Distr.

GENERALE

CERD/C/SR.1092
16 mars 1995


Original: FRANCAIS
Compte rendu analytique de la 1092ème seance : Bosnia and Herzegovina. 16/03/95.
CERD/C/SR.1092. (Summary Record)

Convention Abbreviation: CERD
COMITE POUR L'ELIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE

Quarante-sixième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 1092ème SEANCE

tenue au Palais des Nations, à Genève,
le mardi 14 mars 1995, à 10 heures

Président : M. GARVALOV

SOMMAIRE


Examen des rapports, observations et renseignements présentés par les Etats parties conformément à l'article 9 de la Convention

La séance est ouverte à 10 h 15.

EXAMEN DES RAPPORTS, OBSERVATIONS ET RENSEIGNEMENTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES CONFORMEMENT A L'ARTICLE 9 DE LA CONVENTION (point 4 de l'ordre du jour)

Bosnie-Herzégovine (document soumis en application d'une décision spéciale du Comité) (CERD/C/247 et Add.1) (suite)

1. A l'invitation du Président la délégation de Bosnie-Herzégovine reprend place à la table du Comité.

2. M. MUHAMEDAGIC (Ministre adjoint de la justice de Bosnie-Herzégovine) se dit très honoré de se trouver devant le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale et s'excuse de ce qu'aucun représentant de son pays n'ait été présent lors de l'examen du rapport de la Bosnie-Herzégovine, absence qui s'explique par les difficultés que celle-ci connaît en raison de l'agression dont elle est victime.

3. Mme BEUS (Conseiller au Ministère des affaires étrangères de Bosnie-Herzégovine) se propose de faire une très brève présentation de la situation en Bosnie-Herzégovine afin de clarifier éventuellement certains points. En fait, toutes les explications pouvant intéresser le Comité se trouvent dans la Constitution de la Fédération de Bosnie-Herzégovine, dont Mme Beus lit le préambule :

4. La Constitution comprend également en annexe une déclaration concernant 21 instruments relatifs à la protection des droits de l'homme qui ont la même force juridique que les dispositions constitutionnelles. Quelles meilleures garanties existe-t-il pour les droits de l'homme et les libertés que celles qui sont prévues par la Constitution d'un Etat ? La juridiction pénale de la République condamne le génocide, les crimes de guerre, l'organisation de groupes visant l'incitation à des crimes de génocide et de guerre et leur perpétration, l'incitation à la haine et à l'intolérance raciales. Elle prévoit également la protection de tous les droits qui découlent de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale. La Constitution prévoit l'institution de l'ombudsman, la création d'une Cour spéciale pour les droits de l'homme composée de trois juges nationaux et de quatre juges étrangers désignés par le Conseil des ministres du Conseil de l'Europe, ainsi que d'une Cour constitutionnelle composée de deux juges nationaux et de trois juges étrangers désignés par la Cour internationale de Justice.

5. A propos de la question extrêmement délicate de l'application de la Convention, Mme Beus affirme que les violations commises à cet égard ne sont en aucun cas le fait du Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine mais viennent de l'agresseur et sont favorisées par l'incapacité de la communauté internationale à faire en sorte que celui-ci respecte les dispositions de la Convention.

6. Pour illustrer la situation dans son pays, Mme Beus donne quelques chiffres : environ 200 000 personnes ont été tuées ou sont portées disparues, dont 17 000 enfants; 400 000 personnes ont été blessées, dont la plupart resteront invalides; plus de deux millions de personnes, soit plus de la moitié de la population, ont été déplacées ou expulsées; plus de 4 000 femmes ont été violées; plus de 1 200 lieux de culte, pour la plupart des mosquées, ont été détruits; il y a eu quatre fois plus de civils tués que de militaires. Ces chiffres ne parlent-ils pas d'eux-mêmes ? Le dernier rapport de la CIA indique explicitement que la partie serbe est responsable de plus de 90 % des crimes qui ont été commis sur le territoire de l'ex-Yougoslavie.

7. Telle est la "situation sur le terrain", expression que la communauté internationale emploie depuis plus de trois ans pour parler de ce qui est en fait un génocide systématique. En ce moment même, Bihac est la cible d'une agression extrêmement brutale, en dépit de l'accord de cessez-le-feu. Cette soi-disant "zone de sécurité de l'ONU" n'a pu recevoir d'aide humanitaire, l'agresseur refusant de laisser passer les convois. En 1994, 7 % seulement de l'aide humanitaire minimum, c'est-à-dire de l'aide nécessaire à la simple survie de la population, a été distribuée. La situation n'est guère meilleure dans les autres zones "protégées". La poursuite du nettoyage ethnique à Banja Luka et la situation dans d'autres régions de Bosnie-Herzégovine qui se trouvent temporairement sous le contrôle des forces serbes, ainsi que la situation au Kosovo, au Sandjak et en Voïvodine, sont très préoccupantes.

8. Les autorités juridiques de Bosnie-Herzégovine ont jusqu'à présent pleinement coopéré, et continueront de le faire à l'avenir, avec toutes les organisations internationales pour assurer sur le territoire de Bosnie-Herzégovine l'application de tous les instruments internationaux. Elles ont modifié ou sont en train de modifier les dispositions nationales afin de les adapter aux normes internationales. C'est le cas actuellement de la loi sur l'extradition. Le gouvernement a aussi accepté l'application des règles relatives aux procédures devant le Tribunal international.

9. M. VALENCIA RODRIGUEZ exprime sa sincère reconnaissance à la délégation de la Bosnie-Herzégovine qui s'est déplacée malgré les difficultés que connaît son pays. Il souhaiterait lui poser trois questions. Premièrement, pourquoi les organes de la justice n'arrivent-ils pas à fonctionner conformément àleurs statuts ? Quels sont les principaux obstacles qui les en empêchent ? Deuxièmement, quel est l'avis de la délégation à propos des tentatives faites, dans le secteur serbe, pour imposer l'idée d'une grande Serbie sur la base de la haine raciale ou ethnique ? Et, troisièmement, la délégation de la Bosnie-Herzégovine pense-t-elle que la Force de protection des Nations Unies peut jouer un rôle positif pour ce qui est d'empêcher les affrontements et la haine raciale ou ethnique et de promouvoir les droits de l'homme ?

10. M. RECHETOV remercie lui aussi la délégation de la Bosnie-Herzégovine, qui a répondu à l'invitation du Comité malgré la situation dans laquelle se trouve son pays, et il l'assure de l'indépendance des membres du Comité. Les chiffres fournis par cette délégation sont très impressionnants et témoignent des grandes souffrances de la population de Bosnie-Herzégovine. M. Rechetov souhaiterait poser cinq questions qui ont trait, d'une manière ou d'une autre, à la question de l'intégrité territoriale des Etats. Premièrement, le Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine est parfois qualifé de musulman. Est-ce simplement une inexactitude ou cette expression reflète-t-elle une réalité ? Dans ce dernier cas, qu'est-ce que cela implique pour les populations non musulmanes du pays ? Deuxièmement, M. Rechetov aimerait savoir quelle était la répartition territoriale, du temps de la Yougoslavie, des trois principales communautés vivant en Bosnie-Herzégovine. Troisièmement, s'agissant du rapport de la CIA concernant les crimes commis sur le territoire de l'ex-Yougoslavie mentionné par Mme Beus, M. Rechetov demande de quelle manière le gouvernement lutte contre ces crimes, combien de coupables ont été punis, et de quelle origine ethnique ils étaient. Quatrièmement, Mme Beus a utilisé à plusieurs reprises dans son intervention le terme d'"agresseur". Selon le droit international, pour être agresseur il faut être étranger. En qualifiant d'agresseur une partie de sa population, on l'exclut de l'Etat comme étrangère. Ne serait-il pas temps que la Bosnie-Herzégovine reconnaisse qu'il s'agit d'un conflit interne et modifie sa terminologie ? Enfin, M. Rechetov n'a pas très bien compris la mention qui a été faite du Kosovo par la représentante, puisque cette région ne fait pas partie du territoire de la Bosnie-Herzégovine.

11. M. de GOUTTES remercie tout particulièrement la délégation de la Bosnie-Herzégovine pour être venue dans les circonstances dramatiques actuelles. Les chiffres, en effet, parlent d'eux-mêmes, et les membres du Comité ne peuvent pas ne pas se poser la question de la responsabilité de la communauté internationale. M. de Gouttes voudrait poser deux questions techniques. Tout d'abord, saluant la création de la Cour spéciale des droits de l'homme qui est composée à la fois de juges nationaux et de juges désignés par le Conseil des Ministres du Conseil de l'Europe et qui permet à la Bosnie, en attendant son entrée au Conseil de l'Europe, de se mettre en mesure d'appliquer dès à présent les dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme, il souhaiterait avoir plus de précisions sur l'état actuel de la mise en place de cette Cour. Il aimerait savoir, d'autre part, quelles poursuites ont été engagées s'agissant des crimes contre l'humanité commis, par quelque partie que ce soit, en Bosnie-Herzégovine, et quelles sont les procédures en état d'être transmises au Tribunal international.

12. M. LECHUGA HEVIA remercie lui aussi la délégation de la Bosnie-Herzégovine pour sa présence et souhaiterait lui demander, d'une part, s'il existe une législation qui complète la Constitution et qui envisage spécifiquement les cas de violations des droits de l'homme tels que les actes de discrimination raciale, et d'autre part, si les soldats des Nations Unies s'acquittent réellement de leur mandat et, sinon, ce qui les en empêche.

13. Mme SADIQ ALI voudrait savoir quant à elle comment fonctionne concrètement la nouvelle Fédération de Bosnie-Herzégovine, si sa création répond à l'objectif visé et si les Serbes y participent.

14. M. WOLFRUM se déclare très impressionné par les informations fournies par la délégation de la Bosnie-Herzégovine, qui prouvent que se produisent de toute évidence des violations de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Reconnaissant que le Comité ne peut pas faire grand chose pour aider la Bosnie-Herzégovine, il demande à la délégation comment elle envisage l'avenir du pays et la cohabitation entre les différents groupes y résidant. Il voudrait savoir d'autre part quels instruments internes ont été établis pour faire en sorte que tous les auteurs de crimes soient traduits en justice.

15. M. ABOUL-NASR souhaite tout d'abord la bienvenue à la délégation de haut niveau venue de Bosnie-Herzégovine pour échanger ses vues avec les membres du Comité. La présence de cette délégation est symbolique puisqu'elle reflète l'attachement de la Bosnie-Herzégovine aux principes contenus dans la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale. La Bosnie-Herzégovine bénéficie d'un appui non seulement de la part des partis islamiques mais aussi du Mouvement des pays non-alignés, de la Ligue des Etats arabes, d'organisations régionales et internationales, notamment du Conseil de sécurité, du Vatican, du Pope d'Alexandrie, etc. La Constitution de Bosnie-Herzégovine se fonde sur la pluralité d'ethnies, de races et de religions, alors que certains voudraient créer une "grande Serbie" en recourant au "nettoyage ethnique" des non-Serbes.
16. Comme l'a dit M. Wolfrum, le Comité ne peut pas faire grand-chose si ce n'est condamner l'agression. M. Aboul-Nasr souhaite donc savoir ce que la délégation de la Bosnie-Herzégovine attend du Comité. Le Comité ne peut qu'exprimer le regret que la communauté internationale, y compris les Nations Unies aient laissé tomber ce pays sans lui accorder la protection voulue. Il serait également opportun que le Comité exige la levée de l'embargo sur les armes pour que la Bosnie-Herzégovine ait le droit de se défendre. La situation dans ce pays est une honte pour la communauté internationale, l'Europe et les Nations Unies. Il est clair que ce conflit relève du mandat du Comité; M. Aboul-Nasr déplore donc que le Comité ne se soit pas exprimé plus clairement sur l'agression dont a été victime la Bosnie-Herzégovine. Il se dit choqué par l'analyse du conflit présentée par le Rapporteur spécial chargé d'étudier la situation des droits de l'homme sur le territoire de l'ex-Yougoslavie, M. Mazowiecki, selon lequel ce conflit serait de nature politique et non pas raciale ou religieuse. M. Aboul-Nasr souhaite donc que la délégation confirme la nature réelle du conflit. Enfin, il se dit terrifié par les statistiques présentées par la délégation.

17. M. AHMADU s'associe à tous les membres du Comité qui ont déjà remercié la délégation de haut niveau qui, au risque de sa vie, est venue à Genève pour exposer les problèmes de la Bosnie-Herzégovine, pays frère musulman. La Bosnie-Herzégovine lutte actuellement pour sa propre survie et tous les hommes de bonne volonté ne peuvent qu'éprouver de la sympathie à l'égard de ce pays. M. Ahmadu n'est pas sûr qu'il reconnaîtrait la mosquée de Sarajevo où il a prié en 1967. Il dit que certains aspects des droits de l'homme sont un luxe pour un pays qui lutte pour sa survie. Il souhaite ensuite faire deux remarques de nature politique qui touchent à la survie de ce pays. Tout d'abord, il se demande si le retrait de la FORPRONU serait en mesure de contribuer à régler la situation. Ensuite, M. Ahmadu estime que l'information sur la Bosnie-Herzégovine ne devrait pas être laissée à la chaîne CNN. Des pays africains en proie à la guerre civile ont été affectés par ce genre d'information extérieure. Il vaudrait mieux s'adresser à des sources sur place mieux informées sur les aspects religieux. Le conflit en Bosnie-Herzégovine prenant une nature de plus en plus religieuse, il serait peut-être bon que les explications sur la situation qui prévaut dans le pays soient obtenues grâce à des missions sur place, peut-être plus capables de comprendre la situation que les fonctionnaires des ministères du pays eux-mêmes. Enfin, M. Ahmadu précise que l'Organisation de la Conférence islamique n'est pas une organisation d'Etats musulmans et que plus de la moitié de ses membres, comme l'Ouganda, le Cameroun, le Bénin et même le Nigéria, ne sont pas des pays islamiques.

18. M. CHIGOVERA souhaite poser deux questions à la délégation de la Bosnie-Herzégovine. Tout d'abord, il se demande si la constitution citée par la délégation est la même que celle citée dans l'article d'"Outsider", lettre d'information des minorités, qui laisse entendre que la constitution acceptée à Washington par la Bosnie-Herzégovine n'a pas recueilli la participation du peuple bosniaque pour sa mise en oeuvre. Dans pareil cas, son fondement serait donc très faible. M. Chigovera se dit très préoccupé par les atrocités dont font état les documents de la Bosnie-Herzégovine soumis au Comité en septembre 1993 et le rapport d'Amnesty International pour 1994. Ces rapports ne mentionnent pas les efforts de la Bosnie-Herzégovine tendant à respecter les dispositions de la Convention. Tout en reconnaissant que la situation est très difficile, M. Chigovera souhaite savoir si des mesures sont prises dans ce sens dans les zones contrôlées par le gouvernement.

19. M. SHERIFIS se félicite de la présence de la délégation de la Bosnie-Herzégovine qui a mentionné des faits et des chiffres effrayants sur les souffrances humaines endurées par le pays. Il ne comprend hélas que trop bien la tragédie du "nettoyage ethnique", les déplacements des personnes et de la guerre puisque son pays, Chypre, a été victime des mêmes problèmes. Il fait observer que le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale ainsi que tous les autres organes des Nations Unies chargés des questions de droits de l'homme s'opposent fermement à la conversion de mosquées en églises et d'églises en mosquées. Enfin, il serait bon que le Comité dispose d'une ventilation par groupes ethniques des chiffres effrayants cités par la délégation.

20. M. SONG remercie la délégation de la Bosnie-Herzégovine d'avoir surmonté de nombreuses difficultés et d'être présente parmi les membres du Comité. Il reconnaît que la Bosnie-Herzégovine lutte essentiellement pour la survie de sa population et se demande à cet égard quelle serait l'influence du retrait de la FORPRONU.

21. M. SHAHI s'associe à tous les membres du Comité qui ont rendu hommage à la délégation de la Bosnie-Herzégovine qui, au risque de sa vie, est venue présenter un rapport oral sur la situation qui prévaut dans son pays. M. Shahi souhaite tout d'abord avoir des informations sur la nature de l'Etat de Bosnie-Herzégovine avant qu'il n'ait été attaqué par les Serbes. Il croit comprendre que cet Etat, qui est devenu la victime du "nettoyage ethnique" et de la discrimination raciale, a été un Etat exemplaire où une population multiethnique et multireligieuse vivait dans la plus grande harmonie. Quel a été le rôle des médias pour amener les Serbes à s'engager dans cette voie terrible ? Quel Etat veulent les Bosniaques ? Des informations fausses semblent circuler selon lesquelles en Bosnie-Herzégovine les dirigeants musulmans favorisent le fondamentalisme. Cette propagande a porté parmi les Serbes. Le Comité doit s'assurer que le gouvernement de Bosnie-Herzégovine est toujours attaché à un Etat multiethnique et multiconfessionnel. Quant à l'Organisation de la Conférence islamique, M. Shahi indique qu'il a représenté le Pakistan à son deuxième sommet. Cette organisation a été créée pour protéger les droits de l'homme du peuple palestinien et des peuples africains afin de promouvoir la décolonisation. Il s'agit d'une conférence politique et non religieuse, et soupçonner le fait qu'un pays membre de l'Organisation de la conférence islamique soit ipso facto fondamentaliste est très loin de la réalité. Il serait utile que la délégation de la Bosnie-Herzégovine explique la philosophie qui sous-tend l'actuel Etat depuis la formation d'une Fédération entre Croates et Musulmans.

22. Le PRESIDENT rappelle aux membres du Comité et à la délégation de la Bosnie-Herzégovine que le Comité a procédé le 7 mars 1995 à l'examen de la question de la Bosnie-Herzégovine et que les déclarations prononcées par les membres et par lui-même en sa qualité personnelle sont bien reflétées dans le compte-rendu analytique CERD/C/SR.1082.

23. M. MUHAMEDAGIC (Ministre adjoint de la justice de Bosnie-Herzégovine) dit qu'il veut tout d'abord clarifier certains points concernant l'application des lois sur le territoire contrôlé par les autorités légales de la République de Bosnie-Herzégovine. Abordant la question de l'application des dispositions de la Constitution, il dit qu'en dépit de la situation très difficile imposée par la guerre, la République de Bosnie-Herzégovine a incorporé dans le droit interne toutes les lois qui existaient dans le système légal de l'ancienne République de Yougoslavie ainsi que les accords et instruments internationaux.
24. Quant au tribunal des droits de l'homme prévu par la Constitution de la Fédération de Bosnie-Herzégovine, M. Muhamedagic précise qu'il doit commencer incessamment à fonctionner. En ce qui concerne les crimes commis sur le territoire contrôlé par les autorités légales de la Bosnie-Herzégovine, il dit que les affaires soumises aux tribunaux ont été réglées et que toutes les personnes jugées coupables sont en prison. Des procédures sont engagées pour d'autres affaires.

25. M. Muhamedagic fait appel à son expérience personnelle en tant qu'originaire de la zone occupée par la Serbie pour répondre à deux des questions posées par les membres du Comité. La première avait pour but de savoir pourquoi les événements en Bosnie-Herzégovine sont qualifiés d'agression serbe. Le Ministre adjoint de la justice explique que la raison en est simple : avant d'attaquer la Bosnie-Herzégovine, l'armée serbe a démobilisé les officiers musulmans et croates, ne gardant que des officiers serbes et monténégrins. Il faut également savoir que la télévision de la République de Serbie a annoncé en langue serbe exclusivement l'attaque lancée par la JNA (l'armée yougoslave), en prétendant que la JNA avait été attaquée par des personnes non identifiées qui étaient des musulmans.

26. En ce qui concerne la deuxième question, le représentant de la Bosnie-Herzégovine a du mal à comprendre l'attitude qu'il retrouve dans les organisations internationales; certes l'agression et les crimes commis en Bosnie-Herzégovine y sont condamnés avec vigueur, mais une telle condamnation s'impose à l'évidence, et la communauté internationale ne peut faire autrement.

27. M. BIJEDIC (Représentant de la Bosnie-Herzégovine auprès de l'Office des Nations Unies à Genève) tient tout d'abord à se présenter en tant qu'ancien officier de l'armée yougoslave et diplomate yougoslave jusqu'en 1992. Il déclare vigoureusement que M. Milosevic a été le boucher de la Yougoslavie. L'un de ses objectifs était notamment de convertir à la religion orthodoxe les membres de toutes les autres confessions (catholiques et musulmans) et d'annexer à la Serbie les territoires de ses voisins pour accomplir le rêve d'édifier une grande nation serbe. En mai 1992, il a déclaré que le nettoyage ethnique était en marche et que les Serbes avaient subi peu de pertes.

28. La communauté internationale sait assurément que l'armée serbe, qui a cessé d'être une armée yougoslave, notamment en expulsant de ses rangs les non-Serbes et en intégrant des Tchétniks, livre une guerre d'agression à ses voisins. La propagande de M. Milosevic a utilisé la haine séculaire des Serbes à l'égard des musulmans et des catholiques pour inciter une partie des Serbes au meurtre. Le chef de l'Etat serbe s'est également servi de l'esprit militariste, du féodalisme et de l'attachement à la terre, qui sont des sentiments caractéristiques des Serbes pour parvenir à ses fins. L'Eglise orthodoxe, l'Académie des sciences et les politiciens ont également contribué à sa politique.

29. M. Bijedic estime que la moitié des Serbes de Bosnie ont quitté ce pays pour se soustraire à l'obligation de tuer leurs voisins musulmans ou parce qu'ils étaient descendants de couples mixtes; il précise que 200 000 Serbes se sont rangés du côté de la Bosnie-Herzégovine et que 500 000 ont quitté la Bosnie. Il rappelle que, depuis 1974, la Bosnie-Herzégovine a constitué un Etat multinational et multiethnique doté d'une grande autonomie où vivaient en proportions importantes des Serbes, des musulmans, des Croates et d'autres groupes ethniques. Dans certaines villes de Bosnie on pouvait compter jusqu'à 26 nationalités qui vivaient en totale harmonie, y compris des immigrés hongrois et des Juifs qui bénéficiaient d'une grande tolérance. Malheureusement, en trois ans, les Serbes ont détruit 1 000 mosquées ainsi que des églises catholiques et orthodoxes, des synagogues et des églises oecuméniques.


30. M. Bijedic explique que la notion de grande Serbie associe des éléments de bolchevisme et de nationalisme et se sert de préjugés de toutes sortes pour pousser les Serbes à attaquer leurs voisins. C'est à son avis l'événement le plus horrible qu'ait connu l'Europe depuis la seconde guerre mondiale. Le représentant de la Bosnie-Herzégovine déclare que son pays a pour objectif de recréer un Etat multiethnique et multinational. Elle souhaite parvenir à la réconciliation, à la reconstruction du pays et à la démocratisation de la société dans le cadre d'une fédération qui ne pourra être construite que sur les ruines du nationalisme.

31. M. YUTZIS remercie la délégation de la Bosnie-Herzégovine de son témoignage et lui demande de bien vouloir indiquer au Comité si le retrait des Forces de protection des Nations Unies (FORPRONU) serait utile à la Bosnie-Herzégovine ou, au contraire, néfaste pour son pays.

32. Mme BEUS (Conseiller au Ministère des affaires étrangères de la Bosnie-Herzégovine) déclare que le retrait des forces des Nations Unies aurait des effets extrêmement dommageables sur la Bosnie-Herzégovine, car ce pays compte beaucoup sur l'aide humanitaire pour survivre. La Bosnie-Herzégovine se bat non seulement contre l'agression mais aussi pour sa survie quotidienne, à laquelle la FORPRONU contribue considérablement, notamment en aidant le HCR dans ses activités et en facilitant l'acheminement des fournitures humanitaires.

33. M. BIJEDIC (Représentant permanent de la Bosnie-Herzégovine auprès de l'Office des Nations Unies à Genève) ajoute que la mission de la FORPRONU avait initialement pour but d'apporter une aide humanitaire à son pays. En juillet 1992, le Département d'Etat a envisagé trois mesures en faveur de la protection de la Bosnie-Herzégovine : la levée de l'embargo sur les armes, la fermeture des frontières entre la Bosnie-Herzégovine et la Serbie et la possibilité d'utiliser la force de frappe aérienne pour aider la Bosnie-Herzégovine à se défendre. Au lieu de cela, le président Mitterrand est venu offrir la paix aux Bosniaques menacés d'être tués par leurs agresseurs. Certes, depuis, la communauté internationale a réagi en envoyant la FORPRONU en Bosnie-Herzégovine et les mécanismes humanitaires des organisations internationales ont aidé ce pays et ainsi sauvé beaucoup de vies humaines. Toutefois, l'agression et le génocide contre la Bosnie-Herzégovine continuent de plus belle et le droit des Bosniaques de se défendre n'a pas été reconnu.

34. M. Bijedic ne peut donc répondre que de façon mitigée à la question de M. Yutzis. Les Bosniaques ont tendance à penser que l'aide internationale représentée par la FORPRONU est nécessaire car la Bosnie est abandonnée de tous, mais qu'elle est insuffisante. Ils sont déterminés à lutter pour exercer leur droit de se défendre contre l'agression, obtenir que justice soit faite et faire échec à l'agression et au génocide.

35. Le PRESIDENT remercie la délégation de la Bosnie-Herzégovine de ses explications. Il se félicite de l'échange de vues constructif entre la délégation et le Comité et attend beaucoup du dialogue futur entre le Comité et la Bosnie-Herzégovine. Il espère que la Bosnie-Herzégovine deviendra partie à la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale et qu'elle tiendra le Comité informé de l'évolution de la situation sur son territoire. Il assure les membres de la délégation de la Bosnie-Herzégovine que le Comité tient fermement à ce que le dialogue se poursuive avec leur pays.

36. La délégation de la Bosnie-Herzégovine se retire.

Deuxième, troisième, quatrième, cinquième et sixième rapports périodiques du Guatemala (CERD/C/256/Add.1)

37. A l'invitation du Président, la délégation du Guatemala, qui est composée de M. Federico Urruela Prado, ambassadeur et représentant permanent du Guatemala auprès de l'Office des Nations Unies à Genève, M. Rafael Olivero Garcia, Mlle Aracely Phefunchal Arriaza et Mlle Sulmi Barrios Monzon, prend place à la table du Comité.

38. M. URRUELA PRADO (Guatemala) annonce que le rapport du Guatemala CERD/C/256/Add.1 contient des éléments des troisième, quatrième, cinquième et sixième rapports de son pays qui auraient dû être présentés plus tôt. Il ajoute que le Guatemala est devenu partie à la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale le 18 janvier 1963. Le Guatemala est conscient de l'importance du rôle que joue le Comité en oeuvrant pour l'élimination de la discrimination raciale partout dans le monde.

39. M. Urruela Prado rappelle brièvement quelques données géographiques essentielles du Guatemala et fait à grands traits l'historique de ce pays d'Amérique centrale depuis sa conquête par les Espagnols, au début du XVIe siècle, jusqu'à la période actuelle, en soulignant différentes phases cruciales de son histoire : l'indépendance obtenue en 1821, l'annexion au Mexique, puis le retour à la souveraineté et le rattachement à une fédération d'Amérique centrale. Il signale qu'un différend territorial continue d'opposer le Guatemala à la Grande-Bretagne et au Belize et que son pays possède une économie fragile et dépendante.

40. La population guatémaltèque est composée en majorité d'autochtones, ce qui constitue une caractéristique fondamentale de la réalité et de l'identité nationales, ainsi que du projet national guatémaltèque qui repose sur la prise en compte d'une société pluriraciale et pluriculturelle. La situation de dépendance, le faible niveau de développement économique ainsi que l'instabilité politique figurent également parmi les traits dominants de la société guatémaltèque. En raison de ces faiblesses structurelles, le Guatemala présente des déficiences graves sur le plan de la santé et de l'éducation. La démocratie n'y a régné que de façon intermittente. Toutefois, l'ouverture démocratique et la Constitution de 1985 ont permis à trois gouvernements civils successifs de gouverner de façon légitime, constitutionnelle et démocratique. La Constitution reconnaît la coexistence de plusieurs cultures, garantit les droits de la population autochtone et affirme la primauté des principes énoncés dans les instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme sur la législation interne. Depuis l'élection de M. Ramiro de Leon Carpio à la présidence du Guatemala, l'Etat guatémaltèque veille à l'application des droits de l'homme et s'attache à la recherche de la paix. La lutte menée par le peuple guatémaltèque a d'ailleurs été reconnue à travers le prix Nobel de la Paix attribué à Mme Rigoberta Menchu en 1992. Depuis 18 mois, le Président s'est attaqué à une tâche, extrêmement vaste et variée, en tenant compte de la réalité pluriculturelle du pays. Les négociations de paix avec les forces irrégulières commencées en 1991 ont repris avec un nouvel élan pour tenter d'aboutir à une paix ferme et durable au Guatemala. Plusieurs accords ont été signés, notamment l'accord du 10 janvier 1994, qui confère un rôle de médiation au Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies, l'accord global sur les droits de l'homme de 1994, l'accord sur la réinstallation des populations déplacées par les affrontements armés (17 juillet 1994) et l'accord concernant la mission des Nations Unies au Guatemala (MINUGUA).

41. En plus de la recherche de la paix, l'Etat s'est fixé quatre objectifs fondamentaux : la lutte contre la pauvreté, la lutte pour le développement de la production, la sauvegarde du patrimoine et de la dignité des autochtones et la réforme de la fiscalité. Ces objectifs ne sont pas facilités par les conditions très dures imposées par les organismes financiers internationaux dans le cadre du processus d'ajustement structurel et par le fardeau de la dette extérieure.

42. D'après le dernier recensement effectué en 1988, la population autochtone d'origine maya représentait 52 % de la population totale. Les langues parlées au Guatemala sont l'espagnol (langue officielle), le maya (21 %), le garífuna (1 %) et le xinka (1 %). Au total, 23 langues et dialectes sont parlés au Guatemala.

43. Il convient par ailleurs d'indiquer qu'un nouvel organisme, le "Fondo Nacional Indigena" entrera prochainement en fonctions. Il sera composé de représentants du gouvernement et de représentants des organisations mayas et aura pour tâche de contribuer techniquement et financièrement à la réalisation de programmes et de projets économiques, sociaux, technologiques, culturels et éducatifs visant à améliorer les conditions de vie de la population d'ascendance maya, d'encourager l'autogestion familiale et communale, de protéger l'environnement et le patrimoine archéologique et enfin de renforcer les valeurs et les principes ancestraux des Mayas.

44. Enfin, M. Urruela Prado tient à informer le Comité que les représentants du gouvernement négocient actuellement, à Mexico, avec l'UNGR. Les négociations portent sur les droits et l'identité des peuples autochtones. Conformément à une proposition du Secrétaire général de l'ONU, le calendrier des négociations a été remanié afin de parvenir le plus rapidement possible à la signature d'une paix solide et durable.

45. Pour conclure, M. Urruela Prado assure le Comité que le gouvernement continuera, conformément à ses engagements, à veiller au respect des droits de tous les citoyens, quels que soient leur race, leur sexe, leur position ou leur religion, à lutter contre la pauvreté et à oeuvrer en faveur de la paix et de la démocratie.

46. M. YUTZIS, rapporteur de pays, remercie la délégation guatémaltèque d'être venue présenter le sixième rapport périodique du Guatemala. Il s'agit d'un rapport très détaillé qui donne beaucoup d'informations de nature juridique mais assez peu de renseignements sur la situation concrète du pays.

47. Sur le plan démographique, il convient de souligner que les autochtones d'ascendance maya constituent la majorité de la population et que le Guatemala est de ce fait le dépositaire d'un patrimoine culturel très riche qu'il convient de préserver. La remise du prix Nobel de la paix à Mme Rigoberta Menchu, en sa qualité de représentante des peuples mayas du Guatemala, témoigne de la reconnaissance de cet héritage par la communauté internationale. Depuis 1989, la Commission des droits de l'homme n'a cessé de se préoccuper de la situation des droits de l'homme des autochtones du Guatemala, qui représenteraient 52 % de la population d'après le paragraphe 8 du rapport, 56 % d'après la Commission présidentielle chargée de la coordination de la politique de l'exécutif en matière des droits de l'homme et 65 % d'après les organisations représentant les Mayas. Il serait intéressant de connaître la proportion exacte des Mayas par rapport à la population.

48. Au paragraphe 3 du rapport, il est question du rôle que joue l'éducation pour réduire au maximum les inégalités entre les ethnies. Or au paragraphe 87, il est indiqué que, conformément à la législation interne, la discrimination raciale n'est exercée sous aucune forme à l'encontre de personnes, de groupes de personnes ou d'institutions. Ces deux affirmations paraissent difficilement conciliables. Il serait intéressant de préciser le sens du paragraphe 5 où il est dit que pour bien comprendre la situation actuelle du Guatemala en ce qui concerne la discrimination raciale, il faut la replacer dans la perspective du développement historique du pays, du point de vue économique, social et politique. Au paragraphe 6, il est dit qu'à compter de ce jour, l'Etat guatémaltèque s'engage à s'acquitter des obligations qu'il a contractées. M. Yutzis se demande si le Guatemala n'admet pas ainsi implicitement qu'il ne s'est pas jusqu'à présent acquitté de toutes ses obligations.

49. Au paragraphe 13 il est précisé que 83,4 % des Guatémaltèques vivent dans la pauvreté. Il serait intéressant de savoir quel est le pourcentage de Mayas parmi les personnes appartenant à cette catégorie. S'agissant des "ladinos", M. Yutzis se demande si les personnes classées dans ce groupe (voir par. 20) ne sont pas en fait des métis ou des autochtones qui ont dû, pour survivre, abandonner leurs vêtements traditionnels et leurs coutumes. Il est dit au paragraphe 25, que si le mot "ladino" est généralement accepté, le mot "indios" est utilisé par la population guatémaltèque avec un sens péjoratif. Il serait intéressant de savoir si cette remarque vaut également pour le mot "Maya". En ce qui concerne les paragraphes 62 à 66, il serait utile d'avoir des précisions sur l'élitisme des mouvements autochtones et l'individualisme de leurs membres.

50. S'agissant du conflit armé qui déchire le pays et qui, de l'avis de tous, est la principale cause des violations des droits de l'homme, M. Yutzis se félicite que son règlement soit en bonne voie, comme en témoignent l'élection de M. Ramiro de Leon Carpio à la présidence de la République, la mise en oeuvre du plan de 180 jours établi par celui-ci, la réforme de la Constitution et la reprise des négociations entre le gouvernement et l'URNG. Il serait intéressant à ce propos d'avoir des précisions sur les modifications qui ont été apportées au calendrier des négociations. En effet, comme l'a souligné la Commission interaméricaine des droits de l'homme, la population autochtone en a assez de cette guerre dont elle est la principale victime, comme en témoignent les faits suivants.

51. Le 11 février 1994, des soldats ont blessé un autochtone, Juan Quieju Quic. En avril 1994, des soldats ont abattu Mariano Perez, dans le village de Santo Domingo (département de Peten). Le 20 juillet 1994, un officier relevant de la région militaire de Salama a accusé des personnes qui exhumaient des cadavres dans un cimetière clandestin à Pacux d'être des guérilleros. Le 3 août 1994, le Procureur aux droits de l'homme a dénoncé les menaces adressées par le commandant de la région militaire de Salama à des paysans autochtones de Baja Verapaz, qu'il accusait de soutenir les personnes qui procédaient à l'exhumation des cadavres.

52. Quant aux Patrouilles d'autodéfense civile (PAC), qui ont été rebaptisées "Comités de volontaires d'autodéfense civile", elles se livrent également à des exactions, notamment dans les zones peuplées en grande majorité par des autochtones. C'est ainsi qu'en mars 1994 60 membres des PAC ont fait irruption dans le village de Xalbil, où ils ont pillé des maisons et violé une jeune autochtone de 14 ans. Il serait intéressant de savoir quel est exactement le pouvoir de ces patrouilles et si, conformément à l'accord passé avec l'UNRG le 8 août 1993, le gouvernement a cessé de créer de nouvelles patrouilles.

53. Abordant à présent la question du degré élevé de militarisation de la société guatémaltèque - 5 % de la population serviraient dans les PAC et les forces armées - et du recrutement forcé, M. Yutzis dit que la conscription est gravement discriminatoire. En effet, comme l'a souligné avec force M. Luis Lopez Maldonado, vice-président du Sénat, pour avoir lui-même assisté à une scène de recrutement forcé, ce sont principalement les autochtones qui sont victimes de cette pratique. Ainsi, le 24 juillet 1993, deux adolescents mayas, Alfredo Seb Coc et Pablo Coc Ba, âgés respectivement de 16 et 15 ans ont été recrutés de force, frappés et contraints à faire des exercices physiques. Ils ont finalement été libérés le lendemain. Face à cette situation, le Président Ramiro de Leon Carpio a déclaré, le 30 juin 1994, qu'une loi interdisant le recrutement forcé devait être élaborée (voir par. 105 du rapport de Mme Pinto sur la situation des droits de l'homme au Guatemala, E/CN.4/1995/15). Il serait utile de savoir quand cette loi sera promulguée. Par ailleurs, M. Yutzis aimerait savoir si l'armée participe au contrôle des activités de la police nationale et quel rôle joue le colonel Mario Merida à cet égard.

54. Passant à la question des communautés de population résistantes (CPR), M. Yutzis rappelle qu'au début des années 80 des villages entiers d'autochtones, harcelés et attaqués par l'armée, se sont réfugiés dans la Sierra Ixil et dans l'Ixcán, où ils se sont organisés pour survivre dans un milieu naturel et humain hostile (voir par. 159 à 164 du rapport de Mme Pinto). La Commission interaméricaine des droits de l'homme a identifié quatre problèmes essentiels en relation avec les communautés, à savoir le harcèlement de l'armée, la reconnaissance juridique personnelle et collective, la fourniture de services de base par l'Etat et les problèmes de la terre et du développement économique. Il serait intéressant à cet égard de savoir si l'armée, qui a détruit ou s'est approprié des récoltes, a dédommagé les CPR de ce préjudice, si le gouvernement a reconnu publiquement que les CPR étaient des populations civiles non combattantes et s'il a, comme il s'y est engagé, délivré des documents d'identité aux membres de ces communautés. Enfin, M. Yutzis souhaiterait connaître le sort des CPR totalement coupées du monde, qui compteraient plusieurs milliers de membres et avec lesquelles Mme Pinto n'a pu prendre contact.

55. M. Yutzis souhaiterait par ailleurs connaître les mesures prises par le gouvernement pour donner effet aux dispositions des alinéas c) et d) du paragraphe 1 de l'article 2 et à celles de l'article 5 de la Convention. Il serait également utile de savoir si le nouveau Code pénal, qui renforce les droits de la défense, est entré en vigueur et si la sécurité et l'indépendance des magistrats ont été renforcées (voir par. 120 à 131 du rapport de Mme Pinto).

56. S'agissant de l'article 3, M. Yutzis souhaiterait que soient précisés le sens des paragraphes 92 et 93 du rapport, ainsi que les raisons pour lesquelles le Guatemala n'est apparemment pas partie à la Convention internationale sur l'élimination et la répression du crime d'apartheid.

57. En ce qui concerne l'article 4, M. Yutzis s'étonne que seules les associations agissant en accord avec des organismes internationaux qui défendent l'idéologie communiste tombent sous le coup de l'article 396 du Code pénal relatif aux associations illicites (voir p. 36 du rapport). Il semble en effet qu'aucune disposition constitutionnelle ou législative n'interdise les organisations qui incitent à la discrimination raciale. Il serait par ailleurs intéressant de savoir quel est le rapport entre l'article 387 du Code pénal relatif à la sédition et la Convention (voir p. 36 du rapport CERD/C/256/Add.1).

58. En ce qui concerne l'article 5, M. Yutzis note que, si des modifications importantes ont été apportées à l'administration de la justice, il reste encore beaucoup à faire pour donner pleinement effet aux dispositions de cet article, notamment pour ce qui est du droit à un traitement égal devant les tribunaux. On rappellera à ce propos les nombreux obstacles qu'a dû franchir la justice guatémaltèque pour établir la culpabilité du militaire Jesus Beteta Alvarez dans le meurtre de l'anthropologue Mirna Mack, assassinée le 11 septembre 1990 alors qu'elle faisait des recherches qui portaient notamment sur la violence dont étaient victimes les paysans autochtones. Il conviendrait donc, comme le souligne l'Organisation des Etats américains dans son rapport de 1994, de renforcer l'autonomie du ministère public.

59. A propos de l'alinéa a) de l'article 5 de la Convention, il serait intéressant de savoir si les Mayas qui ne connaissent pas l'espagnol bénéficient des services d'un interprète lorsqu'ils sont traduits en justice.

60. Le PRESIDENT invite les autres membres du Comité à poser leurs questions à la délégation guatémaltèque à la prochaine séance.
La séance est levée à 13 heures.

-----

©1996-2001
Office of the United Nations High Commissioner for Human Rights
Geneva, Switzerland