Distr.

GENERALE

E/C.12/1998/SR.46
14 décembre 1998


Original: FRANCAIS
Compte rendu analytique de la 46ème séance : Canada. 14/12/98.
E/C.12/1998/SR.46. (Summary Record)

Convention Abbreviation: CESCR
COMITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS


Dix-neuvième session


COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 46ème SÉANCE


tenue au Palais des Nations, à Genève,
le jeudi 26 novembre 1998, à 15 heures


Président : M. ALSTON


SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS :

a) EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT AUX ARTICLES 16 ET 17 DU PACTE (suite)

Troisième rapport périodique du Canada (suite)

Le présent compte rendu est sujet à rectifications.

Les rectifications doivent être rédigées dans l'une des langues de travail. Elles doivent être présentées dans un mémorandum et être également incorporées à un exemplaire du compte rendu. Il convient de les adresser, une semaine au plus tard à compter de la date du présent document, à la Section d'édition des documents officiels, bureau E.4108, Palais des Nations, Genève.

Les rectifications aux comptes rendus des séances publiques du Comité seront groupées dans un rectificatif unique qui sera publié peu après la session.

EXAMEN DES RAPPORTS :

a) EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT AUX ARTICLES 16 ET 17 DU PACTE (point 6 a) de l'ordre du jour) (suite)

Troisième rapport périodique du Canada (E/1994/104/Add.17; E/C.12/Q/CAN/1 (Liste des points à traiter); HR/CESR/NONE/98/8 (Réponses écrites aux questions de la liste des points à traiter); HRI/CORE/1/Add.91; E/C.12/CA/CAN/1 (Descriptif de pays))

1. À l'invitation du Président, la délégation canadienne prend place à la table du Comité.

2. M. MOHER (Canada), présentant le troisième rapport périodique du Canada, souligne que le Canada est fermement résolu à respecter les engagements lui incomba nt en vertu du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Pour assurer progressivement et sans discrimination le plein exercice des droits reconnus dans le Pacte, le Gouvernement fédéral a pris, de concert avec les provinces et les territoires et compte tenu de la répartition des pouvoirs et des responsabilités entre les différents ordres de gouvernements, un large éventail de mesures législatives et politiques.

3. Le Canada a notamment appliqué diverses recommandations formulées par le Comité en 1993 dans ses conclusions concernant le deuxième rapport périodique du Canada. Des organismes gouvernementaux et des ONG ont ainsi été associés étroitement à l'élaboration du troisième rapport périodique et le Gouvernement envisage d'inclure les droits sociaux et économiques dans le texte du projet de loi sur les droits de la personne qui sera prochainement examiné.

4. Le Comité avait en outre encouragé les tribunaux canadiens à maintenir une attitude ouverte et ferme face à l'interprétation de la Charte des droits et libertés et des textes de loi relatifs aux droits de l'homme, afin de garantir des recours appropriés contre les violations des droits économiques et sociaux au Canada. La Cour suprême a estimé que l'article 7 de la Charte pouvait s'interpréter comme incluant les droits énoncés dans le Pacte. De même, l'interdiction de toute discrimination, énoncée à l'article 15 de la Charte, a été appliquée à divers droits économiques et sociaux. La Charte protège aussi, implicitement ou explicitement, la liberté syndicale, le droit à l'enseignement dans les langues minoritaires, les droits des peuples autochtones et les autres droits mentionnés aux paragraphes 7 à 78 du troisième rapport. Elle prévoit également des recours en cas de violation de ces droits. En outre, d'après la Loi constitutionnelle de 1982, tous les gouvernements sont tenus de favoriser le développement économique afin de réduire les disparités de niveau de vie et de fournir des services essentiels d'une qualité raisonnable à tous les Canadiens. D'autres lois, par exemple les lois sur les droits de la personne, sur les relations de travail et sur la scolarité obligatoire, protègent les individus et prévoient des recours en cas d'atteinte à ces droits.

5. Conformément aux recommandations du Comité, le Gouvernement fédéral a rétabli le programme permettant aux particuliers de contester les lois et les E/C.12/1998/SR.46

pratiques des gouvernements. À cet effet, des fonds sont actuellement mis à la disposition des groupes qui ont été défavorisés dans le passé, notamment les minorités de langue française ou de langue anglaise.

6. Pour réduire le nombre d'enfants vivant dans la pauvreté, les gouvernements fédéral et provinciaux ont instauré en juillet 1998 une nouvelle prestation nationale pour les enfants grâce à laquelle les familles à faible revenu qui ont des enfants bénéficient de diverses aides, notamment en matière financière, sociale et sanitaire.

7. S'agissant de la situation financière, le Canada a réussi à corriger le déséquilibre entre les recettes et les dépenses de l'État, qui menaçait la viabilité des programmes sociaux et donc pu recommencer à investir dans des secteurs économiques et sociaux prioritaires. Ainsi, le Gouvernement fédéral est maintenant en mesure de réinvestir dans les programmes sociaux, notamment le programme de transfert en matière de santé et de programmes sociaux, en vertu duquel il transfère des sommes importantes aux provinces au profit des services de santé de l'enseignement postsecondaire, de l'assistance sociale et des services sociaux.

8. En matière de lutte contre la pauvreté, le Canada s'efforce de favoriser l'emploi et la croissance économique tout en mettant en oeuvre des programmes d'aide financière et sociale à l'intention des personnes démunies ou qui risquent de le devenir. Le taux de chômage est revenu de 11,3 % en 1993 à 8,1 % actuellement, mais le Gouvernement n'en poursuit pas moins ses efforts visant à aider les chômeurs de longue durée et les chômeurs peu ou pas qualifiés à réintégrer le marché du travail. C'est pourquoi le Gouvernement a procédé, en 1996, à une révision en profondeur du programme d'assurance-emploi qui prévoit notamment le versement d'une aide financière aux familles à faible revenu ayant des enfants. Il existe aussi divers programmes spécifiques en faveur des groupes vulnérables, des femmes, des populations autochtones ainsi que des personnes vivant dans les régions où le chômage est élevé.

9. Dans le domaine sanitaire, les Canadiens ont accès aux soins de santé grâce à un régime universel subventionné par l'État. Les autorités fédérales sont déterminées à renforcer le système canadien de soins de santé. Le Gouvernement mène en outre une politique très active en faveur des personnes handicapées. En mars 1998, le Canada a reçu de l'ONU un prix en reconnaissance des efforts réalisés pour intégrer les personnes handicapées à la vie sociale et économique du pays. En octobre 1998, les ministres fédéral, provinciaux et territoriaux chargés des services sociaux ont publié un document intitulé "À l'unisson : une approche canadienne concernant les personnes handicapées", qui définit des orientations stratégiques à long terme visant à faciliter l'intégration des personnes handicapées dans tous les secteurs de la société canadienne.

10. S'agissant des populations autochtones, le Gouvernement a publié un plan d'action pour les questions autochtones, qui vise principalement à renforcer les collectivités autochtones et leurs économies et à instaurer un partenariat avec les collectivités autochtones afin de mettre un terme à l'engrenage de la pauvreté et du désespoir dans ces collectivités.


Statut du Pacte dans le système juridique canadien et législation

relative aux droits de la personne


11. M. SADI aimerait savoir pourquoi seule la province du Québec est représentée au sein de la délégation canadienne et comment les différentes provinces s'acquittent des obligations découlant du Pacte. Dans les réponses écrites, il est indiqué qu'en cas de conflit entre le droit interne et les traités internationaux ratifiés par le Canada, c'est le premier qui prévaut, mais en matière d'extradition, les dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques semblent pourtant avoir primé sur la législation interne et il serait intéressant de savoir pourquoi il n'en va pas de même pour le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

12. M. CEVILLE rappelle qu'en 1993, le Comité avait recommandé que les textes de loi relatifs aux droits de l'homme contiennent des dispositions plus explicites concernant les droits sociaux, économiques et culturels et se demande pourquoi le Canada n'a pas encore donné suite à cette recommandation.

13. M. PILLAY demande pourquoi le Gouvernement fédéral ne rappelle pas aux tribunaux qu'ils sont tenus d'interpréter les lois dans un sens conforme aux obligations internationales qu'a contractées le Canada en ratifiant le Pacte. Le Comité avait en outre recommandé en 1993 au Gouvernement canadien de dispenser aux membres du pouvoir judiciaire une formation sur les obligations incombant au Canada en vertu du Pacte, du fait que dans leurs décisions, les tribunaux faisaient rarement référence aux normes internationales relatives aux droits de l'homme et il serait utile de savoir ce qui a été entrepris dans ce domaine et pourquoi le gouvernement n'a pas soutenu le projet de loi tendant à inclure dans la loi sur les droits de la personne une disposition interdisant toute discrimination fondée sur la condition sociale.

14. M. TEXIER note avec surprise que dans les réponses écrites il est indiqué que selon la Constitution, ni le Gouvernement fédéral, ni le traité ratifié ne peuvent obliger les provinces à adopter des lois pour mettre en oeuvre un traité dans des domaines qui relèvent par ailleurs de la compétence provinciale. Aussi complexe que soit la structure d'un État, il doit veiller à l'application, sur l'ensemble de son territoire, de tout traité qu'il a ratifié et il serait utile d'avoir des éclaircissements à ce sujet. Dans l'un de ses arrêts, la Cour suprême du Canada a par ailleurs estimé que l'article 7 de la éCharte canadienne des droits et libertés pouvait s'interpréter comme incluant les droits visés par le Pacte et il serait donc intéressant de savoir pourquoi le Gouvernement continue, d'après de nombreuses ONG, à considérer que la protection des droits économiques, sociaux et culturels n'entre pas dans le champ d'application de cet article.

15. Mme BONOAN-DANDAN demande dans quelle mesure la législation sur les droits de la personne assure une protection contre la discrimination fondée sur des motifs d'ordre économique, social et culturel, puisque ces droits ne sont pas inclus dans le texte de la loi proprement dite. Il serait intéressant de connaître les raisons pour lesquelles le Gouvernement canadien a attendu si longtemps avant d'envisager de mettre en pratique les suggestions faites par le Comité en 1993 tendant à ce que les lois soient rédigées de façon à faire référence explicite aux droits sociaux, économiques et culturels. Par ailleurs, comment le Canada peut-il être tenu de respecter les obligations qui lui sont imposées par le traité, si ni le Gouvernement fédéral, ni le traité ne peuvent obliger les provinces à adopter des lois pour mettre en oeuvre un traité dans les domaines relevant de la compétence provinciale ? Elle aimerait de plus savoir si les incidences sur les droits de l'homme sont prises en considération par le Gouvernement fédéral lors de la négociation d'accords internationaux et en particulier en ce qui concerne l'Accord multilatéral sur l'investissement et selon quelles modalités. Enfin, elle s'étonne que le Gouvernement canadien reproche au Comité de s'intéresser aux moyens internes employés pour financer l'exercice des droits fondamentaux prévus par le Pacte et, reprenant une question posée par une ONG, elle aimerait savoir si une personne qui relève d'un programme d'assistance sociale provincial et dont les prestations sociales ont diminué de 60 % a le droit de demander réparation en droit fédéral en vertu du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux (TGPS).

16. M. KOUZNETSOV note que selon les réponses fournies par la délégation, les dispositions de la législation nationale auraient préséance sur les obligations internationales et donc sur le Pacte. Or la plupart des pays estiment que le droit international prime sur le droit national et il serait donc utile de savoir ce qui se passe en cas de conflit entre la législation interne et les traités internationaux. Des explications s'imposent en outre au sujet de l'affirmation selon laquelle le Gouvernement fédéral n'a pas besoin de l'approbation du Parlement pour conclure un accord international. Compte tenu du caractère autonome des provinces il serait bon de savoir comment le Gouvernement canadien assure l'application uniforme des obligations internationales dans l'ensemble du pays, en particulier quels mécanismes entrent en jeu en cas de divergence entre la position d'une province en matière de droits de l'homme et les obligations qui incombent au Canada au niveau fédéral.

17. M. CEAUSU se demande lui aussi ce qu'il advient en cas de conflit entre la loi interne et les obligations internationales si les dispositions de la loi nationale prévalent au Canada. S'associant à Mme Bonoan-Dandan, il estime que le Comité a la compétence pour examiner si les moyens internes employés par les États parties pour assumer les obligations leur incombant en vertu du Pacte sont adéquats. La position selon laquelle une omission contraire aux dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés peut être justifiée au regard des principes d'une société libre et démocratique lui semble de plus inacceptable.

18. M. MOHER (Canada) répond que le Canada est doté d'un comité permanent des droits de l'homme auquel participe la totalité des membres du Gouvernement et qui se réunit deux fois par an pour examiner toutes les questions relatives aux droits de l'homme. Les gouvernements provinciaux utilisent des moyens et des mécanismes différents pour répondre aux besoins économiques, sociaux et culturels des personnes placées sous leur juridiction, mais ils ont tous le même objectif : appliquer les principes énoncés dans le Pacte. Avant de signer un quelconque accord ou traité international, le Gouvernement fédéral s'assure qu'il n'y a pas conflit entre ses dispositions et le droit interne. S'il apparaît que des modifications doivent être apportées à la législation interne pour que l'accord en question puisse s'appliquer dans le pays, elles le sont avant même la signature de l'instrument. Le Canada éprouve de grandes difficultés à assurer la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels et malgré les nombreux programmes mis en place par les gouvernements provinciaux à cette fin, beaucoup reste à faire.

19. Mme LEVASSEUR (Canada) explique que le Canada applique un système dualiste en vertu duquel les conventions et traités internationaux n'ont pas automatiquement force de loi en droit interne. La signature des traités et accords internationaux incombe à l'autorité fédérale et cette prérogative de l'exécutif n'a pas à être approuvée par le Parlement. Le Gouvernement fédéral n'a donc pas besoin de l'approbation du Parlement pour conclure un accord international. Il n'en reste pas moins qu'avant de le faire, le Gouvernement fédéral examine la législation. En cas de conflit entre un traité international et une disposition législative interne, une décision doit être prise quant à l'opportunité de la signature d'un tel instrument ou quant à la nécessité d'apporter des modifications à ladite législation.

20. Pour ce qui est des obligations internationales du Canada, il convient de souligner que dans un de ses arrêts la Cour Suprême a estimé que les traités internationaux constituent "des facteurs pertinents et persuasifs" dans l'interprétation de la Charte canadienne des droits et libertés. Le Canada n'ignore donc pas ses obligations internationales qui, sans avoir force automatique de loi en droit interne, constituent néanmoins une source d'interprétation importante pour les tribunaux.

21. La Charte canadienne des droits et libertés s'applique à tous les gouvernements provinciaux et contient différents articles incluant des droits visés par le Pacte. La mise en oeuvre du Pacte est assurée par un mécanisme permanent, le Comité fédéral, provincial et territorial des fonctionnaires chargés des droits de la personne. Ce Comité est notamment chargé d'examiner l'ensemble des questions relatives à la signature, à la ratification et à la mise en oeuvre de tous les instruments internationaux.

22. Le droit canadien consacre le principe de l'indépendance des juges et il n'appartient donc pas au Gouvernement fédéral d'assurer la formation des juges et magistrats en matière de droit international. Des organismes ont cependant été mis en place à cette fin. La loi canadienne sur les droits de la personne, qui s'applique au Gouvernement fédéral et aux institutions placées sous sa juridiction, a été récemment modifiée dans plusieurs de ses aspects et devrait faire prochainement l'objet d'une révision plus complète. Il est notamment question de l'amender de manière à y inclure les droits économiques, sociaux et culturels.

23. M. PILLAY juge tout à fait insuffisante la réponse apportée par la délégation à la question concernant l'inobservation par le Gouvernement canadien de la recommandation formulée par le Comité en 1993 sur la nécessité de protéger juridiquement les droits économiques, sociaux et culturels.

24. M. SADI souhaite connaître l'impact au Québec de la clause "nonobstant" de la Charte des droits et libertés, selon laquelle le Parlement et les législatures des provinces ont à un certain point la possibilité d'adopter des lois qui dérogent aux dispositions de la Charte relative aux libertés fondamentales, aux garanties juridiques et aux droits à l'égalité. De manière générale, les provinces canadiennes sont-elles engagées par les décisions prises par l'autorité fédérale ?

25. M. TEXIER demande en quoi l'interprétation du Gouvernement diffère de l'arrêt rendu par la Cour suprême dans lequel elle a indiqué que l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés offrait la garantie de ne pas être privé des nécessités de base.

26. M. ADEKUOYE demande s'il est techniquement possible qu'une province ait une interprétation du Pacte différente de celle du Gouvernement fédéral.

27. M. MOHER explique que si un accord international négocié par le Gouvernement fédéral porte sur des questions affectant les juridictions provinciales, une procédure d'examen s'amorce aussitôt. Lorsque le Canada a négocié, il y a une dizaine d'années, l'Accord de libre-échange nord-américain, un processus extrêmement complexe de consultation a été mis en place avec le secteur privé et les gouvernements provinciaux. Le processus de consultation des différentes provinces engagé avant toute signature ou toute ratification d'un instrument international vise à obtenir leur accord, ce qui signifie que, dans la pratique, le Gouvernement fédéral doit obtenir l'accord des provinces avant de signer un accord international et s'assurer qu'elles seront en mesure d'en appliquer les différentes obligations. Une fois les renseignements voulus obtenus d'Ottawa, il sera répondu à la question relative à l'AMI.

28. Mme LEVASSEUR précise que dans l'article premier de l'arrêt rendu dans l'affaire Elridge c. Le Procureur général de la Colombie-britannique, la Cour suprême a été d'avis que les droits et libertés énoncés dans la Charte canadienne des droits et libertés pouvaient être limités par une règle de droit à condition qu'elle se justifie "dans une société libre et démocratique". Dans cette affaire, la Cour suprême a estimé que les considérations financières ne pouvaient constituer à elles seules une infraction à la Charte et a constaté qu'il convenait d'accorder aux gouvernements provinciaux une grande latitude pour déterminer la répartition convenable des ressources dans la société. Les autorités fédérales sont responsables, sur le plan international, de la mise en oeuvre et du respect des accords et instruments internationaux signés par le pays. Pour ce qui est de la possibilité du Gouvernement fédéral de contraindre un gouvernement provincial à respecter les obligations internationales du pays, il faut souligner que le système constitutionnel canadien, fort complexe, a partagé l'exercice de certaines juridictions entre le provincial et le fédéral. Ainsi, si un traité international ou une convention internationale porte sur un domaine relevant d'une juridiction provinciale, celle-ci est généralement considérée comme exclusive et le Gouvernement fédéral ne peut plus, dès lors, imposer à l'autorité provinciale une mesure tombant sous la juridiction de cette dernière.

29. Le PRÉSIDENT note que si le Gouvernement canadien ne dispose d'aucun mécanisme lui permettant de faire pression sur les gouvernements provinciaux ne s'acquittant pas de leurs obligations en vertu d'un accord signé par les autorités fédérales, il existe un vide juridique important dans le cadre constitutionnel du pays.

30. M. CEAUSU constate que le Pacte contient bien plusieurs articles qui laissent aux États parties la possibilité d'apporter certaines limitations aux droits reconnus par le Pacte mais qu'elles doivent être apportées au moyen d'une loi adoptée par l'autorité qui a ratifié et il lui semble dans le cas du Canada, que seul le Gouvernement fédéral qui a ratifié le Pacte aurait le droit d'apporter de telles limitations et non pas un gouvernement provincial.

Discrimination fondée sur le revenu ou la condition sociale

31. M. AHMED note avec préoccupation que près de 10 % de la population canadienne (dont plus d'un million d'enfants) sont tributaires de l'aide sociale, que le Gouvernement canadien réduit son déficit budgétaire au prix d'un taux de pauvreté élevé (17,6 % en 1996) et que les dépenses sociales au titre du budget de 1995 sont retombées au niveau de 1945. L'adoption du projet de loi 22 en Ontario lui semble regrettable car il dissuade les travailleurs de défendre leurs intérêts. Le Canada étant un pays riche qui dispose de tous les moyens nécessaires pour remédier à ces divers problèmes, il aimerait connaître le point de vue de la délégation canadienne sur ces points.

32. M. ADEKUOYE demande si le Gouvernement fédéral exerce un contrôle sur les gouvernements provinciaux pour ce qui est de l'allocation de fonds dans le cadre du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux.

33. M. PILLAY demande si le programme d'assistance sociale n'est pas discriminatoire en ce qu'il impose à certains bénéficiaires l'obligation de travailler pour bénéficier des prestations prévues; cette disposition est contraire à l'article 6 du Pacte et comme elle est le fait des gouvernements provinciaux, il semble inconcevable que le Gouvernement fédéral ne fasse rien pour remédier à la situation. Au sujet des personnes revendiquant le statut de réfugié, il est indiqué dans la réponse à la question 15 de la liste que cette catégorie de personnes ne bénéficient que d'une couverture médicale d'urgence et dans certaines provinces les enfants nés au Canada de demandeurs d'asile ne bénéficient pas non plus d'une couverture médicale. Par ailleurs, les réfugiés au sens de la Convention ne bénéficieraient pas de prêts fédéraux ni de bourses d'études supérieures. Tous ces éléments semblent indiquer qu'il y a une discrimination contre cette catégorie de personnes et il serait bon d'avoir des éclaircissements.

34. Mme JIMÉNEZ BUTRAGUEÑO note avec satisfaction que dans certaines provinces canadiennes, en particulier au Québec, les textes relatifs aux droits de l'homme interdisent explicitement la discrimination fondée sur l'âge, mais s'étonne que dans cette même province du Québec les personnes âgées constituent le groupe le plus durement frappé par la pauvreté, en raison principalement de l'absence d'une prestation complémentaire à l'allocation provinciale en faveur des personnes défavorisées. Il semble y avoir une contradiction et il serait bon d'avoir des éclaircissements à ce sujet.

35. M. SADI demande s'il serait exact d'affirmer, au sujet du régime canadien d'assurance publique, que l'opinion publique lui est désormais hostile en raison du grand nombre d'abus auquel il a donné lieu. Il aimerait en outre avoir des chiffres ventilés par grandes catégories de bénéficiaires de l'assistance publique et savoir si les immigrants sont pris en compte dans ces chiffres.

36. Mme BONOAN-DANDAN estime que le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux (TCSPS) constitue un recul par rapport au Régime d'assurance publique du Canada (RAPC), du fait en particulier que l'élément de solidarité censé être inhérent au RAPC a disparu, et aimerait que la délégation canadienne donne son opinion sur ce point. Elle aimerait en outre que la délégation canadienne explique à quel facteur est imputable le fait qu'au Canada la majorité des pauvres sont des femmes.

37. M. ADEKUOYE fait observer que la féminisation de la pauvreté est imputable au grand nombre de mères célibataires et au fait que les femmes travaillent souvent à mi-temps. Il est paradoxal que dans un pays aussi riche que le Canada, dont l'économie est en expansion, on dénombre autant de pauvres, en particulier des femmes. Cette discrimination du fait de la pauvreté ne vise pas seulement les femmes mais aussi les populations autochtones et il serait bon de savoir ce qu'en pense la délégation canadienne.

38. M. AHMED ajoute que selon le dernier rapport du Conseil national de la protection sociale, le taux de pauvreté des mères célibataires atteint 61,4 % et que 91,3 % des mères célibataires de moins de 25 ans ont un faible revenu. Il demande ce que fait le Gouvernement canadien pour s'attaquer à ce problème.

39. M. MOHER (Canada) indique qu'un exposé sera consacré au RAPC et au TCSPS à la prochaine séance et qu'à cette occasion il sera répondu à toutes les questions s'y rapportant.

40. M. THAPALIA demande à la délégation canadienne de fournir des données ventilées par sexe, âge et origine des demandeurs d'asile et réfugiés qui n'ont pas obtenu le statut de résident permanent au Canada. Il souhaite également avoir des précisions sur la situation des populations autochtones en matière d'emploi, de santé et d'éducation.

41. M. ADEKUOYE croit savoir que certains réfugiés sans papiers doivent attendre cinq ans à compter de la date où le statut de réfugié leur a été reconnu pour être admis au statut de résident permanent et que dans cet intervalle ils n'ont pas le droit de faire venir leur famille au Canada. Cette mesure lui semble discriminatoire et il aimerait avoir l'opinion de la délégation canadienne sur ce point. D'autre part, selon le HCR, les enfants de certains demandeurs d'asile placés en détention pour infraction de la loi sur l'immigration et détenus avec leurs parents n'auraient pas la possibilité d'aller à l'école de ce fait, ce qui constitue une violation de l'article 13 du Pacte.

42. M. AHMED aimerait en particulier avoir des précisions sur les milliers de réfugiés somaliens sans papiers se trouvant depuis plus de 18 mois au Canada sans possibilité de faire venir les membres de leur famille avant cinq années.

43. M. TEXIER aimerait savoir quel est l'organisme compétent en matière d'attribution du statut de réfugié et si un demandeur d'asile démuni de documents d'identité a la possibilité de voir examiner sa demande d'admission au statut de réfugié.

44. M. YURKOVICH (Canada) explique que l'instance chargée de se prononcer sur les demandes d'admission au statut de réfugié est la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada - juridiction administrative quasi autonome ayant toute liberté dans ses décisions et dotée d'un dispositif d'appel en cas de rejet. Une fois qu'un demandeur d'asile muni de documents d'identité s'est vu reconnaître le statut de réfugié, il dispose d'un délai de 180 jours pour solliciter un titre de résident permanent et dans sa demande il peut indiquer les membres de sa famille, vivant au Canada ou à l'étranger, avec lesquels il souhaite être regroupé. Au-delà de ce délai de 180 jours toute personne à charge non mentionnée dans la demande initiale d'admission au statut de résident permanent peut faire l'objet d'un parrainage après l'obtention par le demandeur de son permis de séjour permanent.

45. Si un demandeur d'asile arrive au Canada démuni de tout document d'identité, sa demande d'admission au statut de réfugié est examinée - conformément aux dispositions de la Convention sur le statut des réfugiés -mais si ce statut lui est reconnu il ne peut demander le statut de résident permanent tant qu'il n'a pas présenté de document établissant son identité. Cette mesure de sauvegarde a été introduite pour éviter d'accorder le statut de résident permanent à des criminels, à des personnes constituant une menace pour la sécurité du pays ou à des personnes demandant indûment à recevoir le statut de réfugié. Dans la plupart des cas, les réfugiés sans papiers finissent toutefois par présenter des documents valides et par obtenir un titre de résidence permanente leur permettant de faire venir les membres de leur famille. En 1993, une mesure d'assouplissement a été introduite avec la possibilité pour les réfugiés sans papiers de certains pays où la situation est particulièrement difficile - à l'heure actuelle, il s'agit exclusivement de la Somalie et de l'Afghanistan - de se voir délivrer un titre de résident permanent cinq ans après leur admission au statut de réfugié au sens de la Convention. Depuis 1993, faute de documents d'identité quelque 13 000 personnes n'ont pu obtenir de titre ou de permis de résident -dont quelque 4 000 Somaliens toujours en attente. Les réfugiés sans papiers peuvent cependant rester indéfiniment au Canada, sans être admis au statut de résident permanent, et bénéficier donc malgré tout d'une protection.

46. Pour ce qui est de l'accès au système de soins de santé, tous les demandeurs d'asile et leurs enfants, qu'ils soient arrivés avec eux ou nés au Canada, qui ont besoin de traitements essentiels d'urgence peuvent y avoir accès par l'intermédiaire des régimes mis en place par les gouvernements provinciaux. Les rares exclus du bénéfice de ces régimes sont pris en charge par un programme fédéral intérimaire de santé assurant la prestation des services essentiels urgents, les autres services n'étant pas couverts. Les enfants nés au Canada de demandeurs d'asile sont citoyens canadiens de naissance et donc couverts par les régimes de santé ordinaires. Tous les enfants de demandeurs d'asile et de réfugiés ont accès à l'éducation et il n'y a aucune discrimination à cet égard, même si un retard intervient parfois dans leur inscription. Plusieurs provinces ont même mis en place un dispositif visant à aider les enfants de migrants ou de réfugiés à s'intégrer au système scolaire. En revanche, les prêts d'études et les bourses d'études supérieures ne peuvent bénéficier qu'aux ressortissants canadiens et aux résidents permanents. Il sera répondu à la question relative aux enfants de demandeurs d'asile en détention ultérieurement, une fois que les renseignements à ce sujet auront été obtenus d'Ottawa.

Autodétermination

47. M. WIMER constate que dans le troisième rapport périodique du Canada une seule phrase est consacrée au droit à l'autodétermination visé à l'article 1 et que dans la réponse à la question 23 de la liste portant sur ce même point, le Gouvernement canadien se contente d'affirmer qu'il a l'intention d'appliquer les recommandations de la Commission royale sur les peuples autochtones concernant l'autodétermination, l'autonomie, le contrôle des terres et des ressources et la création d'un tribunal chargé de connaître des affaires concernant les terres et l'application des traités. Au-delà des intentions il serait utile, vu l'importance de la question de l'autodétermination et l'évolution de son traitement en droit international, de savoir ce qui se fait exactement au Canada actuellement sur le plan juridique et dans la pratique pour satisfaire les revendications des autochtones. Certaines dispositions législatives du Canada en la matière sont très avancées mais de nombreuses lacunes persistent et il serait donc utile de savoir comment les droits des populations autochtones sont traités des points de vue de la législation fédérale et de la législation de chacune des provinces et des territoires du Canada. Il serait également intéressant de savoir comment s'articulent les divers régimes concernant les droits des différents groupes autochtones. Un exposé spécifique sur ce point serait le bienvenu vu son extrême importance.

48. Mme BONOAN-DANDAN s'étonne à propos des communautés autochtones que dans la Convention de la Baie-James figure une disposition en vertu de laquelle la législation fédérale donnant effet à cette convention éteindra toutes les revendications, droits, titres et intérêts des autochtones, Indiens et Inuit du territoire concerné. Selon des statistiques récentes, dans une réserve de la nation Shamattawa dans le Manitoba, les conditions de vie sont effroyables, en particulier les conditions de logement, avec pour conséquence un très grand nombre de suicides ou tentatives de suicide. Il serait utile de savoir si le Gouvernement est au courant de cette situation et ce qu'il fait pour y remédier.


La séance est levée à 18 h 5.

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