Distr.

GENERALE

CERD/C/SR.1082
10 mars 1995


Original: FRANCAIS
Compte rendu analytique de la 1082ème seance : Bosnia and Herzegovina. 10/03/95.
CERD/C/SR.1082. (Summary Record)

Convention Abbreviation: CERD
COMITE POUR L'ELIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE

Quarante-sixième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 1082ème SEANCE

tenue au Palais des Nations, à Genève,
le mardi 7 mars 1995, à 10 heures

Président : M. AHMADU
puis : M. GARVALOV

SOMMAIRE


Examen des rapports, observations et renseignements présentés par les Etats parties conformément à l'article 9 de la Convention (suite)

Bosnie-Herzégovine (document soumis en application d'une décision spéciale du Comité)

La séance est ouverte à 10 h 15

EXAMEN DES RAPPORTS, OBSERVATIONS ET RENSEIGNEMENTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES CONFORMEMENT A L'ARTICLE 9 DE LA CONVENTION (suite)

BOSNIE-HERZEGOVINE (DOCUMENT SOUMIS EN APPLICATION D'UNE DECISION SPECIALE DU COMITE) (CERD/C/247 et Add.1)

1. Le PRESIDENT rappelle que, pour cet examen un nouveau document établi par la Bosnie-Herzégovine (CERD/C/247/Add.1) a été distribué la veille aux membres du Comité. L'ambassadeur de Bosnie-Herzégovine a été invité à assister au débat du Comité, mais il est peu probable qu'il puisse venir, ayant d'autres engagements.

2. Mme SADIQ ALI (Rapporteur de pays) développe à l'intention des membres du Comité un certain nombre de points concernant la situation en Bosnie-Herzégovine. A propos de la situation politique, elle rappelle que le plan de paix présenté en avril 1994 prévoit que 51 % du territoire de la Bosnie-Herzégovine doit revenir à la Fédération de Bosnie-Herzégovine et 49 % aux Serbes. Se référant à la note du Secrétaire général sur la situation des droits de l'homme dans l'ex-Yougoslavie (A/49/641, du 4 novembre 1994), Mme Sadiq Ali indique que la Fédération existe désormais juridiquement à côté de la République de Bosnie-Herzégovine et que ses institutions et structures sont progressivement mises en place. La Constitution de la Fédération fait bonne place à la protection des droits de l'homme et prévoit la création de plusieurs institutions qui pourraient être dotées d'importants pouvoirs pour les faire appliquer et respecter, dont un tribunal des droits de l'homme et trois médiateurs. Les droits protégés par la Constitution comprennent tous ceux qui sont actuellement reconnus par le droit humanitaire international. Y sont aussi énumérés des droits dont le respect préviendrait la pratique du "nettoyage ethnique". La Constitution prévoit en outre que des opérations internationales de suivi des droits de l'homme pourront avoir lieu dans les limites de la Fédération. On peut regretter, comme le fait le Secrétaire général, qu'au lieu de classer à part dans la catégorie ethnique "autres" les Serbes de Bosnie résidant dans la Fédération, la Constitution n'ait pas expressément reconnu le rôle égal qu'ils ont à jouer dans la Fédération. Des mesures ont été prises sur le plan économique pour réunir des représentants d'entreprises des diverses communautés en vue, notamment, de rétablir un marché et une main-d'oeuvre unifiés. Le cessez-le-feu et les termes de la Constitution ont permis de prendre quelques mesures pour rétablir la liberté de mouvement. Mais la levée de certaines des restrictions à la liberté de mouvement n'a pas encore entraîné le retour d'un nombre important de personnes déplacées à cause notamment du fait que les accords en vigueur ne concernent que les déplacements temporaires et aussi à cause du manque de logements convenables. La question du retour des personnes déplacées est encore compliquée par le fait que les autorités locales tiennent à la formule de la réciprocité, c'est-à-dire qu'une ville n'autorisera des personnes déplacées à revenir que si elle peut reloger celles qu'elle héberge déjà. Il n'y a pas eu de retour de musulmans dans les régions où les Croates de Bosnie sont majoritaires, mais un certain nombre de musulmans ont quitté des régions croates de Bosnie pour rentrer dans des régions à prédominance musulmane.

3. Citant des extraits du rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l'homme dans le territoire de l'ex-Yougoslavie (E/CN.4/1995/57, du 16 janvier 1995), Mme Sadiq Ali dit que les informations faisant état de la nomination des trois médiateurs prévue par la Constitution sont encourageantes. Une autre information source d'espoir concerne l'extension des activités des groupes non gouvernementaux de défense des droits de l'homme à Sarajevo, Tuzla et Zenica. Il y a aussi lieu de se féliciter de l'importance que ces groupes attachent à l'enseignement du droit relatif aux droits de l'homme et à la diffusion d'informations dans ce domaine. Les autorités engagent fréquemment des poursuites contre des Serbes de Bosnie qui cherchent à traverser la ligne de front en vue d'un regroupement familial en les accusant de vouloir échapper à la conscription. Elles les sanctionnent de lourdes peines, et cette pratique est source de préoccupation. S'il faut se féliciter du rôle qu'a joué le mouvement syndical officiel en attirant l'aide humanitaire internationale, il est indispensable d'adopter les dispositions législatives nécessaires pour permettre à un mouvement syndical libre de voir le jour parallèlement au redémarrage de l'économie et de soutenir autant que faire se peut les organisations syndicales et professionnelles indépendantes qui commencent à se constituer. Il faut se réjouir à cet égard de la création, le 10 décembre 1994, de l'Union indépendante des journalistes professionnels.

4. En ce qui concerne Sarajevo, les dernières informations en provenance de cette ville font état d'une situation fragile. L'impression générale est que les combats peuvent reprendre à tout moment. Une nouvelle pratique à laquelle recourent les deux parties consiste à procéder à des arrestations (personnel du HCR, journalistes, médecins étrangers) sous le prétexte d'espionnage.

5. En ce qui concerne les personnes disparues, Mme Sadiq Ali rappelle que le dispositif spécial concernant les personnes disparues établi par la Commission des droits de l'homme "adopte une démarche strictement humanitaire, non accusatrice, à seule fin d'élucider le sort des personnes disparues sur le territoire de l'ex-Yougoslavie et l'endroit où elles se trouvent". Il "n'intervient pas dans la recherche et la détermination des responsabilités". Ainsi qu'il est dit dans le rapport du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires (E/CN.4/1995/37, du 12 janvier 1995), "le fait que de très nombreuses personnes soient portées disparues est une conséquence directe du conflit armé et de la politique de "nettoyage ethnique" dans de nombreuses régions de Bosnie-Herzégovine, en particulier sur le territoire sous contrôle des autorités de facto serbes de Bosnie. Selon des sources dignes de foi, à la fin de l'été 1992, la partie orientale du pays avait été "nettoyée" d'au moins 300 000 musulmans. Selon le même rapport, entre mai et juillet 1992, des milliers de civils auraient été tués en Bosnie occidentale, des milliers d'autres envoyés dans des camps de concentration et un nombre plus important encore déportés. Du fait de la rapide intensification du conflit entre forces gouvernementales et troupes serbes de Bosnie dans l'enclave de Bihac, à la fin d'octobre 1994, des milliers de civils ont été déplacés et de nombreuses familles séparées. Dans un tel chaos, il est impossible, note le Groupe de travail, d'estimer le nombre de ceux qui ont été tués ou ont disparu, sans compter les nombreux prisonniers faits de part et d'autre. Le nombre des personnes disparues dont il est fait état en Bosnie-Herzégovine atteint 20 000. Jusqu'au 16 décembre 1994, le dispositif spécial avait été saisi par les membres des familles de 223 cas pour lesquels des informations détaillées étaient fournies; 200 d'entre eux ont été enregistrés. La plupart de ces cas concernent des musulmans de sexe masculin âgés de 25 à 60 ans. Selon les sources, l'Armée populaire yougoslave et les groupes paramilitaires serbes seraient, dans la plupart des cas, responsables des détentions et des enlèvements. L'accord de Washington du 18 mars 1994, qui prévoit une plus grande liberté de mouvement, devait renforcer les chances de déterminer le sort des personnes qui ont disparu pendant le conflit et l'endroit où elles se trouvent. Un pas encourageant vers une solution de ce problème a été accompli lorsque, à la suite de l'accord de paix conclu entre le gouvernement et les Croates de Bosnie, les deux parties sont convenues de libérer et d'échanger leurs prisonniers de guerre, échange qui s'est achevé en mai 1994.

6. Toujours selon le rapport E/CN.4/1995/37, la plupart des personnes disparues de Croatie sont des Croates, la plupart des personnes disparues de Bosnie-Herzégovine sont des Musulmans. Le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires rappelle dans son rapport qu'en vertu des articles 3, 13 et 14 de la Déclaration de 1992 sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, tous les Etats sont tenus de prendre des mesures efficaces pour prévenir et éliminer les actes conduisant à des disparitions forcées, de procéder à une enquête approfondie concernant chacun des cas de disparition dont il est fait état et d'en traduire en justice les auteurs. Le Groupe engage instamment le Gouvernement de la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) à coopérer avec le dispositif spécial, lui rappelle qu'il a l'obligation de traduire en justice toutes les personnes placées sous son autorité que l'on présume responsables d'un acte conduisant à une disparition forcée, et l'invite à prêter ses bons offices à la recherche des personnes disparues que l'on prétend détenues par les autorités de facto serbes en Croatie et en Bosnie-Herzégovine. Le Groupe invite également le Gouvernement de la République de Bosnie-Herzégovine à continuer de coopérer avec le dispositif spécial, et engage instamment les autorités de facto serbes de Bosnie-Herzégovine à mettre fin à la pratique du "nettoyage ethnique" et aux actes semblables qui risquent de provoquer la disparition de personnes relevant de leur autorité.

7. Passant à la question du travail forcé dans le nord de la Bosnie, Mme Sadiq Ali se réfère à un rapport de la Société anti-esclavagiste datant du mois de décembre 1994. Selon ce rapport, si toutes les parties au conflit ont eu recours à la pratique du travail forcé à un moment ou à un autre, les observateurs les plus impartiaux s'accordent toutefois pour dire que les abus les plus systématiques ont lieu dans les territoires du nord de la Bosnie contrôlés par les Serbes, où ils ne limitent pas à la ligne de front (creuser des tranchées, couper du bois dans des champs de mines, évacuer les morts et les blessés), mais concernent tous les secteurs de l'économie. Le travail forcé dans cette région apparaît en outre discriminatoire : Musulmans, Croates et Tziganes forment le gros des effectifs, qui sont supervisés essentiellement par des Serbes. Il apparaît parfois que le but n'est pas d'abord l'accomplissement d'une tâche indispensable, mais l'humiliation de ceux qui accomplissent ces tâches. Depuis la fin du mois de juillet 1994, les femmes et les enfants de plus de 15 ans sont également soumis officiellement au "travail obligatoire". Le recours au travail forcé dans ces conditions constitue une violation flagrante du droit international humanitaire.

8. En ce qui concerne la question des viols et sévices dont les femmes sont victimes dans les zones de conflit armé dans l'ex-Yougoslavie, Mme Sadiq Ali rappelle les termes de la résolution que l'Assemblée générale a adoptée à ce sujet (résolution 48/143 en date du 20 décembre 1993) et cite des extraits du rapport du Secrétaire général sur la question (A/48/858, du 29 janvier 1994). Selon ce rapport, entre le 20 juin et le 9 juillet 1993, la Commission d'experts constituée conformément à la résolution 780 (1992) du Conseil de sécurité a envoyé une mission à Sarajevo pour entreprendre plusieurs études pilotes, y compris une sur les viols. D'après cette étude, toutes les parties au conflit auraient commis des viols. Toutefois, sur les 330 cas signalés qui avaient été étudiés à l'époque, les victimes étaient surtout des Musulmanes bosniaques, et les coupables présumés étaient en majeure partie des Serbes de Bosnie. Les auteurs de l'étude ont estimé que, si de nouvelles enquêtes révèlent l'existence d'un lien entre ces activités et la politique de "nettoyage ethnique", on pourrait alors avancer que le viol a été utilisé comme instrument de guerre et commis de manière à semer la terreur, la honte et à créer d'autres troubles psychologiques parmi une population donnée, afin de la forcer à s'enfuir et de l'empêcher de revenir.

9. Evoquant ensuite le rapport spécial sur les médias établi par le Rapporteur spécial à l'intention de la Commission des droits de l'homme (E/CN.4/1995/54, du 13 décembre 1994), Mme Sadiq Ali souligne que l'un des éléments les plus importants de la stratégie des autorités serbes bosniaques de facto en Bosnie-Herzégovine a été la création de leurs propres médias, essentiellement dans le but de diffuser de la propagande politique. Ces médias font couramment état de "génocide" commis contre les Serbes de Bosnie par les Musulmans, et traitent ces derniers de "moudjahidines" ou d'"islamistes" cherchant à imposer l'islam aux Serbes. Les autorités serbes bosniaques de facto ont créé à Pale l'agence d'information SRNA, qui fait tout pour créer la confusion sur la situation réelle en Bosnie. Le Gouvernement de Bosnie-Herzégovine n'a pas encore pu mettre en place un cadre législatif viable pour réglementer la question de la liberté des médias. Les dispositions spécifiques des instruments juridiques internationaux doivent être appliquées concrètement. Les organisations internationales intergouvernementales et autres devraient aider la Bosnie-Herzégovine à établir ce cadre juridique et en surveiller l'application. Conformément aux résolutions de l'Assemblée générale, la FORPRONU a lancé en 1994 un certain nombre d'initiatives dans le domaine des médias, cherchant à fournir aux habitants des diverses républiques des informations exactes et impartiales concernant la mission de maintien de la paix et les questions d'actualité.

10. Au sujet du Tribunal international créé en application de la résolution 808 (1993) du Conseil de sécurité afin de juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit humanitaire international commises sur le territoire de l'ex-Yougoslavie, Mme Sadiq Ali se fait l'écho de l'appel lancé par le mouvement Helsinki Watch et rappelle la position très ferme exprimée en novembre 1994 par l'ambassadeur des Etats-Unis à l'ONU à l'appui de ce Tribunal.

11. Enfin Mme Sadiq Ali, citant de nouveau la note du Secrétaire général sur la situation des droits de l'homme dans l'ex-Yougoslavie (A/49/641), évoque la situation dans les enclaves et notamment à Bihac. Depuis que les troupes gouvernementales ont été déployées dans la partie nord de la poche de Bihac et que le gouvernement y a rétabli son contrôle en août 1994, le Rapporteur spécial n'a reçu aucune information faisant état de brimades ou de représailles systématiques contre les anciens partisans de M. Abdic. A partir du 21 août 1994, la chute du régime de M. Abdic a entraîné un exode d'environ 30 000 personnes du nord de Bihac vers la zone protégée des Nations Unies du secteur nord. La situation de ces personnes est préoccupante. Les perspectives de retour ou de réinstallation des personnes déplacées à l'extérieur sont incertaines. La question du retour à Bihac est d'autant plus complexe que les intéressés continuent à craindre les représailles et les châtiments de la part des forces gouvernementales, bien que le gouvernement ait proposé de les amnistier et de les exempter des obligations militaires et malgré les mesures de confiance prises par la FORPRONU et le HCR. Ce sont essentiellement les forces serbes de Bosnie qui se sont lancées dans une offensive acharnée contre la ville de Bihac. Selon des sources bien renseignées, elles ont détruit les villages qu'elles rencontraient sur leur route en progressant vers la ville. Le Conseil de sécurité a adopté le 6 mai 1993 une résolution déclarant que les villes de Sarajevo, Tuzla, Zepa, Gorazde, Bihac et Srebrenica devraient être traitées comme des zones de sécurité. Dans une autre résolution, le Conseil a autorisé les Etats-Unis et leurs alliés à faire usage de la force aérienne pour protéger les soldats des Nations Unies assurant la protection de ces six enclaves. Or l'ONU n'a rien fait pour contrer les attaques serbes contre les "zones de sécurité".

12. M. Garvalov prend la présidence.

13. M. ABOUL-NASR remercie Mme Sadiq Ali pour son introduction et rappelle que les principaux faits qui caractérisent la situation en Bosnie-Herzégovine sont connus de tous. Les Serbes de Bosnie poursuivent, avec le soutien de la Yougoslavie, leur entreprise de nettoyage ethnique et de génocide et défient le monde entier, convaincus que personne ne tentera véritablement de mettre fin à leurs crimes.

14. Face à cette situation, les institutions et les organes internationaux se contentent de formuler des recommandations et des résolutions, dont aucune n'est suivie d'effet. C'est ainsi par exemple que l'Assemblée générale des Nations Unies n'a pas donné suite à la recommandation concernant la Bosnie-Herzégovine formulée par le Comité. Celui-ci débat en vase clos et en l'absence des représentants de l'Etat partie concerné, de la situation en Bosnie-Herzégovine. Pour résumer, on peut dire que dans ce pays, l'action de la communauté internationale dans son ensemble et de l'ONU en particulier se solde, comme en Somalie, par un échec retentissant. On peut par exemple se demander combien d'années s'écouleront encore avant que les auteurs de crimes contre l'humanité en Bosnie-Herzégovine soient jugés par le tribunal international créé à cet effet.

15. Si la communauté internationale n'est pas en mesure de venir en aide à la Bosnie-Herzégovine, qu'elle donne au moins à ce pays les moyens de se défendre et de mettre un terme aux crimes qui sont commis sur son territoire. C'est dans cet esprit que le Comité devrait adresser au Conseil de sécurité une brève recommandation dans laquelle il demanderait que soit levé l'embargo sur les armes imposé à la Bosnie-Herzégovine, alors même que les sanctions frappant la Yougoslavie viennent d'être partiellement levées.

16. M. WOLFRUM, après avoir remercié Mme Sadiq Ali pour ses informations détaillées, dit que c'est la deuxième fois que le Comité examine un rapport de la Bosnie-Herzégovine en l'absence d'un représentant de ce pays. De deux choses l'une, soit un dialogue avec le Comité n'intéresse pas l'Etat partie soit, ce qui est plus probable, l'Etat partie estime qu'un tel dialogue ne lui serait d'aucune utilité dans les circonstances actuelles.

17. S'agissant des organisations internationales, force est de reconnaître, comme l'a souligné M. Aboul-Nasr, qu'elles ne se sont pas véritablement acquittées de leur tâche. Il convient toutefois de souligner avec force qu'une organisation internationale, quelle qu'elle soit, ne peut être efficace que dans la mesure où ses Etats membres le lui permettent. Ce sont donc ces derniers qui sont à blâmer, y compris la Bosnie-Herzégovine dans la mesure où elle n'utilise pas les possibilités offertes par les organes s'occupant des droits de l'homme.

18. Pour contribuer au règlement de la crise en Bosnie-Herzégovine, dont la situation s'est encore détériorée depuis l'examen du dernier rapport de ce pays, le Comité dispose de moyens pour le moins limités. Il peut examiner des rapports, formuler des recommandations et, si l'Etat partie est d'accord, se rendre sur son territoire ou lui fournir une assistance technique. Il peut également demander à l'Assemblée générale et au Secrétaire général, voire même au Conseil de sécurité, de faire quelque chose. En fait, la situation en Bosnie-Herzégovine montre combien sont limités les moyens d'action dont disposent des organes tels que le Comité lorsqu'un conflit a éclaté, d'où la nécessité de mettre l'accent sur les actions préventives et de demander aux Etats de favoriser une telle action.

19. Si, comme le suggère M. Aboul-Nasr, le Comité adresse une recommandation au Conseil de sécurité, il devra également en adresser une à l'OTAN, aux Communautés européennes et à la CSCE. Par ailleurs, M. Wolfrum formulerait une telle recommandation en d'autres termes que ceux proposés par M. Aboul-Nasr, estimant qu'une demande de levée de l'embargo sur les armes ne devrait être adressée au Conseil de sécurité qu'en dernier recours. En effet, une telle mesure, de même que le retrait des forces de l'ONU, ne mettraient pas un terme aux violations des droits de l'homme en Bosnie-Herzégovine, bien au contraire. Enfin, M. Wolfrum dit que le principal obstacle qui s'oppose à une action efficace dans l'ex-Yougoslavie tient, non pas au rôle joué par telle ou telle organisation internationale, mais aux vues antagoniques de certains Etats.

20. M. VALENCIA RODRIGUEZ remercie Mme Sadiq Ali pour les informations éclairantes qu'elle a communiquées au Comité et dit comprendre qu'il soit difficile au représentant permanent de la Bosnie-Herzégovine, en raison de ses nombreuses obligations, de venir présenter le rapport de son pays.

21. Ce rapport fait état de nombreuses et très graves violations des droits de l'homme qui sont commises dans le pays, notamment le "nettoyage ethnique", et qui servent un objectif politique, à savoir la création de la grande Serbie, voire d'une grande Croatie. Le Comité ne doit pas rester impassible devant cette tragédie à laquelle les nombreux rapports qui ont été publiés et les innombrables missions qui ont été effectuées n'ont à ce jour pas permis de mettre fin. Le Comité a le devoir de réitérer sa condamnation des actes horribles qui continuent d'être commis en Bosnie-Herzégovine, et il doit demander à la communauté internationale, en particulier au Conseil de sécurité, d'intervenir de manière plus résolue pour faire cesser ces violations.

22. M. de GOUTTES dit que l'exposé détaillé de Mme Sadiq Ali confirme la persistance en Bosnie-Herzégovine d'actes graves et massifs de discrimination ethnique, devant lesquels le Comité ne saurait rester silencieux.

23. Au paragraphe 20 du document qu'il a présenté en application d'une décision spéciale du Comité (CERD/C/247), le Gouvernement de Bosnie-Herzégovine précise que les autorités légitimes et la majorité de la population sont opposées au génocide et à la politique raciale de "nettoyage ethnique", à la partition de leur pays sur une base ethnique, à l'échange de territoires et à la dislocation des populations, et qu'elle est en faveur d'une République de Bosnie-Herzégovine indivisible. Dans sa déclaration ou sa recommandation, le Comité devrait insister sur ce point.

24. Le Comité devrait également rappeler son attachement au tribunal international chargé de poursuivre les auteurs de violations graves des droits de l'homme commises sur le territoire de l'ex-Yougoslavie, qui est désormais en mesure de fonctionner et que curieusement les autorités de la Bosnie-Herzégovine ne mentionnent nulle part.

25. A sa session de mars 1993, le Comité avait proposé à la Bosnie-Herzégovine de lui fournir une assistance technique en vue d'éliminer toutes les formes de discrimination raciale. Cette proposition lui a peut-être paru dérisoire, car elle n'y a pas donné suite. C'est pourquoi le Comité devrait la renouveler. Toutes ces propositions s'inscrivent dans le cadre des compétences du Comité. M. de Gouttes souligne à ce propos qu'en adoptant la proposition de M. Aboul-Nasr, dont il comprend les préoccupations, le Comité outrepasserait le mandat qui est le sien.

26. M. van BOVEN, après avoir remercié Mme Sadiq Ali pour son analyse de la situation, dit qu'il aurait souhaité qu'un représentant de la Bosnie-Herzégovine participe au présent débat. Il précise à l'intention de M. Aboul-Nasr, dont il comprend les désillusions, que si l'Assemblée générale n'a pas à sa dernière session abordé la question de la Bosnie-Herzégovine lorsqu'elle a examiné le rapport du Comité (A/49/18), c'est parce qu'il n'était pas question de la Bosnie-Herzégovine dans ce rapport.

27. S'agissant du rôle du Comité, M. van Boven considère, comme MM. Banton et Wolfrum, que l'accent devrait être mis sur la prévention car il s'avère très difficile de peser sur les événements une fois qu'un conflit a éclaté.

28. Abordant à présent la question du Tribunal international, M. van Boven dit que malgré les obstacles politiques et financiers qui ont retardé sa mise en place cette juridiction vient d'inculper 22 personnes et mène des enquêtes sur plusieurs dizaines de suspects. Le Procureur a promis d'engager des poursuites contre tous les auteurs présumés de graves violations des droits de l'homme, y compris des responsables politiques et militaires. Il convient toutefois de rappeler à ce propos qu'il est beaucoup plus difficile de déterminer les responsabilités que d'établir les faits, comme en témoigne le massacre du marché de Sarajevo.

29. Par ailleurs, la question se pose de savoir si les personnes inculpées seront déférées devant le tribunal. On sait par exemple que les autorités de Belgrade et de Pale ont d'ores et déjà fait savoir qu'elles ne livreraient pas les personnes inculpées qui se trouvent sur leur territoire. Dans ce cas, conformément à l'article 61 du règlement de procédure du Tribunal (IT/32), si la Chambre de première instance considère, sur la base des éléments de preuve dont elle dispose, qu'il existe des raisons suffisantes de croire que l'accusé a commis une ou toutes les infractions mises à sa charge dans l'acte d'accusation, elle statue en conséquence et délivre contre l'accusé un mandat d'arrêt international qui est transmis à tous les Etats. Cette procédure n'est certes pas idéale mais on peut rappeler à ce propos qu'un Président de la République qui avait exercé les fonctions de Secrétaire général de l'ONU s'était retrouvé isolé et discrédité non pas parce qu'il avait été officiellement inculpé mais uniquement parce qu'il était l'objet de graves soupçons en ce qui concerne ses activités passées. On peut fort bien imaginer que la procédure susmentionnée puisse placer dans une situation analogue des personnes soupçonnées d'avoir commis des crimes contre l'humanité. Pour toutes ces raisons, le Comité devrait apporter son soutien au Tribunal international.

30. M. van Boven se demande si la violence et l'effusion de sang ne seraient pas encore plus importantes en l'absence de la FORPRONU. Si la Croatie envisage le retrait de la FORPRONU, les conséquences risquent d'être très graves même pour les relations entre les Croates et les Serbes. Par ailleurs, M. van Boven reconnaît le droit des Bosniaques à l'autodéfense tout en estimant, comme M. de Gouttes, qu'il n'appartient pas au Comité de se prononcer en faveur de la levée de l'embargo, ce qui reviendrait à dire "faites la guerre vous-mêmes". Il se demande aussi s'il incombe au Comité de formuler une déclaration sur cette question. M. van Boven est plutôt favorable à une déclaration sur le "nettoyage ethnique" qui relève expressément de la compétence du Comité. Il est possible d'appuyer les efforts entrepris par le Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l'ex-Yougoslavie depuis 1991. M. van Boven mentionne ensuite les résolutions très longues dont la Commission des droits de l'homme est saisie sur la question et s'interroge également sur leur utilité. Il estime, comme M. Aboul-Nasr, que si le Comité adopte une déclaration elle doit être succincte contrairement aux nombreux textes adoptés sans relâche par l'Assemblée générale des Nations Unies, la Commission des droits de l'homme, d'autres organes des Nations Unies et d'autres organisations internationales comme le Parlement européen, etc.

31. M. FERRERO COSTA dit que le Comité doit adopter une déclaration ou une résolution concrète sur la situation très grave qui prévaut en Bosnie-Herzégovine. La discrimination raciale est au coeur du conflit qui déchire ce pays. Il serait bon que le Comité exprime tout d'abord sa préoccupation face à cette situation et appuie la création du Tribunal international. Ensuite, le Comité devrait exprimer le voeu que ce tribunal fonctionne mieux et prenne des décisions concrètes. Il serait également utile de soumettre une déclaration du Comité au Conseil de sécurité des Nations Unies, organe exécutif suprême des Nations Unies, pour qu'il confirme la décision du Comité. A propos du droit à la légitime défense du peuple bosniaque, M. Ferrero Costa se demande s'il est opportun que la déclaration mentionne la présence de la Force de protection des Nations Unies (FORPRONU) et la question de la levée de l'embargo sur les armes, dans la mesure où ces questions ne relèvent pas expressément du mandat du Comité, même si elles sont étroitement liées.

32. Personnellement, M. Ferrero Costa estime que la présence de la FORPRONU est utile et que la levée de l'embargo risque de compliquer le droit à la légitime défense et d'accroître la violence. Il suggère que le Comité exprime donc tout d'abord sa préoccupation face à la situation qui se détériore, déplore l'absence d'un représentant de la Bosnie-Herzégovine au Comité, puis offre ses services afin de tenter de parvenir à une solution sur ce problème très grave qui préoccupe l'humanité, et en particulier le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale. Dans la pratique, M. Ferrero Costa propose que le Comité crée un petit groupe de travail qui serait constitué, par exemple, de Mme Sadiq Ali, M. Wolfrum et M. Aboul-Nasr, et qui élaborerait un projet de déclaration ou de résolution, puis le soumettrait au Comité pour adoption.

33. Le PRESIDENT demande au Secrétaire du Comité de donner des précisions sur les éléments mentionnés par M. Aboul-Nasr.

34. M. O'FLAHERTY (Secrétaire du Comité) précise que le Gouvernement de Bosnie-Herzégovine a été informé par note verbale du 4 novembre 1994 que le Comité souhaitait examiner la question de Bosnie-Herzégovine, et que le secrétariat a été par la suite à maintes reprises en contact téléphonique avec l'ambassadeur de Bosnie-Herzégovine. Par ailleurs, M. O'Flaherty dit que le Comité a été saisi la veille du rapport sur la Bosnie-Herzégovine (document CERD/247/Add.1).

35. M. ABOUL-NASR souhaite préciser à M. van Boven qu'il n'a nullement l'intention de suggérer aux Bosniaques de continuer à faire la guerre eux-mêmes. Il souhaite, au contraire, donner aux victimes la possibilité de se défendre. Nul ne peut en effet contester que les recommandations du Comité mentionnent le droit à la légitime défense et ce droit ne doit pas être refusé à la population de Bosnie-Herzégovine pour la simple raison qu'un Etat musulman n'aurait pas le droit d'exister sur le territoire européen comme ne cessent de le répéter de nombreux journaux. En conclusion, M. Aboul-Nasr dit que, si les Bosniaques avaient été juifs et non musulmans, l'Europe aurait certainement tout mis en oeuvre pour les défendre.

36. M. SHAHI remercie Mme Sadiq Ali de son rapport complet basé sur des informations dignes de foi. Il se demande, comme M. Wolfrum, si le Comité peut réellement faire quelque chose pour aider les Bosniaques. L'absence de l'ambassadeur de Bosnie-Herzégovine au Comité n'est pas à blâmer : il a certainement perdu espoir en l'efficacité des organes des Nations Unies. Qu'ont-ils fait réellement par le passé et que peuvent-ils faire de nos jours ? Il est évident que ce problème dépasse les compétences du Comité. Ce sont les Etats qui sont à blâmer car ils s'en sont remis aux Nations Unies, qui ne peuvent être efficaces. Le Secrétaire général de l'ONU, quant à lui, a pris position au sujet de l'application des résolutions du Conseil de sécurité concernant la Bosnie-Herzégovine, et ce même lorsque le Conseil de sécurité a autorisé le recours à la force. Les Nations Unies se sont alignées sur la communauté européenne et s'opposent à la levée de l'embargo, considérant que cette mesure ne ferait qu'attiser la violence. Cet argument de nature géopolitique n'est pas convaincant. Il est impensable de ne pas accorder le droit de légitime défense à un pays. Les Etats Membres de l'ONU sont collectivement responsables.

37. Que faire ? Comme l'a dit M. Wolfrum, la situation est si grave qu'elle ne relève plus de la compétence du Comité. Envoyer une mission, quelle qu'elle soit, en Bosnie, serait dérisoire et ne permettrait pas d'améliorer la situation. Le Comité a appelé l'attention de l'opinion publique sur cette situation dans le cadre de la procédure d'alerte rapide et de la procédure d'urgence. Le Comité ne peut que blanchir sa conscience en réitérant la nécessité de prendre des mesures d'alerte rapide, même si aucun organe des Nations Unies ne prête l'oreille à ses propos. Le dirigeant serbe Slobodan Milosevic n'est pas prêt à changer de position. Force est de constater qu'aucune protection efficace n'est envisagée par le système des Nations Unies et que, malgré la mise en place de certains couloirs, des massacres ont lieu en présence de la FORPRONU. M. Shahi note enfin que, dans son rapport rédigé à l'occasion du cinquantième anniversaire des Nations Unies, le Secrétaire général de l'ONU fait observer que les opérations des Nations Unies doivent limiter leur mandat au maintien de la paix et non à celui de l'imposition de la paix, mandat qui serait très dangereux. Or, les opérations de maintien de la paix ne sont pas en mesure de mettre un terme aux massacres perpétrés de Bosnie. En conclusion, M. Shahi dit qu'il ne voit vraiment pas ce que le Comité pourrait faire, mais qu'il est prêt à envisager toute proposition pertinente que les membres du Comité pourraient présenter face à cette situation.

38. M. YUTZIS, ayant examiné la situation exceptionnellement difficile qui sévit en Bosnie-Herzégovine en raison des actes de violence horribles qui y sont commis et des problèmes politiques qui s'y posent, estime que le Comité devrait toujours avoir à l'esprit que son action vise, non pas à éteindre les incendies, mais à les prévenir. Il regrette que le Comité ne dispose que de moyens d'action fort limités qui ne lui permettent guère d'agir efficacement. Il retient la proposition de M. Aboul-Nasr, appuyée par M. Shahi, mais appelle l'attention du Comité sur certaines de ses conséquences pratiques, notamment le principe de l'autodéfense qu'elle reconnaît implicitement. Si la proposition de M. Aboul-Nasr était entérinée par le Comité, cette décision créerait incontestablement un précédent. M. Yutzis rappelle que la communauté internationale assiste à la liquidation d'un peuple autochtone tout entier comme on en a vu des exemples en Amérique latine et en Asie. Pour aller de l'avant, il faudrait à son avis établir une distinction entre les situations de violence, d'une part, et les actes ou faits violents, d'autre part. La communauté musulmane de Bosnie-Herzégovine est victime d'une situation de violence qui appelle forcément une réaction violente. C'est le droit à l'autodéfense qui se trouve ainsi posé et qui s'imposera avec, sans ou contre des résolutions du Conseil de sécurité. M. Yutzis rappelle que ce dernier est resté muet au sujet de l'embargo sur les livraisons d'armes à la Bosnie-Herzégovine, tandis que la communauté internationale a implicitement désapprouvé les vélléités d'autodéfense de la Bosnie-Herzégovine considérées comme des réactions violentes et s'en est tenue à un silence hypocrite sur la question. Le Comité a ainsi l'occasion de créer un précédent en reconnaissant le droit à l'autodéfense.

39. M. Yutzis appuie la proposition formulée par M. Ferrero Costa à l'effet de créer un petit comité dont ferait partie M. van Boven, qui serait chargé d'élaborer le plus rapidement possible un projet de résolution proposant une solution basée sur le consensus qui s'est dégagé au sein du Comité et comportant une proposition concrète en vue de la levée de l'embargo.

40. M. AHMADU déclare que le rapport de Mme Sadiq Ali a traduit avec une grande précision les événements horribles qui sévissent aujourd'hui en Bosnie-Herzégovine. Il ne faudrait pas à son avis faire grief à l'ambassadeur de la Bosnie-Herzégovine de ne pas s'être présenté devant le Comité, car il est sans doute très occupé à rechercher une solution pacifique à la situation catastrophique de son pays, ravagé par un pays voisin attaché à le détruire. M. Ahmadu estime que, de même qu'elle a échoué en Somalie, la communauté internationale est en train de courir à un nouvel échec en Bosnie-Herzégovine à cause de la politique à courte vue égoïste menée par l'OTAN, le Conseil de l'Europe et l'ONU, qui ont pour principal objectif d'empêcher la constitution d'un Etat musulman au coeur de l'Europe. Ainsi, les violations massives des droits de l'homme sont tolérées en Bosnie-Herzégovine, la communauté internationale refusant de donner à ce pays les armes nécessaires pour assurer sa défense ou d'autoriser un pays islamique à leur venir en aide par crainte de favoriser la déstabilisation des Balkans ou de paraître encourager le terrorisme. La Bosnie-Herzégovine est donc abandonnée à son sort. M. Ahmadu pense que le Comité, qui est un organe indépendant, et libre d'agir sans aucune considération politique, pourrait créer le groupe de travail qui a été proposé par d'autres experts. Ce groupe serait chargé de rédiger un texte succinct dans lequel seraient exposées des vues et des recommandations pour faire cesser la guerre en Bosnie-Herzégovine, y compris, le cas échéant, en appliquant le principe de l'autodéfense.

41. M. RECHETOV estime que Mme Sadiq Ali a fait un travail considérable et dressé un tableau véridique de la situation en Bosnie-Herzégovine sans la simplifier à outrance. Elle s'est attachée à décrire la situation dans le domaine des droits de l'homme, qui sont atrocement bafoués dans ce pays déchiré par des crimes monstrueux. Comme cela a été dit en plusieurs occasions, du temps de l'ex-Yougoslavie et tout récemment encore, il répète que des mesures auraient dû être prises afin de prévenir la catastrophe à laquelle on assiste aujourd'hui. Malheureusement, des mesures politiques peu sages ou peu judicieuses ont été prises, qui n'ont pas permis d'enrayer le mal. Il faut noter toutefois que les agissements de la nation serbe sont parmi les principales causes du conflit. De leur côté, les dirigeants de l'Etat yougoslave, les intellectuels et les médias n'ont pas décelé à temps la gravité de la crise ni pressenti ses terribles effets. Quant aux dirigeants actuels de la Bosnie-Herzégovine, ils ont trop longtemps hésité avant de donner leur accord pour la transformation de la Yougoslavie. De la sorte, la paix entre les trois pays de l'ex-République fédérative socialiste de Yougoslavie est devenue une tâche particulièrement difficile.

42. En ce qui concerne les recommandations qu'il vient d'entendre, M. Rechetov engage le Comité à s'en tenir de plus près à son mandat, qui concerne la situation dans le domaine des droits de l'homme et rappelle que c'est au Conseil de sécurité qu'il incombe de décider de l'opportunité de décréter ou de lever des sanctions ou de prendre d'autres mesures d'ordre politique.

43. Pour ce qui est de la liberté d'expression religieuse, il rappelle que l'Union soviétique a connu une situation particulièrement difficile dans les années 50 et 60, époque où cette liberté était durement réprimée. Les choses ont bien changé dans l'actuelle Russie, car toutes les convictions religieuses peuvent s'exprimer et s'épanouir; la libre expression des convictions religieuses semble même causer l'effet inverse, à en juger par certaines manifestations exagérées de l'esprit religieux. A ce propos, M. Rechetov s'interroge sur ce que pourrait bien être un "Etat musulman" en Europe et met en garde contre tout ce qui pourrait être de nature à aviver le climat d'intolérance entre les trois composantes occupant le territoire de l'ex-Yougoslavie, notamment les références à des appartenances religieuses mutuellement exclusives et intolérantes. De même, il faut se méfier de l'utilisation douteuse qui peut être faite de l'aide étrangère accordée de bonne foi, et tenir compte de la transformation de la situation politique, faute de quoi il sera difficile de changer la situation dans le domaine des droits de l'homme.

44. Pour conclure, M. Rechetov propose que le groupe de travail proposé soit chargé de définir des critères pour évaluer les situations en matière des droits de l'homme et recommander des mesures de nature à changer la situation en Bosnie-Herzégovine, ses membres devront sans doute surmonter une certaine tendance au pessimisme, qu'il ne peut s'empêcher de partager.

45. Le PRESIDENT, ayant attentivement écouté la proposition de Mme Sadiq Ali et de M. Rechetov, estime qu'il est impossible de penser que le Comité puisse rester neutre sur les aspects politiques du conflit. Les conflits ethniques qui se déroulent en Bosnie-Herzégovine ainsi que les actes de discrimination raciale qu'ils entraînent mènent à une situation politique tout à fait explosive, que le Comité doit examiner, mais s'attachant à demeurer dans le domaine strictement humanitaire qui est le sien, ce qui n'est pas facile. Dans les recommandations qu'il formulera, le Comité devrait rappeler clairement que le droit à l'autodétermination d'un Etat et même son droit à l'existence ont été gravement menacés. L'ONU et les organisations régionales européennes doivent rechercher résolument une solution à la crise en Bosnie-Herzégovine, en envisageant, au besoin, de prendre des mesures de caractère nouveau. Etant donné que la Bosnie-Herzégovine n'est pas en mesure de résoudre par ses propres moyens le problème auquel elle est confrontée, une aide doit lui être fournie par la communauté internationale, y compris, éventuellement, sous la forme d'une intervention militaire ayant pour but de sauver des vies humaines.

46. A cet égard, les mesures de maintien de la paix adoptées par le Conseil de sécurité semblent bien insuffisantes. Plus qu'à la lettre, les Etats Membres devraient s'attacher à l'esprit de la Charte pour envisager des opérations qui ne seraient plus simplement des mesures de maintien de la paix, qui se sont avérées inefficaces, mais des opérations d'imposition de la paix qui auraient pour but de prévenir les effets désastreux qu'entraînerait inévitablement le pourrissement du conflit en Bosnie-Herzégovine sur les peuples et les Etats de la région.

47. Il ne faut pas craindre de rappeler les propositions que le Comité a déjà adoptées par consensus et qui méritent d'être répétées, vu l'absence de solutions depuis. Le Comité se doit d'indiquer au Secrétaire général qu'il est convaincu que les mécanismes existants de l'ONU pourraient être utilisés de façon plus large et plus efficace et de rappeler que l'efficacité de l'ONU sera à la mesure de la volonté qu'auront les Etats Membres de parvenir à un règlement.

48. Sans vouloir exagérer l'importance du problème qui se pose en Bosnie-Herzégovine, le Président est d'accord pour reconnaître que si aucune solution n'était trouvée, il faudrait s'attendre à des effets extrêmement néfastes à l'échelle internationale.

49. Le Président M. Garvalov déclare que son pays, la Bulgarie, n'est pas engagé dans le conflit et qu'il respecte à la lettre les sanctions adoptées par le Conseil de sécurité contre la Yougoslavie. Comme tous les pays d'Europe centrale, la Bulgarie est touchée durement par les effets des sanctions qui, à titre d'exemple, empêchent l'approvisionnement des ports bulgares.

50. Enfin, le Président déclare qu'il a pris note de toutes les suggestions formulées par les membres, y compris celles concernant la reconnaissance du principe d'autodéfense. Il serait bon que le Comité formule des propositions écrites à ce sujet.

51. Après un échange de vues auquel participent MM. YUTZIS, ABOUL-NASR, AHMADU et SHAHI, le PRESIDENT propose qu'un groupe de travail chargé de formuler des recommandations concernant la situation en Bosnie-Herzégovine soit composé de Mme Sadiq Ali et de MM. van Boven et Wolfrum.

52. Il en est ainsi décidé.
La séance est levée à 13 h 5.
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