CCPR

NATIONS

UNIES

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Pacte international

relatif aux droits civils

et politiques

 

 

 

 

Comment                       Distr.

                      GENERALE

 

                      CCPR/C/SR.1459

                      30 octobre 1995

 

                      Original : FRANCAIS

 

 

 

 

COMITE DES DROITS DE L'HOMME

 

Cinquante-cinquième session

 

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 1459ème SEANCE

 

tenue au Palais des Nations, à Genève,

le mercredi 25 octobre 1995, à 10 heures

       

 

Président : M. AGUILAR URBINA

                              puis : M. EL SHAFEI

 

 

SOMMAIRE

 

Examen des rapports présentés par les Etats parties conformément à l'article 40 du Pacte (suite)

 

          Rapport initial de l'Estonie (suite)

 

 

 

 

 

 

__________

 

          Le présent compte rendu est sujet à rectifications.

 

          Les rectifications doivent être rédigées dans l'une des langues de travail. Elles doivent être présentées dans un mémorandum et être également portées sur un exemplaire du compte rendu. Il convient de les adresser, une semaine au plus tard à compter de la date du présent document, à la Section d'édition des documents officiels, bureau E.4108, Palais des Nations, Genève.

 

          Les rectifications aux comptes rendus des séances publiques de la présente session seront groupées dans un rectificatif unique qui sera publié peu après la clôture de la session.

 

GE.95-19199 (F)

 


La séance est ouverte à 10 h 15.

 

EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES CONFORMEMENT A L'ARTICLE 40 DU PACTE (point 4 de l'ordre du jour) (suite)

 

Rapport initial de l'Estonie (suite) (CCPR/C/81/Add.5; HRI/CORE/1/Add.50)

 

1.       Mme Lepik, Mme Hion, Mme Kelam, M. Jürgenson et M. Israel (Estonie) prennent place à la table du Comité.

 

2.       Le PRESIDENT déclare qu'avant de donner la parole à la délégation estonienne, il a le triste devoir de faire part de la nouvelle du décès d'un ancien membre du Comité, Andrés Aguilar, devenu juge à la Cour internationale de Justice. Le Comité adressera ses condoléances et ses marques de sympathie à la famille d'un collègue très estimé.

 

3.       Le Président invite la délégation estonienne à répondre aux questions posées par les membres du Comité.

 

4.       M. JÜRGENSON (Estonie) déclare qu'avant de répondre aux questions de fond, il se doit de réagir à un document intitulé "Déclaration du Ministère des affaires étrangères de la Fédération de Russie" relatif aux négociations entre l'Estonie et la Russie en vue de l'élaboration d'un traité frontalier, lequel a été bel et bien distribué aux membres du Comité le lundi 23 octobre. Si, bien évidemment, le Comité des droits de l'homme n'est pas le lieu pour débattre de conflits bilatéraux, la distribution de ce document constitue un nouvel exemple fâcheux de la campagne menée contre l'Estonie depuis trois ans, et par conséquent la délégation estonienne se doit de mettre les choses au point.

 

5.       La communauté internationale, ainsi que la Fédération de Russie, ont reconnu le rétablissement de l'indépendance de l'Estonie, sur la base de la continuité, de sorte que le droit légitime de l'Estonie sur les territoires annexés à la Fédération de Russie au début de 1945 a également été reconnu. Soucieux de chercher à améliorer les relations avec la Russie, selon une approche pragmatique, le Gouvernement estonien a annoncé voilà un an publiquement qu'il était prêt à signer un traité fixant comme frontière d'Etat l'actuelle ligne de contrôle, renonçant ainsi à toute revendication sur les territoires occupés. Etant donné que le document de base de l'Estonie (HRI/CORE/1/Add.50) a été adressé au Secrétariat à l'été de 1995 et que le rapport initial (CCPR/C/81/Add.5) est daté du 7 octobre 1994, la délégation estonienne est fondée à qualifier la déclaration russe d'acte inamical conscient, visant à induire en erreur les membres du Comité et d'autres encore.

 

6.       Les membres du Comité ont été nombreux à regretter le caractère théorique du rapport de l'Estonie et l'absence de renseignements concrets sur l'application pratique de la législation. La délégation accepte cette critique, et il en sera tenu compte lors de la préparation du prochain rapport. Toutefois, il faut bien voir que c'est la première fois que l'Estonie apparaît devant le Comité et que, de surcroît, l'expérience acquise de l'application de la législation n'est guère abondante. En revanche le nombre des lois adoptées en très peu de temps est considérable, et les autorités estoniennes ont jugé utile de présenter au Comité des droits de l'homme les éléments fondamentaux de la législation nouvelle. Le Parlement a adopté plus de 300 lois et décrets par an, mais ces textes n'ont pas encore tous passé l'épreuve de l'application pratique. De même, la pratique des tribunaux est encore limitée. C'est là une des raisons qui expliquent le manque de statistiques systématiques dans des domaines essentiels. Il faut souligner que l'Estonie est reconnue comme un Etat de droit, qui obéit au principe de la légalité dans l'exercice du pouvoir et où, pour l'essentiel, la théorie et la pratique coïncident. Les bases mêmes de la législation estonienne, la continuité juridique de la République, la loi relative à la citoyenneté et divers autres textes législatifs en découlant ont effectivement été acceptés par la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, par le Conseil de l'Europe ainsi que par la plupart des pays du monde.

 

7.       En ce qui concerne les questions relatives à la citoyenneté, il faut d'abord rappeler que la citoyenneté estonienne n'est en aucune manière subordonnée à l'appartenance à un groupe ethnique. 75 % de la population ont la citoyenneté estonienne - ce qui comprend 100 000 personnes d'origine non estonienne -, 5 % sont citoyens de la Fédération de Russie et 20 % n'ont pas encore décidé de la citoyenneté qu'ils allaient choisir. Les hésitations de ces derniers s'expliquent par le fait qu'il s'agit de personnes qui ont à prendre seules des décisions sérieuses concernant leur avenir pour la première fois et par le fait que la notion même de citoyenneté au sein d'une démocratie est nouvelle pour elles.

 

8.       Certes, la société estonienne se heurte à des difficultés considérables, dues à 50 ans d'occupation et de russification; mais elle n'a jamais cherché à les surmonter en créant une société mono-ethnique, convaincue au contraire que tous les éléments de la société ont un rôle à jouer dans l'avenir du pays. Le gouvernement a donc pris l'initiative d'une loi sur la citoyenneté qui est souvent qualifiée par les observateurs comme étant l'une des plus libérales d'Europe; il a ainsi organisé, avec l'aide d'autres pays et d'organisations internationales, l'enseignement linguistique, en donnant également un appui financier et d'autre nature aux établissements scolaires et universitaires dispensant un enseignement en russe. Il faut rappeler que, comme la plupart des pays d'Europe, l'Estonie applique le jus sanguinis et non le jus soli pour l'acquisition de la citoyenneté. Ceci dit, le fait d'être né sur le territoire estonien présente pour l'intéressé un seul avantage : probablement de remplir sans difficulté toutes les conditions de naturalisation. Il faudra du temps pour surmonter tous les problèmes hérités du passé, mais les autorités estoniennes pensent être dans la bonne voie. Le Comité remarquera qu'aucun cas de violence pour des motifs ethniques n'a été signalé depuis 1988 et, d'après une étude menée par un conseiller russe, 87 % des Russes vivant en Estonie déclarent n'avoir jamais été en butte à quelque conflit que ce soit avec la population locale.

 

9.       Pour ce qui est de la question plus précise des prénoms et patronymes des minorités, elle ne pose plus aucun problème en Estonie. De nombreux noms estoniens ont été russifiés de force sous le régime soviétique, mais actuellement chaque couple a le droit de prendre le nom du mari ou le nom de la femme ou conserver l'ancien nom. Pour les prénoms, la seule interdiction vise à protéger les enfants et on comprendra que des prénoms ridicules ne soient pas autorisés. La relation entre la citoyenneté et le droit de vote a également été évoquée. Il ne semble pas déraisonnable de n'accorder qu'aux seuls citoyens le droit de voter lors d'élections générales, et le Comité se souviendra qu'en revanche tous les résidents permanents, citoyens ou non, ont le droit de vote lors d'élections locales, ce qui n'est pas courant dans le monde et devrait attester la volonté des autorités estoniennes de maintenir les minorités ethniques présentes en Estonie et non de les en chasser.

 

10.     En mars 1995, des élections libres se sont déroulées pour la deuxième fois en quatre ans, la durée du mandat des députés élus au Parlement en octobre 1992 ayant été ramenée de quatre ans à deux ans et demi pour donner à tous les non-citoyens le temps d'acquérir la citoyenneté et de participer au plus tôt à la vie politique. Les élections ont été suivies par de nombreux observateurs internationaux, qui ont conclu qu'elles avaient été libres, équitables et régulières, donnant à l'Estonie sa place parmi les démocraties parlementaires européennes. A l'issue des élections de mars 1995, des députés de langue russe ont pu être représentés au Parlement et ont constitué un groupe de six membres, sur les 101 membres que compte le Parlement. En avril, le nouveau gouvernement a été formé par des partis qui s'opposaient avant les élections. Cela montre que nos partis sont égaux et que les électeurs jouissent effectivement de la liberté de choix.

 

11.     Certains membres du Comité se sont inquiétés de "brutalités policières" et de l'existence de groupements militaires ultranationalistes. L'incidence des brutalités policières est faible en Estonie, et tous les cas dénoncés font l'objet d'une enquête approfondie, les responsables étant punis en fonction de la nature de l'infraction. Ainsi, en septembre 1995, un policier a été condamné à sept ans d'emprisonnement pour avoir tiré sur un passant lors d'une opération de police. Il n'existe pas de groupement militaire ultranationaliste, mais la confusion tient peut-être à l'existence d'une organisation volontaire de défense appelée Kaitseliit (Ligue de défense), qui relève du quartier général des forces de défense estoniennes. Ce genre de groupe volontaire de défense est courant dans un grand nombre de pays d'Europe, et ne saurait être qualifié d'ultranationaliste par aucun pays à l'exception peut-être d'un seul.

 

12.     Un membre du Comité a demandé quelle avait été l'incidence de l'application du Pacte sur la vie de la population quand l'Estonie faisait de facto partie d'un autre pays. A cette époque, les Estoniens n'étaient jamais consultés sur la direction de leurs affaires et nul n'ignore l'absence totale de respect des droits fondamentaux dans l'URSS. La plupart des livres consacrés aux droits de l'homme étaient même interdits. Pour ce qui est des 2 000 km2 encore occupés par la Fédération de Russie - mentionnés par l'un des membres du Comité - le Gouvernement estonien n'est pas responsable de la situation qui y règne en ce qui concerne les droits de l'homme, car ces territoires ne sont pas sous sa juridiction.

 

13.     Enfin, M. Jürgenson traitera de la situation des personnes qui avaient pris part au fonctionnement de l'appareil répressif de l'ancien régime. Il faut savoir tout d'abord que le seul fait d'avoir appartenu au Parti communiste n'a aucune conséquence pratique. La législation et l'attitude générale à l'égard des anciens éléments des organes répressifs est on ne peut plus libérale, et aucun cas de discrimination pour obtenir un emploi public ou pour être élu au Parlement n'a été rapporté.

 

14.     Toutes les institutions de l'Etat ont entrepris d'analyser la législation interne au regard du Pacte et toute aide qui peut leur être apportée pour mener cette tâche à bonne fin sera bienvenue.

 

15.     M. EL Shafei prend la présidence.

 

16.     Mme LEPIK (Estonie) complétera tout d'abord les réponses aux très nombreuses questions qui ont été posées au sujet de la citoyenneté. L'Estonie n'applique aucun système de quota ni de limite au nombre des personnes pouvant demander la citoyenneté. L'étranger qui veut être naturalisé estonien doit être âgé de 15 ans révolus; il doit avoir résidé en Estonie au bénéfice d'un permis de résidence permanent pendant au moins cinq ans avant de présenter la demande, et devra y résider pendant un an à compter du jour qui suit le dépôt de la requête. Il doit avoir le niveau de connaissance de la langue estonienne qui est requis par la loi, doit connaître la Constitution estonienne et doit savoir ce que contient la loi sur la citoyenneté. Ces trois dernières conditions ne s'appliquent pas aux enfants de moins de 15 ans. Le requérant doit justifier d'une source légale permanente de revenu garantissant sa propre subsistance et celle des personnes à sa charge, condition définie en détail à l'article 7 de la loi relative à la citoyenneté. Il doit être loyal à l'égard de la République d'Estonie et prêter serment. On notera que tous les titulaires d'une autorisation de séjour soviétique (propiska) qui se trouvaient en Estonie avant le 1er juillet 1990 sont dispensés de l'obligation d'avoir résidé pendant cinq ans mais doivent remplir les autres conditions. Les enfants de moins de 15 ans acquièrent automatiquement la citoyenneté estonienne quand leurs parents l'obtiennent. La naturalisation s'obtient après renoncement à l'ancienne citoyenneté, la double citoyenneté n'étant pas reconnue. Le mariage avec un citoyen estonien ne donne pas automatiquement priorité pour obtenir la citoyenneté. Il facilite toutefois l'obtention d'un permis de résidence et donne au conjoint la possibilité de vivre en Estonie, ce qui lui permet de réunir aisément les conditions d'obtention de la citoyenneté.

 

17.     Pour ce qui est de la situation des mineurs, Mme Lepik précise que tout enfant né d'un parent estonien ou tout enfant trouvé sur le territoire estonien de parents inconnus, est citoyen estonien. Nul ne peut être privé de la citoyenneté estonienne acquise par la naissance.

 

18.     L'intégration dans la société estonienne passe par la connaissance d'un minimum de langue estonienne. La loi prévoit que quiconque a achevé des études primaires, secondaires ou supérieures en langue estonienne sera dispensé de l'examen. Les autres doivent passer un examen portant sur leur connaissance des rudiments nécessaires à la vie quotidienne. La condition linguistique ne présente aucune difficulté pour les jeunes et les personnes d'âge moyen. Il en va autrement de personnes âgées qui se sont toujours tenues à l'écart de la société estonienne, et une aide est prévue à leur intention : des cours de langue sont organisés, avec l'assistance financière et technique d'organisations européennes. Dans tous pays, des conditions sont imposées pour obtenir la nationalité, et elles ne sont pas plus compliquées ni plus difficiles à remplir en Estonie qu'ailleurs. Au demeurant, au 1er octobre 1995, plus de 60 000 naturalisations avaient été accordées et près de 20 000 dossiers étaient en cours d'examen.

 

19.     Il existe deux sortes de permis de résidence. Des permis temporaires sont accordés, pour une période pouvant aller jusqu'à cinq ans, aux fins de travail, d'études, pour vivre avec un proche parent ou avec un conjoint estonien. Les permis de résidence permanents peuvent être délivrés aux personnes qui ont résidé en Estonie en étant titulaires d'un permis temporaire pendant au moins trois des cinq années précédant la demande, qui ont un domicile et un emploi ou toute autre source légale de revenus. L'étranger détenteur d'un permis de résidence temporaire doit également justifier d'un permis de travail. A ce jour, environ 32 700 étrangers, dont la grande majorité vivent déjà en Estonie, ont demandé un permis de résidence. La procédure est très simple et il existe dans chaque ville un bureau local chargé de recevoir les demandes.

 

20.     En ce qui concerne les documents de voyage, il faut préciser que les étrangers qui vivent en Estonie et n'ont pas encore décidé s'ils allaient demander la citoyenneté ont généralement conservé l'ancien passeport intérieur soviétique, qui n'est pas reconnu par les autres pays. Ils ont donc besoin d'un document de voyage délivré à titre temporaire par le Conseil estonien de la citoyenneté et de l'immigration. Ce document s'obtient généralement en un jour, et sa validité est reconnue dans un grand nombre de pays.

 

21.     Quant aux emplois qui sont réservés aux citoyens estoniens, ce sont les postes de la fonction publique, la charge de magistrat ou de représentant du ministère public, le métier d'avocat, les tâches de la police et le commandement de navires.

 

22.     La loi relative à l'autonomie culturelle doit être replacée dans son contexte historique. Il s'agit d'un texte qui encourage les minorités nationales à s'organiser et à développer leur culture. Cette loi affirme le respect, par l'Estonie, du droit des groupes ethniques à préserver leur identité, leur culture et leurs croyances religieuses. D'après le recensement de 1989, 14 grands groupes ethniques étaient représentés en Estonie. La proportion de Russes a augmenté plus de six fois et demie depuis 1940, et à l'époque soviétique tout le système scolaire et culturel avait été russifié au détriment même des 50 000 Ukrainiens, 30 000 Bélarussiens et 17 000 Finlandais des zones concernées. Au contraire, en janvier 1988, une société culturelle juive a vu le jour, suivie quelques semaines plus tard par une société culturelle suédoise. Au bout de six mois, 15 associations culturelles fonctionnaient. En vertu de la loi, constituent une minorité ethnique les citoyens d'Estonie qui résident en territoire estonien, entretiennent depuis longtemps des relations avec le pays où ils vivent, et souhaitent préserver leurs traditions culturelles, leur langue et leur religion d'origine. Bénéficient aussi de la possibilité de créer des institutions d'autonomie culturelle tous les groupes minoritaires ethniques auxquels ce droit a été accordé par la loi de 1925, ainsi que les autres groupes ethniques de plus de 3 000 membres. Ces personnes ont le droit de participer à toutes les activités culturelles de leur groupe mais, n'étant pas citoyens, n'ont pas le droit de voter ou d'être élus aux organes dirigeants. Un groupe minoritaire ethnique qui a droit à l'autonomie culturelle peut organiser des élections directes à bulletin secret pour désigner son propre conseil culturel, lequel constitue l'autorité et la représentation les plus élevées dans le cadre de l'autonomie culturelle. Il faut souligner que la loi en question n'a aucun caractère contraignant, et vise seulement à encourager les minorités ethniques à se prévaloir de leurs droits constitutionnels.

 

23.     En ce qui concerne les réfugiés, qui peuvent être arrêtés s'ils se trouvent en situation irrégulière, il faut rappeler l'article 21 de la Constitution, qui dispose que toute personne privée de liberté est informée sans délai, dans une langue qu'elle comprend, des motifs de l'arrestation ainsi que de ses droits, et a la possibilité de notifier à sa famille son arrestation. Cette disposition s'applique aux immigrants illégaux. Le terme de "réfugié" n'est pas défini dans la législation estonienne, et il est prévu d'adopter une loi distincte relative à leur situation. L'Estonie n'a pas signé la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés ni le Protocole de 1967. Il faudra donc créer un cadre juridique, mais aussi mettre en place une infrastructure matérielle pour accueillir les réfugiés. Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et le Programme des Nations Unies pour le développement apportent un concours précieux pour l'élaboration d'une législation et pour la formation. Cela étant dit, une centaine à peine d'immigrants illégaux sont entrés en Estonie depuis 1992, et encore voulaient-ils seulement traverser le territoire pour se rendre dans d'autres pays. Certains ont passé quelque temps en détention, car il n'existe pas encore de mécanisme de tri permettant de déterminer qui sont les réfugiés authentiques. Le gouvernement est conscient du problème, et s'efforcera de le résoudre dans un proche avenir.

 

24.     M. ISRAEL (Estonie), répondant aux questions qui ont été posées sur la situation pénitentiaire, indique que l'Office des questions pénitentiaires et de l'exécution des peines est une institution gouvernementale dont la principale tâche est de veiller à l'application des décisions judiciaires comportant une peine d'emprisonnement. Le directeur général de cet organisme est nommé et révoqué par le Ministre de la justice.

 

25.     Au 1er octobre 1995, les 12 établissements pénitentiaires que compte le pays abritaient 3 907 détenus, dont 46 femmes et 57 mineurs. Les normes énoncées dans l'Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus sont garanties dans la pratique. En outre, le projet de loi sur la responsabilité que le Parlement devrait adopter prochainement prévoit une indemnisation dans le cas d'un préjudice résultant d'un acte ou d'une omission imputables à un fonctionnaire qui constituaient une violation des droits énoncés dans l'Ensemble de règles précité.

 

26.     La plupart des établissements pénitentiaires estoniens sont surpeuplés, et les bâtiments doivent être rénovés et modernisés. Seuls trois établissements disposent de cellules individuelles. En outre, il n'existe pas d'institution permettant la détention administrative des personnes qui séjournent illégalement en Estonie. Compte tenu de ce qui précède, il est extrêmement difficile de mettre en oeuvre des programmes de surveillance efficace des conditions de détention. Le nombre de crimes et de violations des règles disciplinaires commis dans les établissements pénitentiaires est élevé. Toutefois, les efforts déployés pour la formation du personnel et l'amélioration de la surveillance ont permis de réduire sensiblement le nombre des meurtres en prison, qui, de 23 en 1992, est tombé à 4 en 1994. En ce qui concerne 1995, le chiffre est nul. En 1994 et 1995, 27 délégations officielles d'organisations internationales telles que l'OSCE et le HCR ont visité les prisons estoniennes et fait des propositions pour améliorer la situation.

 

27.     La durée de la privation de liberté comme suite à une décision judiciaire peut varier de 3 mois à 15 ans. Cette durée est fixée à 8 ans au plus dans le cas des personnes âgées de moins de 18 ans. L'âge minimum pour la responsabilité pénale est en principe 15 ans. Pour un certain nombre de délits (vol qualifié, meurtre, torture, coups et blessures et cambriolage), le seuil peut être abaissé à 13 ans.

 

28.     La loi prévoit en outre qu'un mineur peut être placé dans un centre de redressement. Il existe à l'heure actuelle trois établissements scolaires spécialisés de ce type, et dans l'un d'entre eux la langue utilisée est le russe. Ils peuvent accueillir des filles âgées de 13 à 17 ans et des garçons âgés de 11 à 17 ans. Le statut de ce type d'institution et la procédure permettant d'y placer des mineurs ne sont pas régis par la législation. Toutefois, un projet de loi, en cours d'élaboration, sera présenté au gouvernement en décembre 1995.

 

29.     Plusieurs textes législatifs et réglementaires, dont le Code pénal, prévoient des mécanismes de supervision et de contrôle des activités de la police et des gardiens de prison. Des enquêtes peuvent être menées et des mesures disciplinaires prises, et des sanctions sont également prévues en application du Code de procédure pénale.

 

30.     Pour surmonter ce que l'on peut appeler la crise des prisons, le gouvernement envisage d'adopter cette année un projet concernant le développement des établissements pénitentiaires estoniens d'ici à l'an 2000. Cette mesure a notamment pour but d'assurer la transition vers un système de détention en cellules individuelles, d'offrir aux détenus des conditions de vie et de travail satisfaisantes et la possibilité de faire des études, d'assurer la mise en oeuvre de programmes d'intégration des anciens détenus dans la société, de mettre en place les fondements organisationnels et législatifs de la mise à l'épreuve au sein de la collectivité, d'offrir des conditions de travail et des garanties sociales adéquates aux gardiens de prison et d'assurer la formation appropriée du personnel. Dans ce cadre, il est prévu de construire de nouveaux établissements pénitentiaires, de rénover et de moderniser ceux qui existent, et d'améliorer les conditions de détention ainsi que les structures de soins et d'enseignement dans les prisons. Un autre objectif est de faire en sorte que les dispositions juridiques applicables aux établissements pénitentiaires soient conformes aux lois de la République d'Estonie et aux normes internationales. M. Israel conclut en précisant que l'ensemble de la procédure prévue au titre de ce nouveau programme devrait coûter quelque 100 millions de dollars, ce qui donne une idée à la fois de l'ampleur et des difficultés de l'entreprise.

 

31.     Mme KELAM (Estonie), répondant aux questions concernant le système législatif, le pouvoir judiciaire et les professions juridiques, déclare tout d'abord que l'Etat estonien est fondé sur les principes universellement reconnus de la démocratie. Ces principes sont consacrés dans la Constitution, qui garantit ainsi, entre autres choses, la séparation des pouvoirs et la suprématie du droit international. En particulier, si des lois estoniennes ou d'autres dispositions législatives étaient contraires aux conventions internationales qui ont été ratifiées par le Parlement, ce sont les dispositions de l'instrument international qui seraient applicables. Pour mettre en oeuvre ces principes, le Parlement estonien a adopté plus de 400 lois. En outre, le concept de droits de l'homme et de libertés individuelles est inscrit désormais dans la Constitution. Enfin, tout magistrat est habilité pour interpréter et appliquer directement les dispositions de cette dernière.

 

32.     En ce qui concerne le statut du Pacte dans le droit interne, Mme Kelam indique que la Constitution prévoit que les instruments internationaux auxquels a adhéré l'Estonie, y compris le Pacte, font partie du système juridique estonien et priment le droit interne. Ainsi, les dispositions du Pacte devraient être incorporées dans la législation nationale et être directement applicables par les tribunaux. Dans la pratique, cela a d'ailleurs été le cas à plusieurs reprises. Conformément à l'article 15 de la Constitution, toute personne dont les droits et libertés ont été violés a le droit de s'adresser aux tribunaux. Après épuisement des recours internes, l'affaire peut être portée devant les instances internationales compétentes.

 

33.     Il existe également aujourd'hui une possibilité de réexamen judiciaire de la constitutionnalité des lois et une procédure judiciaire administrative a été instituée. Ces deux mécanismes ont été adoptés après le rétablissement de l'indépendance du pays.

 

34.     Les principes qui régissent l'organisation du système judiciaire sont énoncés dans les chapitres I, II et XIII de la Constitution. Le cadre juridique est également défini par la loi sur les tribunaux et la loi sur le statut des magistrats.

 

35.     A l'heure actuelle, l'administration de la justice est l'un des champs d'activité de l'Etat où les réformes sont le plus avancées. On a rétabli le système judiciaire à trois niveaux, dont une description est donnée dans le paragraphe 17 du document de base (HRI/CORE/1/Add.50). Conformément à la procédure des tribunaux administratifs, les particuliers ont le droit de porter plainte contre des actes commis par des agents du pouvoir exécutif (fonctionnaires de ministères, d'organismes publics, de services d'inspection, de services municipaux, de la police, responsables des questions relatives à l'autonomie culturelle). La réforme du système judiciaire a permis de modifier la composition de la magistrature et d'augmenter considérablement ses effectifs. En moyenne, les magistrats ont une quarantaine d'années et 61 % d'entre eux sont des femmes. Le président de la Cour nationale est nommé par le chef de l'Etat.

 

36.     Répondant aux questions qui ont été posées sur l'indépendance du pouvoir judiciaire, Mme Kelam indique que les magistrats jouissent de toutes les garanties universellement reconnues en matière d'indépendance et d'impartialité. En particulier, ils sont nommés à vie, sur proposition de leurs pairs, leurs traitements sont fixés par la loi, et ils ne peuvent être démis de leurs fonctions que dans les circonstances prévues par la loi et sur décision judiciaire. Un magistrat ne peut être placé en détention ou cité à comparaître qu'avec l'accord de la Cour nationale ou du Parlement. La procédure de sélection des futurs magistrats prévoit la libre compétition des candidats, qui sont astreints à des examens et effectuent des stages.

 

37.     Un magistrat peut être démis de ses fonctions dans l'un des cas suivants : à la demande d'autres magistrats; pour raisons de santé; parce qu'il a atteint l'âge de la retraite; s'il n'a pas les aptitudes requises (il ne peut alors être démis de ses fonctions que dans les trois ans qui suivent sa nomination, sur proposition de la commission d'examen et en application d'une décision de la Cour nationale); à la suite d'une faute grave (entraînant une sanction disciplinaire), sur décision de la Commission disciplinaire et avec l'accord de la Cour nationale; en raison de la réorganisation du système judiciaire. En outre, les poursuites disciplinaires sont régies par les règles qui ont été adoptées par la Cour nationale.

 

38.     En réponse à une question concernant la langue utilisée dans les tribunaux, Mme Kelam indique que cet aspect de la procédure est régi par la loi. En particulier, la loi sur les tribunaux dispose que la procédure doit se dérouler en estonien. Elle peut toutefois se dérouler dans une autre langue si le tribunal et les parties maîtrisent cette autre langue et conviennent de l'utiliser. Dans les régions où la population non estonienne est majoritaire, la langue utilisée le plus souvent dans les tribunaux est le russe. De même, la plupart des magistrats de ces régions ne sont pas des Estoniens de souche. Le droit de se faire assister par un interprète est garanti et s'applique à la fois à l'examen du dossier et aux audiences.

 

39.     En réponse à une question sur les lenteurs de l'administration de la justice, Mme Kelam fait observer qu'en moyenne les procédures judiciaires ne sont pas particulièrement longues. Les rares problèmes qui se sont posés à cet égard remontent à deux ou trois ans, et la réforme judiciaire a permis de les résoudre.

 

40.     En réponse à une question concernant la détention en tant que mesure de prévention, Mme Kelam indique que, contrairement à ce que pourrait laisser entendre la version anglaise du rapport de l'Estonie (CCPR/C/81/Add.5), nul ne peut être placé en détention à des fins préventives. La privation de liberté est réglementée par la Constitution, le Code de procédure pénale et la législation administrative, et chaque condamnation fait l'objet d'un contrôle judiciaire. Nul ne peut être détenu en garde en vue pendant plus de 48 heures sans l'autorisation d'un magistrat, et la prolongation doit être notifiée rapidement à l'intéressé.

 

41.     En ce qui concerne les questions liées à l'indemnisation, Mme Kelam déclare que le droit à réparation est garanti par la Constitution. Cette dernière prévoit un droit à réparation pour le préjudice moral et physique causé par un acte illégal. Dans le cas où le préjudice est causé par un acte relevant de dispositions pénales, une procédure pénale est engagée, et la victime peut exercer également son droit de poursuite au civil afin d'obtenir une indemnisation des dommages matériels subis. En cas d'atteinte à la réputation, des poursuites civiles peuvent aussi être engagées. Si une personne s'estime victime d'un préjudice résultant d'un acte illicite d'un fonctionnaire, elle peut engager des poursuites contre l'Etat. Malheureusement, aucune loi spécifique ne régit ce type de situation. Toutefois, le gouvernement a versé à plusieurs reprises des indemnités à des particuliers dans des affaires de ce genre.

 

42.     En ce qui concerne la possibilité, pour des particuliers, de former un recours constitutionnel, Mme Kelam indique que seuls le Président de la République, le Conseiller constitutionnel (Chancelier juridique) et les tribunaux peuvent former un tel recours. Les particuliers ne peuvent pas s'adresser directement à la Cour nationale à cette fin, mais ils peuvent saisir une juridiction inférieure pour contester la constitutionnalité des lois. La juridiction ainsi saisie décide alors si le recours est motivé. Dans l'affirmative, elle a le droit de déclarer inconstitutionnelle la loi, disposition législative ou activité incriminée, et elle soumet l'affaire à la Cour nationale, qui décidera de la validité des dispositions en question. A l'heure actuelle, des particuliers sont à l'initiative de cinq affaires qui ont été portées devant la Cour nationale.

 

43.     En réponse à une question sur l'organisation des professions juridiques, Mme Kelam indique que les magistrats, les procureurs et les avocats doivent être titulaires d'un diplôme délivré par l'Ecole de droit de l'Université de Tartu ou par une autre institution équivalente. Seuls les citoyens estoniens peuvent être membres du barreau. Les juristes qui n'ont pas la citoyenneté estonienne peuvent toutefois exercer dans le privé. En outre, les membres des professions juridiques qui pratiquaient sous le régime soviétique sont soumis à une procédure de réexamen, à l'exception des magistrats.

 

44.     Le barreau et le parquet choisissent eux-mêmes leurs membres. Ces deux institutions sont régies par des lois spécifiques. Les notaires, quant à eux, sont regroupés au sein d'une organisation privée, indépendante, exerçant des fonctions publiques conformément à la loi. En outre, il y a des associations professionnelles pour la plupart des professions juridiques. Enfin, il existe une école de droit nationale (qui relève de l'Université de Tartu) ainsi que quatre établissements privés d'enseignement du droit. Mme Kelam précise encore que les éléments des forces de police sont formés à l'Ecole de la défense nationale.

 

45.     Répondant à une question concernant le Chancelier juridique (Conseiller constitutionnel), Mme Kelam rappelle la teneur du paragraphe 15 du document de base (HRI/CORE/1/Add.50). Les activités du Conseiller constitutionnel sont régies par les dispositions de la Constitution et de la loi sur les activités du Conseiller constitutionnel, qui a été adoptée en 1993. Concrètement, le titulaire de cette fonction étudie les propositions visant à modifier des lois ou à en adopter de nouvelles, et il examine les modalités de l'application des lois. De plus, le cas échéant, il peut présenter ses conclusions au Parlement. D'autre part, toute personne a le droit de s'adresser au Conseiller constitutionnel si elle estime que l'Etat agit de façon illégale dans tel ou tel domaine; le Conseiller constitutionnel n'est pas habilité à engager alors lui-même la procédure appropriée; il peut cependant saisir la Cour nationale d'une demande d'examen de la constitutionnalité d'une disposition législative, ce qu'il a d'ailleurs fait à plusieurs reprises. Enfin, conformément à la Constitution, le Conseiller constitutionnel peut proposer au Parlement d'engager des poursuites pénales contre le Président de la République, un membre du gouvernement, le Président ou un autre membre de la Cour nationale, le vérificateur général des comptes ou un parlementaire. Des dispositions législatives particulières régissent ce type de situation.

 

46.     En réponse aux questions qui ont été posées au sujet du serment sur l'honneur, Mme Kelam expose la situation telle qu'elle apparaît dans le paragraphe 22 du rapport (CCPR/C/81/Add.5), et souligne que la procédure indiquée ne concerne qu'un très petit nombre de fonctions du secteur public et ne s'appliquera que jusqu'à l'an 2000. Le simple fait de collaboration ne peut faire l'objet d'une accusation formelle. Est seule visée par cette procédure la participation active à des actes de répression en qualité de salarié ou d'agent des services de sécurité, de renseignement ou de contre-espionnage de tout Etat - et pas seulement l'ex-Union soviétique - qui a occupé l'Estonie.

 

47.     Mme HION (Estonie) précise que la loi régissant le serment sur l'honneur a été adoptée à la fin de 1994. Elle prévoit notamment que tout individu est habilité à contester devant les tribunaux la validité d'un tel serment. La charge de la preuve lui incombe, ainsi qu'au parquet. Ce dernier est tenu de saisir la justice s'il estime que le cas est fondé. Si l'affaire vient devant les tribunaux, les audiences peuvent avoir lieu à huis clos. Enfin, seule une décision judiciaire permet de rayer une personne de la liste des candidats à une fonction publique ou de la démettre d'une telle fonction. Toutefois, une décision dans ce sens peut être contestée devant une juridiction de deuxième instance, et il est interdit de divulguer des renseignements sur l'affaire tant que la décision finale des tribunaux n'a pas pris effet.

 

48.     En réponse aux questions concernant les délits passibles de la peine de mort, Mme Hion rappelle qu'en 1994 le Code pénal a été modifié de façon à y inclure deux délits supplémentaires emportant cette peine. Toutefois, il n'y a pas eu d'exécution en Estonie depuis 1991. Comme il est indiqué dans le rapport (CCPR/C/81/Add.5, par. 55), dans le nouveau projet de code pénal en cours de rédaction la peine de mort n'est pas prévue parmi les moyens de répression. En outre, le gouvernement a mis sur pied un groupe de travail chargé de préparer l'adhésion de l'Estonie à la Convention européenne des droits de l'homme et de faire des propositions en vue d'adhérer au Protocole No 6 s'y rapportant. S'il est décidé d'adhérer à ce protocole, aucun obstacle ne s'opposera à l'adhésion de l'Estonie au deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte. Mme Hion conclut sur ce point en précisant que, sur les six personnes actuellement condamnées à mort en Estonie, deux ont déjà été graciées par le Président de la République.

 

49.     En ce qui concerne la définition d'un "crime grave", Mme Hion indique qu'une erreur s'est glissée dans la traduction du rapport (CCPR/C/81/Add.5) de l'estonien en anglais, et précise que l'alinéa f) du paragraphe 66 devrait se lire ainsi : "pour appréhender l'auteur armé d'un crime ou une personne évadée d'un lieu de détention".

 

50.     En ce qui concerne l'aide judiciaire, Mme Hion précise que les dispositions du Code de procédure pénale ne prévoient que trois cas dans lesquels une personne accusée doit nécessairement être assistée d'un conseil. Toutefois, dans la pratique, toute personne accusée bénéficie des services d'un avocat, que ce soit dans le cadre de l'enquête préliminaire ou devant les tribunaux. En ce qui concerne les affaires administratives et civiles, le Code de procédure civile prévoit qu'un individu n'ayant pas les moyens financiers d'assurer sa défense peut être exempté des frais à ce titre. Le Ministre de la justice a d'ailleurs adopté un décret relatif aux honoraires que l'Etat verse aux conseils dans ce cas. Cela étant, les autorités estoniennes sont conscientes de la nécessité d'élaborer une loi spécifique régissant l'aide judiciaire dans les procédures civiles et administratives.

 

51.     Pour répondre aux questions concernant la détention des personnes souffrant de troubles mentaux, Mme Hion rappelle ce qui est dit dans le paragraphe 102 du rapport (CCPR/C/81/Add.5), et précise que le psychiatre principal, l'épouse de l'intéressé, son représentant légal, ses proches ou son défenseur peuvent demander l'arrêt du traitement médical.

 

52.     Les cas dans lesquels une personne peut être placée sous tutelle sans son consentement sont régis par une loi datant de février 1995. Cette loi prévoit qu'une telle mesure ne peut être prise qu'en application d'une décision judiciaire, et sous réserve que soient réunies simultanément les conditions suivantes : i) la personne doit être atteinte de troubles mentaux, alcoolique ou toxicomane; ii) elle doit présenter un danger pour elle-même ou pour autrui si elle n'est pas placée dans un établissement de soins; iii) l'application des mesures antérieures n'a pas suffi et aucune autre mesure n'est possible.

 

53.     Mme Hion conclut sur ce point en déclarant qu'un projet de loi visant à réglementer le traitement psychiatrique et à fixer les procédures permettant le placement en hôpital psychiatrique est actuellement en cours d'élaboration.

 

54.     Mme KELAM (Estonie) rappelle que la question de la place et du rôle des médias en Estonie n'est pas traitée dans le rapport initial de l'Estonie. Elle indique qu'à l'heure actuelle l'accès à l'information est garanti par différents moyens et que chaque personne a la possibilité de vérifier l'exactitude des faits rapportés afin d'évaluer les événements de façon objective. Les journalistes exercent leur profession librement et ont pleinement accès à l'information. Toutes ces conditions sont extrêmement importantes dans un pays qui a subi pendant plus de 50 ans la censure, la propagande et la désinformation imposées par les autorités soviétiques, dont l'objectif était de maintenir la population sous leur emprise, d'éliminer tout débat public sur les questions de fond et d'empêcher la voix des opprimés d'être entendue tant sur le territoire estonien qu'à l'étranger. La censure et la répression, ainsi que la propagande cynique qui passait pour du journalisme, suscitaient alors parmi la population la crainte de la participation au débat public.

 

55.     Désormais, la situation a radicalement changé. La presse, la radio et la télévision ont été entièrement transformées depuis le rétablissement de l'indépendance. Ainsi, de nouvelles stations de radio et de chaînes de télévision ont été créées, de nombreuses publications nationales et étrangères sont disponibles sur le territoire et, en outre, l'Estonie figure désormais parmi les principaux utilisateurs des réseaux de communication électronique tels que le réseau INTERNET, qu'il s'agisse des services gouvernementaux ou des particuliers, des écoles, des organisations non gouvernementales, etc. Outre les agences de presse internationales présentes dans le pays (plus de 100 correspondants étrangers ont été accrédités auprès du Ministère des affaires étrangères), deux grandes agences de presse nationales diffusent des informations en estonien, en anglais et en russe. Plus de 300 périodiques paraissent en Estonie, dont un grand nombre de journaux et de revues, quotidiens ou hebdomadaires, et la plupart des publications en estonien ont été privatisées. Par ailleurs, il existe actuellement en Estonie huit chaînes de télévision, ce qui est considérable par rapport au nombre relativement peu élevé d'habitants. Il est également possible de capter sur le territoire trois chaînes de télévision finlandaises et trois chaînes russes, outre les chaînes diffusant par satellite, dont les émissions sont très largement suivies. Il existe en outre 33 stations de radio, dont la plupart sont de petites stations locales, mais les stations nationales, outre leurs émissions ordinaires, diffusent également des émissions de stations étrangères, notamment américaines et suédoises, ainsi que des émissions en différentes langues, destinées à l'étranger. Enfin, les journalistes participent activement à un certain nombre d'organisations et d'associations professionnelles, nationales ou internationales.

 

56.     Mme HION (Estonie), répondant aux questions concernant la liberté d'expression, décide que celle-ci peut être restreinte en application des lois sur les secrets d'Etat, la fonction publique, le service à l'étranger, les contrats de travail, le barreau, les établissements de crédit et la famille, ainsi qu'en vertu du Code du commerce et du Code civil. En outre, le Code pénal qualifie de délit la diffusion intentionnelle d'informations erronées, la diffusion d'informations portant atteinte à l'honneur et à la dignité d'autrui, la divulgation de secrets d'Etat, la propagande en faveur de la guerre et la diffusion de matériel pornographique.

 

57.     Pour ce qui est de la liberté de réunion, Mme Hion indique qu'il n'existe pas en Estonie de réglementation particulière applicable aux réunions publiques. Néanmoins, l'Etat et les autorités locales ont l'obligation de prendre certaines mesures pour garantir la sécurité de ceux qui participe à ces réunions. Ainsi, toute personne est tenue de respecter, notamment, les règles de la circulation et toute atteinte à l'ordre public est passible de sanctions, mais la législation à ce sujet n'a pas encore été adoptée.

 

58.     La loi relative à l'organisation des référendums (par. 224) est entrée en vigueur en juin 1994. Néanmoins, en 1992, soit avant l'adoption de cette loi, un référendum a été organisé en Estonie sur l'adoption de la Constitution nationale. La loi définit les cas dans lesquels les questions d'intérêt national doivent être soumises à référendum, et selon quelles modalités. Les questions qui peuvent être ainsi soumises à référendum sont notamment celles qui ont trait à la modification des dispositions des chapitres I et XV de la Constitution. L'organisation d'un référendum visant à modifier certaines dispositions de la Constitution ne peut être décidée que si un cinquième des membres du Parlement et le Président de la République l'approuvent.

 

59.     Mme KELAM (Estonie), répondant aux questions posées sur l'égalité des hommes et des femmes en Estonie, précise que la différence concernant l'âge de la retraite prévu pour les hommes et pour les femmes est, encore une fois, un héritage soviétique, et que des mesures seront prises rapidement pour modifier la législation sur ce point. En outre, l'absence d'éducation sexuelle, de planification de la famille et de moyens contraceptifs avant le rétablissement de l'indépendance explique le taux élevé des avortements, et les conséquences de ces lacunes continuent à se faire sentir dans le pays. Par ailleurs, le Ministère des affaires sociales a pris des mesures de lutte contre la violence dans les foyers et, en juillet 1994, il a entrepris de rassembler des données statistiques sur les personnes victimes d'actes de violence qui ont un caractère pénal, données qui seront publiées officiellement en 1996.

 

60.     Bien que l'Estonie n'ait pas encore adopté de loi spécifique sur l'égalité des sexes, les droits des hommes et des femmes sont néanmoins garantis dans la Constitution, ainsi que dans les dispositions de la législation sur le travail et la famille. En outre, le 20 novembre 1991, l'Estonie a ratifié la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes. Par ailleurs, bien que les femmes aient un niveau d'éducation supérieur à celui des hommes, leur salaire moyen ne représente toujours qu'environ 70 % de celui des hommes et elles sont toujours davantage victimes du chômage. Enfin, les femmes occupent moins d'un tiers des postes de direction de haut niveau et, sur les 101 membres du Parlement, 12 seulement sont des femmes.

 

61.     Mme HION (Estonie), répondant aux questions posées sur la loi régissant l'organisation des partis politiques, déclare que, selon la loi, un parti politique est une association constituée par des citoyens afin de défendre des intérêts politiques et de participer, à ce titre, à la conduite des affaires publiques. Les partis politiques doivent être enregistrés et compter au moins 1 000 membres. Seul un tribunal administratif peut imposer des mesures d'interdiction à l'égard d'un parti politique.

 

62.     La loi sur la privatisation des logements stipule que seuls les citoyens estoniens et les non-citoyens possédant un permis de résidence selon la loi sur les étrangers peuvent accéder à la propriété privée, et la même loi s'applique à la privatisation d'entreprises d'Etat, ainsi qu'aux terres agricoles, dont l'acquisition à titre privé ne peut être autorisée qu'avec l'approbation des autorités locales.

 

63.     Selon la nouvelle loi sur la défense, entrée en vigueur en mars 1995, la durée du service militaire obligatoire ne peut pas dépasser 12 mois ni être inférieure à huit mois, et la durée du service civil de remplacement est de neuf mois au minimum et de 15 mois au maximum. Ainsi, la différence entre la durée maximum du service militaire proprement dit et du service de remplacement, qui n'est que de trois mois, peut être considérée comme raisonnable.

 

64.     Mme LEPIK (Estonie) déclare qu'il existe en Estonie plusieurs organisations non gouvernementales qui s'attachent à la défense des droits de l'homme, dont, notamment, l'Institut des droits de l'homme, qui est une organisation non gouvernementale à but non lucratif. L'Institut offre gratuitement des services d'aide judiciaire aux citoyens, ainsi qu'aux résidents d'Estonie quelle que soit leur nationalité, et offre aussi des services consultatifs pour la rédaction de documents ou de lettres, ainsi que pour le dépôt de demandes et de requêtes concernant la protection des droits de l'homme. Il peut également, le cas échéant, représenter des particuliers ou des organisations devant les tribunaux ou d'autres organismes d'Etat. Il a en outre constitué différents comités et groupes de travail qui s'occupent, notamment, des droits des minorités, des droits des détenus et des droits des personnes soumises au service militaire obligatoire. Les organisations non gouvernementales ont été généralement interdites d'activité sous l'occupation soviétique, et il leur faudra désormais déployer de grands efforts pour acquérir une crédibilité auprès de la société en général. Néanmoins, le gouvernement actuel les encourage à informer la population de ses droits, il les consulte et facilite leurs échanges avec d'autres organisations qui s'intéressent aux mêmes problèmes.

 

65.     Le PRESIDENT remercie la délégation estonienne des informations détaillées qu'elle a apportées en réponse aux questions qui lui ont été posées oralement. Il invite les membres du Comité qui le souhaitent à poser leurs questions complémentaires sur l'exposé de la délégation.

 

66.     M. BHAGWATI souhaiterait savoir si le Président de la République a effectivement la prérogative de la nomination du Président de la Cour suprême d'Estonie et, par ailleurs, s'il existe une loi régissant la révocation des juges.

 

67.     Mme KELAM (Estonie) répond que le Président de la République est informé des noms des candidats à la fonction de président de la Cour suprême, mais que le président de la Cour est nommé en dernier lieu par le Parlement. Par ailleurs, il n'existe pas de loi concenant la révocation des juges.

 

68.     Mme CHANET voudrait savoir depuis combien de temps les deux derniers condamnés à mort dont la peine n'a pas été commuée sont détenus dans le quartier des condamnés à mort, en attente de leur exécution ou d'une commutation de peine. En outre, elle souhaite avoir davantage de renseignements sur les cas éventuels de condamnation de membres de la police ou du personnel carcéral qui se sont rendus coupables de mauvais traitements à l'égard de détenus.

 

69.     Mme KELAM (Estonie) indique que les condamnés à mort sont détenus depuis plusieurs années, mais que leurs recours sont toujours en attente d'examen devant les instances judiciaires supérieures, et qu'il est encore possible que leur peine soit commuée.

 

70.     M. ISRAEL (Estonie) déclare que les autorités ne disposent pas de données statistiques précises sur les mauvais traitements qui auraient pu être infligés à des détenus dans les établissements pénitentiaires. Cependant, de tels actes, lorsqu'ils sont commis, sont dûment sanctionnés conformément à la législation.

 

71.     M. KLEIN s'interroge sur la raison pour laquelle l'Institut des droits de l'homme, créé par le Président de la République, est désormais considéré comme une organisation non gouvernementale.

 

72.     Mme LEPIK (Estonie) indique qu'effectivement l'Institut des droits de l'homme a été créé par le Président de la République, mais que son statut a été ensuite transformé en celui d'organisation non gouvernementale.

 

73.     Le PRESIDENT invite les membres du Comité à formuler leurs observations finales sur le rapport de l'Estonie.

 

74.     M. BÁN se félicite des réponses détaillées données par la délégation estonienne aux questions, tant orales qu'écrites, posées par le Comité et il espère que les questions restées sans réponse seront traitées dans le deuxième rapport de l'Etat partie. Il constate qu'en règle générale un cadre juridique approprié a été mis en place en Estonie pour la protection des droits de l'homme, mais des interrogations subsistent, à son avis, sur la place du Pacte dans l'ordre juridique interne, notamment sur la possibilité qui peut être donnée aux particuliers d'invoquer les dispositions du Pacte devant les tribunaux. A cet égard, il appelle l'attention de l'Etat partie sur les services consultatifs offerts par le Centre pour les droits de l'homme et, également, sur les Observations générales du Comité concernant l'application des divers articles du Pacte. Il rappelle par ailleurs les obligations de l'Etat partie au regard de la législation internationale interdisant la peine capitale. Il déplore l'absence de législation relative au statut des réfugiés. En outre, il lui semble souhaitable que l'Etat partie applique des règles plus souples au sujet de l'acquisition de la citoyenneté, en particulier - compte tenu des circonstances historiques - en ce qui concerne les personnes âgées.

 

75.     M. PRADO VALLEJO constate avec satisfaction que l'Estonie a réalisé des progrès considérables sur la voie de la démocratie et du respect des droits de l'homme depuis qu'elle s'est libérée du joug communiste. Il relève néanmoins que des restrictions qui ne sont guère acceptables sont toujours imposées aux droits des non-citoyens, notamment en matière de vote, d'obtention de passeports et d'accession à la propriété, et que les droits des réfugiés et des demandeurs d'asile ne sont pas respectés conformément à tous les principes du droit international humanitaire. En outre, il faut espérer que des améliorations seront apportées à la législation interne concernant la répression des abus commis par les forces de police et les autorités carcérales à l'égard de détenus et, surtout, qu'en vertu du nouveau code pénal la peine de mort sera abolie en Estonie.

 

76.     M. LALLAH remercie la délégation estonienne de sa participation sans réserve au dialogue avec le Comité des droits de l'homme. Il tient cependant à souligner à l'intention de l'Etat partie que l'article 25 du Pacte perdra l'essentiel de son sens en Estonie si les lois sur la citoyenneté ne sont améliorées. M. Lallah a constaté avec étonnement que les permis de résidence ne sont délivrés aux conjoints de citoyens estoniens qu'à titre temporaire, disposition qui, à son avis, comporte des germes d'instabilité et va à l'encontre des protections prévues dans les articles 23 et 24 du Pacte.

 

77.     M. Lallah estime qu'il serait utile au Comité de mieux comprendre de quelle façon est assurée l'indépendance du système judiciaire, ainsi que les méthodes de nomination des juges. Il souhaite que l'Estonie s'attache à fournir au Comité de plus amples renseignements sur cette question dans son prochain rapport périodique.

 

78.     Mme CHANET remercie la délégation estonienne d'avoir répondu aux nombreuses questions qui lui avaient été posées en raison, notamment, du caractère par trop théorique du rapport de l'Etat partie.

 

79.     Elle juge encourageante l'adoption de la nouvelle loi sur le service civil de substitution, qui remplace très avantageusement la précédente. Elle juge également encourageantes les informations qui ont été fournies au Comité sur la réinsertion des détenus et sur les efforts qui ont été faits pour améliorer les conditions pénitentiaires et trouver des solutions de substitution à l'emprisonnement, ainsi qu'en ce qui concerne la peine capitale. A ce dernier égard, elle espère que les quatre personnes détenues dans le quartier des condamnés à mort pourront bénéficier de l'abolition de cette peine, qui semble envisagée.

 

80.     Mme Chanet a pris note avec satisfaction du rôle des ONG en Estonie et de l'ouverture de ce pays à de nombreuses missions étrangères. En revanche, comme M. Bán, elle conserve des doutes quant à l'incorporation totale du Pacte dans la législation interne de l'Estonie. Elle partage également les préoccupations de M. Prado Vallejo au sujet de la détention prolongée des réfugiés. Elle tient à faire de sérieuses réserves sur la loi relative à la nationalité, qui ne peut être, à son avis, considérée comme libérale, puisqu'elle est fondée uniquement sur le jus sanguinis et comporte des exigences quant à la langue, à la prestation d'un serment sur l'honneur et au revenu. Mme Chanet craint que les obstacles qui s'opposent à l'acquisition de la nationalité estonienne n'aient pour but d'assurer une certaine homogénéité de la population estonienne, même si l'Estonie se défend de vouloir édifier une société mono-ethnique.

 

81.     De même, Mme Chanet a constaté avec une vive préoccupation qu'il y a pléthore de lois tendant à limiter la liberté d'expression. Ces lois, notamment celle relative aux secrets d'Etat, n'ont pas été traitées dans le rapport. Mme Chanet espère que cette lacune sera comblée dans le prochain rapport de l'Estonie.

 

82.     M. BUERGENTHAL remercie la délégation des réponses détaillées qu'elle a apportées aux questions du Comité. Il prend note avec satisfaction de ce que la délégation estonienne a souligné que l'Estonie ne tentait pas d'édifier un Etat mono-ethnique ni d'expulser les non-Estoniens. Il relève qu'il n'existe ni de quotas relatifs à la citoyenneté ni de calendrier pour l'acquisition de la citoyenneté.

 

83.     M. Buergenthal estime que l'article 129 de la Constitution estonienne va à l'encontre des dispositions relatives à l'état d'exception qui sont énoncées dans la Convention européenne des droits de l'homme. Il considère cependant que l'Estonie est sur la bonne voie et il espère que ce pays continuera de s'attacher à créer une société réellement multi-ethnique.

 

84.     M. KRETZMER s'associe aux félicitations adressées par ses collègues à l'Estonie pour la façon dont elle a surmonté les difficultés héritées de la longue domination soviétique et pour ses efforts en vue de créer un régime respectueux des droits de l'homme.

 

85.     M. Kretzmer est cependant préoccupé par l'important problème lié à la citoyenneté. Une partie importante de la population est composée de non-citoyens, situation qui entraîne une discrimination de fait dans de nombreux domaines. Par exemple, 30 % des habitants ne peuvent occuper un emploi dans la fonction publique, ce qui est incompatible avec les principes de la démocratie et le respect des droits de l'homme.

 

86.     Les barrières linguistiques demeurent elles aussi un problème important. M. Kretzmer espère que des progrès dans ce domaine seront signalés dans le prochain rapport et que le fossé entre le droit et la réalité aura été en partie comblé lorsqu'il sera examiné.

 

87.     Il prend note avec étonnement du fait que plusieurs centaines de nouvelles lois sont adoptées chaque année. Il engage l'Estonie à ne pas céder à la tentation de penser qu'il suffit de légiférer pour résoudre tous les problèmes.

 

88.     Mme EVATT remercie la délégation estonienne. Elle juge encourageantes les informations complémentaires que celle-ci a fournies oralement au Comité. Elle constate avec satisfaction que l'Estonie ne vise pas à créer une société mono-ethnique. A cet égard, elle croit cependant voir une contradiction dans l'esprit de la législation qui régit l'obtention de la citoyenneté : autant la procédure de naturalisation est draconienne, autant les droits et libertés dont jouissent les citoyens, y compris les groupes ethniques minoritaires, dans les domaines de la langue et de la culture sont étendus. Et même, paradoxalement, une fois que le candidat à la citoyenneté a prouvé qu'il connaît bien l'estonien, il devient libre de ne parler que la langue de sa propre communauté ethnique ou culturelle. Cependant, cette situation paradoxale risque d'empêcher de nombreux candidats à la citoyenneté d'obtenir satisfaction, ce qui peut avoir des effets fâcheux pour la société. Il faut espérer que le prochain rapport de l'Estonie montrera que ce pays a redoublé d'efforts pour intégrer dans les meilleurs délais les non-citoyens qui désirent s'associer plus étroitement à la collectivité nationale.

 

89.     Mme Evatt pense que l'Estonie doit revoir de façon rigoureuse sa Constitution et sa législation en vue d'abroger toutes les distinctions entre les droits reconnus aux citoyens d'une part et aux non-citoyens d'autre part, qui vont à l'encontre du Pacte. Elle estime en outre que l'Estonie devrait adopter une législation sur les demandeurs d'asile, ratifier la Convention No 51 et veiller à l'application des articles 9 et 13 du Pacte.

 

90.     Mme Evatt souhaite que le prochain rapport de l'Estonie contienne des renseignements beaucoup plus abondants sur tous les points signalés par le Comité.

 

91.     M. ANDO se joint aux remerciements adressés par ses collègues à la délégation estonienne pour son sérieux et sa franchise. Il pense que le Comité doit tenir compte du fait que l'Estonie a été soumise pendant une cinquantaine d'années à une domination étrangère et autocratique. Pendant cette période, de nombreux citoyens soviétiques ont émigré en Estonie, phénomène qui est à l'origine de nombreuses difficultés actuelles, notamment dans le domaine des droits de l'homme.

 

92.     M. Ando constate avec satisfaction que l'Estonie a fait énormément en peu de temps. Cependant, plusieurs problèmes demeurent préoccupants, dont la citoyenneté, les réfugiés, les meurtres qui surviennent dans les prisons et les inégalités entre hommes et femmes. M. Ando souhaite que l'Estonie s'attache à maintenir une société aussi ouverte et libre que possible.

 

93.     M. POCAR remercie la délégation estonienne des efforts qu'elle a faits pour répondre à toutes les questions du Comité. Cela est de bon augure pour la coopération de l'Estonie avec le Comité.

 

94.     M. Pocar pense néanmoins que certaines des réponses fournies par la délégation n'ont pas été entièrement satisfaisantes et qu'elles n'ont pas permis au Comité de se faire une idée exacte sur différents points, par exemple sur le statut du Pacte dans la législation estonienne et sur la situation des minorités. A cet égard, les préoccupations du Comité relatives à la citoyenneté et à la mise en place d'une société multi-ethnique n'ont pas été entièrement dissipées. Cependant, M. Pocar est conscient des problèmes difficiles que l'Estonie doit résoudre pour restructurer la société civile. Il espère que l'Etat partie sera en mesure de fournir au Comité dans son prochain rapport des informations plus concrètes, et qu'il exposera de façon plus précise la manière dont le Pacte est appliqué concrètement, en tenant compte des Observations générales du Comité.

 

95.     M. AGUILAR URBINA reprend la présidence.

 

96.     M. FRANCIS s'associe aux observations exprimées par ses collègues sur le rapport de l'Estonie, qu'il juge dans l'ensemble excellent. Il apparaît que l'Estonie est effectivement attachée à l'esprit et à la lettre de la Charte.

 

97.     On note que, si la peine capitale n'a pas été appliquée depuis 1991, elle n'a pas été pour autant abolie. La situation de surpeuplement dans les prisons reste très grave, mais M. Francis croit comprendre que l'Estonie envisage sérieusement de remédier à cet état de choses.

 

98.     L'Estonie est sur la bonne voie. La présence de la Directrice de la Division des droits de l'homme (Ministère des affaires étrangères) devant le Comité laisse penser que ce pays tiendra compte des observations du Comité.

 

99.     M. BRUNI CELLI remercie la délégation estonienne, qui a fourni des explications très satisfaisantes au Comité pour combler les lacunes du rapport écrit de l'Estonie. Il ressort de l'examen de ce rapport que l'Estonie a fait un effort important pour mettre en place un système de normes et d'institutions visant à protéger les droits de l'homme. M. Bruni Celli croit comprendre que l'histoire récente de l'Estonie, marquée par l'occupation soviétique, a créé une attitude spéciale à l'égard de la citoyenneté, qui explique probablement les limitations relatives qui sont imposées à certains droits des minorités étrangères. Cependant, il pense qu'il ne s'agit que d'un phénomène transitoire. Il est sûr que le prochain rapport de l'Estonie comportera des renseignements d'une teneur bien différente.

 

100.   M. KLEIN a été très impressionné par les progrès réalisés par l'Estonie au cours des cinq dernières années, pendant lesquelles ce pays est passé du totalitarisme à une société démocratique et à l'Etat de droit. Toutefois, en dépit des explications fournies par la délégation estonienne, certaines questions essentielles demeurent préoccupantes en ce qui concerne la citoyenneté et les minorités.

 

101.   Les lois relatives à l'autonomie culturelle devraient être modifiées pour permettre aux non-citoyens de jouir, sur certains points essentiels, des mêmes droits que les citoyens, faute de quoi ces lois pourraient devenir un sujet permanent de mésentente.

 

102.   M. Klein pense que l'article 10 du Pacte doit être appliqué impérativement et que l'héritage de la période soviétique ne doit pas continuer de servir d'excuse pour la situation lamentable qui règne dans les établissements pénitentiaires. Il recommande au Gouvernement estonien de travailler en coopération étroite avec les organisations non gouvernementales telles que l'institut des droits de l'homme et le centre d'information sur les droits de l'homme. Enfin, M. Klein espère que le prochain rapport de l'Estonie comportera davantage d'informations sur la pratique et la jurisprudence des tribunaux estoniens.

 

103.   Le PRESIDENT note que la délégation estonienne a reconnu les insuffisances du rapport initial de l'Estonie. Elle a en outre exprimé le désir de travailler en collaboration avec le Comité des droits de l'homme pour améliorer la protection des droits de l'homme en Estonie. Le Président se réjouit de l'amélioration considérable de la situation qui s'est produite ces dernières années. Beaucoup reste à faire, mais on peut voir l'avenir avec optimisme.

 

104.   Le Président reste toutefois préoccupé par les discriminations dont est victime la minorité russe, situation compréhensible, mais seulement jusqu'à un certain point, en raison de l'occupation soviétique. Il s'agissait en définitive d'une situation que l'Etat totalitaire soviétique a imposée non seulement aux Estoniens mais aussi à d'autres peuples. Le Président appelle de ses voeux une réconciliation entre tous les peuples de l'Estonie et de l'ex-Union soviétique. Dans le monde actuel, ils doivent tous collaborer pour trouver des solutions communes aux problèmes communs.

 

105.   Mme LEPIK (Estonie) déclare que la délégation estonienne est heureuse d'avoir eu l'occasion de dialoguer avec les experts hautement qualifiés qui composent le Comité des droits de l'homme. Elle regrette que la délégation n'ait pas été en mesure, faute de temps, d'éclaircir tous les points obscurs du rapport de son pays. Elle ajoute que le prochain rapport de l'Estonie tiendra compte des observations du Comité.

 

106.   Mme Lepik remercie le Comité des avis précieux qu'il a formulés sur différentes questions juridiques, et aussi pratiques, relatives à la situation en Estonie.

 

107.   Le PRESIDENT annonce que le Comité a achevé l'examen du rapport initial de l'Estonie et indique à la délégation que le rapport suivant est attendu pour le 20 janvier 1998.

 

La séance est levée à 13 heures.

 

 

 

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