Distr.

GENERALE

CAT/C/SR.462
4 septembre 2001


Original: FRANCAIS
Compte rendu analytique de la 462e séance : Bolivia. 04/09/2001.
CAT/C/SR.462. (Summary Record)

Convention Abbreviation: CAT


COMITÉ CONTRE LA TORTURE

Vingt-sixième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 462e SÉANCE

tenue au Palais Wilson, à Genève,
le jeudi 3 mai 2001, à 10 heures

Président : M. BURNS

SOMMAIRE


EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L'ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (suite)

Rapport initial de la Bolivie


La séance est ouverte à 10 h 50.


EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L'ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (point 4 de l'ordre du jour) (suite)

Rapport initial de la Bolivie (CAT/C/52/Add.1; HRI/CORE/1/Add.54/Rev.1)

1. Sur l'invitation du Président, la délégation bolivienne, composée de M. Serrate Céspedes, M. Vásquez Villamor et Mme Ballivián de Romero, prend place à la table du Comité.

2. M. GUMUCIO DAGRON (Bolivie) fait observer que la Bolivie renoue le dialogue avec les organes conventionnels après environ cinq ans d'interruption. La présence d'une délégation devant le Comité montre l'importance qu'attache le Gouvernement au respect de ses obligations internationales.

3. M. SERRATE CÉSPEDES (Bolivie) dit qu'il aurait été certes souhaitable qu'une délégation plus nombreuse vienne présenter le rapport, mais la crise économique que traverse la Bolivie n'a malheureusement pas permis d'obtenir les ressources nécessaires. La délégation fera cependant de son mieux pour répondre aux questions du Comité.

4. M. GONZÁLEZ POBLETE (Rapporteur pour la Bolivie) note avec satisfaction la présence au sein de la délégation de S. E. le Vice-Ministre bolivien des droits de l'homme. Il se félicite également de ce que l'État partie ait présenté son rapport dans les délais et qu'il n'ait pas formulé de réserve à l'article 20 de la Convention. Cependant, la Bolivie n'a pas fait les déclarations prévues aux articles 21 et 22, ce qui est surprenant puisqu'elle a reconnu la compétence de la Commission et de la Cour interaméricaines des droits de l'homme qui surveillent l'application de la Convention interaméricaine pour la prévention et la répression de la torture, instrument d'une portée plus large et d'un caractère plus contraignant que la Convention contre la torture. Le Rapporteur encourage donc l'État partie à faire les déclarations prévues aux articles 21 et 22 de la Convention.

5. M. González Poblete constate que les directives générales du Comité concernant la forme et le contenu des rapports périodiques (CAT/C/14/Rev.1) n'ont été respectées qu'en partie, surtout s'agissant de la forme. En outre, la partie consacrée à la législation interne porte sur des lois et dispositions qui ne sont pas encore en vigueur. C'est là une situation exceptionnelle mais le Rapporteur admet parfaitement que l'État partie ait préféré ne pas citer dans son rapport des lois qui sont actuellement en vigueur mais cesseront de l'être tout prochainement. Il émet le souhait qu'il n'y ait pas de retard dans la mise en place de la nouvelle législation, comme dans d'autres pays d'Amérique latine qui, à l'instar de la Bolivie, sont passés d'un système inquisitoire à un système accusatoire.

6. Le rapport (par. 22 à 29) décrit d'une manière succincte mais claire les attributions des autorités judiciaires, administratives ou autres dont relèvent les questions visées par la Convention, mais on n'y trouve aucun renseignement sur les affaires dont ces autorités ont eu à traiter pendant la période considérée.

7. Le rapport du Défenseur du peuple (1998-1999) cité en annexe du rapport initial contient de nombreuses données statistiques qui n'ont pas de lien direct avec la torture, mais comporte aussi des éléments qui intéressent le Comité, notamment l'analyse des incidences des plaintes pour atteinte à l'intégrité physique. Quant au rapport sur les activités de la Commission des droits de l'homme de la Chambre des députés, qui est également cité en annexe, il contient des renseignements sur des allégations de torture vérifiées par cette institution qui ont donné lieu à des enquêtes. Pour ce qui est de l'action du ministère public (par. 30 à 33 du rapport), il aurait été utile d'avoir une description de la situation actuelle concernant l'application concrète de la Convention et d'obtenir des précisions sur les facteurs et difficultés empêchant l'État partie de s'acquitter pleinement des obligations qui lui incombent en vertu de la Convention, ainsi qu'il est demandé dans les directives générales du Comité concernant la forme et le contenu des rapports. En formulant une telle requête, le Comité demande à l'État partie non pas de se livrer à une autocritique mais d'évaluer l'efficacité des mesures prises pour surmonter les obstacles à la pleine application de la Convention. Les renseignements fournis aux paragraphes 121 à 123 sous-entendent quelles sont ces difficultés sans les définir clairement, encore que cette lacune soit partiellement comblée par les indications figurant dans le document de base (HRI/CORE/1/Add.54/Rev.1), qui peuvent être prises en compte puisqu'elles font partie intégrante des renseignements que les États parties fournissent aux organes conventionnels. Dans ce document sont cités comme obstacles à la pleine application des instruments internationaux les déficiences et retards dans l'administration de la justice – qui font que la majorité des inculpés exécutent une «peine anticipée» en demeurant en détention avant jugement pendant deux ou trois ans –, la corruption, l'incompatibilité entre les normes inscrites dans la Constitution et la législation spéciale visant à combattre le trafic de stupéfiants et enfin les pressions dont fait l'objet la magistrature bolivienne dans le cadre de la mise en œuvre des plans de lutte contre le trafic des stupéfiants. Le Rapporteur demande à la délégation de préciser la nature de cette incompatibilité ainsi que de ces pressions. À propos de la lutte contre le trafic de stupéfiants, il est indiqué dans le document de base que la Bolivie s'est dotée de deux corps de police spéciaux et que des inspecteurs spécialisés, qui dépendent du Sous-Secrétariat d'État à la défense sociale, ont été nommés. En outre, des tribunaux d'arrondissement compétents pour connaître des affaires relatives aux substances contrôlées ont été créés. Leur fonctionnement a soulevé diverses objections quant à leur constitutionnalité. En effet, la loi portant création de ces tribunaux prévoit la possibilité de procéder à des arrestations sur simple suspicion, le renversement de la charge de la preuve, l'application de peines très sévères dont la durée peut aller jusqu'à 30 ans et la possibilité de libération sous caution, qui établit de fait une discrimination économique. Les questions les plus graves ont trait aux violations des droits de l'homme et aux excès commis par les forces de police spécialisées dans les zones d'El Chapare et de Cochabamba. C'est la raison pour laquelle le Ministère de la justice a créé un bureau des défenseurs publics et un bureau des droits de l'homme, l'objectif étant de mieux assurer la protection des paysans producteurs. Le Rapporteur demande si ces bureaux existent toujours et quel est le résultat de leurs activités, étant donné que le Défenseur du peuple fait constamment état de violations dans ces régions.

8. Bien que le document de base ne soit pas récent – il est daté de1996 –, il semble que les problèmes qui y sont décrits sont toujours d'actualité. Par exemple, dans son premier rapport, le Défenseur du peuple indique qu'il ressort d'entretiens avec des membres de la société civile que le problème considéré comme le plus angoissant par la population est celui de l'abus d'autorité sous toutes ses formes, dont la violation des droits de l'homme à Chapare et Cochabamba est la manifestation la plus criante. Les retards et déficiences dans l'administration de la justice ont, d'autre part, engendré un nouveau type de prison, les «petites prisons» (carceletas), dont Amnesty International a dénoncé l'existence. Il s'agit de prisons dans lesquelles croupissent pendant des jours ou même des mois des prévenus qui n'ont pas les moyens de payer les services d'un avocat, en attendant que le juge, qui en vertu de la loi doit ordonner la libération ou la détention préventive dans les 24 heures qui suivent l'arrestation, prenne une décision. Ces personnes se trouvent littéralement dans des limbes juridiques puisque leur situation ne correspond à aucune disposition du Code de procédure pénale. Les conditions inhumaines qui règnent dans ces lieux de détention sont en violation flagrante de la Convention.

9. Dans le premier rapport du Défenseur du peuple, il est enfin indiqué que le phénomène de la corruption de l'appareil judiciaire et administratif et de l'impunité a gagné en ampleur et qu'une série de facteurs d'insécurité juridique sont apparus.

10. Dans son deuxième rapport, le Défenseur du peuple dénonce à nouveau les très mauvaises conditions régnant dans les établissements pénitentiaires, les retards dans l'exécution des décisions de justice ainsi que la corruption au sein de la police et à divers niveaux de l'administration publique. À ce propos, il souligne que la corruption, problème d'ordre éthique, ne saurait être éliminée par la simple augmentation des ressources budgétaires. Pour illustrer, d'autre part, les nombreuses violations, d'une gravité parfois extrême, du droit à la sécurité de la personne, il cite le cas de trois personnes brûlées vives par la police. Dans un de ses rapports, la Chambre des députés mentionne, elle aussi, les pratiques illégales auxquelles se livrent couramment les services de police, notamment ceux chargés de la répression des stupéfiants, qui vont de la détention arbitraire au fait d'infliger à des suspects des brûlures parfois mortelles.

11. À propos du cadre législatif régissant la mise en œuvre de la Convention en Bolivie, M. González Poblete rappelle tout d'abord qu'en vertu des articles 59 (par. 12) et 29 de la Constitution, les dispositions des instruments internationaux ratifiés par la Bolivie, étant pleinement conformes aux principes inscrits dans la Constitution, ont rang de loi et peuvent être invoqués devant n'importe quel tribunal du pays (par. 232 du document HRI/CORE/1/Add.54/Rev.1). Dans cette optique, il est indiqué au paragraphe 30 du rapport à l'examen que, depuis la ratification de la Convention, la Bolivie s'emploie à compléter et à renforcer sa législation en matière d'interdiction de la torture. Quelles sont les mesures concrètes prises à cet effet? Par ailleurs, le nouveau Code de procédure pénale contient de nombreuses dispositions où il est question de la Constitution, des instruments et traités internationaux, des différents codes et lois, mais aucune hiérarchie n'est réellement établie entre ces textes sauf qu'une place particulière est réservée à la Constitution. L'article 34 du Code de procédure pénale dispose toutefois que les dispositions des traités et instruments internationaux relatifs aux délais de prescription priment toute autre disposition, ce dont il convient de se féliciter étant donné que la Bolivie est partie à la Convention sur l'imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité. En vertu de l'article 12 de la Constitution, toutes formes de torture, de coercition, de sévices ou de violence physique ou morale sont interdites et le Code de procédure pénale, dans son article 296, interdit aux fonctionnaires de police d'infliger, de préconiser ou de tolérer tous sévices, tout acte de torture ou tout autre traitement ou peine cruel, inhumain ou dégradant tant au moment de l'arrestation que pendant la période de détention. L'article 295 du Code pénal prévoit, pour de tels actes, des peines allant de 2 à 10 ans d'emprisonnement ainsi qu'une période d'interdiction totale ou partielle d'exercer ses fonctions. Cette période s'ajoute-t-elle à la durée de l'emprisonnement ou y est-elle comprise? Les droits du prévenu placé en détention – prévus à l'article 16 de la Constitution et à l'article 84 du Code de procédure pénale – en particulier celui de communiquer avec un défenseur, sont-ils respectés? À cet égard, le législateur a mis l'accent sur le caractère exceptionnel que doit revêtir toute décision de placer un suspect au secret durant les premières 24 heures de la détention. Il est par ailleurs prévu que chaque établissement pénitentiaire tienne un registre où sont consignés la date et le lieu de l'internement. En outre, la police doit communiquer immédiatement les informations relatives à la détention au Procureur et au Défenseur du peuple, dont les fonctions consistent notamment à effectuer des visites dans les établissements pénitentiaires pour garantir que les droits de l'homme y sont respectés à engager d'office les actions ou recours – en habeas corpus, en amparo, etc. – nécessaires ou, dans les cas extrêmes, à saisir l'autorité compétente en vue du déclenchement de l'action requise pour remédier à la violation d'un droit ou d'une liberté.

12. Abordant la question de l'application par l'État partie des différents articles de la Convention, M. González Poblete note que les dispositions du paragraphe 2 de l'article 2 sont prises en compte par la législation bolivienne, même si aucun droit non susceptible de dérogation n'est énoncé dans la Constitution; pourtant, les droits de l'homme ont été gravement bafoués lors des deux états de siège proclamés en 1995 et 2000. De même, l'article 151 du Code de procédure pénale donne effet, en théorie, au paragraphe 1 de l'article 3 de la Convention. Or, selon certaines informations, il y a eu des cas où des citoyens péruviens en transit en Bolivie ont été renvoyés dans leur pays pour y être jugés pour des actes terroristes selon une loi péruvienne particulièrement sévère en la matière. Pour ce qui est de l'article 4 de la Convention, des tableaux statistiques faisant le point sur les affaires examinées en 1998 et 1999 par la police judiciaire et scientifique sont fournis en annexe au rapport, mais on n'y trouve aucune mention de cas de torture jugés par les tribunaux. Cette lacune renvoie à l'absence d'une définition suffisamment précise du crime de torture dans le Code pénal. D'ailleurs, les articles 294 et 295 reflètent très incomplètement les dispositions de l'article premier et de l'article 4 de la Convention, et les peines prévues pour les auteurs d'actes de torture sont relativement clémentes par rapport à celles infligées, par exemple, en cas d'atteinte à la propriété.

13. La Bolivie adhère au principe de la territorialité en matière pénale tout en respectant les dispositions des instruments internationaux. Les crimes commis à l'étranger, que la Bolivie s'est engagée à réprimer, en vertu, notamment, de la Convention contre la torture, tombent sous le coup de la loi bolivienne. La disposition relative à la compétence figurant à l'article 5 de la Convention est satisfaite par l'article 49 du nouveau Code de procédure pénale, dont les dispositions s'appliquent aux infractions qui n'ont pas été commises sur le territoire national lorsque la victime est bolivienne ou que l'auteur de l'infraction se trouve dans un lieu relevant de la juridiction de l'État bolivien.

14. Les dispositions du nouveau Code de procédure pénale citées aux paragraphes 41 à 43 du rapport initial de la Bolivie semblent répondre aux exigences en matière de détention figurant à l'article 6 de la Convention. En revanche, M. González Poblete souhaiterait obtenir des informations plus explicites sur le paragraphe 7 de l'article premier du Code pénal bolivien qui dispose que l'État partie qui ne poursuit pas lui-même une personne détenue pour torture est tenu de l'extrader. Il serait aussi intéressant de savoir si cette disposition est réellement appliquée.

15. À propos de l'article 8 de la Convention, le Rapporteur note que l'extradition est régie par les accords entre États et, à titre subsidiaire, par les dispositions du Code de procédure pénale ou, en l'absence de normes, par les règles de réciprocité. Ces règles, qui ne s'appliquent qu'à la procédure, sont énoncées à l'article 150 du Code pénal bolivien.

16. L'article 138 du Code de procédure pénale reprend les dispositions de l'article 9 de la Convention, selon lesquelles les États parties s'accordent l'entraide judiciaire la plus large possible.

17. M. González Poblete note avec satisfaction que la Bolivie met en œuvre un programme de promotion et de défense des droits de l'homme; il souhaiterait, à ce propos, avoir des informations sur les activités menées dans le cadre de ce programme ainsi que sur les groupes visés. D'autre part, le rapport du Défenseur du peuple mentionne une campagne d'information sur les droits de l'homme sans donner de précisions. D'une manière générale, il est important que le Gouvernement bolivien sensibilise davantage l'opinion publique ainsi que les responsables de l'application des lois, les fonctionnaires et la police à l'importance des droits de l'homme, ce qui permettrait de combler un certain vide et de répondre aux exigences de l'article 10 de la Convention, qui sont pour l'heure loin d'être respectées.

18. Le rapport initial ne contient pratiquement aucune référence aux mécanismes de surveillance prévus à l'article 11 de la Convention. De plus, les deux rapports du Défenseur du peuple et le rapport de la Commission des droits de l'homme de la Chambre des députés semblent indiquer que l'État n'exerce pas de surveillance systématique sur les règles, instructions, méthodes et pratiques en matière d'interrogatoire. Il importe donc au plus haut point de renforcer à titre prioritaire le dispositif de contrôle juridico-administratif, concernant en particulier les enquêtes de la police judiciaire et les interrogatoires, les casernes, les prisons, etc. Il serait aussi utile, dans l'optique de l'article 12 de la Convention, d'avoir des exemples de cas de torture dont a été saisi le ministère public afin de pouvoir mesurer l'efficacité de l'action menée par ce dernier, dont les tâches sont décrites aux paragraphes 69 et 70 du rapport.

19. À propos de l'article 13 de la Convention, M. González Poblete note que ni les rapports du Défenseur du peuple ni le rapport initial de la Bolivie ne mentionnent le nombre de plaintes. Il n'y est fait état d'aucune enquête de la part du Défenseur du peuple dont les activités sont encore en deçà des exigences de l'article 13 de la Convention. En outre, le rapport ne contient pas non plus la moindre information sur les éventuelles mesures de réparation prises par l'État en application de l'article 14 de la Convention. Vu qu'aux termes du Code pénal, toute personne pénalement responsable l'est également civilement et est tenue de réparer le préjudice matériel et moral occasionné par l'infraction, il serait intéressant de savoir si les actes des fonctionnaires publics engagent la responsabilité de l'État et s'il est possible de réclamer directement une indemnisation à l'État. M. González Poblete souhaiterait également obtenir des précisions sur le Fonds d'indemnisation et sur les initiatives prises par l'État pour garantir aux victimes d'actes de torture les moyens nécessaires pour une réadaptation aussi complète que possible.

20. Le nouveau Code de procédure pénale stipule que les éléments de preuve obtenus par des moyens illicites, notamment par la torture, sont nuls et non avenus, ce qui est conforme à l'article 15 de la Convention. La Bolivie s'engage, d'autre part, comme l'exige l'article 16, à interdire dans tout territoire relevant de sa juridiction toutes autres formes de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants qui ne correspondent pas à la définition de la torture qui figure à l'article premier de la Convention. Il n'en demeure pas moins, compte tenu des nombreuses allégations de violation systématique de cette disposition dans les postes de police et les établissements pénitentiaires, que l'application de ce principe n'est pas garantie. Enfin, M. González Poblete relève les conditions d'insécurité dans lesquelles travaillent les militants des droits de l'homme qui sont en butte à des actes d'intimidation, confirmés, entre autres, par diverses ONG, dont Amnesty International. Il serait donc urgent que l'État envisage de revoir toute l'organisation de la défense des droits de l'homme dans le pays.

21. M. HENRIQUES GASPAR (Corapporteur pour la Bolivie) dit qu'il souscrit à toutes les observations formulées par M. González Poblete. S'agissant de l'article 11 de la Convention, il aimerait savoir s'il existe une institution ou une autorité chargée d'inspecter les prisons et de vérifier si les règles d'interrogatoire sont respectées dans les commissariats de police. Par ailleurs, il déplore les difficultés dans la formation du personnel chargé de l'application de la loi qui entraînent une inobservation de certaines dispositions de la Convention. M. Henriques Gaspar se dit également préoccupé par l'inefficacité des enquêtes transmises aux autorités compétentes et se demande si une telle situation est due au manque de volonté des autorités judiciaires, à l'insuffisance des moyens ou à l'absence de formation aux méthodes d'enquête. Par ailleurs, il serait intéressant de savoir si un agent de police faisant l'objet d'une plainte est suspendu de ses fonctions pendant l'enquête. À propos de l'article 16 de la Convention, le Corapporteur relève notamment le surpeuplement carcéral, l'insuffisance des soins médicaux, l'absence de séparation entre mineurs et adultes dans les prisons. Il s'interroge, à cet égard, sur les facteurs à l'origine du fort pourcentage de femmes dans la population carcérale. Enfin, il aimerait savoir si les autorités boliviennes envisagent de prendre des mesures pour réduire la durée de la détention avant jugement qui est excessive.

22. M. RASMUSSEN souhaiterait avoir des informations sur la contribution de la Bolivie au Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour les victimes de la torture ainsi que sur les centres de réadaptation polyvalents mis en place dans le pays pour les victimes d'actes de violence et de torture. Il fait observer que les connaissances acquises dans ces centres pourraient être utiles dans le cadre de la formation du personnel pénitentiaire préconisée à l'article 10 de la Convention.

23. Mme GAER se contentera d'évoquer trois questions dont la première, déjà abordée par M. González Poblete, concerne la protection des militants des droits de l'homme: elle voudrait savoir où en est l'affaire du dirigeant de l'Asamblea Permanente de Derechos Humanos, dont l'action lui a valu d'être enlevé et détenu par des policiers. Bien que cette affaire ait fait grand bruit et qu'une commission d'enquête ait été chargée d'établir les faits, elle n'est toujours pas éclaircie et il serait important de connaître les raisons de la lenteur de la procédure. Plus généralement, quelles sont les mesures concrètes qui ont été prises par le Gouvernement afin que les membres d'organisations de défense des droits de l'homme aient l'assurance de pouvoir s'acquitter, sans être inquiétés, de leurs activités?

24. Un deuxième sujet d'inquiétude concerne les sanctions pouvant être assimilées à des actes de torture qui ont été imposées à de jeunes conscrits et qui n'ont guère donné lieu à enquête en dépit des assurances officielles. En 1996, la Chambre des députés a saisi les autorités militaires de plusieurs cas dont un particulièrement dramatique, et en août dernier, les services du Défenseur du peuple ont soulevé à nouveau le problème et évoqué un autre cas d'abus caractérisé, faisant valoir que le commandement militaire était responsable en tant qu'institution et devait réparation et indemnisation à la victime. Les services du Défenseur du peuple ayant fait une série de recommandations destinées à éviter que de tels faits ne se reproduisent, Mme Gaer souhaiterait savoir si des mesures ont été prises pour les mettre en œuvre. L'ouverture d'enquêtes sur ces allégations a apparemment été ordonnée, mais il serait important de savoir si elles ont effectivement eu lieu, quels en ont été les résultats et en particulier, si les militaires coupables de ces sévices ont été sanctionnés. À ce propos, il serait en outre utile d'apprendre si en Bolivie les informations relatives à ce type de procédure sont rendues publiques; par exemple, les agents de l'État accusés de tortures et mauvais traitements sont-ils cités nommément et leur condamnation ou leur acquittement par un tribunal est-il annoncé en public?

25. Mme Gaer croit savoir que l'article 317 du Code pénal stipule qu'en cas de viol, de sévices sexuels ou d'enlèvement, le coupable n'est pas punissable lorsqu'il épouse ensuite sa victime, sous réserve que le consentement de celle-ci ait été obtenu avant que le jugement ne soit rendu: cette pratique de la «réparation par mariage» semble tout bonnement éliminer la responsabilité pénale du violeur. Associée à la force de l'usage et au poids des traditions, cette disposition légale du Code pénal crée un climat d'impunité, favorise ce type de comportement et aggrave le sort des victimes. D'autre part, selon certaines allégations, une justice communautaire serait rendue dans certains cas, notamment à l'encontre des femmes accusées d'adultère, d'avortement, etc., justice qui se traduit souvent par des châtiments cruels. Est-il vrai que ces pratiques existent, et, le cas échéant, quelles dispositions le Gouvernement entend-il prendre pour y mettre fin? D'une manière générale, comment les autorités combattent-elles la violence à l'égard des femmes sous toutes ses formes?

26. S'agissant des établissements pénitentiaires, qui sont surpeuplés et comptent une importante proportion de femmes, Mme Gaer voudrait savoir si les violences sexuelles à l'égard des prisonniers des deux sexes sont combattues dans les prisons et dans l'affirmative, si les victimes sont informées qu'elles ont un recours.

27. M. CAMARA félicite l'État partie pour son rapport et a particulièrement apprécié le caractère honnête et complet du document de base (HRI/CORE/1/Add.54/Rev.1). Ayant participé aux travaux relatifs à la Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, il a eu l'occasion de s'intéresser tout particulièrement à la Bolivie et aux problèmes qu'elle connaît à cet égard, et dont le document de base ne fait pas mystère. À ce propos, un problème très important, déjà évoqué par M. González Poblete, est celui du renversement de la charge de la preuve. On se souviendra que le principe, qui avait été posé pour la première fois dans le cadre de la lutte contre le proxénétisme a été retenu lors de l'élaboration de la Convention susmentionnée en tant que moyen de démasquer les gros bonnets de la drogue. Enfin, à l'heure actuelle, on envisage une démarche analogue à propos de la corruption et du blanchiment de capitaux. Le problème qui se pose à la Bolivie est de savoir dans quelle mesure le législateur peut recourir à ce moyen, car un renversement généralisé de la charge de la preuve serait attentatoire aux droits de l'homme. Mais lorsqu'elle vise uniquement à obliger les grands trafiquants à justifier de leurs revenus afin de les démasquer, cette démarche reste dans les limites de ce que des juristes peuvent accepter, quoique normalement, nul ne devrait être obligé à prouver son innocence. Compte tenu de ce qui précède, il serait utile de connaître le libellé exact de l'article 184 du Code de procédure pénale.

28. La réglementation en matière d'extradition, évoquée au paragraphe 37 du rapport à l'examen (CAT/C/52/Add.1) ne pose généralement aucun problème dans la mesure où l'extradition résulte d'une procédure judiciaire et qu'elle est par conséquent soumise à un contrôle. Là où les demandeurs d'asile courent éventuellement des risques, c'est en cas de refoulement ou d'expulsion; il serait donc utile de savoir quelle est la législation en vigueur et la pratique suivie en Bolivie à cet égard.

29. Le PRÉSIDENT souhaite revenir sur un point qui a déjà été abordé par le Comité des droits de l'homme et par le Rapporteur spécial sur la question de la torture: l'un et l'autre ont recommandé que tout agent de l'État inculpé d'actes de torture ou de mauvais traitements soit suspendu de ses fonctions jusqu'à ce qu'il soit condamné ou acquitté par un tribunal; il semble que cela n'est pas le cas en Bolivie, et il serait utile de connaître le point de vue des autorités boliviennes et leur politique en la matière.

30. La mise au secret est une pratique absolument contraire à la lettre et à l'esprit de la Convention. Quelles que soient les caractéristiques culturelles, géographiques et politiques d'un pays, il ne fait aucun doute que placer des détenus au secret, c'est les exposer aux mauvais traitements et à la torture. Le moment où les actes de ce genre risquent le plus souvent d'être commis se situe dans les premières 24 heures de la détention et ils deviennent une quasi-certitude si, durant ce laps de temps, l'intéressé est placé au secret. Dans ces conditions, il serait bon que l'État partie explique au Comité comment il réconcilie la pratique de la mise au secret avec l'interdiction de la torture et des mauvais traitements. La situation est d'autant plus préoccupante dans le cas de la Bolivie que, selon des ONG dignes de confiance, le délai de 24 heures autorisé par la loi serait souvent dépassé. Dans le même ordre d'idées, M. Gonzáles Poblete a déclaré qu'il serait étonné que la mise au secret, telle qu'elle est évoquée au paragraphe 61 du document CAT/C/52/Add.1, puisse aller de pair avec le respect du droit des détenus d'avoir accès à un conseil. Peut-être la chose est-elle rendue possible en Bolivie par le biais d'une distinction établie entre l'arrestation et la détention: les personnes «arrêtées» auraient accès à leur avocat, alors que les personnes «détenues» - mais non arrêtées - ne seraient autorisées à voir personne.

31. Dans leurs rapports concernant la Bolivie, Amnesty International et l'Organisation mondiale contre la torture évoquent nombre de cas assez dramatiques sur lesquels il serait souhaitable que la délégation apporte des éclaircissements. Il y a notamment celui d'une femme accusée d'activités antigouvernementales qui aurait été placée en détention et abominablement torturée avant son procès, puis libérée sous caution, et qui n'aurait toujours pas été jugée alors que les faits remontent à sept ans.

32. Les inquiétudes suscitées par la pratique de la mise au secret amènent à poser une question très simple: la police tient-elle systématiquement des registres où elle consigne scrupuleusement les noms des personnes arrêtées ou détenues, et ces registres sont-ils accessibles aux familles, au juge d'instruction, au ministère public et au Défenseur du peuple? En d'autres termes, un fonctionnaire compétent peut-il à tout moment savoir combien de personnes sont détenues par la police ou d'autres autorités et qui sont ces personnes? L'expérience montre que c'est dans les pays où les registres sont mal tenus ou inexistants que les détenus sont le plus maltraités.

33. En conclusion, le Président tient à souligner que le grand nombre de questions posées à la délégation atteste le vif intérêt que le Comité porte à la Bolivie. Il note d'autre part avec satisfaction que l'État partie a présenté son rapport initial d'une manière remarquablement ponctuelle, et invite la délégation à revenir poursuivre le dialogue à une séance ultérieure.

34. M. SERRATE CESPEDES (Bolivie) sera heureux de continuer le dialogue qui vient de s'instaurer et assure le Comité que son pays est résolu à relever les nombreux défis que le respect de ses obligations lui impose. Une réforme profonde d'un système juridique et notamment pénal foncièrement inquisitorial et antidémocratique, qui favorisait l'impunité et la corruption, est engagée. Les premiers fruits de ces efforts ne se feront sentir qu'après un certain temps car ils doivent s'accompagner d'une évolution sociale et culturelle; quoi qu'il en soit, la Bolivie aura besoin du soutien et de l'aide financière de la communauté internationale. Elle vient de se doter d'un Code de procédure pénale qui devrait être un modèle, et une loi toute récente va lui permettre de remanier profondément son système pénitentiaire. La lutte contre la corruption, la protection des droits fondamentaux, une nouvelle politique à l'égard des réfugiés, la réforme constitutionnelle, etc., sont à l'ordre du jour. La délégation bolivienne reviendra sur tous ces points.

35. La délégation bolivienne se retire.


La séance est levée à 12 h 55.

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