelles ont bien eu lieu. Par exemple, les ONG ont été associées à l'évaluation de la Décennie des Nations Unies pour la femme. En ce qui concerne la Charte sociale européenne, les partenaires sociaux ont été consultés. Ils le sont également pour les conventions internationales relatives au travail, mais de façon plus formelle, car de telles consultations sont prévues par la Convention No 144 de l'OIT. Par ailleurs, les ONG ont bénéficié du séminaire accueilli en juin 1997 par la Belgique, qui portait sur les droits économiques, sociaux et culturels, et dont l'objet était de sensibiliser tous les interlocuteurs à ces droits. Le Gouvernement belge reconnaît que les ONG fournissent une contribution très importante à la doctrine juridique concernant ces droits. Lors de l'établissement de son prochain rapport, la Belgique pourra accroître la contribution des ONG, mais le Pacte ne mentionne pas la consultation de ces dernières, qui dépend donc de la bonne volonté des gouvernements.

19. M. DE NEVE (Belgique) dit que, depuis 1993, la Constitution belge stipule, à l'article 23, que chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine. À cette fin, la loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent, en tenant compte des obligations correspondantes, les droits économiques, sociaux et culturels, et déterminent les conditions de leur exercice. Ce même article énonce ensuite certains de ces droits. Cette disposition est le résultat d'un compromis entre deux conceptions : certains parlementaires souhaitaient incorporer dans la Constitution l'énoncé de droits fondamentaux directement applicables, tandis que d'autres voulaient se borner à une déclaration solennelle indépendante de la Constitution. Comme l'indiquent clairement les travaux préparatoires à l'adoption de l'article 23, ce dernier est applicable indirectement. En d'autres termes, il incombe aux parlements fédéral et communautaires ou à des instances de niveau inférieur d'adopter des textes législatifs pour donner effet aux droits visés par l'article 23. Il importe de noter que ce dernier ne se borne pas à créer des obligations pour les autorités. En effet, les citoyens doivent collaborer à l'application de ces droits. Par exemple, des obligations d'ordre social incombent aux entreprises, qui sont tenues en particulier de maintenir l'emploi à un niveau élevé. L'exécution des prescriptions de l'article 23 appartient à l'administration, à laquelle incombe une obligation de moyens. Par ailleurs, l'article 23 est utilisé pour l'interprétation des lois et, en particulier, la Cour d'arbitrage, qui est la juridiction la plus élevée en Belgique, est à l'origine d'une jurisprudence qui consacre l'égalité des citoyens.

20. Avant même que l'article 23 soit inscrit dans la Constitution, le législateur avait déjà assuré dans certaines lois la mise en œuvre de dispositions des conventions internationales. L'article 23 de la Constitution énonce explicitement certains droits économiques, sociaux et culturels, par exemple, le droit à la sécurité sociale, à la protection de la santé et à l'aide sociale, médicale et juridique. Depuis longtemps, la Belgique possède un régime de sécurité sociale de très grande qualité. À propos d'un recul éventuel des prestations sociales, M. De Neve rappelle que le Comité d'experts indépendants chargé de l'application de la Charte sociale européenne évalue l'amélioration progressive des régimes de sécurité sociale, mais aussi le niveau général des prestations de sécurité sociale en comparaison avec les obligations déterminées par les traités internationaux.

21. Sur le point de savoir si le Pacte est d'application directe ou indirecte, M. De Neve rappelle que, dans son rapport initial (E/1990/5/Add.15), la Belgique avait souligné que, selon le paragraphe 1 de l'article 2 du Pacte, la mise en œuvre des droits énoncés est tributaire des ressources disponibles de l'État et de l'adoption de mesures législatives. Le Gouvernement avait soutenu que le caractère programmatoire de cet article empêche que les dispositions du Pacte puissent être invoquées directement par le plaignant devant les cours et tribunaux belges. La Belgique avait cependant déclaré accepter l'effet "standstill" des dispositions du Pacte (celui-ci empêche que les dispositions du droit interne qui garantissaient déjà les droits figurant dans le Pacte au moment où il est entré en vigueur en Belgique soient remises en question par la suite).

22. Aujourd'hui, la position des autorités belges n'a pas changé. Les trois cours principales de Belgique, à savoir la Cour d'arbitrage, la Cour de cassation et le Conseil d'État, appliquent depuis, de manière régulière, l'effet "standstill", et les autres tribunaux sont liés par leur jurisprudence. Certes, l'application de certaines dispositions internationales soulève quelques difficultés pour les tribunaux ordinaires. Il y aurait lieu de faire un effort de publicité encore plus important pour favoriser l'application dudit effet, et donc une meilleure application du Pacte.

23. Depuis 1993, on constate une nette évolution de la jurisprudence de la Cour d'arbitrage sur la question de l'application directe de certaines dispositions du Pacte. Le premier arrêt important de la Cour d'arbitrage sur ce sujet a été rendu le 15 juillet 1993. Les plaignants, deux syndicats de gendarmerie et quelques gendarmes, avaient notamment fait valoir que l'interdiction générale de grève imposée aux membres du personnel portait atteinte à l'article 8 du Pacte. La Cour d'arbitrage a reconnu explicitement que l'article 8 notamment s'appliquait directement en droit interne. Dans un autre arrêt, en date du 8 mars 1994, la Cour d'arbitrage s'est prononcée sur le principe de l'égalité en ce qui concerne le droit au travail, consacré notamment par l'article 6 du Pacte. Dans cette affaire, la Cour a réaffirmé qu'il convient de tenir compte des dispositions du Pacte, mais que, en l'espèce, le droit au travail énoncé dans le Pacte n'est pas un droit absolu mais plutôt un droit programmatoire. Par la suite, la Cour d'arbitrage et d'autres tribunaux comme le Conseil d'État, ont reconnu à nouveau que certaines dispositions du Pacte sont directement applicables.

24. À propos de la question de la primauté du droit international sur le droit interne, M. De Neve déclare que la Belgique connaît le monisme juridique, c'est-à-dire que le droit international et le droit national font partie d'un seul ordre juridique. Il s'ensuit que les dispositions du Pacte priment sur les dispositions internes dans la mesure où il s'agit des dispositions directement applicables.

25. M. MARCHAN ROMERO voudrait savoir quelle instance gouvernementale centralise les informations sur l'application des droits économiques, sociaux et culturels et évalue la mise en œuvre du Pacte par l'État belge. Il demande en particulier quel est l'organisme qui reçoit et transmet les observations du Comité après l'examen du rapport.

26. M. HUNT se félicite que les autorités belges collaborent avec les ONG et les représentants de la société civile. Il demande si la Belgique a élaboré un plan d'action national sur les droits de l'homme, comme le recommande le paragraphe 71 de la Déclaration et Programme d'action de Vienne, et si elle a mis en place une institution nationale indépendante de protection des droits de l'homme. Même si les tribunaux, le Parlement et la société civile œuvrent activement pour la défense des droits, cela ne remplace pas une institution nationale dotée d'un large mandat dans ce domaine et conforme aux Principes de Paris (1991). Si une telle institution n'existe pas, l'État belge pourrait-il envisager d'en créer une ? Enfin, s'agissant de la mise en œuvre du paragraphe 1 de l'article 23 de la Constitution, M. Hunt admet que les autorités belges ont avancé; mais ne conviendrait-il pas d'aller plus loin ?

27. M. RIEDEL s'associe largement aux observations faites par M. Hunt. S'agissant de l'article 23 de la Constitution, qui est, il ne faut pas l'oublier, le résultat d'un compromis, M. Riedel fait remarquer que ce type de disposition constitutionnelle peut être interprété de différentes manières. On peut considérer qu'elle énonce un droit subjectif, un droit objectif, un principe de protection, une déclaration programmatoire sans effet juridique ou un principe constitutionnel. Selon le cas, les effets juridiques diffèrent. Le temps manque sans doute pour aller au fond des choses à la présente séance, mais il serait bon que le Gouvernement belge donne plus d'explications sur l'interprétation et la mise en œuvre de l'article 23 de la Constitution dans son rapport périodique suivant.

28. M. SADI dit que la position du Gouvernement belge, selon laquelle le paragraphe 1 de l'article 2 du Pacte empêche que les dispositions du Pacte puissent être invoquées directement devant les cours et tribunaux, est contraire à la jurisprudence du Comité. La possibilité de mettre en œuvre des droits progressivement et le niveau des ressources disponibles ne sont pas des obstacles à l'application directe des dispositions du Pacte. La délégation a fait part de la tendance croissante à admettre l'application directe de certaines dispositions du Pacte; est-ce à dire que la question des ressources n'intervient pas pour ces dispositions ? Par ailleurs, la Belgique ayant été un des principaux promoteurs de la Déclaration et Programme d'action de Vienne, il serait souhaitable que le Gouvernement belge élabore sans tarder un programme d'action national sur les droits de l'homme.

29. M. CEVILLE voit une contradiction entre l'affirmation selon laquelle le droit international prime sur le droit interne et le fait que les tribunaux décident de manière discrétionnaire des dispositions du Pacte qui sont directement applicables. Il est dit nettement au paragraphe 2 du rapport que le caractère programmatoire du paragraphe 1 de l'article 2 du Pacte empêche que les dispositions du Pacte puissent être invoquées directement par le plaignant devant les cours et tribunaux belges. Or, pour le Comité, le Pacte et les autres instruments internationaux comme la Charte sociale européenne, par exemple, devraient s'appliquer directement et immédiatement dans le cadre du système juridique interne de l'État partie. M. Ceville renvoie la délégation belge à l'Observation générale No 9 (1998) du Comité relative à l'application du Pacte au niveau national, en particulier au paragraphe 11, où il est dit que le Pacte n'exclut pas la possibilité de considérer les droits qui y sont énoncés comme directement applicables dans les systèmes qui le permettent, et au paragraphe 14.

30. M. ANTANOVICH note que, alors que l'article 23 est inscrit dans la Constitution depuis 1994, il semble que les justiciables connaissent encore mal le principe de son application et que les tribunaux soient réticents à l'appliquer pleinement. Il souhaite que les autorités belges remédient à cette situation le plus rapidement possible.

31. M. WIMER ZAMBRANO, reconnaissant que la nature juridique de l'article 23 de la Constitution est complexe, voudrait savoir à des fins de clarification quels sont les critères généraux selon lesquels les dispositions de l'article 23 sont considérées comme directement applicables ou, à l'inverse, comme n'ayant qu'un caractère déclaratif. En relation avec la structure administrative et les communautés linguistiques, il demande dans quelle région est parlée la langue allemande. Il aimerait savoir en outre si, au cours des 10 années écoulées, l'influence des Églises sur la politique belge s'est ou non renforcée.

32. Mme JIMENEZ BUTRAGUEÑO demande dans quel texte est inscrit le principe de la primauté du droit international sur le droit interne. À première vue, ce principe ne figure pas dans la Constitution.

33. M. AHMED met en avant le fait que près de 40 % du budget de l'État est versé aux régions et aux communautés dans le cadre de la dévolution des pouvoirs. Cette proportion est considérable, et démontre la large autonomie dont jouissent les régions et communautés. Cette situation n'est-elle pas à l'origine de disparités entre les provinces et ne constitue-t-elle pas un obstacle à l'élaboration d'un plan d'action national ? Comment l'État belge garantit-il aux citoyens la jouissance de leurs droits avec un tel système de dévolution des compétences ?

34. Par ailleurs, M. Ahmed note que dans ses observations finales sur le rapport initial de la Belgique (CRC/C/15/Add.38), le Comité des droits de l'enfant s'est félicité de constater que la Convention relative aux droits de l'enfant est directement applicable et que ses dispositions peuvent être invoquées devant les tribunaux. Il se demande ce qui fait que la Convention relative aux droits de l'enfant est d'application directe en Belgique, et pas le Pacte. La délégation pourrait-elle expliquer cette anomalie ?

35. M. VANDAMME(Belgique) reconnaît que les autorités belges n'ont pas élaboré de plan d'action national en matière de droits de l'homme, mais souligne que, tant au niveau fédéral que dans les régions et les communautés, de nombreuses instances veillent à la promotion et à l'application des droits de l'homme. On ne saurait mettre en doute l'attachement incontestable des différents pouvoirs aux droits de l'homme et on pourrait même dire qu'il y a une certaine concurrence entre eux à ce sujet.

36. C'est le Ministère fédéral des affaires étrangères qui est le premier destinataire des observations du Comité, veille à la mise en œuvre de la jurisprudence du Comité et donne les impulsions voulues dans le pays. Il contrôle directement la manière dont l'État s'acquitte des engagements qu'il a conclus au plan international. L'État fédéral, les régions et les communautés, chacun dans leur domaine de compétences, sont chargés d'appliquer au mieux les engagements internationaux. On ne peut pas dire qu'il y ait de disparités dans le domaine des droits de l'homme entre les régions et communautés. Au contraire, il existe à cet égard une certaine coopération. S'il y a des différences d'ordre politique, voire économique, le système judiciaire est unique et tous les citoyens du pays ont les mêmes droits. La jurisprudence des cours et tribunaux supérieurs s'applique de la même manière dans toutes les parties du pays.

37. L'article 23 de la Constitution est considéré comme une disposition programmatoire. En d'autres termes, l'obligation qui en découle est une obligation de moyens et non de résultat. Cela ne signifie pas, loin s'en faut, qu'il n'est jamais invoqué devant les tribunaux. Il l'a au contraire été dans de nombreux cas concrets, notamment par la Cour d'arbitrage, mais, du fait de son caractère programmatoire, toujours en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution, qui traitent de l'égalité de traitement et de la non-discrimination et sont, eux, d'application indirecte. Il indique, par ailleurs, que la primauté des traités internationaux sur le droit interne, et ce quelle que soit la date d'entrée en vigueur des lois internes considérées, a, pour la première fois, été reconnue en 1971 par un arrêt de la Cour de cassation et n'a par la suite jamais été démentie par la jurisprudence.

38. M. DE NEVE (Belgique) ajoute que le Pacte, en son article 2.1, prévoit que la mise en œuvre des droits énoncés est tributaire des "ressources disponibles de l'État", de sorte que les tribunaux belges ont, dans un premier temps, considéré que toutes les dispositions du Pacte étaient des dispositions programmatoires, contrairement aux dispositions de la Convention relative aux droits de l'enfant, qui ne contient, elle, aucune disposition analogue à l'article 2.1 du Pacte. Toutefois, cette interprétation a ultérieurement été corrigée, notamment à la lumière des observations finales émises par le Comité après l'examen du rapport initial de la Belgique. La Cour d'arbitrage a ainsi reconnu que certaines dispositions claires du Pacte, ne nécessitant à l'évidence pas de mesures d'exécution complémentaires, étaient d'application directe. Cela a été le cas pour l'article 8, et l'orateur pense personnellement que la Cour se prononcera à l'avenir dans le même sens pour d'autres articles.

39. M. NAYER (Belgique) n'est pas un représentant de la communauté germanophone. Il peut cependant indiquer que, dans le schéma institutionnel, la communauté germanophone a sa place et est dotée de son propre gouvernement. Cela n'est nullement contradictoire avec le fait que cette communauté a demandé, par un accord interne, à la communauté wallonne d'être compétente pour ce qui est des questions liées aux compétences régionales.

40. M. HUNT se félicite de constater que l'État partie fait des efforts pour intégrer le Pacte dans les processus de prise de décisions au niveau des différents ministères et l'encourage à poursuivre sur cette voie. Dans la mesure où la Belgique est un État riche et influent, il attire en outre son attention sur le fait qu'il serait bon que le Pacte soit également pris en considération dans les dialogues de l'État partie avec des organisations telles que l'OMC, la Banque mondiale et le FMI.

41. M. VANDAMME (Belgique) prend note de cette remarque intéressante et novatrice. Le plus grand sérieux y sera accordé.

42. M. AHMED se félicite de l'existence d'une loi antiraciste dans l'État partie. Il s'associe cependant au Comité pour l'élimination de la discrimination raciale pour regretter que la Belgique n'ait pris aucune mesure juridique pour interdire des mouvements xénophobes, notamment au vu de l'existence en communauté flamande d'un parti politique extrémiste incitant à la haine raciale.

43. M. ATANGANA aimerait avoir des précisions sur les activités du Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme, ainsi que des chiffres quant aux éventuelles actions en justice intentées par ce centre.

44. Mme JIMENEZ BUTRAGUEÑO demande si le projet de loi mentionné dans la réponse à la question 8 de la liste des points à traiter, interdisant toute forme de discrimination pour des conditions non choisies, telles que l'âge ou le sexe, a été examiné et si la loi a finalement été adoptée.

45. M. HUNT rappelle que le Pacte interdit non seulement la discrimination directe et intentionnelle, mais également les politiques qui ont de fait des effets discriminatoires. Il demande en conséquence si la délégation considère comme compatible avec l'article 2.2 du Pacte la loi relative aux prestations sociales qui introduit une catégorie de "cohabitants" recevant des prestations moindres et composée, selon les ONG, de femmes à 70 %.

46. M. VANDAMME (Belgique) n'est pas en possession de chiffres concernant les activités du Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme mais essaiera de s'en procurer pour la séance suivante. Répondant à M. Ahmed, il indique que la lutte contre la discrimination est un principe fondamental, auquel participe la loi antiraciste, mais qu'un autre principe fondamental est la liberté d'expression, au nom duquel la Belgique se refuse à interdire la constitution de partis politiques, quels qu'ils soient. Elle s'autorise en revanche à réglementer leur financement, et c'est sur cette base que certains partis peuvent être sanctionnés.

47. M. DE NEVE (Belgique) dit qu'en 1999 a été adoptée, en exécution de l'article 13 du Traité d'Amsterdam, une loi interdisant toute discrimination, pour tout motif, y compris l'âge, dans les conditions de travail et l'accès à l'emploi. Passant à la question de M. Hunt, il confirme que désormais trois catégories de personnes bénéficient de l'allocation chômage, à savoir les chefs de ménage, les cohabitants et les personnes isolées, alors qu'il n'en existait auparavant que deux, à savoir les chefs de famille et les personnes sans charge de famille. Si le texte de l'arrêté royal qui a introduit ces trois catégories est rédigé en un langage neutre et n'entraîne aucune discrimination directe, il en entraîne une indirecte de par la structure traditionnelle des ménages. Ce problème a conduit la Belgique devant la Cour de justice des Communautés européennes au début des années 90, laquelle a conclu à une discrimination indirecte. La Belgique ne l'a pas nié mais a invoqué une justification budgétaire. Elle est, en effet, le seul pays au monde à attribuer des allocations de chômage sans limitation dans le temps et se trouve confrontée à un manque de ressources. Lorsqu'il lui a fallu réduire ses dépenses au titre des allocations chômage, il lui a semblé plus juste de répartir la baisse selon les charges de famille que de façon linéaire, les personnes isolées ne pouvant pas recevoir d'appui financier d'un autre membre du ménage.


La séance est levée à 13 heures.


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