Distr.

GENERALE

CERD/C/SR.1117
17 août 1995


Original: FRANCAIS
Compte rendu analytique de la 1117ème seance : Burundi, Venezuela. 17/08/95.
CERD/C/SR.1117. (Summary Record)

Convention Abbreviation: CERD
COMITE POUR L'ELIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE


Quarante-septième session


COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 1117ème SEANCE


tenue au Palais des Nations, à Genève,
le vendredi 11 août 1995, à 15 heures

Président : M. GARVALOV


SOMMAIRE

Examen des rapports, observations et renseignements présentés par les Etats parties conformément à l'article 9 de la Convention (suite)

Dixième rapport périodique du Venezuela

Prévention de la discrimination raciale, alerte rapide et procédure d'urgence (suite)

La séance est ouverte à 15 h 15.

EXAMEN DES RAPPORTS, OBSERVATIONS ET RENSEIGNEMENTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES CONFORMEMENT A L'ARTICLE 9 DE LA CONVENTION (point 4 de l'ordre du jour) (suite)

Dixième rapport périodique du Venezuela

1. Sur l'invitation du Président, M. Naudy-Suarez (Venezuela) prend place à la table du Comité.

2. M. NAUDY-SUAREZ (Venezuela) rappelle que le dernier rapport périodique de son pays a été examiné par le Comité en août 1989, de telle sorte que le suivant aurait déjà dû lui être soumis. C'est donc avec toutes les excuses de sa délégation qu'il comptait présenter le dixième rapport périodique à la présente session. Malheureusement, ledit rapport n'a pas été communiqué au secrétariat suffisamment à l'avance pour être traduit dans les langues de travail du Comité, ce qui est indispensable à la poursuite d'un dialogue fructueux.

3. Dans ces conditions, M. Naudy-Suarez demande au Comité de bien vouloir accepter de reporter l'examen du dixième rapport périodique de son pays à mars 1996 et cela d'autant plus qu'à son avis, certains passages importants de ce document auraient mérité d'être plus détaillés. Cela est notamment vrai des informations communiquées au sujet du projet de loi organique sur les communautés, peuples et cultures autochtones dont est actuellement saisi le Congrès national vénézuélien. Par ailleurs, le dixième rapport ne fait pas mention d'autres initiatives importantes, par exemple la création en 1991 de la réserve de la biosphère du haut Orénoque; cette réserve, qui s'étend sur quelque 80 000 km2 au sud du pays, a pour but essentiel de protéger l'ethnie vulnérable des Yanomamis qui représentent un dixième de la population autochtone actuelle du Venezuela.

4. Dès lors, le Gouvernement vénézuélien pourrait utilement rédiger un rapport complémentaire dont le Comité disposerait également à sa prochaine session, s'il accepte le report d'examen sollicité.

5. Le PRESIDENT demande au Comité s'il souhaite accéder à la demande du représentant du Venezuela, dans la mesure où il ne dispose que de la version espagnole du rapport périodique.

6. M. YUTZIS remercie le représentant du Venezuela d'avoir eu la courtoisie et la franchise de venir en personne présenter cette demande, à laquelle il paraît judicieux de faire droit. En effet, si l'on ne dispose pas du rapport dans toutes les langues de travail, certains membres du Comité auront du mal à participer au dialogue, ce qui serait contraire aux objectifs recherchés.

7. M. DIACONU et M. VALENCIA RODRIGUEZ appuient l'orateur précédent, d'autant plus que les renseignements promis par le représentant du Venezuela semblent du plus haut intérêt. Il y aurait tout à gagner à différer l'examen du dixième rapport du Venezuela.

8. M. WOLFRUM, appuyé par M. SHERIFIS, s'associe aux orateurs précédents et tient à remercier le représentant du Venezuela d'être venu en personne présenter sa requête.

9. Le PRESIDENT dit que s'il n'y a pas d'objection, il considérera que le Comité souhaite reporter l'examen du dixième rapport périodique du Venezuela à sa session de mars 1996.

10. Il en est ainsi décidé.

11. Le PRESIDENT remercie le représentant du Venezuela qui a témoigné d'un grand esprit de coopération et de dialogue.

12. M. Naudy-Suarez (Venezuela) se retire.


La séance est suspendue à 15 h 30; elle est reprise à 16 h 50.

PREVENTION DE LA DISCRIMINATION RACIALE, ALERTE RAPIDE ET PROCEDURE D'URGENCE (point 3 de l'ordre du jour) (suite)

Burundi : rapport urgent demandé en vertu du paragraphe 1 de l'article 9 de la Convention

13. Mme SADIQ ALI (Rapporteur pour le Burundi) présente au Comité des informations complémentaires sur la situation au Burundi dans le cadre des mesures d'alerte rapide destinées à prévenir les violations graves de la Convention. Elle rappelle que le Comité a examiné le rapport précédent du Burundi le 9 mars 1994 (CERD/C/44/Misc.12) en présence d'un représentant de ce pays et a adopté la décision 2 (45) sur la situation dans ce pays, le 16 août 1994 (A/49/18). Le Gouvernement burundais n'a pas répondu à la demande d'information du Comité concernant le conflit au Burundi et la mise en oeuvre dans ce pays de la Convention, notamment des dispositions de l'article 5 b).

14. La crise constitutionnelle déclenchée par l'assassinat du président Ndadaye en octobre 1993, a duré plusieurs mois. Finalement, 12 partis politiques ont signé, le 10 septembre 1994, une "convention de gouvernement" organisant le partage et la gestion du pouvoir pour la période allant jusqu'à juin 1998. Peu après, M. Sylvestre Ntibatunganiya est devenu président pour achever le mandat de cinq ans commencé en juin 1993 par le président Ndadaye et un nouveau gouvernement de coalition a été constitué le 5 octobre 1994; dix portefeuilles ministériels, y compris ceux de l'Intérieur et de la Sécurité publique, ont été attribués à des personnalités de l'opposition dominée par la minorité tutsi. Cet accord avait pour but d'éviter au Burundi une tragédie analogue à celle qui a frappé le Rwanda voisin.

15. Le 12 janvier 1995, M. Léonce Ngendakumana, appartenant à l'ethnie hutu et président du FRODEBU, parti de la majorité au pouvoir, a été élu président de l'Assemblée nationale où il a succédé à M. Jean Minani, également hutu, dont l'élection, le 1er décembre, avait été à l'origine d'une grave crise politique et d'affrontements meurtriers entre Hutus et Tutsis. L'opposition tutsi accusait M. Minani d'avoir suscité des violences contre les Tutsis après l'assassinat du président Ndadaye en octobre 1993. Or, dans des déclarations faites à l'antenne de Radio Rwanda le 22 octobre 1993, M. Minani avait, au contraire, engagé ses concitoyens hutus, tutsis ou twas à se dissocier des instigateurs du coup d'Etat. En réalité, d'après le journal Le Monde du 15 décembre 1994, les dirigeants de l'opposition tutsi impliqués dans les événements du 21 octobre 1993 voulaient apparemment entraver le retour du pays à la stabilité.

16. Le 7 décembre, le président Ntibatunganiya a lancé un appel à la communauté internationale et aux "personnes de bonne volonté" pour leur demander d'aider le Burundi à organiser, à la fin de janvier 1995, une conférence internationale sur la sécurité dans la sous-région où la situation était explosive. Le Rwanda, le Zaïre, la Tanzanie et l'Ouganda et tous ceux qui souhaitaient voir renforcée la stabilité dans la région ont été invités à y participer. Le Conseil de sécurité de l'ONU, préoccupé par la violence croissante au Burundi, a appuyé les efforts du Gouvernement burundais pour rétablir l'ordre et en particulier pour faire en sorte que les auteurs de violences rendent compte de leurs actes, et désarmer les milices opérant au Burundi. Les violences risquaient en effet de fragiliser encore la situation et de compromettre la stabilité de la sous-région. De son côté, l'Organisation de l'unité africaine a accueilli avec une vive satisfaction l'élection d'un nouveau président de l'Assemblée nationale, solution qui réglait de façon satisfaisante la crise provoquée par l'élection précédente à cette fonction. Dans sa déclaration du 13 janvier 1995, l'OUA a engagé les hommes politiques burundais à rejeter une fois pour toutes les fauteurs de troubles, les extrémistes et les démagogues.

17. Le Premier Ministre du Burundi, M. Anatole Kanyenkiko, dirigeant politique modéré appartenant au principal parti tutsi, l'Unité pour le progrès national (UPRONA), a été remplacé le 20 février 1995 par M. Antoine Nduwayo qui a déclaré qu'il s'attacherait, premièrement, à améliorer la sécurité pour tous les Burundais et, deuxièmement, à relancer l'économie. Le Tribunal constitutionnel, contesté par l'opposition, avait été dissous le 29 janvier 1994. Ces mesures montrent que le gouvernement a bien essayé de réconcilier les différents éléments du peuple burundais même si ces efforts ne se sont pas encore traduits par des résultats concrets.

18. Force est de constater cependant que la violence persiste. Durant 1994 et en 1995, les extrémistes des deux bords ont élargi leurs bases d'appui, notamment pendant les 12 mois d'instabilité qui ont précédé l'élection du Président de la République. D'après l'organisation Human Rights Watch, chaque partie a recours à des menaces et à des violences réciproques ainsi qu'à l'encontre des modérés qui s'efforcent de trouver des solutions de compromis. L'armée et la police interviennent rarement pour rétablir l'ordre et participent même à certains incidents. Des extrémistes hutus ont commencé à entraîner et armer des milices clandestines et ont mené des attaques contre des soldats et des Tutsis auxquelles l'armée a répondu par des exécutions systématiques de Hutus. Dans les zones rurales, aussi bien des Hutus que des Tutsis ont été victimes de violences ayant pour enjeu le contrôle des terres et d'autres biens, notamment dans les régions du nord et du centre. L'afflux de milliers de réfugiés rwandais après le début du génocide au Rwanda, au début d'avril 1994, a accentué les tensions, notamment dans les zones frontalières. La propagande extrémiste, diffusée notamment par la station de radio pirate hutu, a contribué à accroître le climat d'insécurité.

19. Le 21 octobre 1994, Amnesty International a accusé la communauté internationale d'indifférence devant les exécutions politiques au Burundi alors que ce pays avait été tout au long de 1994 le théâtre d'opérations de nettoyage ethnique entre les communautés hutu et tutsi et d'affrontements violents entre groupes politiques. Selon Amnesty International, des "zones d'exécution" avaient été tracées et la société était divisée en plusieurs factions armées. Le système de justice pénale s'était pratiquement effondré et des centaines de personnes étaient massacrées chaque mois. Cependant, rien n'était fait au niveau national ou international pour traduire les coupables en justice. Les enquêtes officielles visant à établir les responsabilités en la matière ne progressaient guère. Amnesty International recommandait donc l'envoi le plus tôt possible d'observateurs internationaux au Burundi pour assurer l'efficacité et l'impartialité de ces investigations.

20. Les extrémistes hutus ont pour chef de file l'ancien Ministre de l'intérieur, Léonard Nyangoma, dont le parti, le Conseil national pour la défense de la démocratie (CNDD), possède une aile armée, les Forces pour la défense de la démocratie (FDD), forte de 30 000 hommes. Le CNDD rejette l'accord de gouvernement qui a, selon lui concédé trop de pouvoir à l'opposition dominée par le Tutsis et il demande l'abrogation de la nouvelle charte de gouvernement, l'organisation d'élections, le déploiement d'une force internationale neutre, la formation d'une armée nationale et la création d'un tribunal international. Dirigeant important du FRODEBU, M. Nyangoma mène ses opérations à partir du Zaïre et aurait des liens avec les milices hutus Interahamwe du Rwanda, responsables du génocide dans ce pays. D'après Africa Research Bulletin, le chef des milices Intagohekas, l'équivalent au Burundi de ces milices Interahamwe, a déclaré que ses troupes anéantiraient les civils tutsis si les autorités ne rééquilibraient pas la situation moyennant le recrutement massif de Hutus dans les rangs de l'armée dominée par les Tutsis. Leurs opposants, les "Sans-Défaite" et les "Sans-Echec", sont des milices tutsis dont se servent des politiciens extrémistes pour attiser les tensions ethniques. La situation générale ne fait qu'empirer, à tel point que l'ancien Président, Jean-Baptiste Bagaza, de l'ethnie tutsi, chef du parti pour la reconstruction nationale a déclaré au journal New African que son parti finirait aussi par constituer sa propre milice car il ne laisserait pas aux autres groupes le monopole de la violence. Il est clair que si le FRODEBU et l'UPRONA ne parviennent pas à s'entendre, ils finiront par perdre toute influence au profit de ces groupes extrémistes.

21. En janvier 1995, le Secrétaire général de l'ONU, M. Boutros-Ghali, s'est déclaré extrêmement préoccupé par le caractère explosif de la situation au Burundi et a répété qu'il était en faveur d'un "déploiement préventif" de troupes aux frontières comme il l'avait déjà proposé sans succès en 1994. Pour le moment, l'ONU n'est représentée sur place que par M. Ahmedou Ould Abdallah qui a pour tâche de mener des négociations avec les différents partis politiques pour essayer d'éviter des affrontements ou un nouveau massacre à Bujumbura. Les violences se sont poursuivies en avril 1995 en dépit de la campagne pour le rétablissement de la paix menée par les dirigeants politiques qui ont voyagé dans tout le pays pour s'entretenir avec les deux groupes ethniques. Mais Léonard Nyangoma a estimé que cette croisade pour la paix et la réconciliation était vide de sens et inutile. Il a déclaré en outre, le 21 avril 1995, qu'une solution durable ne pourrait être trouvée au problème du Burundi tant que la communauté internationale n'obligerait pas l'armée monoethnique composée de Tutsis, à changer son image et sa composition.

22. Le 6 avril 1995, le Parlement européen a demandé aux Etats membres de l'Union européenne d'être prêts à intervenir au Burundi en vertu d'un mandat de l'ONU en cas d'escalade de la violence dans ce pays, afin d'y établir des zones de sécurité pour protéger les civils. Toutefois, le Premier Ministre, M. Antoine Ndurayo, a catégoriquement rejeté toute intervention militaire étrangère qui, selon lui, ne ferait que compliquer la situation. Le Ministre français de la coopération, M. Bernard Debré, a aussi estimé qu'une intervention militaire serait inappropriée et dangereuse. Il a en outre critiqué les trafiquants d'armes qui approvisionnent les Hutus et les Tutsis à partir du Zaïre et de l'Ouganda, respectivement, et a préconisé l'application d'un embargo international sur les armes à destination du Burundi. Une mission de parlementaires francophones s'est rendue le 12 avril au Burundi pour soutenir les institutions démocratiques.

23. Quant à l'Organisation de l'unité africaine, elle est opposée à une intervention militaire dans l'immédiat. Une délégation de l'OUA a décidé, à la demande du Conseil national de sécurité du Burundi, de proroger le mandat des observateurs de l'OUA dont le nombre a été porté à 67.

24. Pour ce qui est des groupes extrémistes, Africa Analysis a rapporté le 7 avril 1995 que M. Léonard Nyangoma avait déclaré la guerre à l'armée du Burundi sous domination tutsi et que les milices tutsis prennent comme prétexte ses déclarations pour mener des actions armées contre des civils hutus. Quant à M. Jean-Baptiste Bagaza, chef du Parti pour la reconstruction nationale (PARENA) qui est le seul parti à n'avoir pas signé la Convention relative au partage du pouvoir entre la coalition du Président et celle de l'opposition, il serait associé aux milices tutsis dites "Sans-Echec" et "Sans-Défaite". Le PARENA rejette toute solution à laquelle participerait le FRODEBU et contrôle trois des journaux les plus extrémistes du Burundi. Jean-Baptiste Bagaza, Charles Mukasi et le colonel Bikomagu, chef de l'état-major, seraient déterminés à déstabiliser le régime. Bagaza accroît sa popularité en dénonçant la démocratie au Burundi comme étant une simple façade et en rappelant les effets néfastes de la domination de la majorité au Rwanda.

25. Selon le Groupement pour les droits des minorités, il est simpliste de qualifier de violences ethniques les événements au Burundi. En réalité, ils résultent de la lutte pour le pouvoir entre les élites hutu et tutsi qui exploitent les craintes des deux communautés. L'un des principaux problèmes au Burundi est que ce pays n'a pas réussi à créer un système politique qui permettrait à la majorité hutu de gouverner démocratiquement tout en protégeant les droits de la minorité tutsi qui a pendant longtemps occupé une situation sociale privilégiée. Pour le Groupement pour les droits des minorités, seuls les Burundais peuvent trouver des solutions à leurs problèmes et la communauté internationale devrait simplement les y aider, en consultation avec les forces politiques et sociales burundaises. D'après le journal West Africa du 10 avril, certains milieux seraient favorables à la partition du Burundi en "Tutsiland" et "Hutuland", idée défendue par l'ancien président Bagaza et perçue comme une nouvelle formule de partage du pouvoir. Comme l'a fait observer le porte-parole de Save the Children Fund, les extrémistes se renforcent mais ils ne détiennent pas le pouvoir; ils déstabilisent les modérés au gouvernement qui s'accrochent aux garanties institutionnelles qui subsistent. Il est indispensable que les représentants des Nations Unies et les organismes d'assistance jouent un rôle de médiation entre les deux parties. Néanmoins, le Burundi va vers la guerre civile.

26. Mme Sadiq Ali évoque ensuite la question du système judiciaire. En théorie, le pouvoir judiciaire est indépendant, il se compose de tribunaux civils, pénaux et militaires, les procès sont publics et les prévenus ont le droit d'être assistés d'un défenseur. Dans la pratique, l'appareil judiciaire est entre les mains du groupe ethnique tutsi et favorise cette minorité dominante, les procès ne sont pas publics et les prévenus ne sont pas défendus dans les formes requises. En outre, l'administration de la justice souffre d'un manque de ressources et de personnel convenablement formé, et les dispositions juridiques applicables sont obsolètes.

27. Les carences des systèmes juridique et judiciaire facilitent bien des violations des droits de l'homme, notamment les disparitions forcées ou involontaires. Le Groupe de travail sur les disparitions forcées et involontaires dans son rapport de 1994 (E/CN.4/1995/36), ainsi que le Washington Post dans son numéro du 6 février 1995, font état de disparitions de Hutus arrêtés et rassemblés en grand nombre par des membres des forces de sécurité et envoyés vers une destination inconnue, et aussi d'opérations "ville morte" conduites avec la plus grande violence par des bandes de Tutsis armés. Les violations des droits des détenus inspirent aussi de grandes inquiétudes. Une délégation d'Amnesty International a pu constater que les détenus étaient parfois victimes de tortures, et a fait part de ses préoccupations au Gouvernement burundais et à l'Ambassade de France à Bujumbura. Elle a demandé à celle-ci que le savoir-faire et l'équipement français ne servent pas à violer les droits de l'homme. Elle a aussi engagé les gouvernements étrangers et les représentants des organisations intergouvernementales à protester contre l'usage de la torture. En outre, Amnesty International a appelé la communauté internationale à aider le Burundi à prendre les mesures nécessaires pour mettre un terme aux arrestations arbitraires et au cycle des tueries et pour traduire en justice les responsables de détentions gardées secrètes. A cet égard, Mme Sadiq Ali dénonce l'impunité qui appartient à la culture du pays et qui favorise l'arbitraire sous toutes ses formes. Dans son rapport sur sa mission au Burundi (E/CN.4/1996/4/Add.1), le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires note l'absence systématique d'enquêtes sur les violations du droit à la vie, et l'absence de châtiments lorsqu'il arrive que des enquêtes soient entreprises et aboutissent. Des milices se constituent des deux côtés et aucun frein n'est mis aux exécutions arbitraires. Il est grand temps que soient renforcés les mécanismes d'application des lois.

28. Selon le HCR, la situation chaotique du pays a conduit quelque 271 000 personnes à fuir à l'étranger en 1994. Le nombre de personnes déplacées à l'intérieur du pays s'élève à environ 600 000. Dans son rapport sur la situation au Burundi dans ce domaine (E/CN.4/1995/50/Add.2), le représentant du Secrétariat général, M. Deng, indique que l'on distingue parmi celles-ci les personnes "déplacées" - des Tutsis regroupés dans des camps et bénéficiant d'une certaine assistance alimentaire et sanitaire, parce que protégés par l'armée - et les personnes "dispersées" - des Hutus qui, fuyant l'armée et les Tutsis, se cachent et ne peuvent être secourus. La précarité, déjà grande dans les camps de personnes déplacées qui ne sont pas structurés comme ceux que le HCR supervise au Rwanda, est encore plus grande pour les personnes dispersées, mais les pertes en vies humaines sont considérables dans les deux cas.

29. Le représentant du Secrétaire général note aussi dans son rapport les effets désastreux de l'insécurité sur l'approvisionnement en vivres. La distribution des ressources alimentaires, que se disputent les réfugiés, les exilés rentrés au pays, les déplacés et la population locale, est d'autant plus aléatoire que vols et pillages sont monnaie courante. M. Deng relève également que les violations des droits de l'homme qui sont à l'origine de ces déplacements de population sont en partie dues au fait qu'il n'existe pas d'autorité unique chargée expressément de la répression, celle-ci étant assurée à la fois par les forces armées, la gendarmerie et divers services de police civils qui ne sont pas réunis sous le même commandement. Il se peut que dans ces conditions des dispositions du droit humanitaire international, comme l'article 17 du Protocole additionnel II aux Conventions de Genève, aient été violées. Il n'est pas surprenant non plus que le "nettoyage ethnique" soit une réalité au Burundi. Ce fléau a pris de l'ampleur depuis mars 1994, notamment dans les régions de Kamenge et Cibitoke. Il y a là un risque de balkanisation du pays qui inquiète fort les observateurs internationaux. Les autres problèmes graves auxquels la population doit faire face sont d'une part des problèmes de santé - le système national de protection de la santé ne fonctionne plus qu'à 50 % de sa capacité d'avant la crise - et, d'autre part, le manque de terres, qui affecte surtout les femmes, et toute leur famille lorsqu'elles sont chef de famille, car elles n'héritent jamais de la terre de leur mari ou de leurs parents.

30. M. Deng déplore que le Burundi n'ait pas encore ratifié la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide et, dans ses conclusions et recommandations à la Commission des droits de l'homme, souligne qu'il est hors de question de diviser le pays en fonction de l'appartenance ethnique de ses citoyens, car Hutus et Tutsis sont très étroitement mêlés. C'est un compromis fonctionnel qui s'impose, fondé sur la réforme du régime foncier, des forces armées et de l'appareil judiciaire, compte dûment tenu dans ce dernier cas de la nécessité de mettre un terme à l'impunité et d'indemniser les victimes.

31. Mme Sadiq Ali fait ensuite le point de l'action des organisations internationales au Burundi, telle qu'elle apparaît dans le rapport du représentant spécial du Secrétaire général. Le HCR s'occupait d'environ 250 000 réfugiés rwandais à la fin du mois d'août 1994 et a pris, en collaboration avec d'autres organismes, des initiatives en faveur de 82 000 Burundais retournant au pays et de 16 000 personnes déplacées. Avec l'UNICEF, il administre un programme de familles d'accueil pour les enfants arrivant seuls du Rwanda. Le Haut Commissaire a nommé un envoyé spécial pour l'Afrique centrale et établi une unité d'intervention d'urgence pour renforcer les opérations dans la région et au siège. Le PAM fournit une aide alimentaire à environ 550 000 personnes déplacées. L'UNICEF s'occupe également de cette catégorie de population. Le CICR a centré ses activités sur les soins de santé, à un moment où beaucoup d'autres organismes spécialisés dans ce domaine quittaient le pays. Il poursuit aussi ses activités de protection habituelles comme les visites aux détenus et la formation au droit humanitaire. Le PNUD coordonne l'assistance humanitaire, conduit un programme de remise en état du pays, et a lancé un appel interinstitutions destiné à répondre aux besoins de santé et d'assainissement de 250 000 personnes. Le Haut Commissaire aux droits de l'homme et le Centre pour les droits de l'homme ont entrepris une série d'activités depuis avril 1994, en particulier dans le cadre du mandat imparti au Haut Commissaire en matière de diplomatie préventive. Le HCR a signé un accord avec le gouvernement en vue de l'exécution d'un projet d'assistance technique et de services consultatifs, dont l'un des éléments consiste à éduquer aux droits de l'homme et à la paix les jeunes, le personnel chargé d'administrer la justice, l'armée et la police.

32. Pour conclure, Mme Sadiq Ali fait au Comité les recommandations suivantes : prendre note de l'information du gouvernement burundais selon laquelle il poursuit la mise en conformité de sa législation avec la Convention, et demander à être tenu au courant des dispositions prises à cet égard, recommander que les textes concernant l'obligation de participer aux travaux agricoles, aux travaux de portage et aux travaux publics soient abrogés, et ce d'autant plus qu'ils sont de nature coloniale et sont tombés en désuétude; prendre note de l'intention du gouvernement d'abroger le décret-loi établissant l'obligation de s'acquitter de travaux de développement au bénéfice de la communauté, et demander au gouvernement des informations sur les dispositions prises à cet effet; prendre note du fait que le Ministère de l'intérieur a sollicité un avis sur les sanctions prévues dans le Code pénal à l'encontre des vagabonds et des mendiants, et demander au gouvernement des informations concernant cet avis et le programme de formation professionnelle qu'il envisage pour éviter ces comportements en aidant les chômeurs.

33. M. de GOUTTES remercie Mme Sadiq Ali pour son rapport très dense qui témoigne à la fois de l'extrême gravité et de l'extrême complexité de la situation au Burundi. Abordant une question de procédure, M. de Gouttes dit qu'il serait utile que le Comité entende un représentant du Secrétaire général pour faire le point des actions de coopération entreprises par les Nations Unies au Burundi, en particulier les actions menées par les observateurs des droits de l'homme dans le pays. Il rappelle à cet égard que le Comité avait suggéré l'an dernier d'offrir ses services dans trois domaines : formation aux droits de l'homme notamment des magistrats, des policiers et des fonctionnaires, réforme des institutions et réforme de la législation. Il espère que sa proposition pourra être suivie d'effet.

34. Le PRESIDENT dit que c'est une suggestion utile et qu'il fera le nécessaire pour qu'il y soit donné suite.

35. M. van BOVEN remercie chaleureusement Mme Sadiq Ali d'avoir fourni des informations aussi abondantes sur la situation au Burundi que tout le monde reconnaît comme très grave. Reste à savoir ce que peut faire le Comité pour l'empêcher d'empirer.

36. M. van Boven rappelle que le 16 mars, le Comité a pris la décision de demander au Burundi de lui soumettre d'urgence ses septième, huitième et neuvième rapports périodiques et que cette demande est restée sans réponse. Il appelle ensuite l'attention des membres du Comité sur le rapport du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, M. Bacre Waly Ndiaye, sur sa mission au Burundi (E/CN.4/1996/4/Add.1). A son avis, le Comité devrait examiner les recommandations qui figurent notamment aux paragraphes 93, 94, 95, 99, 103, 107 et 110 de ce document, sans même attendre la session de la Commission des droits de l'homme et envoyer une lettre au Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies indiquant qu'il les approuve vigoureusement dans le cadre de ses efforts de prévention de la discrimination raciale, au titre de la procédure d'alerte rapide et de la procédure d'urgence. Une telle démarche s'inscrit parmi les mesures malheureusement limitées que le Comité peut prendre face à la situation au Burundi.

37. M. SHAHI souscrit entièrement à la proposition de M. van Boven. Le Comité n'a pas le droit de se soustraire à ses responsabilités et doit envoyer, sans tarder, une lettre au Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies pour lui faire savoir qu'il appuie les recommandations de M. Bacre Waly Ndiaye. M. Shahi déplore une fois de plus la faiblesse des mécanismes de protection des droits de l'homme des Nations Unies qui très souvent prennent note après coup seulement d'une situation tragique qui échappe à leur contrôle, au lieu de recourir à temps à la diplomatie préventive.

38. Le PRESIDENT rappelle aux membres du Comité que, suite aux consultations qu'il a eues à la mi-juin avec le Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies, le Comité est habilité à prendre directement contact avec ce dernier pour faire part de ses préoccupations lorsqu'il juge qu'une situation relève de la procédure d'alerte rapide ou de la procédure d'urgence. Tel est le cas du Burundi. Le Président invite dont Mme Sadiq Ali, M. Banton et M. van Boven à rédiger le plus rapidement possible une lettre à l'intention du Secrétaire général, indiquant la position du Comité sur la situation au Burundi, dans le sens de la proposition formulée par M. van Boven.


La séance est levée à 18 heures.


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