Distr.

GENERALE

CAT/C/SR.181
22 avril 1994


Original: FRANCAIS
Compte rendu analytique de la premiere partie (publique) de la 181ème seance : Greece. 22/04/94.
CAT/C/SR.181. (Summary Record)

Convention Abbreviation: CAT
COMITE CONTRE LA TORTURE

Douzième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA PREMIERE PARTIE (PUBLIQUE)*
DE LA 181ème SEANCE

tenue au Palais des Nations, à Genève,
le 22 avril 1994, à 10 heures


Président : M. DIPANDA MOUELLE

SOMMAIRE


Examen des rapports présentés par les Etats parties en application de l'article 19 de la Convention
(suite)

Deuxième rapport périodique de la Grèce



* Le compte rendu analytique de la deuxième partie (privée) de la séance est publié sous la cote CAT/C/SR.181/Add.1.

La séance est ouverte à 10 h 5.

EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES EN APPLICATION DE L'ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (point 6 de l'ordre du jour) (suite)

Deuxième rapport périodique de la Grèce (CAT/C/20/Add.2)

Sur l'invitation du Président, MM. Mathias, Daratzikis, Xonas, et Papaconstantis (Grèce) prennent place à la table du Comité.

1. M. MATHIAS (Grèce) rappelle que son pays, partie à la Convention européenne des droits de l'homme, qui assure actuellement la présidence de l'Union européenne ne peut qu'être favorable à l'adhésion de l'Union européenne à cette convention. La Grèce a reconnu la compétence du Comité en vertu des articles 21 et 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et figure parmi les auteurs de la résolution 1994/40 concernant l'élaboration d'un projet de protocole facultatif à cet instrument.

2. En tant que magistrat, M. Mathias est extrêmement sensible au problème de la torture et des autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, surtout lorsqu'en sont victimes des accusés ou des détenus. La situation en Grèce, quoique n'étant pas idéale, s'est beaucoup améliorée, notamment sous l'influence bénéfique du Comité, et elle progresse constamment. Les difficultés qui subsistent s'expliquent dans une large mesure par la montée de la criminalité grave et, partant, par la congestion des prisons et l'insuffisance des personnels de police et de garde. La Constitution hellénique, élaborée après la chute de la dictature des colonels, énonce une condamnation expresse de toute torture. En application du paragraphe 1 de l'article 2 de la Convention, la Grèce a, depuis 1986, pris des mesures afin d'améliorer la formation et l'information des personnels de police : introduction d'un code de conduite des personnels de police, promulgation d'une loi disciplinaire applicable à ces personnels, organisation à leur intention de programmes et de séminaires de formation, définition, par décret présidentiel, de l'organisation et du fonctionnement des prisons ainsi que des obligations des personnels de police et publication d'une circulaire du Ministère de l'ordre public donnant à tous les départements de la police des instructions sur le comportement à adopter vis-à-vis des citoyens et en particulier sur la procédure à suivre en cas de mesure limitant ou restreignant leur liberté (par. 6, 7 et 8 du rapport).

3. En ce qui concerne l'application de l'article 12 de la Convention, M. Mathias signale que toutes les accusations d'actes de torture, de mauvais traitement ou d'abus de pouvoir mettant en cause des membres de la police ou du personnel pénitentiaire ont été examinées de façon approfondie par les autorités judiciaires compétentes. Parallèlement, une action disciplinaire a été engagée contre les coupables. M. Mathias se réfère, à cet égard, aux articles 9 à 15 du rapport où figurent les détails des enquêtes et des actions menées par les ministères de la justice et de l'ordre public, le Procureur général près la Cour suprême et le Ministère de la défense nationale. D'autre part, au cours des derniers six mois, la Grèce a pris un certain nombre d'importantes mesures de droit pénal, de procédure pénale et de droit correctionnel en vue de réduire la surpopulation carcérale, d'améliorer les conditions de détention et de restreindre les cas et la durée de la détention préventive. Ainsi, les cas de remise de peine et de libération anticipée sous condition d'abstention de conduite criminelle ont été considérablement élargis. Par ailleurs, une loi récemment votée prévoit la commutation de certaines peines privatives de liberté en peines pécuniaires. En outre, le champ d'application de la détention préventive a été restreint et mieux délimité, c'est-à-dire qu'elle n'est autorisée que lorsque les indices de culpabilité sont sérieux, qu'il s'agit de crimes ou de délits punis d'une peine de prison d'une durée d'au moins un an et d'un accusé sans résidence fixe, fugitif ou dont on soupçonne qu'il va commettre de nouveaux délits s'il reste en liberté. En tout cas, la durée de la détention préventive ne saurait excéder un an pour les crimes et six mois pour les délits (sauf situation absolument exceptionnelle). M. Mathias signale aussi que la peine de mort a été abolie en Grèce. Enfin, la Grèce a pris des mesures de formation professionnelle des détenus en organisant des ateliers d'apprentissage en prison et des mesures législatives votées en 1993 permettent à certaines catégories de détenus de sortir de la prison pour raisons familiales, professionnelles ou personnelles.

4. M. EL IBRASHI (Rapporteur pour la Grèce) rappelle que la législation grecque relative à la torture, analysée de façon approfondie au moment de la présentation du rapport initial devant le Comité le 15 novembre 1990, non seulement a été jugée satisfaisante par le Comité mais encore que certains de ses membres la considèrent comme l'une des législations les plus avancées d'Europe. Il souhaite poser quelques questions concernant l'application de l'article 3 de la Convention. Il se réfère notamment à l'article 25 de la loi grecque 1975/1991 - entrée en vigueur le 19 mars 1993 - et qui prévoit qu'un étranger demandeur d'asile doit soumettre sa demande immédiatement à son arrivée dans le pays, c'est-à-dire au poste-frontière ou auprès des autorités municipales les plus proches du point où il aura été découvert. Cette loi stipule par ailleurs qu'une demande émanant d'un étranger qui ne vient pas directement d'un pays où sa vie ou sa liberté sont en danger sera considérée comme irrecevable. M. El Ibrashi souhaiterait avoir des détails sur la façon dont cette loi est appliquée et sur sa compatibilité avec l'article 3 de la Convention. Le demandeur d'asile dont la demande est refusée dispose-t-il d'un recours et a-t-il le droit à un conseil juridique ? Existe-t-il des statistiques sur le nombre de personnes refoulées vers leur pays d'origine depuis l'entrée en vigueur de cette loi ?

5. En ce qui concerne les mesures prises conformément à l'article 12 de la Convention, M. El Ibrashi a été frappé de constater que toutes les accusations d'actes de torture, de mauvais traitements ou d'abus de pouvoir mettant en cause des membres de la police ou du personnel pénitentiaire avaient été examinées par les autorités judiciaires compétentes. Des enquêtes auraient-elles néanmoins été menées sans les allégations publiées par Amnesty International ? Par ailleurs, M. El Ibrashi s'étonne de voir qu'aucun cas de torture, de traitement inhumain ou dégradant n'a été signalé dans les prisons militaires entre le 9 septembre 1990 et le 30 septembre 1993. Serait-il possible d'obtenir malgré tout des statistiques concernant cette période ?

6. La victime d'actes de torture - ou ses proches si elle est décédée - est apparemment en droit de demander une indemnisation in integrum ainsi qu'une compensation pécuniaire aussi bien à l'Etat qu'à l'auteur de ces actes. M. El Ibrashi souhaiterait avoir des éclaircissements sur cette procédure car il semblerait que les victimes peuvent intenter une action à l'encontre de l'un ou de l'autre, ou encore des deux. D'autre part, la victime peut-elle prendre part elle-même aux poursuites en ouvrant parallèlement une procédure civile si, par exemple, le procureur n'a pu établir qu'il y avait eu torture dans le cadre de la procédure pénale ? La victime peut-elle participer elle-même aux poursuites pénales et peut-elle faire appel du jugement devant l'instance supérieure ? Enfin, les victimes de tortures infligées par des membres des forces armées peuvent-elles obtenir réparation selon les mêmes modalités ou existe-t-il des voies de recours spécifiques ?

7. M. El Ibrashi appelle l'attention sur un fascicule publié tout récemment par Amnesty International et consacré aux tortures et mauvais traitements en Grèce. Il y est question d'un grand nombre de cas de tortures ou mauvais traitements dont se seraient rendus coupables des policiers. Amnesty International y suggère qu'eu égard à la persistance de tortures et mauvais traitements systématiques, une commission publique d'enquête soit créée afin de faire la lumière sur ces faits. Elle préconise, d'autre part, que la Grèce ratifie le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ainsi que son Protocole facultatif. Il serait extrêmement utile que la délégation grecque prenne connaissance de ce fascicule et qu'elle présente des commentaires à son sujet, sinon à la présente session, du moins dans un additif au rapport à l'examen.

8. M. SORENSEN (Rapporteur suppléant pour la Grèce) apprécie lui aussi que le Gouvernement grec ait envoyé au Comité une délégation de haut rang, et il se félicite notamment d'avoir affaire à des responsables de la police. Il se plaît tout d'abord, à reconnaître que le Gouvernement grec a répondu avec diligence aux questions qui lui avaient été posées lors de l'examen de son rapport initial (CAT/C/7/Add.8; CAT/C/SR.63 et 64). Le Comité s'était alors inquiété de savoir si le droit pénal grec comportait une définition de la torture : on sait désormais que celle qui figure aux alinéas a) à d) de l'article 137 du Code pénal grec est plus large que celle de la Convention, ce qui est très satisfaisant; elle semble toutefois comporter une lacune en ce qui concerne les motifs de la torture. En effet, le Code pénal grec comme la Convention visent expressément les tortures infligées aux fins d'obtenir des renseignements, de punir ou d'intimider des personnes, mais le Code pénal grec ne mentionne pas, comme le fait la Convention, "tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu'elle soit" alors que c'est là un point qui peut se révéler important. M. Sorensen demande si ce point a été omis pour une raison précise et juge souhaitable qu'il soit ajouté à la définition de la torture énoncée dans le Code pénal.

9. Le représentant de la Grèce a indiqué, dans sa déclaration, que les personnes contaminées par le VIH faisaient l'objet d'une mesure de libération : s'agit-il des personnes atteintes du SIDA ou également des personnes présentant un test positif au virus ? Il existe un grand nombre de séropositifs qui ne présentent aucun symptôme et doivent donc être traités comme n'importe quel détenu; les sidéens en revanche sont malades et doivent être libérés pour être soignés.

10. L'article 16 de la Convention autorise le Comité à veiller à l'application de ses articles 10 à 13 en ce qui concerne les traitements cruels, inhumains et dégradants et pas seulement la torture. De nombreux renseignements ont été apportés à cet égard par la délégation grecque, qui semble au courant des affaires évoquées dans la publication d'Amnesty International mentionnée par M. El Ibrashi. Il semble bien - d'après certains articles récemment parus dans la presse - que des traitements cruels soient toujours infligés dans certains commissariats de police, y compris des tortures à l'électricité. M. Sorensen s'abstiendra à cet égard d'évoquer la mission d'enquête envoyée en Grèce par le Conseil de l'Europe, pour en respecter le caractère confidentiel. Mais des informations parvenues au Comité indiquent que des policiers ont effectivement fait l'objet de procédures pour des actes de ce genre : il semble donc bien qu'en Grèce, certaines pratiques policières sont source de problèmes; aussi y a-t-il lieu de s'intéresser aux garanties essentielles qui existent dans ce domaine, à savoir l'éducation des personnels, la rapidité des enquêtes menées à la suite de plaintes et le châtiment adéquat des coupables. A cet égard, M. Sorensen juge fort utile le Code de conduite des personnels de police évoqué dans le rapport et dont l'article 5 s'énonce comme suit : "Aucun agent chargé de l'application des lois ne saurait infliger, provoquer ou laisser infliger des tortures ou d'autres traitements ou châtiments cruels, inhumains ou dégradants, ni invoquer les ordres de ses supérieurs ou d'autres circonstances exceptionnelles telles que la guerre, la menace de guerre, les menaces pesant sur la sécurité nationale, l'instabilité politique du pays ou toute autre situation d'urgence pour justifier la torture ou autres traitements ou châtiments cruels, inhumains ou dégradants".

11. Les principales garanties du détenu sont l'accès à un avocat, l'accès à un médecin, le droit d'informer ses proches de sa situation et le droit d'être lui-même informé de ses droits. En ce qui concerne le droit d'être défendu par un avocat, des précisions intéressantes ont été fournies par la Grèce lors de l'examen de son rapport initial. Toutefois, M. Sorensen souhaiterait savoir si ce droit peut être exercé par le détenu dès le début de la garde à vue ou si l'interrogatoire peut commencer sans qu'il ait rencontré son avocat. D'autre part, l'entretien avec l'avocat a-t-il lieu sans témoin et l'avocat est-il présent lors de l'interrogatoire ? Enfin, la visite de l'avocat peut-elle être retardée en vertu d'une décision quelconque et, si tel est le cas, qui est habilité à prendre cette décision ? Le détenu peut-il faire appel de celle-ci et de combien de temps la visite de l'avocat peut-elle être différée ? Pour ce qui est de l'accès à un médecin, le détenu peut-il demander à être examiné par un praticien de son choix ou, si l'on craint une collusion entre ce dernier et son client, existe-t-il une liste de médecins établie conjointement par le Conseil de l'ordre et les pouvoirs publics, liste sur laquelle le détenu peut choisir le praticien par lequel il souhaite être examiné ?

12. La détention au secret étant le moment où le risque de torture est le plus élevé, il est donc important de poser les questions suivantes : comment est-il donné effet dans la pratique au droit du détenu d'informer sa famille ou un tiers de son arrestation ? L'exercice de ce droit peut-il être différé, par qui et pour combien de temps, et cette décision est-elle revue à intervalles réguliers ? Enfin, il serait utile au Comité d'apprendre comment le détenu est informé de ses droits - notamment de ceux que l'on vient d'évoquer : cela se fait-il oralement ou par écrit, dès l'arrestation ou à l'arrivée au commissariat; qui informe le détenu et d'autres langues que le grec peuvent-elles être utilisées à cet effet - le turc notamment; enfin, le fait que le détenu a été informé est-il consigné dans les procès-verbaux d'une quelconque manière ?

13. Les autorités grecques ont apporté d'utiles renseignements en ce qui concerne la formation des fonctionnaires aux questions des droits de l'homme. M. Sorensen aimerait savoir s'il est prévu une formation spécifique concernant la torture. Certes, il existe des textes qui sont connus des cadres de la police, mais l'agent de police travaillant sur le terrain sait-il que les mauvais traitements sont interdits et qu'ils constituent, au reste, outre leur caractère ignominieux pour ceux qui les pratiquent, un très mauvais moyen pour obtenir des renseignements.

14. En ce qui concerne les suites données aux plaintes pour torture, les réponses apportées par les autorités ne sont pas pleinement satisfaisantes. M. Sorensen évoquera deux cas à cet égard et d'abord celui de Suleiman Akyar, réfugié turc suspecté d'être un trafiquant d'héroïne. Après son arrestation, celui-ci a été transféré à l'hôpital où l'on a constaté qu'il souffrait d'une rupture de l'intestin grêle et de diverses fractures et lésions graves, et où il est décédé le 29 janvier 1991. Il semblerait qu'ayant tenté de s'échapper lors de son arrestation, il se soit battu avec trois policiers qui auraient été amenés à faire usage de leurs matraques pour se protéger et l'empêcher de fuir : aucun chef d'inculpation n'a donc été retenu contre ces policiers, mais on peut s'étonner de l'importance des blessures reçues dans les circonstances décrites. Le second cas concerne Sehmus Ukus qui, arrêté en juillet 1990 pour trafic de drogue, aurait été emmené aux environs d'Athènes, où, après avoir été suspendu à un arbre, il aurait été brûlé aux pieds et aux parties génitales avec un briquet puis roué de coups de bâton. Sehmus Ukus ayant porté plainte, le Procureur de la République a décidé que les accusations portées n'étaient pas suffisamment étayées et que le détenu ayant été pris sur le fait, les policiers n'avaient pas de raison de le passer à tabac pour obtenir des aveux. Aussi Sehmus Ukus n'a-t-il pas été examiné par un médecin légiste. A cet égard, M. Sorensen insiste sur l'importance de la possibilité pour le détenu d'être vu par un médecin de son choix, surtout en cas de plainte pour des faits aussi graves. Il se demande aussi qui procède en pareil cas à l'enquête ordonnée par le procureur et si, par exemple, cette tâche est confiée à un service de la police.

15. A propos de l'article 10 de la Convention, on ne saurait trop insister sur la nécessité de former le personne médical. On sait que des médecins ont souvent été associés aux pratiques de torture sous le régime des colonels. Les médecins, et en particulier les médecins légistes, doivent être informés de leurs devoirs; quant au personnel de santé en général, il doit apprendre à déceler les signes attestant que quelqu'un a été victime de tortures ?

16. La question de la réparation a déjà été évoquée par M. El Ibrashi. M Sorensen souhaite cependant revenir sur l'aspect médical de celle-ci, car il est fréquent que les victimes de tortures souffrent longtemps des séquelles de ce qu'ils ont subi. Il existe à Athènes un remarquable centre de réadaptation des victimes de la torture qui pourrait aussi servir de centre de formation, et il serait très apprécié que les autorités grecques apportent une aide supplémentaire à ce centre. Il y a lieu, à ce propos, de souligner la générosité du Gouvernement grec, qui a versé 5 000 dollars au Fonds volontaire pour les victimes de la torture en 1993. Etant donné que le Fonds verse plus de 1 000 dollars par an au centre de réadaptation d'Athènes, la Grèce, qui préside actuellement aux destinées de l'Union européenne, pourrait peut-être envisager de faire un geste et d'augmenter sa contribution au Fonds, donnant ainsi l'exemple aux autres Etats parties; le Fonds ne dispose actuellement que de 1,2 million de dollars alors que les demandes qui lui sont adressées excèdent 5 millions de dollars. M. Sorensen conclut en soulignant que toutes ces observations ont été faites dans un esprit de coopération; le Gouvernement grec a fait preuve d'une grande ouverture et un dialogue fructueux s'est ainsi ouvert avec ce pays qui fut le berceau de la démocratie.

17. M. BURNS constate avec satisfaction que la délégation grecque est de très haut niveau et la remercie des renseignements apportés au Comité. Au reste, la Grèce s'est toujours associée activement aux efforts déployés tant par les Nations Unies que par la Communauté européenne pour lutter contre la torture; ce pays qui est d'ailleurs coauteur du Protocole facultatif à la Convention, est de ceux qui s'occupent le plus activement d'éliminer la torture. Selon un éminent juriste suisse, les pays pouvaient être répartis en trois catégories : ceux (40 %) qui étaient occasionnellement le théâtre d'actes de torture et de mauvais traitements, sans aucune complicité de l'Etat qui faisait tout pour réparer les préjudices subis; ceux (environ 40 % encore) où des actes de ce genre se commettaient occasionnellement sans la complicité de l'Etat, mais sans que celui-ci ne fasse rien pour remédier à la situation; enfin, ceux (20 %) où l'on recourait à la torture comme moyen de gouvernement. La Grèce, indubitablement, fait partie de la première catégorie.

18. Après l'examen du rapport initial de la Grèce, trois grandes questions étaient restées en suspens. La première, qui avait trait au régime en vigueur dans les prisons, a reçu une réponse complète. La deuxième concernait la compétence universelle des tribunaux grecs en matière d'actes de torture - il s'agit, par exemple, de savoir si un étranger ayant commis de tels actes à l'étranger peut être jugé en Grèce : M. Burns attend avec intérêt d'apprendre ce qu'il en est. La troisième enfin concerne la définition du crime de torture donnée par la Constitution. Cette définition coïncide-t-elle avec celle de la Convention ? M. Sorensen a relevé qu'il ne semble pas qu'elle englobe les actes commis pour un motif "fondé sur une forme de discrimination quelle qu'elle soit", ce qui est pourtant un point essentiel eu égard au nombre important de cas intéressant des étrangers et notamment des Turcs.

19. M. Burns se félicite que la durée de la détention préventive ait été raccourcie et il ne soulèvera que deux points d'importance mineure. Tout d'abord, il est question au paragraphe 14 du rapport à l'examen de l'ouverture d'actions pénales devant différents tribunaux correctionnels - ce qui paraît curieux : les actes de torture sont-ils considérés comme relevant de procédures correctionnelles, alors qu'ils sont punissables de peines pouvant aller jusqu'à 20 ans de prison ? Enfin, il est dit dans le rapport que, faute de ressources et de personnel, la police travaille dans des conditions difficiles. Or la recherche en science sociale a montré que lorsqu'ils sont tendus, les hommes réagissent de façon imprévisible : les laisser travailler dans de telles conditions est par conséquent inacceptable du point de vue de la Convention.

20. M. GIL LAVEDRA se félicite du grand nombre de mesures destinées à lutter contre la torture prises par les autorités grecques les dernières années. Il note aussi avec satisfaction que la Constitution contient une disposition spécifique sur la torture et que la Grèce a fait les déclarations prévues aux articles 21 et 22 de la Convention. Comme M. Sorensen et M. Burns, il n'est pas certain que l'article 137 du Code pénal soit tout à fait conforme à l'article premier de la Convention. A propos de l'application de l'article 15, il aimerait savoir quelle est la base juridique de la non-prise en considération par les tribunaux des déclarations faites sous la torture, autrement dit, à quelle norme se réfèrent les tribunaux pour déclarer non recevables des aveux obtenus sous la torture. Le rapport initial, pas plus que le deuxième rapport périodique, ne donnent pas de renseignements sur ce point.

21. Comme d'autres membres du Comité, M. Gil Lavedra pense qu'il importe que les autorités grecques ne ménagent pas leurs efforts pour parvenir à ce que les articles 2 et 3 de la Convention soient intégralement appliqués. Bien qu'il n'ait pas eu directement accès au dossier du Ministère de la justice concernant des violations des droits de l'homme qui, selon Amnesty International, auraient été commises à l'endroit de détenus, ni au dossier du Ministère de l'ordre public concernant des cas de torture ou de mauvais traitements qui mettraient en cause des membres de la police, et qui sont mentionnés dans la liste des annexes au rapport, il lui semble que les résultats obtenus sont faibles compte tenu de la quantité de faits soulevés, même si l'on admet qu'un certain nombre de plaintes sont vagues et difficiles à vérifier. Il aimerait aussi, comme M. Sorensen, connaître en détail les droits dont peuvent se prévaloir les personnes détenues par la police. La garantie des droits tels que le droit à communiquer avec un avocat et à être examiné par un médecin est, en effet, fondamentale pour la prévention des mauvais traitements et des actes de torture.

22. Se référant au paragraphe 16 du document CAT/C/SR.64 (compte rendu de l'examen du rapport initial de la Grèce en 1990), M. Gil Lavedra aimerait connaître la conclusion des deux procédures de poursuite engagées contre des agents de police accusés d'actes de torture qui étaient à l'époque en instance devant les tribunaux. Toujours au moment de l'examen du rapport initial de la Grèce, la délégation grecque avait déclaré que c'était exclusivement au Procureur de la République qu'il appartenait d'engager des poursuites et que, si celui-ci manquait à ses responsabilités à cet égard, son supérieur hiérarchique pouvait lui donner l'ordre d'agir. Il serait intéressant de savoir comment le supérieur a connaissance du fait que le procureur a ou n'a pas satisfait à ses obligations.

23. M. BEN AMMAR s'associe aux remarques de MM. Sorensen et Gil Lavedra en ce qui concerne l'importance de la prise de mesures efficaces pour empêcher la commission d'actes de torture conformément à l'article 2 de la Convention. Il ajoute que, pour dissuader le personnel qui pratique les interrogatoires d'infliger tout mauvais traitement pendant la garde à vue, il importe qu'il sache qu'il peut à tout moment, de jour comme de nuit, recevoir la visite d'un représentant d'une autorité indépendante, qu'il s'agisse d'une instance parlementaire ou judiciaire ou d'une organisation non gouvernementale. Cela est-il le cas en Grèce ? Quelles sont, d'autre part, les conditions d'une éventuelle détention au secret ? Qui décide de cette forme de détention ? Y a-t-il une possibilité de recours ? Lorsqu'un fonctionnaire de la police fait l'objet de poursuites pénales, est-il jugé en audience publique ou à huis clos ? Est-ce que les médias rendent compte du procès ? Enfin, M. Ben Ammar souhaiterait avoir un exemplaire du Code de conduite des personnels de police, s'il en existe une version dans une des langues officielles de l'Organisation des Nations Unies.

24. M. REGMI, se référant à l'alinéa 3 de l'article 7 de la Constitution grecque selon lequel la peine de mort n'est jamais infligée pour des délits politiques à l'exception des délits complexes aimerait savoir pour quels types de délit des peines cruelles et inhumaines peuvent être infligées.

25. Le PRESIDENT s'associe aux compliments et aux félicitations qui ont été adressés à la délégation grecque. Comme M. Sorensen, il aimerait avoir des précisions sur la prise en compte des malades du SIDA. Tous les détenus sont-ils soumis à un dépistage médical avant leur incarcération ou bien les personnes séropositives sont-elles décelées à l'occasion d'un examen médical effectué pendant l'incarcération. Le Président invite la délégation grecque à venir répondre à la séance de l'après-midi aux questions qui lui ont été posées.

26. La délégation grecque se retire.

La séance publique est levée à 11 h 45.

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