Distr.

GENERALE

CRC/C/SR.188
18 janvier 1995


Original: FRANCAIS
Compte rendu analytique de la 188ème séance : Colombia. 18/01/95.
CRC/C/SR.188 . (Summary Record)

Convention Abbreviation: CRC
COMITE DES DROITS DE L'ENFANT

Huitième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 188ème SEANCE

tenue au Palais des Nations, à Genève,
le jeudi 12 janvier 1995, à 10 heures

Présidente : Mme BADRAN


SOMMAIRE

Examen des rapports présentés par les Etats parties (suite)

- Rapport initial de la Colombie (suite)


__________

Le présent compte rendu est sujet à rectifications.

Les rectifications doivent être rédigées dans l'une des langues de travail. Elles doivent être présentées dans un mémorandum et être également portées sur un exemplaire du compte rendu. Il convient de les adresser, une semaine au plus tard à compter de la date du présent document, à la Section d'édition des documents officiels, bureau E.4108, Palais des Nations, Genève.

Les rectifications éventuelles aux comptes rendus des séances publiques de la présente session seront groupées dans un rectificatif unique qui sera publié peu après la clôture de la session.

La séance est ouverte à 10 h 15.

EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES (point 4 de l'ordre du jour) (suite)

Rapport initial de la Colombie (suite) (CRC/C/8/Add.3; CRC/C.5/WP.2; CRC/C/15/Add.15)

1. Sur l'invitation de la Présidente, Mme Ocampo de Herrán, M. Vélez et Mme Carrizosa de López (Colombie) prennent place à la table du Comité.

2. La PRESIDENTE rappelle que le Comité a procédé à l'examen du rapport initial de la Colombie (CRC/C/8/Add.3) à sa cinquième session et remercie le Gouvernement colombien, par l'intermédiaire de sa délégation, d'avoir fait parvenir des réponses écrites. Elle propose à la délégation colombienne de commencer par un commentaire général sur la situation actuelle des droits de l'enfant puis de reprendre les questions portées dans la liste (CRC/C.5/WP.2) en mettant en relief simplement les éléments qui peuvent apporter une réponse aux préoccupations exprimées par le Comité.

3. M. KOLOSOV ajoute qu'il serait utile surtout de faire le point sur les réalisations concrètes, en particulier sur la mesure dans laquelle les réformes annoncées en 1994 ont été adoptées et appliquées.

4. Mgr BAMBAREN GASTELUMENDI insiste sur la nécessité pour le Comité d'avoir des renseignements sur l'application pratique des mesures envisagées et souhaiterait que, dans ses réponses, la délégation se fonde le plus possible sur les observations préliminaires du Comité (CRC/C/15/Add.15).

5. Mme OCAMPO de HERRAN (Colombie), directrice générale de l'Office colombien de protection de la famille, après avoir appelé l'attention sur la présence, au sein de la délégation, d'un représentant du bureau du Procureur général de la nation - M. Vélez - et d'un membre de la Commission nationale des droits de l'homme - Mme Carrizosa de López - déclare que M. Samper, élu Président de la République en 1994, a mis d'emblée l'accent, dans son discours d'investiture, sur la nécessité d'une politique de défense des droits de l'homme. Pour la première fois dans l'histoire récente du pays, un président reconnaissait qu'une action publique dans ce domaine était indispensable et demandait à tous les fonctionnaires de veiller tout particulièrement à la protection des minorités ethniques, des enfants et des secteurs les plus démunis, à l'égalité entre hommes et femmes, à l'instauration d'une politique sociale et à une redistribution des revenus plus équitable.

6. Le Président, reconnaissant que la négligence passée de l'Etat avait porté atteinte aux droits de l'homme, affirmait qu'il fallait les faire respecter, de concert avec d'une part les organisations gouvernementales et, d'autre part, les organisations non gouvernementales, nationales ou internationales. Toutefois, si la Colombie vit dans un climat de violence, de guerre non déclarée, où la guérilla, les trafiquants de drogue et les groupes paramilitaires sévissent, elle n'en reste pas moins un pays démocratique qui veut aller de l'avant.

7. Mme Ocampo de Herrán souligne que l'institution qu'elle dirige, créée il y a 26 ans, est l'une des plus anciennes d'Amérique latine. Elle est chargée de mettre en oeuvre des programmes de prévention et de protection en faveur des jeunes et des enfants. S'agissant de prévention, 85 % des besoins alimentaires des enfants de moins de sept ans, issus de familles les plus démunies, sont couverts. Selon des études de l'UNICEF et de la Banque mondiale, 60 % d'entre eux bénéficient de l'aide de l'Office qui agit en collaboration avec la communauté. En milieu rural, les enfants sont confiés àdes mères qui s'occupent d'eux dans leur foyer et reçoivent à cet effet une formation et la moitié du salaire minimum. En moyenne, chacune d'entre elles prend soin de 15 enfants. Ce programme appelé "foyers communautaires familiaux", d'un faible coût pour les pays en développement, a permis d'abaisser le taux de malnutrition infantile de 18 % à 10 %, et de réduire le nombre d'accidents domestiques et de décès d'enfants livrés à eux-mêmes alors que leur mère est au travail. En effet, la Colombie est le pays d'Amérique latine où la participation des femmes au marché du travail est la plus élevée. Un chef de famille sur trois est une femme.

8. Il existe par ailleurs un programme de cantines scolaires, dans les écoles publiques, qui vise à améliorer l'alimentation des enfants et àdiminuer l'abandon scolaire, fréquent parmi les familles pauvres et dans les zones rurales. Deux millions et demi de repas sont servis chaque jour. Toutefois, la situation sanitaire des enfants de moins de sept ans laisse encore à désirer et les pouvoirs publics espèrent l'améliorer.

9. L'Office exécute également des programmes visant à protéger les enfants abandonnés, exposés à des sévices dans leurs propres foyers, à des abus sexuels, exploités au travail ou dont les parents ne subviennent pas à leurs besoins les plus essentiels. Il arrive même que des femmes abandonnent leurs nouveau-nés dans les hôpitaux publics où elles ont accouché. L'Office prend en charge quelque 15 000 enfants abandonnés ou en danger et recherche pour eux une solution juridique et familiale. Il peut placer temporairement les enfants dans des familles d'accueil qui s'occupent d'eux jusqu'à l'âge de 18 ans. Ces familles reçoivent une rémunération de l'Etat; d'autres le font gratuitement àdes fins d'adoption. La plupart des institutions de placement sont privées et contrôlées par l'Institut. En effet, l'Etat estime certes nécessaire d'établir des politiques dans ce domaine mais préfère confier les enfants aux quelque 3 000 institutions civiles et religieuses du pays, qu'il aide par des subventions. Le gouvernement s'efforce d'appuyer davantage les organisations non gouvernementales qui s'occupent d'enfants. Il les a recensées afin de mieux évaluer leurs capacités. Toutefois, la Colombie étant un pays étendu, àla géographie accidentée, il est difficile pour les pouvoirs publics de contrôler directement toutes les organisations non gouvernementales et il n'est pas exclu que dans certaines de ces organisations, dans les régions les plus reculées, des cas de mauvais traitements se soient produits; l'Office s'emploie à mettre en oeuvre des mécanismes de contrôle. A sa demande, la Banque mondiale a approuvé le financement d'un projet d'évaluation et de suivi de ces organisations et foyers.

10. L'Office veille aussi à la protection des jeunes délinquants. En Colombie, la responsabilité pénale est fixée à 18 ans, comme le prévoit le Code du mineur, antérieur à la ratification de la Convention. La question de l'abaissement de l'âge de la responsabilité pénale divise la société colombienne. Mme Ocampo de Herrán, à l'instar du gouvernement, estime qu'il faut maintenir la majorité pénale à 18 ans afin de donner aux jeunes délinquants, même s'ils ont commis des homicides ou ont été liés à la guérilla ou au trafic de drogue, la possibilité de se réinsérer dans la société. Il en va de l'avenir du pays. A cet égard, la Colombie s'aligne sur la Convention. Ces mineurs jouissent d'une protection juridique. La police des mineurs, créée en vertu du Code du mineur, est responsable des enfants de 12 à 18 ans. Les fonctionnaires de ce corps de police doivent avoir achevé leurs études secondaires et sont dûment formés à leurs tâches. Conformément à la Constitution, il a été instauré une juridiction des mineurs et il existe dans tout le pays près de 250 juges des mineurs.

11. Outre la police des mineurs et les juges pour enfants, existent les défenseurs de la famille, qui sont des avocats spécialisés dans le droit de la famille, rattachés à l'Office colombien de protection de la famille. Au nombre de 650, ils sont chargés de résoudre les conflits au sein de la famille et de représenter en justice les mineurs en situation de conflit avec la loi pénale et ce, même si le mineur bénéficie des services d'un avocat. Le défenseur de la famille assiste à tous les entretiens que le juge peut avoir avec le mineur, suit le déroulement de la procédure et veille à ce qu'une décision de justice soit prise rapidement. Toutefois, comme tous les fonctionnaires, les défenseurs de la famille ne sont pas assez sensibilisés aux problèmes des enfants et des familles dont ils s'occupent et, ce qui est plus grave, font traîner en longueur les procédures visant à définir la situation juridique des enfants qu'ils représentent. Afin de résoudre ce problème, un programme de formation a été mis en place pour sensibiliser les défenseurs de la famille sur le plan affectif, émotionnel et psychologique. Mme Ocampo de Herrán tient à souligner que les mineurs délinquants ne sont pas détenus dans des prisons ordinaires, avec les adultes, mais dans des établissements de rééducation. Ces établissements, dont la mise en place a commencé en 1991 et se poursuit activement puisque les autorités compétentes espèrent en ouvrir dans chaque région, peuvent recevoir 150 à 200 jeunes environ. Ils sont administrés par des organismes religieux et par la communauté, et emploient des éducateurs. Conformément au Code du mineur, un jeune ne peut être privé de liberté pendant plus de trois ans. Cela étant, il y a actuellement 45 000 jeunes détenus en Colombie dont 15 000 sont âgés de 12 à 18 ans. Afin de lutter contre la violence dans le pays, un programme intitulé "La paz empieza por casa" (La paix commence à la maison) a été mis en place pour prévenir les mauvais traitements et les dissensions dans la famille. Il consiste à diffuser des messages à la télévision, à la radio et dans la presse en faveur de la tolérance et des valeurs sociales. En tant que directrice de l'Office colombien de protection de la famille, Mme Ocampo de Herrán a engagé des négociations avec les annonceurs publicitaires privés pour qu'ils fassent mention des valeurs sociales et du principe de la tolérance dans leurs slogans publicitaires. Un prix sera décerné à la fin de l'année pour couronner le meilleur slogan.

12. La PRESIDENTE remercie la délégation colombienne de ses informations complémentaires et invite les membres du Comité à poser des questions et àdemander des précisions aux représentants de la Colombie en tenant compte des principaux sujets de préoccupation et des suggestions contenus dans les observations préliminaires formulées lorsqu'ils ont commencé l'examen du rapport initial de la Colombie à leur cinquième session (CRC/C/15/Add.15).

13. Mgr BAMBAREN GASTELUMENDI, se référant au paragraphe 6 des observations préliminaires du Comité (CRC/C/15/Add.15) où ce dernier s'inquiétait de l'écart important entre les lois adoptées pour promouvoir et protéger les droits de l'enfant et leur application pratique, aimerait savoir quelles mesures ont été prises pour remédier à la situation.

14. Mme OCAMPO de HERRAN (Colombie) indique que la mise en place de programmes alimentaires et pédagogiques et la création d'organismes de protection et de prévention démontrent que l'écart entre les lois adoptées en faveur de l'enfant et leur application commence à s'atténuer. Elle invite les membres du Comité à prendre connaissance d'une étude publiée récemment par l'UNICEF sur les réalisations obtenues en Colombie en faveur des enfants ces vingt dernières années. Cette étude démontre que l'action du gouvernement a eu une incidence importante sur la situation de l'enfant. Par ailleurs la Colombie consacre 2,5 à 3 % de son produit intérieur brut aux programmes de santé, d'éducation et de protection familiale, ce qui atteste la volonté du gouvernement d'appliquer une politique résolue en faveur des enfants et des jeunes. Néanmoins, il faut reconnaître que la violence et l'impunité font partie des réalités de la Colombie que l'on ne peut occulter; les mesures àprendre pour lutter contre la violence et l'impunité doivent être générales et ne doivent pas concerner uniquement les enfants et les jeunes, mais doivent viser la société tout entière.

15. Mme SANTOS PAIS demande, concrètement, quelles mesures ont été prises ou sont envisagées pour lutter contre la violence. Par exemple, selon des rapports qui ont été publiés, de nombreux enfants seraient assassinés et les auteurs de ces assassinats seraient liés à la police ou à l'armée; il faudrait savoir si des mesures ont été prises pour prévenir ces actes et notamment si les membres des forces de l'ordre et de l'armée ainsi que les responsables de l'application des lois reçoivent une formation dans le domaine des droits de l'homme et, dans l'affirmative, quelle est la fréquence des cours et le nombre de ces personnes qui en ont bénéficié. Mme Santos País voudrait aussi savoir si des cours dans le domaine des droits de l'homme sont dispensés à l'école. Se référant au manque de coordination entre les différentes entités, relevé au paragraphe 6 des observations préliminaires, Mme Santos País aimerait savoir quels sont les efforts déployés pour renforcer la coordination des activités entreprises en faveur des enfants.

16. Mgr BAMBAREN GASTELUMENDI demande si, comme l'a suggéré le Comité dans ses observations préliminaires, des mesures énergiques ont été prises pour garantir les droits des enfants faisant partie des groupes vulnérables, si des actions ont été rapidement engagées en cas de plainte faisant état de cas de disparition, de meurtre ou de trafic présumé d'organe, si des enquêtes approfondies et systématiques ont été menées et si les coupables de violations à l'encontre des enfants ont été sévèrement punis.

17. Mme BELEMBAOGO fait observer que tant que des mesures efficaces pour lutter contre la violence n'auront pas été prises, les efforts déployés par le gouvernement et les organisations non gouvernementales pour promouvoir les droits de l'enfant resteront vains et les programmes d'évaluation des services gouvernementaux et non gouvernementaux n'aboutiront à aucun résultat. La violence est le premier problème auquel les autorités colombiennes doivent donc s'attaquer et à cet égard, Mme Belembaogo se demande si avant toute chose le Gouvernement colombien ne devrait pas mener une action contre les groupes paramilitaires qui ont recours à la violence, notamment à l'égard des enfants, et qui mettent en échec tous ses efforts.

18. Mme SARDENBERG se demande comment la population colombienne réagit face aux efforts déployés par le gouvernement en faveur de la démocratie et de la défense des droits de l'homme. Se référant au paragraphe 2 des observations préliminaires, où le Comité regrettait de ne pas avoir reçu suffisamment de précisions sur la situation actuelle des enfants en Colombie, elle aimerait savoir quelles mesures ont été adoptées pour protéger en particulier les enfants des rues. S'agissant de la coordination des efforts entrepris, elle s'interroge sur la nature des relations entre l'Office colombien de protection de la famille et le gouvernement. En ce qui concerne la situation de la femme, Mme Sardenberg relève que dans un foyer sur trois le chef de famille est une femme et se demande ce qui est fait pour aider les mères célibataires qui sont obligées de travailler, et par conséquent de laisser leurs enfants seuls, et pour sensibiliser les hommes à la question de l'abandon. Enfin, elle aimerait savoir si des mesures sont prises pour réduire les disparités qui existent dans le pays tant au niveau économique que social.

19. La PRESIDENTE rappelle aux membres du Comité qu'ils doivent s'abstenir de revenir sur des questions qui ont déjà été traitées, pour approfondir le dialogue avec la délégation colombienne dans chacun des domaines critiques identifiés dans les observations préliminaires. En l'occurrence, il s'agit d'approfondir le débat sur la question de la violence et de la coordination des efforts entrepris.

20. Mme SANTOS PAIS fait observer que la violence est un phénomène endémique en Colombie, qui ne peut qu'avoir des incidences dans les secteurs de la santé et de l'éducation notamment. Le Comité doit donc nécessairement tenir compte d'un tel facteur quand il examine l'action menée par l'Etat partie pour donner effet à la Convention.

21. M. KOLOSOV souhaite savoir ce qu'a fait, en pratique, l'Office de défense des droits de l'enfant, de la femme et des personnes âgées pour les enfants qui vivent dans la rue. Par ailleurs, la délégation colombienne a indiqué que les membres des forces de police recevaient une formation aux droits de l'homme. Or il semble que, dans la réalité, les droits de l'enfant ne soient toujours pas respectés par la police. On est donc fondé à s'interroger sur la nature des difficultés qui empêchent les membres des forces de sécurité d'appliquer l'enseignement qu'ils ont reçu en matière de droits de l'homme. Enfin, selon le rapport de la Colombie (par. 199), "un mineur de moins de 18 ans n'est pas pénalement responsable", et "s'il a commis un acte illicite, il n'en est pas coupable". Il est précisé en outre que dans le cas des mineurs de moins de 18 ans, "l'on ne raisonne pas en termes de peines ou de sanctions". Cependant, il semblerait qu'il y ait des mineurs emprisonnés. Il y a là une contradiction qui appelle des précisions.

22. Mme OCAMPO de HERRAN (Colombie) explique que la politique du Gouvernement colombien vise à atteindre une certaine égalité économique au sein de la population. Dans ce contexte, deux éléments ont été pris en compte. D'une part, les autorités colombiennes souhaitent tout mettre en oeuvre pour satisfaire les besoins fondamentaux de la population, notamment en matière de santé et d'approvisionnement en eau potable, et prévoient donc de construire les infrastructures nécessaires. D'autre part, étant donné que la population vivant au-dessous du seuil de pauvreté consacre en moyenne 90 % de son revenu à l'achat de nourriture, le Gouvernement colombien a décidé d'apporter une aide alimentaire aux familles les plus pauvres, afin de leur permettre de consacrer une part plus importante de leur revenu à l'amélioration de leur logement ou à l'achat de vêtements, par exemple. Enfin, les autorités colombiennes s'efforcent d'encourager la création d'emplois productifs dans les zones rurales et urbaines les plus pauvres du pays grâce, notamment, à des facilités de crédit octroyées aux petites entreprises familiales et à la création d'emplois dans le secteur des services sociaux.

23. S'agissant du problème des enfants qui vivent dans la rue, il convient de souligner que ces derniers, souvent des garçons, sont poussés à cette extrémité par la pauvreté ou par les mauvais traitements dont ils sont victimes dans leur famille. En effet, il faut malheureusement reconnaître que nombre de femmes colombiennes sont abandonnées avec leurs enfants par les pères. Elles se remarient en général plusieurs fois et leurs nouveaux maris maltraitent souvent les enfants nés d'un premier mariage. A cet égard, les autorités colombiennes veulent mettre au point une politique de responsabilisation des pères, qui pourrait être considérée comme une politique de prévention en ce qui concerne le problème des enfants des rues. Cette politique de responsabilisation des pères, ou des futurs pères, sera, par exemple, mise en oeuvre dans le cadre du Programme national d'éducation sexuelle, qui sera lancé le 1er février 1995. Par ailleurs, en ce qui concerne le problème des enfants des rues, deux positions contradictoires s'affrontent : certains pensent qu'il faut laisser les enfants qui le souhaitent vivre dans la rue, tout en veillant à ce qu'ils ne manquent ni de nourriture ni de vêtements et d'autres estiment qu'il faut mettre à la disposition des enfants des rues des établissements suffisamment confortables et attrayants pour qu'ils n'aient plus envie de retourner dans la rue. L'Office colombien de protection de la famille partage le deuxième avis; toutefois, il est à l'évidence nécessaire de coordonner les activités de l'Office, des autorités locales et de la police, afin que chaque entité prenne ses responsabilités en la matière.

24. S'agissant de la coordination des activités des différentes institutions chargées des droits de l'enfant, il convient de souligner que le Service du Défenseur du peuple, le bureau du Procureur général et le parquet disposent tous trois de services spécialisés dans la défense des droits de l'enfant et de la famille. Même si ces diverses institutions ont des difficultés àcoordonner leurs activités, leur existence est extrêmement utile et crée un climat incitant les fonctionnaires à ne plus agir de manière arbitraire.

25. En ce qui concerne la formation aux droits de l'homme des forces de police, Mme Ocampo de Herrán tient à préciser que ce sont les membres du secteur spécial de la police des mineurs, 500 personnes au plus pour l'ensemble du pays, qui reçoivent une formation spécialisée concernant les droits de l'enfant; les membres de la police nationale, soit environ 100 000 personnes, ne bénéficient pas d'une telle formation. Il est vrai que certains membres de la police nationale commettent parfois des excès. Les organismes de contrôle en sont conscients et prennent des mesures au point qu'un grand nombre de fonctionnaires de police sont révoqués chaque année. Mais ces mesures disciplinaires sont une arme à double tranchant puisque les fonctionnaires révoqués, qui connaissent parfaitement les méthodes de la police, rejoignent souvent des bandes criminelles ou des groupes paramilitaires.

26. M. VELEZ (Colombie), qui appartient au bureau du Procureur général de la nation, dit qu'une réforme de la Constitution a été rendue nécessaire par la violence endémique dont la Colombie était le théâtre : en dix ans, quatre candidats à la présidence de la République, plus de 2 000 policiers, plus de 200 juges et magistrats et un très grand nombre de civils ont été assassinés. Pour lutter contre ce fléau, il a été procédé à une réforme de la justice, qui était le parent pauvre de l'Etat, les juges manquant de moyens et travaillant de manière isolée. La part du budget national qui lui est consacrée est passée de 1,7 % en 1987 à 14 % en 1994.

27. Une juridiction spéciale a été créée pour connaître des délits commis par les terroristes, les trafiquants de drogue et les groupes paramilitaires. Par ailleurs, en application de la nouvelle Constitution, le bureau du Procureur général de la nation a été créé, avec pour mandat de définir la politique pénale de l'Etat. Il est seul habilité à enquêter sur les délits et à inculper les auteurs présumés de ces délits. La nouvelle politique repose sur deux principes essentiels : l'indépendance du pouvoir judiciaire à l'égard du pouvoir exécutif et la coordination des différents services. Plusieurs unités ont été établies au sein du bureau du Procureur général : l'une est chargée d'enquêter sur la corruption, une autre sur les homicides et une autre enfin sur les violations des droits de l'homme. Le bureau du Procureur général de la nation lutte avec succès contre l'impunité, grâce à la coordination de ses différents services. C'est ainsi que pendant ses deux premières années de fonctionnement, les inculpations pour atteinte à l'ordre public et les inculpations pour des délits commis par des organisations criminelles ont augmenté respectivement de 80 % et de 170 %.

28. On voit donc que le gouvernement s'emploie activement à mettre un terme àla violation des droits de l'homme, qu'il considère comme une tragédie nationale, notamment en appliquant les instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme.

29. La PRESIDENTE voudrait savoir quelles mesures le gouvernement a prises pour accroître la portée et la qualité des services destinés aux enfants et pour les étendre aux groupes vulnérables, en particulier dans les domaines de l'éducation et des soins de santé. Il serait utile en particulier de connaître la part du budget consacrée à l'enfance.

30. Mme SANTOS PAIS se demande si le gouvernement n'aborde pas le problème des enfants dans un angle par trop économique, caractérisé par la recherche de la "qualité au moindre coût". Elle rappelle qu'en vertu de l'article 4 de la Convention les Etats parties se sont engagés à prendre des mesures en faveur de l'enfance dans toutes les limites des ressources dont ils disposent. Il serait intéressant de savoir exactement quelle est la proportion du budget national consacrée à l'enfance et quelles mesures sont prises en faveur des enfants défavorisés, notamment les enfants des rues.

31. Mme BELEMBAOGO souhaiterait des précisions sur les projets de rééducation et de réinsertion des enfants en situation difficile et en particulier sur les institutions mises en place pour accueillir ces enfants. Il serait intéressant de savoir pourquoi de nombreux enfants quittent ces institutions pour retourner à la rue où ils sont pourtant en butte à la violence. Faut-il incriminer un manque de ressources ou de personnel d'encadrement ?

32. Mlle MASON souhaiterait avoir de plus amples renseignements sur les sévices sexuels dont sont victimes les enfants défavorisés, notamment les enfants des rues. On sait par exemple que de nombreux viols sont commis par les membres de la police sur ces enfants, ce qui conduit à se demander si une éducation sexuelle est dispensée aux policiers et si les enfants victimes de sévices sexuels ou de la prostitution bénéficient de mesures de réadaptation et de réinsertion sociale, conformément à l'article 39 de la Convention. Il serait également intéressant de savoir si les sévices sexuels commis au sein de la famille sont un problème dont les enfants qui en sont victimes n'osent pas parler.

33. Enfin, Mlle Mason demande si le gouvernement mène une action pour éviter que les enfants victimes du SIDA ne soient victimes de discrimination, notamment dans le domaine de l'enseignement et des soins de santé.

34. Mgr BAMBAREN GASTELUMENDI dit que l'orientation qu'a prise l'éducation sexuelle en Colombie, qui a été le premier pays de la région à mener une politique de limitation des naissances afin de lutter contre la pauvreté, a sans doute contribué à la désintégration de la famille et à la dépréciation de la valeur de l'enfant qui a fini par être considéré comme un mal. Les enfants des rues sont tout particulièrement victimes de cette image négative. Il conviendrait donc que le gouvernement reconsidère sa politique en la matière. Mgr Bambaren Gastelumendi souhaiterait par ailleurs savoir si l'Office colombien de protection de la famille coopère avec l'UNICEF.

35. Mme OCAMPO de HERRAN (Colombie) répond qu'en 1994 le budget de l'Office colombien de protection de la famille a représenté 49 % du PIB, contre 37 % en 1990, soit une augmentation considérable qui a permis d'accroître à la fois la portée et la qualité des services destinés aux enfants. Ces chiffres témoignent de l'importance capitale que le Gouvernement colombien attache à la protection de l'enfance.

36. Quant aux enfants des rues, le gouvernement a modifié radicalement sa politique à leur égard. Alors qu'il s'efforçait auparavant d'améliorer leur situation dans le cadre de la rue, il cherche à présent à les convaincre d'aller dans des institutions mises en place à leur intention.

37. S'agissant des sévices sexuels infligés aux enfants au sein de la famille, force est de reconnaître que comme la plupart des pays, la Colombie est relativement impuissante face à ce problème car ces sévices sont rarement dénoncés. En revanche, l'Etat lutte activement contre la prostitution et l'exploitation sexuelle des enfants. En 1994, il a ainsi mis sur pied un programme visant à prévenir ce fléau et à assurer la réadaptation des nombreux enfants qui en sont victimes. Une enquête menée en 1994 en collaboration avec la municipalité de Bogota et la Chambre de commerce a révélé qu'entre 5 000 et 7 000 enfants étaient victimes de la prostitution dans cette ville et que la prostitution masculine avait augmenté de manière alarmante. Pour venir en aide à ces enfants, deux centres d'accueil temporaire ont été créés àBogota et des foyers d'hébergement permanent seront prochainement ouverts dans quatre villes du pays avec le soutien financier de plusieurs Etats. Le budget de ce programme s'élève à 10 millions de dollars. En ce qui concerne le SIDA, l'Office colombien de protection de la famille n'a recensé que cinq enfants abandonnés atteints de cette maladie, lesquels ont été intégralement pris en charge. Quant à la politique d'éducation sexuelle du gouvernement, il faut savoir qu'elle s'inscrit dans le cadre d'un programme à l'élaboration duquel ont participé de nombreux experts internationaux, en particulier des enseignants et des éducateurs, et qu'elle vise au développement intégral de la personne et au bien-être de la société dans son ensemble. Il s'agit non seulement de planifier les naissances mais aussi de veiller à la santé des mères et des enfants, notamment en luttant contre les maladies sexuellement transmissibles, telles que le SIDA. Les Etats doivent regarder la réalité en face et assumer leurs responsabilités en prévenant les avortements, les naissances non désirées et les maladies sexuellement transmissibles. Cette politique répond à une nécessité à la fois biologique, psychologique (respect de soi et respect d'autrui) et sociale (responsabilité de l'individu à l'égard de sa famille et de la société).

38. Enfin, on s'efforce de donner quelque instruction aux enfants marginalisés non scolarisés en recourant aux moyens de communication. Il faut préciser qu'en matière de scolarisation, des progrès importants ont été enregistrés puisque dans les villes le taux de scolarisation dépasse 95 % et qu'à la campagne il est passé de 20 % à 40 % en moyenne.

La séance est levée à 13 heures.

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