Distr.

GENERALE

CERD/C/SR.1000
20 octobre 1993


Original: FRANCAIS
Compte rendu analytique de la 1000ème seance : Germany. 20/10/93.
CERD/C/SR.1000. (Summary Record)

Convention Abbreviation: CERD
COMITE POUR L'ELIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE


Quarante-troisième session


COMPTE RENDU ANALYTIQUE PROVISOIRE DE LA 1000ème SEANCE


tenue au Palais des Nations, à Genève,
le mercredi 11 août 1993, à 15 heures.

Président : M. VALENCIA RODRIGUEZ


SOMMAIRE

Examen des rapports, observations et renseignements présentés par les Etats parties conformément à l'article 9 de la Convention (suite)

Douzième rapport périodique de l'Allemagne (fin)


La séance est ouverte à 15 h 10.

EXAMEN DES RAPPORTS, OBSERVATIONS ET RENSEIGNEMENTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES CONFORMEMENT A L'ARTICLE 9 DE LA CONVENTION (suite)

Douzième rapport périodique de l'Allemagne (CERD/C/126/Add.7) (fin)

1. Annonçant l'ouverture de la 1000ème séance du Comité, le PRESIDENT dit que le chiffre 1000 est toujours impressionnant, qu'il s'agisse d'un millénaire ou du numéro d'une séance. Son effet est, bien entendu, purement psychologique, mais il incite à considérer que le Comité est au seuil d'une nouvelle étape de son action dont il devra s'acquitter avec un esprit d'indépendance, de fidélité et d'impartialité encore plus vigoureux.

2. A l'invitation du Président, MM. Meyer-Ladewig, Reermann, Siegele, Sasdrich, Daum, Olindorf et Schemel (Allemagne) reprennent place à la table du Comité.

3. M. BANTON estime que la simple lecture du rapport de l'Allemagne ne rendait pas justice aux efforts faits par le gouvernement ou le secteur privé pour lutter contre la discrimination raciale. L'exposé du représentant de l'Allemagne a en grande partie corrigé cette impression et répondu à l'avance à beaucoup de questions du Comité.

4. L'un des points les plus intéressants de cette introduction concerne l'application du paragraphe 1 de l'article 2 de la Convention. Le représentant de l'Allemagne a annoncé la création d'un nouveau secrétariat d'Etat chargé de coordonner l'action dans le domaine de la lutte contre la discrimination. Des précisions sur les pouvoirs du nouveau Secrétaire d'Etat et ses moyens d'action seraient les bienvenus dans le prochain rapport de la République fédérale. Selon M. Banton, pour que ce responsable s'acquitte efficacement d'une tâche qui sera très dure, il faudrait qu'il puisse s'appuyer sur une déclaration de politique générale explicite concernant la lutte contre la discrimination raciale. M. de Gouttes a dit que l'Allemagne avait une politique d'intégration. Si tel est le cas, il faut que cette politique aussi fasse l'objet d'une déclaration de politique générale. Une telle initiative serait parfaitement conforme à une recommandation du Conseil de l'Europe selon laquelle les politiques concernant les relations intercommunautaires doivent être explicites. Il conviendrait que cette politique soit présentée par écrit, que l'on connaisse ses bénéficiaires et les organes responsables de son application, et que ceux-ci soient soumis à un contrôle.

5. De même, il serait très utile d'appliquer une recommandation du Comité en vue de la troisième Décennie de la lutte contre le racisme et la discrimination raciale selon laquelle les Etats devraient mettre au point des indicateurs sociaux pour juger des résultats de leurs politiques. En effet, à en juger par les questions de certains experts, on attend encore beaucoup de l'Etat pour remédier aux inégalités que révèlent les chiffres donnés dans leurs rapports. Or la tendance actuelle dans les pays industrialisés et développés est à un amoindrissement du rôle direct de l'Etat qui n'est plus en mesure de contrôler tous les aspects de la vie des citoyens. La privatisation gagne du terrain dans de nombreux pays. Certes, les Etats ont toujours certaines obligations au regard du droit international, mais leurs moyens de contrôle direct de nombreuses activités sont réduits; ils ont donc besoin d'une méthode qui leur permette de se rendre compte de ce qui se passe dans les domaines dans lesquels ils n'interviennent pas directement, et des indicateurs sociaux correspondant bien à leurs besoins d'information seraient d'un grand secours.

6. Passant ensuite à la question des minorités, M. Banton estime qu'il n'était pas nécessaire de distinguer entre "minorités" - mot qui n'apparaît pas à l'article 2 - et "autres groupes", car ce qui intéresse le Comité c'est la discrimination raciale. Il n'aurait pas pensé que le traitement de la population sorabe, par exemple, relève de l'application du paragraphe 2 de l'article 2 de la Convention. C'est un groupe dont on peut penser que les différences seront encore longtemps marquées, et auquel ne s'applique pas la disposition sur les mesures spéciales temporaires. Il lui semble plutôt que le cas des minorités, au sens de la Convention, doit être examiné en liaison avec l'application de l'article 5.

7. En ce qui concerne l'application de l'article 3, l'orateur répète que lorsqu'une première génération d'immigrants pratique elle-même la ségrégation d'avec le reste de la population, les conséquences peuvent être néfastes pour leurs enfants et que l'Etat partie devrait être très vigilant à cet égard.

8. S'agissant de l'article 4, il semble que la législation de la République fédérale soit conforme à ses dispositions. La question qui se pose est de savoir si elle est efficace. Les renseignements donnés dans le rapport sont rassurants, mais devraient être complétés.

9. Au sujet de l'application de l'article 5, l'orateur se joint aux experts qui ont fait des observations sur le libellé du paragraphe 156 du rapport, qui lui paraît pour le moins malheureux et gênant. A propos du paragraphe 158, M. Banton répète que l'exception prévue au paragraphe 2 de l'article premier de la Convention ne couvre pas les distinctions faites par des organes non gouvernementaux. En ce qui concerne la naturalisation, M. Banton se demande si les arrangements dans ce domaine sont appropriés, car, sauf à Berlin, semble-t-il, le taux de naturalisation est assez faible, ce qui laisse perplexe. L'orateur se demande si ce taux est entièrement dû aux conditions imposées par la législation ou s'il ne s'explique pas en partie par les orientations de ceux qui pourraient demander à devenir Allemands. Des éclaircissements à ce sujet seraient bienvenus.

10. A propos de l'application de l'alinéa a) de l'article 5, la législation de la République fédérale prévoit certes l'égalité de tous devant les tribunaux, mais si l'on considère la situation telle qu'elle se présente dans la réalité, on constate que certains groupes sont moins à même ou moins désireux de se prévaloir de certaines possibilités qui leur sont offertes, et que dans les établissements réservés aux délinquants mineurs certains groupes sont surreprésentés par rapport à la population totale. La question se pose de savoir si les tribunaux ne seraient pas moins bienveillants à l'égard de délinquants mineurs originaires de certaines minorités, notamment les Tziganes. La chose ne serait guère étonnante, vu qu'elle se produit aussi ailleurs, mais l'Etat ne doit pas moins s'en inquiéter et prendre les mesures voulues, le cas échéant.

11. S'agissant de l'alinéa b) de l'article 5, l'orateur voudrait savoir ce qu'il en est des conscrits professant des opinions d'extrême droite dont la conduite aurait alarmé leurs supérieurs. En 1992, de graves incidents - qui n'étaient pas tous le fait des conscrits - auraient conduit à demander l'introduction immédiate de programmes d'éducation dans l'armée. Il serait intéressant de savoir si cela a été fait et s'il est prévu d'évaluer l'efficacité de ces programmes. En effet, il est bon de comparer les effets de différentes méthodes pour s'en tenir aux plus efficaces. L'orateur demande aussi si des mesures sont prévues pour lutter contre la discrimination raciale au sein des forces armées. Il s'inquiète en particulier des brimades souvent infligées aux jeunes recrues, dont les membres des minorités risquent d'être plus que d'autres victimes. Il voudrait aussi savoir s'il existe des dispositions judiciaires pour les cas de ce type et si une instance civile peut être appelée à trancher. Il y aurait là un domaine d'activités intéressant pour le nouveau Secrétaire d'Etat, car il n'est pas toujours facile à l'administration civile d'avoir affaire à l'armée.

12. S'agissant de l'application de l'alinéa e) i) de l'article 5, l'orateur trouve que le paragraphe 167 du rapport est trompeur. Des différences dans les taux de chômage traduisent certes des différences dans les qualifications, mais ne traduisent-elles vraiment aucune discrimination ? De même, le paragraphe 178, sur la tâche des conseils du travail, n'est pas des plus clairs, car comment croire qu'ils peuvent empêcher la discrimination raciale lors du recrutement des travailleurs s'ils ne savent rien de ceux qui ne sont pas retenus pour une entrevue. Le Comité voudrait savoir si l'Allemagne cherche à lutter contre ces formes cachées de discrimination dans le secteur privé, comme le font d'autres pays.

13. Se pose aussi la question des primes d'assurance plus chères pour les travailleurs appartenant à certains groupes, primes appelées aussi "impôt sur la couleur". Peut-être vaut-il mieux, en effet, payer un peu plus et bénéficier d'une assurance que de n'être pas assuré. Mais ne vaudrait-il pas mieux que le gouvernement offre à certaines compagnies d'assurance une garantie financière leur permettant d'assurer, par exemple, des chauffeurs appartenant à ces groupes, et de voir s'ils constituent effectivement une catégorie à risque plus élevé.

14. L'orateur note qu'aux paragraphes 166 et 167, les deux sexes sont confondus dans les chiffres. Or, selon la Déclaration de Vienne de 1993, les organes conventionnels devraient pouvoir utiliser des données ventilées par sexe. Il faut espérer que ce sera fait dans le prochain rapport de l'Allemagne en ce qui concerne l'emploi, le logement, la santé, l'éducation, etc. Ce rapport devrait aussi donner des renseignements sur les recours offerts à ceux qui estiment avoir souffert de discrimination en ce qui concerne le logement.

15. M. Banton demande ensuite si l'Allemagne s'assure que le droit aux soins de santé est respecté sans discrimination. Elle pourrait s'apercevoir que, pour toutes sortes de raisons, certains groupes minoritaires souffrent plus que d'autres de telle ou telle forme de pathologie et qu'il n'est pas facile de les soigner. De même, s'agissant du droit à l'éducation, les enfants de certains groupes ont peut-être certaines difficultés d'apprentissage.

16. En ce qui concerne l'application de l'article 6, l'orateur demande sur quelle base on peut prétendre que la protection décrite au paragraphe 204 du rapport est efficace. Le Comité aimerait savoir comment une plainte contre un employeur privé ou un propriétaire est déposée, quelle suite lui est donnée, combien de personnes en ont déposé au cours de la période considérée et ce que pensent les membres de minorités ethniques de cette protection. L'orateur voudrait aussi savoir si la police, l'école, les employeurs ou le gouvernement local tiennent des dossiers sur les personnes d'origines ethniques diverses, et si les lois sur le respect de la vie privée et la protection des données ne limitent pas ce type de suivi. Il espère qu'il sera répondu à cette question dans le treizième rapport périodique de la République fédérale.

17. Enfin, s'agissant de la Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques, M. Banton se demande si la République fédérale ne s'est pas créé un faux problème en cherchant à définir les minorités. Dans la réalité, les choses sont plus simples. Si M. Banton comprend bien, il y a en Allemagne bon nombre de personnes d'origine turque dont certaines ont maintenant la nationalité allemande. Les membres de cette minorité peuvent pratiquer leur culture, parler leur langue, participer à la vie de la nation et créer leurs associations. Certains rentreront en Turquie et d'autres resteront en Allemagne. Tout cela ne pose aucun problème au regard de la déclaration en question.

18. M. FERRERO COSTA aborde en premier lieu la question centrale de la situation des étrangers en Allemagne. Il se félicite de la politique d'ouverture aux étrangers qui était celle de l'Allemagne jusqu'à une date récente et à la suite de laquelle les étrangers constituent près de 8 % de la population totale du pays. Il souligne cependant que cette situation pose déjà à l'Allemagne un grave problème en ce qui concerne le traitement non discriminatoire de ces étrangers. A ce propos, M. Ferrero Costa regrette que les statistiques annoncées au paragraphe 148 n'aient pas été jointes au rapport et qu'elles n'existent qu'en langue allemande. Il demande qu'elles soient communiquées au Comité dans une langue officielle de l'ONU. Il souligne ensuite qu'il y a contradiction entre, d'une part, la politique déclarée d'intégration des étrangers résidant en Allemagne depuis longtemps et, d'autre part, le fait qu'en pratique très peu sont naturalisés. Certes, comme il est rappelé au paragraphe 158 du rapport, le Comité n'a pas à débattre des législations nationales relatives aux étrangers, mais l'orateur estime que la réalité concrète ne peut être ignorée d'autant plus qu'elle touche de près la question des minorités ethniques. Il est évident que la situation déjà inquiétante où se trouvent celles-ci en Allemagne ne fera qu'empirer, d'autant plus que beaucoup d'étrangers non naturalisés vont rester dans le pays et que, du fait de leur taux de natalité plus élevé que celui du reste de la population, on peut penser qu'ils constitueront une proportion de plus en plus grande de cette population, tout en restant résidents de deuxième classe. L'orateur demande des éclaircissements sur la contradiction qu'il vient de mettre en évidence. Il met en garde contre un trop grand respect de la législation actuelle sur la nationalité. Il voudrait savoir quelle est cette législation au juste et s'il n'est pas envisagé de la modifier. Enfin, il se félicite de l'existence d'un ombudsman pour les étrangers, au niveau fédéral et aussi dans neuf Länder. Il demande quelle est leur action, dans la pratique, et s'ils sont efficaces et respectés ou si leurs fonctions sont seulement symboliques. Si la création de ces postes a eu quelque effet, d'autres Etats pourraient suivre ce modèle.

19. L'orateur en vient ensuite à la question des attentats racistes. Il s'étonne qu'au paragraphe 219, il soit question de la lutte contre la xénophobie "naissante"; il lui semble plutôt que la xénophobie est en recrudescence et que le mot "naissante" traduit une certaine légèreté de la part du Gouvernement de la République fédérale. En effet, si la xénophobie est qualifiée de naissante aujourd'hui, on peut se demander avec inquiétude ce qu'elle sera dans l'avenir. Sur le terrain, la République fédérale mérite certes d'être félicitée pour les initiatives qu'elle prend pour faire cesser les incidents racistes; malheureusement, on ne peut nier qu'ils soient de plus en plus nombreux. De plus, de nouveaux partis d'extrême droite continuent de se créer et l'orateur fait observer à cet égard que seulement deux partis de cette tendance ont été interdits. Il conclut de ces observations que la nouvelle réalité allemande invite à une révision de la législation. Il s'associe à M. van Boven, qui a demandé si le temps n'était pas venu d'adopter une législation d'ensemble pour juguler la discrimination raciale et demande que l'information assez déjà fournie soit complétée dans le prochain rapport par des renseignements précis et détaillés sur la législation en vigueur permettant d'appliquer l'article 4 de la Convention.

20. Le troisième grand sujet de préoccupations, lié d'ailleurs à la question des attentats racistes, est celui de l'éducation. M. Klaus Kinkel, cité au paragraphe 220, a dit, en 1991, alors qu'il était Ministre fédéral de la justice, qu'il fallait chercher à étudier les motifs de nombreux jeunes coupables de violence. Il a fait ensuite référence à la disparition de la stabilité du milieu social et a lancé un appel à tous les secteurs politiques et sociaux pour qu'ils éliminent les causes sociales du comportement xénophobe et violent des jeunes. La question centrale est la suivante : quelles initiatives sont prises pour modifier le système éducatif dans ses structures mêmes afin de faire évoluer la mentalité des jeunes Allemands et de lutter contre les actes de xénophobie ? M. Ferrero Costa voudrait savoir s'il y a en Allemagne une politique de l'éducation coordonnée avec la politique générale du gouvernement, et si, bien que l'enseignement relève des Länder comme cela est précisé au paragraphe 253, le gouvernement fédéral n'intervient pas aussi pour que dans les écoles on ne se contente pas de citer la Convention mais on mette l'accent sur une formation toute tournée vers la tolérance. Il est question au paragraphe 255 de projets pilotes conjoints entre l'Etat fédéral et les Länder. L'orateur demande si ces projets ont pris forme et se sont multipliés, et à quels résultats ils ont abouti. Au paragraphe 257 est mentionnée l'existence d'établissements d'enseignement bilingue. C'est là une initiative intéressante certes, mais l'orateur note que les deuxièmes langues enseignées sont toutes des langues européennes et demande si l'on envisage aussi d'enseigner dans ce type d'écoles les langues de minorités non européennes.

21. En quatrième lieu, M. Ferrero Costa demande, comme l'ont fait d'autres membres du Comité, si la position officielle du Gouvernement allemand à l'égard du problème de la discrimination raciale est exprimée dans un document écrit.

22. Enfin, le Gouvernement allemand envisage-t-il la possibilité d'accepter la compétence du Comité pour ce qui est d'examiner des plaintes émanant de particuliers, conformément à l'article 14 de la Convention ? Prévoit-il d'appliquer les dispositions de l'article 11, eu égard notamment aux graves problèmes de discrimination raciale que connaît actuellement l'Europe ?

23. M. ABOUL-NASR dit que les phénomènes d'agression et de haine raciale, de xénophobie et de résurgence d'idéologies racistes sont alarmants non seulement en Allemagne, mais dans l'Europe tout entière. Ces actes, qui sont pour la plupart le fait d'une minorité de jeunes gens mal informés, sont dénoncés par l'immense majorité des Allemands. Contre de tels agissements, il ne suffit d'opposer la répression et le châtiment. Il y a lieu d'engager aussi un dialogue, car ces jeunes représentent l'avenir.

24. Au-delà d'un effort d'éducation, qui a été préconisé par certains membres du Comité, il faudrait analyser les causes de ce phénomène. Celles-ci sont d'ordre économique, social et culturel, mais aussi politique, dans la mesure où les auteurs des actes de racisme sont encouragés par des politiciens qui sollicitent leurs voix à des fins électorales. Par ailleurs, on peut se demander dans quelle mesure les médias du monde entier, à la recherche du spectaculaire, ne marginalisent pas les étrangers en mettant en évidence leurs côtés négatifs.

25. A l'instar de M. Banton, M. Aboul-Nasr pense qu'il n'y a pas lieu d'accabler les seuls gouvernements de la responsabilité de ces actes de violence. L'université, la presse, les intellectuels et les politiciens sont tous parties prenantes à cette situation et doivent assumer un rôle dans la lutte contre la discrimination raciale. Cependant, M. Aboul-Nasr ne pense pas, à la lecture du rapport de l'Allemagne, que le gouvernement fasse des efforts pour dire aux Allemands, chiffres à l'appui, que la présence des étrangers est bénéfique à l'économie du pays.

26. Enfin, M. Aboul-Nasr croit comprendre que le Gouvernement allemand prélève un impôt au bénéfice de certaines institutions religieuses à l'exclusion d'autres. La religion étant dans certains cas étroitement liée à la race, notamment en ce qui concerne l'islam, qui est surtout représenté en Allemagne par les communautés turque et nord-africaine, le Gouvernement allemand ne pourrait-il envisager d'accorder un traitement égal à toutes les institutions concernées ?

27. M. YUTZIS se félicite, comme d'autres membres du Comité, de la qualité de la présentation du rapport de l'Allemagne et de l'importance de la délégation allemande.

28. En matière de discrimination raciale, l'Allemagne a modifié certaines des habitudes qu'elle avait observées par le passé. C'est ainsi que s'est créée, après la deuxième guerre mondiale une situation qui a poussé ce pays à offrir l'asile à toutes les personnes qui étaient persécutées politiquement. Cette prise de position, associée à la satisfaction d'autres besoins, est peut-être à l'origine de la présence, en territoire allemand, de 7 millions d'étrangers. A ce stade, une affirmation s'impose : dans les mythologies classiques, pratiquement aucune épopée ne manque d'accabler les étrangers de tous les maux de la société. La tragédie d'Oedipe roi, stigmatisé par le seul fait qu'il est étranger, est l'illustration d'un fait social qui remonte à la nuit des temps, et qui éclaire d'un jour particulier les problèmes qui se posent aujourd'hui en Allemagne. La violence de ces derniers temps, qui n'est que trop réelle, a aussi une valeur symbolique très préoccupante. Le fait de brûler vives des personnes, par exemple, procède dans le subconscient d'un acte de purification. C'est précisément pour cette raison que l'on en arrive à éprouver le besoin d'adopter une politique de limitation de l'immigration qui aboutira, selon les mots d'Herbert Leuninger, un des dirigeants de l'organisation Pro-Asyl, "à créer non pas une Europe commune, mais une forteresse commune".

29. Quant aux faits eux-mêmes, leur origine est à rechercher à l'intérieur de la société allemande. Ainsi, on peut se demander si certains phénomènes sociaux sont à considérer isolément ou comme le produit d'une situation sociale. Sur ce point, un représentant de la "droite" allemande, Hans Magnus Enzemsberger, a fait l'analyse suivante : "La guerre moléculaire qui se déroule dans les villes allemandes, et que dirigent les skinheads et les néonazis, doit être comparée à la guerre macroscopique qui se livre dans les Balkans". Par ailleurs, la culture est un facteur qui n'a pas toujours été pris suffisamment au sérieux. Consciemment ou inconsciemment, elle amène à prendre des positions ou à rédiger des textes qui peuvent au premier abord paraître inoffensifs, mais qui sont révélateurs. C'est ainsi qu'il est dit à l'alinéa b) du paragraphe 14 du rapport que "ni les membres de la minorité danoise ni leurs organisations ne peuvent être empêchés de s'exprimer en danois oralement ou par écrit". La formule négative employée dans ce texte laisse perplexe car elle dénote un parti pris restrictif. N'aurait-il pas mieux valu dire que l'on encourageait l'utilisation orale ou écrite du danois ? De même, il est dit au paragraphe 152 que "l'intégration ... exige aussi des efforts de la part des étrangers qui doivent, notamment, s'adapter aux valeurs, aux normes et aux us et coutumes du pays". En mettant l'accent sur les obligations des étrangers, le Gouvernement allemand a-t-il clairement conscience de toutes les difficultés que cela représente pour ce groupe de population ? Et lorsqu'on lit, au paragraphe 140, que "si l'idéologie extrémiste de droite en Allemagne en général force actuellement l'attention, c'est probablement à cause de l'agitation de l'extrême droite qui, de manière démagogique, simplifie et lie des questions complexes de la vie quotidienne telles que le chômage, le manque de logements et la présence de citoyens étrangers", on peut se demander si l'analyse symptomatique du problème social n'est pas faussée : certes, la droite peut exploiter, ou ne pas exploiter, certaines questions. Mais le problème réside dans l'existence même de ces questions et non pas dans leur exploitation. Dire aussi que les jeunes répondent à ce qu'ils perçoivent comme une concurrence et une menace de la part des étrangers par la violence extrême, c'est donner une analyse partielle du phénomène car on peut se demander, à cet égard, pourquoi les jeunes n'ont pas réagi avec la même violence dans les année 60, notamment en 1968.

Sur ce point, la recherche que le Gouvernement allemand se propose de confier à l'Université de Trèves paraît à M. Yutzis une excellente initiative, pour autant que l'on prenne garde à la méthodologie à appliquer et aux éléments épistémologiques en jeu. Par-dessus tout, il est essentiel que cette étude revête un caractère interdisciplinaire.

30. Enfin, M. Yutzis s'interroge sur les valeurs culturelles qui ont créé des modèles de société fondés sur la réussite. Poussant l'analyse plus loin, il demande s'il n'y a pas, en Allemagne, une relation entre pauvreté et racisme, comme c'est le cas en Amérique latine. Par ailleurs, il arrive souvent que la couleur de la peau coïncide avec le statut social et qu'elle ait un lien avec la marginalisation. L'explication économique, qui met en avant la récession pour justifier le taux de chômage élevé parmi les étrangers, ne justifie pas que ce soient surtout certains groupes de la population qui paient le prix de la crise.

31. Se référant au paragraphe 153 du rapport (CERD/C/226/Add.7), M. Yutzis dit que l'explication selon laquelle la concentration des Turcs dans la banlieue de Kreuzberg est liée au fait que les logements y sont peu coûteux et que les étrangers ont une propension à vivre dans un milieu qui leur rappelle leur pays natal, lui paraît bien exacte. Elle met en jeu un facteur économique et un facteur culturel. Cela étant, il convient de souligner que si l'on veut vivre dans un quartier cher il faut en avoir les moyens et que, lorsque l'on a des moyens, il est difficile de vivre dans un quartier bon marché, même si l'on y retrouve des compatriotes.

32. En conclusion, M. Yutzis estime que la société allemande constitue un cocktail explosif. Il y a pour commencer un très grand nombre d'étrangers. On observe par ailleurs des actes de violence ayant un fondement symbolique, ce qui est très important car cela à trait à l'imaginaire et à l'inconscient des groupes sociaux. A cela s'ajoute le fait qu'en situation de crise, les étrangers sont les premiers à payer le prix. Enfin, il est très difficile d'être triomphaliste en ce qui concerne l'intégration des modèles culturels.

33. Le PRESIDENT, tout en se félicitant des mesures prises par le Gouvernement allemand face aux manifestations racistes qui constituent un problème de plus en plus préoccupant, estime que celui-ci doit rester très vigilant et renforcer son action. Le gouvernement doit prendre des mesures d'ordre pénal, notamment à titre préventif tout en menant une campagne d'information plus intensive au titre de l'article 7 de la Convention. Par ailleurs, le Président estime qu'il faut assurer aux minorités quelles qu'elles soient une protection plus homogène, tout en accordant une attention particulière aux étrangers, aux réfugiés et aux demandeurs d'asile. Il sera peut-être nécessaire de revoir la législation à ce sujet. Enfin, le Président est convaincu qu'il est impossible de lutter contre les organisations politiques de tendance raciste qui incitent à la violence et à la haine raciale en adoptant uniquement des mesures administratives; il faut veiller à une application stricte de la loi pénale.

34. Le Président remercie la délégation allemande d'avoir présenté le douzième rapport périodique de son pays, en estimant que ce document, tout comme sa présentation, ont dépeint la réalité avec beaucoup de clarté, de franchise et de précision.

35. M. MEYER-LADEWIG (Allemagne) tient tout d'abord à remercier les membres du Comité pour la compréhension dont ils ont fait preuve face à la situation difficile dans laquelle se trouve l'Allemagne pour ce qui est de la population étrangère. Les observations formulées et les questions posées ont bien mis en lumière toute la complexité du problème et M. Meyer-Ladewig assure le Comité qu'elles seront transmises au Parlement et au gouvernement.

36. En réponse à l'observation du rapporteur de pays, M. van Boven, sur la façon dont la question des minorités est présentée dans le rapport, M. Meyer-Ladewig reconnaît que la présentation n'est peut-être pas tout à fait conforme à ce qu'aurait souhaité le Comité. Les auteurs du rapport ont choisi de traiter en particulier la question des minorités danoise et sorabe, car ces deux communautés ont un statut particulier. Cela ne signifie pas pour autant que les étrangers et les autres minorités ne bénéficient pas d'une protection et ne peuvent maintenir, s'ils le désirent, leur identité culturelle. Pour ce qui est des Turcs, très nombreux en Allemagne, soit ils ont acquis la nationalité allemande et bénéficient donc des mêmes droits que n'importe quel autre citoyen allemand, soit ils sont toujours étrangers. Dans le deuxième cas, ils ne constituent pas une minorité nationale, mais jouissent de tous les droits garantis par la Constitution.

37. En ce qui concerne l'application de la Convention, tous les organismes publics, que ce soit au niveau fédéral ou au niveau des Länder, sont liés par les dispositions de cet instrument et coopèrent à leur mise en oeuvre. Quant à la question de savoir si la législation contre la discrimination est efficace, ou si des amendements sont nécessaires et des mesures doivent être prises, elle est actuellement examinée par les autorités allemandes et, de ce point de vue, les commentaires des membres du Comité sont très intéressants. Pour ce qui est de la prise en compte des dispositions de la Convention dans le droit privé, M. Meyer-Ladewig précise que dans le domaine des assurances, la loi prévoit qu'un assureur est tenu de délivrer une police d'assurance à toute personne qui lui en fait la demande. Autrement dit, aucune discrimination n'est possible à ce niveau. Il existe par ailleurs un service chargé de veiller à ce qu'il n'y ait pas d'abus dans ce domaine. Par contre, en matière de location, un propriétaire qui loue son appartement ou sa villa peut refuser de signer un bail avec telle ou telle personne. Cela dit, il est très difficile de prouver qu'une attitude est fondée sur une discrimination raciale, ethnique ou religieuse. Pour ce qui est de l'interprétation de la Convention qui figure au paragraphe 158 du douzième rapport périodique (CERD/C/226/Add.7), M. Meyer-Ladewig précise que les autorités allemandes sont ouvertes au dialogue et sont prêtes à répondre à toutes les questions du Comité. Il en va de même pour l'article 14 de la Convention. M. Meyer-Ladewig tient cependant à préciser qu'il existe toute une gamme d'instruments nationaux et internationaux qui permettent de surveiller la situation des droits de l'homme et les mesures prises dans ce domaine. Certains estiment d'ailleurs en Allemagne qu'il n'est pas utile de renforcer le système existant.

38. Répondant à la question de M. van Boven, qui se demandait dans quelle mesure les incidents racistes qui avaient eu lieu étaient liés entre eux, voire télécommandés, M. Meyer-Ladewig précise que les groupes de jeunes

à l'origine de ces incidents ne sont pas des associations officielles, mais des groupes de connaissances ou d'amis. C'est la raison pour laquelle on ne peut les interdire et l'on n'a pas pu constater s'ils étaient télécommandés.

39. Passant à la question du dédommagement des victimes de persécutions raciales commises sous le régime hitlérien, M. Meyer-Ladewig précise que les Tziganes ont droit à un dédommagement au même titre que juifs. Ces derniers, bien organisés, ont invoqué les dispositions de la loi les autorisant à réclamer des dédommagements, mais les Tziganes, moins bien organisés, ont attendu longtemps avant de réclamer des indemnités, ce qui pose aujourd'hui un problème difficile à résoudre. Cela étant, les groupes concernés peuvent obtenir des conseils juridiques. Pour ce qui est de l'indemnisation des personnes soumises au travail forcé sous le régime nazi, les demandes de dédommagement ne peuvent être déposées par un individu auprès d'un Etat, mais par l'Etat dont il est ressortissant, car c'est cet Etat qui avait négocié les conditions de travail de ses ressortissants, lesquels n'avaient pas signé des contrats de travail à titre individuel.

40. Passant à la question relative aux dispositions pénales, M. Meyer-Ladewig rappelle que le Gouvernement allemand a publié un rapport sur le délit de xénophobie et de violence raciale dans lequel il énumère les dispositions existantes. En règle générale, les autorités estiment que le système existant est suffisant pour lutter contre ce problème. En fait, le problème n'est pas celui de la législation, mais bien de sa mise en oeuvre.

41. Pour ce qui est de l'éducation dans les prisons, M. Meyer-Ladewig précise que de nombreuses mesures existent pour assurer aux jeunes détenus une éducation et une formation. En fait, ces mesures peuvent être imposées par le tribunal lorsqu'il prononce sa sentence.

42. Passant à la question du recrutement et de la formation des agents de police dans les nouveaux Länder, M. Meyer-Ladewig reconnaît que certaines difficultés ont surgi au lendemain de la réunification des deux Allemagne et que les mesures prises sont transitoires.

43. S'agissant de la protection de certaines catégories de personnes, M. Meyer-Ladewig précise que les jeunes, tout comme les juifs, ne bénéficient pas d'une protection particulière, mais de celle accordée à tous les citoyens conformément à la loi et à la Constitution.

44. M. Meyer-Ladewig reconnaît que les statistiques concernant les actes criminels commis contre les étrangers ne sont pas assez précises. La situation s'est un peu améliorée depuis que le gouvernement a demandé aux Länder de fournir des données dans ce domaine. Il faut cependant apporter encore des améliorations pour que les chiffres puissent être publiés sous une forme plus accessible au public. Cela étant, il convient de rappeler qu'une étude très détaillée de 150 pages a été publiée sur l'ensemble des incidents de violence xénophobe.

45. Se référant aux observations de M. Banton et dans le souci de dissiper un malentendu, M. Meyer-Ladewig précise qu'un nouveau secrétariat d'Etat n'a pas été créé, mais qu'il existe un organe de coordination composé de secrétaires d'Etat des différents départements concernés, qui se réunit pour assurer une meilleure coordination des activités et examiner ce qui doit être entrepris.

46. Passant à la question des forces armées et des actes de xénophobie, M. Meyer-Ladewig signale qu'un rapport a été publié en octobre 1992 à ce sujet. Ce rapport évalue la situation et précise le nombre des incidents xénophobes et les mesures prises pour lutter contre la xénophobie. Il indique également que la xénophobie est une question dûment prise en compte lors de la formation des recrues dans les écoles militaires. Tout acte de xénophobie est punissable au titre de mesures disciplinaires ou du Code pénal.

47. Enfin, en ce qui concerne les étrangers et l'éducation, M. Meyer-Ladewig précise qu'une assistance est apportée aux enfants étrangers dans les écoles, sous forme de cours particuliers en groupe. Par ailleurs, les enfants étrangers peuvent bénéficier de cours dans une autre langue; il existe des directives générales à ce sujet.

48. M. REERMANN (Allemagne) va s'efforcer de répondre aux questions relevant des compétences du Ministère de l'intérieur. Tout d'abord, l'intégration des étrangers est une question d'autant plus complexe et délicate que la population étrangère est importante et que la situation économique générale s'est dégradée. L'Allemagne s'est donnée pour politique d'assurer l'intégration de la population étrangère de façon à éviter l'apparition de nouveaux problèmes. A cet effet, elle a recours à tout un éventail d'instruments allant de la scolarisation aux programmes de formation professionnelle; en particulier, des cours spéciaux de langue sont dispensés aux jeunes étrangers.

49. L'intégration n'est pas exclusivement axée sur la vie économique et sociale, mais elle ne vise pas non plus à une assimilation totale; une politique d'assimilation forcée entraînerait une déculturation contraire à l'objectif recherché. On escompte plutôt que les échanges entre communautés religieuses et culturelles diverses seront source d'enrichissement pour tous; c'est là une tâche qui n'incombe pas seulement à l'Etat, mais aux travailleurs étrangers eux-mêmes. Ceux-ci ont d'ailleurs de plus en plus conscience de leur importance dans la société allemande; certains secteurs - la restauration, l'agriculture ou le secteur hospitalier par exemple - ne sauraient fonctionner sans eux et 1 million au moins de travailleurs étrangers sont indispensables au bon fonctionnement de l'économie allemande.

50. Depuis les années 80, on a renoncé à procéder au rapatriement forcé des étrangers, car on s'est aperçu que cette politique présentait de graves inconvénients, de nombreux jeunes étrangers ayant alors été contraints de rentrer dans leur pays d'origine avec leurs parents. Il leur est maintenant possible de rentrer en Allemagne s'ils n'ont pas pu s'insérer dans leur pays.

51. Il a été demandé s'il y avait égalité de traitement en matière de naturalisation. D'après les statistiques dont on dispose, le pourcentage des naturalisations est plus important à Berlin que dans les autres Länder. On ne sait pourquoi, mais il semble que la possibilité offerte aux étrangers d'obtenir la naturalisation n'est pas très largement utilisée; 47 % des étrangers qui se trouvent en Allemagne y restent plus de dix ans, mais seule une petite fraction d'entre eux demande à être naturalisés : 141 000 personnes seulement l'ont fait en 1992, et il s'agissait pour la plupart d'Allemands venus des pays de l'Est qui pouvaient obtenir automatiquement la naturalisation à leur entrée en Allemagne. Ce sont seulement 28 000 autres étrangers qui ont demandé la naturalisation, alors que la loi facilite désormais l'acquisition de la nationalité allemande pour les jeunes qui ont grandi en Allemagne et les personnes qui y résident depuis plus de dix ans.

52. La législation en matière de naturalisation exige que l'intéressé abandonne sa nationalité d'origine. La question de la double nationalité fait actuellement l'objet d'un vif débat. On se demande si les conditions exigées ne constituent pas un obstacle à la présentation de demandes de naturalisation. L'abandon de la nationalité d'origine n'est d'ailleurs pas une exigence absolue, car on tient compte des problèmes particuliers que cela peut poser à certaines personnes. Ainsi, en 1991, sur quelque 3 500 Turcs ayant demandé la nationalité allemande, plus de 2 350 ont été autorisés à bénéficier de la double nationalité en raison des difficultés qu'ils risquaient de rencontrer en Turquie s'ils renonçaient à leur nationalité d'origine.

53. Il a été demandé pourquoi les ombudsmen pour les étrangers ne prenaient pas part à l'activité gouvernementale ou parlementaire. Or c'est précisément ce qu'on a voulu éviter : l'ombudsman doit être totalement indépendant et représenter les intérêts des étrangers sans être lié en aucune façon par les politiques gouvernementales. Dans presque tous les Länder, des ombudsmen ont été désignés pour défendre la cause des étrangers, et un comité permanent traite également de questions telles que la législation antidiscriminatoire, la double nationalité, etc., dont le Parlement est ensuite saisi et dont les médias se font largement l'écho. Il est donc important que les ombudsmen n'aient aucune attache politique susceptible de limiter leur marge de manoeuvre. Cependant ils participent à tous les débats relatifs à la législation et à la réglementation, où ils font connaître le point de vue de la population étrangère.

54. Une nouvelle législation a été promulguée à propos des droits des requérants d'asile; celle-ci fait l'objet d'une brochure qui est à la disposition du Comité. Ces nouvelles dispositions ont entraîné d'assez sérieuses difficultés pour les autorités. En effet, toute personne ayant fait l'objet de persécutions politiques dans son pays avait le droit d'entrer et de rester sur le territoire fédéral tant qu'il n'avait pas été statué sur son cas. En outre, si la décision prise était négative, l'intéressé pouvait intenter un recours devant les tribunaux et, dans l'intervalle, il bénéficiait d'une protection sociale et d'un permis de travail. Cela a entraîné un afflux considérable de candidats; 400 000 immigrants ont alors sollicité l'asile. Il a été demandé si le débat ouvert en vue d'amender la loi sur l'asile avait pu être à l'origine de certaines violences xénophobes. Un nombre de personnes considérable ayant demandé l'asile et les communes n'étant plus en mesure de traiter ces cas de manière satisfaisante, la question est évidemment venue à l'attention du public, et la modification éventuelle de la loi a fait l'objet d'une controverse; mais il ne semble pas que cette controverse ait favorisé la xénophobie. Quant au problème des émeutes xénophobes, il est discuté en Allemagne depuis 1980, année où il y a eu 100 000 demandes d'asile : c'est alors que l'on a commencé à se demander sérieusement s'il fallait ou non amender la Constitution allemande et dans quelle mesure.

55. M. van Boven a posé une question à propos de l'expulsion ou du rapatriement forcé de personnes nées en Allemagne. Il ne peut s'agir que de cas extrêmement rares, car il existe une protection absolue contre l'expulsion et le rapatriement forcé. S'il y a des raisons graves d'expulser quelqu'un, l'administration est tenue de tenir compte de certains critères ayant trait aux droits de l'homme; ainsi, nul ne peut être renvoyé dans un pays où il risque la torture ou la peine de mort. Pour sa part, M. Reermann ne croit pas qu'il ait jamais été fait usage de cette possibilité d'expulsion.

56. Une question a été posée au sujet du programme de rapatriement des Tziganes roms vers Skopje. Deux autres projets de ce type, non mentionnés dans le rapport, ont été entrepris en collaboration avec la Bulgarie et la Roumanie. Des institutions d'enseignement et de formation ont été mises en place dans les pays de rapatriement afin d'aider les intéressés à mieux s'intégrer dans la vie économique. L'action entreprise en faveur des Tziganes roms de Macédoine ayant quitté la Westphalie n'a bénéficié qu'à 600 personnes au lieu des 1 500 prévues, mais ce programme de rapatriement a été salué comme une réussite par les médias. L'initiative, qui émanait au départ des Länder, a reçu l'appui des autorités fédérales.

57. La proportion des demandes d'asile acceptées étant actuellement très faible, on se demande s'il y aurait moyen d'en augmenter le nombre. Ainsi, sur quelque 300 000 demandes traitées, 4 % sont actuellement acceptées; il y a beaucoup d'appels, mais 6 % seulement des requérants qui font appel obtiennent en fin de compte satisfaction. En fait, on constate que beaucoup de requérants sont venus en Allemagne pour des raisons économiques ou familiales.

58. M. SIEGELE (Allemagne), répondant aux questions posées sur le rôle de la police, déclare que la xénophobie est une question que les instances fédérales et celles des Länder ont abondamment discutée ces dernières années; de multiples rencontres et groupes d'étude ont été organisées par les ministères de l'intérieur et de la justice et de la police notamment, afin de réfléchir à ce phénomène. Toute une série de dispositions ont été prises au niveau des autorités policières régionales qui, espère-t-on, permettront d'améliorer la situation.

59. Tout d'abord, des mesures concrètes de protection des requérants d'asile ont été mises en place : les patrouilles de police sont plus fréquentes, des dispositifs de sécurité protègent leurs foyers et lieux d'hébergement. Des contacts permanents ont lieu entre les représentants des groupes de requérants d'asile, les gérants des foyers, la police et les pompiers; un personnel de liaison a été mis en place. Les quartiers où sont situés les foyers sont surveillés, et leurs habitants invités à prévenir la police ou les pompiers en cas de nécessité. Des organismes sociaux ont été créés pour suivre la situation dans les foyers et centres d'hébergement, et des mesures de contrôle sont prises chaque fois que l'on s'attend à des troubles. Les groupes soupçonnés de se livrer à la violence font l'objet d'une surveillance plus rigoureuse. Toutes ces mesures se sont révélées efficaces. A Rostock, à la suite des incidents que l'on sait, 370 arrestations ont eu lieu et la police a procédé à plus de 400 enquêtes, dont 300 pour troubles de l'ordre public.

60. La violence xénophobe est un problème social d'ensemble que le Ministère de la justice et de la police n'est pas en mesure de résoudre seul; mais la police s'efforce d'intervenir dès qu'une situation préoccupante apparaît. A Rostock encore, les deux centres d'hébergement des requérants d'asile sont protégés en permanence par des patrouilles, et les commissariats disposent d'unités spécialisées dans la lutte contre la violence xénophobe. Enfin, au niveau politique, le Parlement de chaque Land s'est doté d'un comité spécial chargé d'enquêter sur les incidents qui se produisent.

61. Les problèmes spécifiques qui se posent en ce qui concerne l'organisation de la police des nouveaux Länder sont essentiellement des problèmes d'éducation et de formation. La mise en place de forces de police démocratiques dans ces Länder est une tâche délicate et de longue haleine. Les problèmes tiennent moins aux moyens et aux équipements qu'aux ressources humaines. L'encadrement est surtout recruté dans les Länder occidentaux. Les agents maintenus en poste après examen de leurs antécédents bénéficient de programmes de recyclage. Les structures sont maintenant en place et les effectifs sont comparables à ceux des Länder occidentaux. Toutefois beaucoup de policiers ne sont pas encore en service actif, leur formation n'étant pas terminée; ce devrait bientôt être chose faite.

62. On a constaté que les attentats visant les biens de personnes appartenant à la communauté juive sont en forte augmentation. Toutefois, la proportion des délits commis à l'encontre de ces personnes et de leurs biens par rapport à l'ensemble des délits a diminué, passant de plus de 9,5 % en 1991 à 7,1 % en 1992, et l'on ne s'attend pas à ce que la tendance s'inverse dans l'avenir. Quant à la protection de ces personnes, qui relève des forces régionales de police, elle est assurée grâce à une étroite coopération entre les forces de sécurité et les associations et organisations juives.

63. Beaucoup de questions ont été posées sur l'interdiction des organisations et partis extrémistes. Depuis décembre 1992, six groupes d'extrême droite ont été interdits, trois par le Ministère de l'intérieur et les autres par les Länder. A ce propos, il a été demandé si les mouvements d'extrême droite ne devraient pas tout simplement faire l'objet d'une interdiction générale. La Constitution allemande protège la liberté d'association, si bien que dans chaque cas particulier il convient de procéder à un examen approfondi afin de s'assurer que les conditions d'une interdiction sont réunies. D'ailleurs, si une association faisait appel d'une interdiction devant les tribunaux et avait gain de cause, elle sortirait plus forte de l'épreuve. De plus, lorsqu'une organisation est interdite, ses membres se réfugient dans la clandestinité et la police perd alors une source d'information. Il y a aussi des risques de radicalisation de ces groupes. La question de l'interdiction générale des organisations d'extrême droite est donc délicate, et cela est encore plus vrai dans le cas des partis. Leur interdiction ne peut être prononcée que par la Cour constitutionnelle fédérale, et une décision négative de sa part pourrait avoir des conséquences très fâcheuses. Il n'en reste pas moins que l'interdiction des partis extrémistes est une question à laquelle le gouvernement fédéral réfléchit sérieusement.

64. M. SASDRICH (Allemagne), répondant aux questions intéressant le Ministère du travail et des affaires sociales, rappelle que M. Banton a demandé comment on veillait à ce qu'il n'y ait pas de discrimination systématique dans le recrutement des travailleurs étrangers. En cette matière, la législation du travail prévoit que les conseils des travailleurs et les employeurs doivent agir de concert. Le recrutement d'un travailleur doit être approuvé par le conseil des travailleurs, et un équilibre est à trouver entre les intérêts des travailleurs et ceux des employeurs. Le conseil est en droit de poser des questions et d'obtenir des informations auprès des employeurs; il a accès aux dossiers de recrutement et peut demander pourquoi tel candidat n'a pas été invité à se présenter pour une entrevue. Bien entendu, il est très difficile de prouver que les motifs invoqués par un employeur pour rejeter une candidature sont véritables ou qu'ils ne sont qu'une excuse et dissimulent une attitude xénophobe. Or, si l'affaire est portée devant un tribunal il faudra fournir des preuves, ce qui en l'absence de témoins s'avérera très difficile. Ainsi, il y aura toujours des cas particuliers où il sera impossible de dissiper un soupçon. Dans de telles affaires, il convient de tirer parti de toutes les possibilités d'intervention qui s'offrent. Il faut à ce propos préciser que les travailleurs étrangers peuvent être élus aux conseils des travailleurs; par ce biais, il leur est possible d'obtenir des informations sur le recrutement. Au sein des entreprises, le débat doit être permanent à ce sujet, et les pratiques différeront d'un cas à l'autre selon que les parties intéressées seront très motivées ou non.

65. D'une manière générale, le principe fondamental est que les travailleurs étrangers sont placés sur un pied d'égalité avec les Allemands. En matière de protection sociale, c'est le principe de la territorialité qui s'applique, c'est-à-dire que quiconque dispose d'un permis de résidence permanent a accès aux mêmes services et a les mêmes droits et les mêmes obligations que les travailleurs allemands - qu'il s'agisse d'assurance chômage, d'assurance maladie, de maternité, de congés, d'invalidité, etc.; les travailleurs étrangers sont entièrement couverts par le système de sécurité sociale.

66. En ce qui concerne les dédommagements accordés aux victimes de violences, une lacune des textes a maintenant été comblée. A la suite des attaques xénophobes qui ont eu lieu, le système a été étendu aux étrangers, et tout requérant d'asile se trouvant légalement en Allemagne a droit à dédommagement s'il a subi des violences - de même du reste que les touristes qui se trouvent dans le même cas. Le niveau de dédommagement est cependant fonction du temps passé en Allemagne, et il sera faible pour les personnes ayant passé moins de six mois dans le pays, sauf si, à la suite d'une agression, elles ont subi un préjudice permanent.

67. A propos des contrats de travail, il a été demandé pourquoi des restrictions étaient apportées au travail de certains jeunes. Les accords passés par l'Allemagne avec les anciens pays d'Europe orientale prévoient spécifiquement l'admission d'un certain nombre de jeunes appelés à acquérir une expérience dans la perspective du passage de leur pays à l'économie de marché. Ils s'initient ainsi au fonctionnement du système économique occidental avant de retourner dans leur pays. Il ne s'agit pas d'une exception à la décision de ne plus encourager la venue de travailleurs migrants, mais d'une aide apportée aux pays d'Europe orientale désireux de se familiariser avec le système économique occidental.

68. M. van BOVEN (Rapporteur pour l'Allemagne) remercie vivement la délégation allemande pour les réponses qu'elle a apportées au Comité et regrette de ne pouvoir poursuivre le dialogue par manque de temps. Beaucoup d'éclaircissements utiles ont été fournis; il n'en reste pas moins que la situation en Allemagne est préoccupante, ainsi que la délégation allemande l'a d'ailleurs reconnu. Etant donné l'importance de la xénophobie et du racisme dans ce pays, le Comité se doit de suivre de près l'évolution de la situation et il va formuler une recommandation dans ce sens.

69. M. RECHETOV s'associe à ce que vient de dire M. van Boven, tout en soulignant la qualité de la composition de la délégation allemande; on peut considérer, du point de vue des travaux du Comité, que la composition de cette délégation est presque parfaite. Dans ses recommandations, le Comité devrait demander que les délégations envoyées par les autres pays soient constituées de manière analogue.

70. La délégation allemande a fait savoir que le précédent rapport périodique au Comité (CERD/C/172/Add.13) a été publié en Allemagne et que le présent rapport le sera aussi; c'est là une excellente initiative que le Comité devrait également inciter les autres pays à imiter.

71. Le PRESIDENT remercie la délégation allemande de sa collaboration efficace. L'examen du douzième rapport périodique de son pays est ainsi achevé. Il reste maintenant au Comité à rédiger ses conclusions finales sous l'autorité de M. van Boven.

72. La délégation allemande se retire.


La séance est levée à 18 h 5.

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