Distr.

GENERALE

CAT/C/SR.233/Add.1
21 novembre 1995


Original: FRANCAIS
Compte rendu analytique de la 233ème séance : Denmark. 21/11/95.
CAT/C/SR.233/Add.1. (Summary Record)

Convention Abbreviation: CAT
COMITE CONTRE LA TORTURE

Quinzième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA DEUXIEME PARTIE (PUBLIQUE)*
DE LA 233ème SEANCE

tenue au Palais des Nations, à Genève,
le jeudi 16 novembre 1995, à 15 h 30.

Président : M. DIPANDA MOUELLE

SOMMAIRE


Examen des rapports présentés par les Etats parties en application de l'article 19 de la Convention (suite)

Deuxième rapport périodique du Danemark (suite)

Rapport initial du Guatemala (suite)



* Le compte rendu analytique de la première partie (privée) de la séance est publié sous la cote CAT/C/SR.233; celui de la troisième partie (privée) sous la cote CAT/C/SR.233/Add.2; et celui de la quatrième partie (publique) sous la cote CAT/C/SR.233/Add.3.



Le présent compte rendu est sujet à rectifications.

Les rectifications doivent être rédigées dans une des langues de travail. Elles doivent être présentées dans un mémorandum et être également portées sur un exemplaire du compte rendu. Il convient de les adresser, une semaine au plus tard à compter de la date du présent document, à la Section d'édition des documents officiels, bureau E.4108, Palais des Nations, Genève.

Les rectifications éventuelles aux comptes rendus des séances publiques de la présente session seront groupées dans un rectificatif unique, qui sera publié peu après la cl_ture de la session.


La deuxième partie (publique) de la séance est ouverte à 15 h 30.

EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES EN APPLICATION DE L'ARTICLE 19 DE LA CONVENTION

Deuxième rapport périodique du Danemark (suite) (CAT/C/17/Add.13; HRI/CORE/1/Add.47) : Conclusions du Comité

1. Le PRESIDENT invite le secrétariat à donner lecture de la version corrigée des conclusions du Comité sur le deuxième rapport périodique du Danemark.

2. M. BRUNI (Secrétaire du Comité) donne lecture, en langue anglaise, du texte qui suit :
A. Introduction
B. Aspects positifs
C. Sujets de préoccupation
D. Recommandations

Rapport initial du Guatemala (suite) (CAT/C/12/Add.5 et 6; HRI/CORE/1/Add.47)

Sur l'invitation du Président, la délégation du Guatemala reprend place à la table du Comité.

3. M. ARRANZ SANZ remercie le Comité de son analyse du rapport du Guatemala ainsi que de la coopération et de l'aide accordées au Gouvernement guatémaltèque pour tenter d'éradiquer non seulement la pratique concrète de la torture, mais aussi de tout ce qui pourrait s'en rapprocher.

4. Il tient à souligner le ferme engagement politique du Gouvernement guatémaltèque en faveur des droits de l'homme. En effet, la situation qui a existé longtemps dans le pays peut être inversée dans le sens de la démocratisation et est effectivement en train d'évoluer dans la bonne direction.

5. Plutôt que de donner des réponses précises à des questions ponctuelles, M. Arranz Sanz se propose de présenter un tableau général de la situation au Guatemala et de l'action du gouvernement, désireux d'apporter des changements structurels pour que la culture de la violence puisse faire place à une culture de paix, de coexistence et de coopération. Si le Comité constate des lacunes dans son exposé, des réponses écrites plus précises lui seront communiquées en temps voulu.

6. M. Arranz Sanz insiste sur la profonde transformation qui s'est opérée dans le pays. Le Gouvernement guatémaltèque déplore un passé brutal, mais révolu, qui s'inscrit dans le contexte de l'affrontement armé qui a marqué l'histoire non seulement du Guatemala, mais aussi d'une bonne partie de l'Amérique latine. L'effondrement économique et social et la misère qui en découle constituent le meilleur terrain de la violence et des violations des droits de l'homme, et c'est dans ce climat que le pouvoir militaire s'est affirmé pour devenir rapidement une dictature. A ce propos, un des membres du Comité a demandé le pourcentage de la population guatémaltèque dans les forces armées. Or le problème n'est pas là : l'armée guatémaltèque ne compte en effet que 40 000 hommes. Il s'agit donc d'un problème plutôt qualitatif que quantitatif.

7. Malgré ce lourd passé, il semblerait qu'un point de non-retour ait été atteint et que le climat d'affrontement ait été remplacé par un Etat de droit, que le gouvernement se doit de préserver. Celui-ci tient en effet à ne pas se voiler la face et veut assumer son passé pour qu'il cesse définitivement de se répéter.

8. A l'heure actuelle, le gouvernement est très conscient de la fragilité de la situation, mais nourrit un espoir qui ne devrait pas se démentir. A cet espoir et à l'ouverture dont fait preuve le Guatemala doivent correspondre une aide et une coopération de la part de la communauté internationale. A ce propos, M. Arranz Sanz cite le rapport sur la situation des droits de l'homme au Guatemala établi par Mme Mónica Pinto (E/CN.4/1995/15, du 20 décembre 1994), dans lequel il est dit que le jour où le Guatemala avancera seul sur le chemin des droits de l'homme, sans l'appui des organes de la communauté internationale, s'est rapproché. L'Organisation des Nations Unies est donc invitée à ne pas éluder ses responsabilités et à aider le gouvernement sur la voie qu'il s'est désormais tracée.

9. C'est en 1985 qu'a débuté cette ouverture démocratique qui a marqué la fin de la dictature militaire, la création de partis politiques et la tenue d'élections libres. L'élection d'une Assemblée constituante, l'un des points culminants de la rupture avec le passé, a permis de rédiger une Constitution novatrice pour le Guatemala certes, mais aussi pour toute la région. En effet, on y énumère, après un préambule général, un ensemble de droits fondamentaux dont l'Etat se porte garant. Cette Constitution comporte par ailleurs deux articles particulièrement importants : l'article 46 qui, pour ce qui est des droits de l'homme, consacre la primauté des traités sur le droit interne, ceux-ci pouvant être invoqués devant les tribunaux; et l'article 44, en vertu duquel la Constitution garantit non seulement les droits visés spécifiquement dans la Constitution, mais aussi tout autre droit inhérent à la personne humaine qui n'y serait pas mentionné.

10. En outre, deux nouvelles institutions ont été créées au Guatemala. La première est celle du Procureur des droits de l'homme, modèle unique en son genre dans toute l'Amérique latine. Cette instance est dotée de pouvoirs étendus qui lui permettent de contrôler l'activité du gouvernement. L'actuel Président de la République, M. Leon Carpio, a d'ailleurs rempli précédemment cette fonction; la seconde a été celle de la Cour constitutionnelle, qui est chargée de veiller à la constitutionnalité de l'action de l'Etat. Il s'agit d'une institution qui jouit d'une grande crédibilité dans le pays comme à l'étranger. Par ailleurs, il existe, au sein du Congrès de la République, une Commission des droits de l'homme chargée de contrôler la régularité de l'action gouvernementale.

11. M. Arranz Sanz voit dans ces institutions la confirmation de l'ouverture commencée en 1985 et fait observer qu'il n'y a plus de violations
institutionnelles des droits de l'homme dans son pays. Pour preuve, il fait valoir que la Commission des droits de l'homme a rayé le Guatemala de la liste des pays relevant du point 12 de son ordre du jour.

12. Dans le cadre de ce processus d'ouverture, M. Arranz Sanz dit toute l'importance du processus Escupulas I, dans le cadre duquel des contacts ont été pris avec la guérilla, dans l'espoir de mettre fin au mouvement armé qui ravageait non seulement le pays, mais toute la région. En mars 1991, la réunion d'Oslo a permis d'établir des contacts directs avec la guérilla et d'engager des négociations - qui se poursuivent encore - pour mettre fin non plus au conflit armé, mais aux causes profondes de l'effritement de la société guatémaltèque. C'est dans ce contexte qu'est intervenu, en janvier 1994, l'important Accord global sur les droits de l'homme, signé sous l'égide de l'ONU.

13. Par cet accord, qui constituait la condition sine qua non de la poursuite des négociations et du processus de paix, le Gouvernement et l'Union révolutionnaire nationaliste du Guatemala (URNG) se sont engagés à traiter les problèmes fondamentaux à l'origine du conflit guatémaltèque, la Mission de l'ONU chargée de la vérification des droits de l'homme au Guatemala et du respect des engagements pris en vertu de l'Accord global (MINUGUA) étant chargée d'en vérifier l'application. Pour sa part, l'UNRG s'est engagée à mettre un terme aux actions susceptibles de déboucher sur un affrontement avec la population civile et s'est par là même engagée à respecter et à garantir les droits de l'homme de la population, tandis que le gouvernement s'engageait sur plusieurs points concernant l'impunité, le recrutement militaire, la sécurité des citoyens, la pauvreté, les patrouilles d'autodéfense civiles (PAC), les auxiliaires militaires (comisionados militares), l'administration de la justice, la question agraire et économique - qui a engendré les affrontements armés - et le rôle des forces armées dans le processus de paix. L'Accord global est donc complexe et difficile à mettre en oeuvre par le gouvernement car pour lui il ne s'agit pas seulement de s'abstenir de faire certaines choses mais d'opérer certaines transformations propres à remédier aux causes fondamentales d'une situation préoccupante.

14. Le processus approche de son terme puisque dans le cadre de l'Accord global viennent de se tenir des élections présidentielles, législatives et locales. Dix-neuf personnes étaient candidates au poste de président, ce qui dénote à quel point ces élections ont été libres. Y ont en outre participé des représentants du Front guatémaltèque pour un Guatemala nouveau, qui rassemble la gauche du pays ainsi que des membres des groupes ethniques du Guatemala. Le parti de la gauche est arrivé en quatrième position au terme du premier tour et comptera six ou sept députés sur 80, ce qui constitue une bonne représentation de départ, à laquelle s'ajoutent de nombreux représentants élus au niveau local. Autre aspect important de ce processus électoral : tous les partis se sont engagés, avant même les élections, à soutenir les accords négociés, qu'ils soient présents au second tour ou non, ce qui garantit le processus de paix. Le nouveau président sera élu le 7 janvier au soir du second tour et au cours des quatre années de son mandat, il lui appartiendra, ainsi qu'à son équipe, de mener à son terme le processus engagé en 1985, avec l'avènement de l'Etat de droit et de la démocratie.

15. Un certain nombre de problèmes subsistent néanmoins à ce jour et diverses questions ont été posées à ce sujet par les membres du Comité lors de la séance du matin. Le problème fondamental est celui de l'impunité. Le Gouvernement guatémaltèque reconnaît que la situation demeure préoccupante et il s'agit donc d'identifier les mécanismes de cette impunité. Selon le gouvernement, la question est du ressort des trois branches de la puissance publique - les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Vu la complexité du problème, toutes les autorités du pays sont associées à la recherche d'une solution; les chefs des trois pouvoirs se réunissent périodiquement pour assurer la coordination et dès le 27 novembre se tiendra une réunion au cours de laquelle commenceront à être désignés les organes d'exécution chargés de remédier aux carences en prenant des mesures concrètes telles que la révision de certaines dispositions du Code de procédure pénale, le renforcement du système juridictionnel de la fiscalía, l'amélioration de la protection des témoins, des juges et des fiscales et la garantie d'une procédure régulière. Le Congrès est déjà saisi de projets de loi à cet effet.

16. L'impunité est principalement imputable à l'inefficacité de la Fiscalía general de la Nación, sur laquelle la MINUGUA porte un jugement très sévère dans son dernier rapport. La présidence a demandé la démission du Fiscal general dans le souci de profiter de la conjoncture pour restructurer ses services, et le nouveau Code de procédure pénale charge la fiscalía d'instruire les affaires et de produire les preuves à charge devant la juridiction de jugement. Ce processus de restructuration est donc extrêmement complexe.

17. Au Guatemala, il n'existe pas de formation spécifique pour les juges, les fiscales et les procureurs généraux; il s'agit d'anciens avocats qui ont acquis de l'expérience dans les prétoires sans pour autant avoir été formés à la poursuite ou à l'instruction. Il faut donc moderniser l'appareil judiciaire, processus actuellement en cours sous l'impulsion du président Carpio.

18. Toujours en ce qui concerne l'impunité, il a été demandé pourquoi les procès n'arrivaient pas à leur terme après avoir été engagés, pourquoi les preuves n'étaient pas produites et pourquoi les inculpés étaient parfois libérés; tout cela tient aux carences de l'instruction. Il est effectivement difficile de faire condamner quelqu'un au Guatemala, mais cela est valable pour tout le monde et non pas seulement pour les agents en uniforme ou certaines catégories de personnes : le problème est d'ordre structurel. L'impunité est aussi imputable au manque de coordination totale entre la police, les fiscales et les juridictions de jugement, qui s'en rejettent mutuellement la responsabilité, avec pour conséquence l'inaboutissement des procès, notamment. Là aussi, le gouvernement s'efforce actuellement de remédier à la situation par la voie d'une réorganisation totale de l'appareil d'administration de la justice. Cette démarche s'accompagne d'une restructuration de la police nationale qui vise à la professionnaliser en formant son personnel, à accroître son efficacité grâce à des ressources supplémentaires et à ses effectifs, qui sont insuffisants à l'heure actuelle. Un projet relatif à la restructuration de la police sera soumis à l'opinion publique, à la MINUGUA et au Congrès : il s'agit de grouper les forces de police sous une direction unique, de renforcer le Bureau de la responsabilité professionnelle (Inspection des services) chargé de surveiller le comportement des membres des forces de police, de démilitariser la police - ce qui en fait a déjà été réalisé puisque lorsque les forces armées sont associées à des opérations de maintien de l'ordre ce n'est plus dans le cadre d'actions conjointes avec la police - et de lutter contre la corruption dans les services de police. La restructuration de la police passe en outre par l'application des recommandations formulées par la MINUGUA dans le cadre de réunions bimensuelles qui rassemblent des représentants de la MINUGUA et le directeur de la police; cette relation permanente est révélatrice du changement opéré dans les forces de police.

19. La sécurité des citoyens constitue un autre problème, souligné par la MINUGUA, dont a conscience le Gouvernement guatémaltèque. Avec l'aide de la MINUGUA, on a mis en route un plan national de sécurité nationale qui a déjà produit des effets positifs; les statistiques font en effet apparaître une stabilisation du nombre des infractions.

20. Par ailleurs, comme cela a été souligné, un grave problème pénitentiaire se pose au Guatemala. Un trop grand nombre de détenus sont incarcérés dans des lieux inappropriés faute de ressources. Mais un projet de loi organique prévoyant la restructuration de l'ensemble du système pénitentiaire est à l'examen, ce qui dénote la volonté politique du gouvernement de remédier à la situation.

21. Le problème du "surarmement" a également été soulevé, notamment la question de savoir si les dispositions de la Constitution n'y étaient pas étrangères. Effectivement, lorsque le Guatemala s'est doté d'une nouvelle Constitution il a retenu, influencé peut-être par la Constitution des Etats-Unis d'Amérique, l'option consistant à autoriser tous les citoyens à posséder une arme plutôt que de l'interdire à tous. Le port d'armes est donc légal au Guatemala mais là aussi le gouvernement s'efforce de remédier au problème. Pour ce faire, il est envisagé de placer sous la responsabilité de civils le service chargé du contrôle des armes, qui actuellement relève des militaires. De plus les conditions de délivrance des permis de port d'armes sont en cours de révision.

22. Des questions ont également été posées au sujet des tribunaux militaires et de l'ingérence excessive des instances militaires dans l'administration de la justice. Il a été procédé à une première modification de l'article 576 du Code militaire, lequel remonte à 1881. Cette modification ne touche pas encore au fond mais la Commission présidentielle de coordination de la politique du pouvoir exécutif en matière de droits de l'homme (COPREDEH) vient d'engager, en consultation avec des avocats, un processus d'analyse devant déboucher sur une révision fondamentale de l'article 546 à l'effet de garantir d'une procédure régulière.

23. On a également parlé des comités d'autodéfense civile dits "patrouilles d'autodéfense civiles (PAC)". Du temps où il était Procureur des droits de l'homme, l'actuel Président dénonçait déjà les excès des membres des PAC. Certains font valoir qu'il s'agit de groupes volontaires et les résultats d'une enquête diligentée par le médiateur ont fait apparaître que dans la grande majorité des cas, ces groupes étaient effectivement volontaires et n'était par conséquent pas contraires à la Constitution. Cela étant, les exactions commises par les membres des PAC ont été et continuent d'être réprimées et un grand nombre de responsables ont à répondre de leurs actes devant des tribunaux. Dans son rapport, un expert de l'ONU a du reste recommandé non pas de dissoudre ces milices, mais de légiférer à leur sujet; la communauté internationale a recommandé dans plusieurs résolutions leur démantèlement dans le cadre du processus de paix. La position du Gouvernement guatémaltèque est que les PAC ont à un moment donné rempli une certaine fonction. Des négociations sur les PAC sont en cours avec le commandement de la guérilla et en l'état de ces négociations, le Gouvernement guatémaltèque s'est engagé à ne pas en constituer de nouvelles tant que les forces de la guérilla n'en rendront pas la création nécessaire. Partout où les affrontements ont cessé, les PAC ont été démantelées et le restant le sera le jour où la paix sera signée. D'ici là, au cas où des abus de pouvoir se produiraient, leurs auteurs seront poursuivis devant les juridictions ordinaires.

24. Pour ce qui est des auxiliaires militaires (commisionados militares), il n'en existe plus depuis le 14 septembre au terme d'une démobilisation définitive engagée le 30 juin. Cette institution, elle très ancienne, remplissait une fonction bien déterminée même si cela a parfois donné lieu à des abus d'autorité - l'auxiliaire militaire avait pour fonction de représenter l'Etat dans les zones où les autorités civiles étaient absentes. Certains ex-auxiliaires ont déjà été traduits devant des tribunaux militaires et il n'est pas exclu que d'autres soient poursuivis. En tout état de cause, cette démobilisation sera irréversible dès que le Congrès aura apporté l'amendement minime qui s'impose à la loi militaire.

25. En ce qui concerne le problème du militarisme - entendu au sens de l'influence du pouvoir militaire sur la structure administrative - la politique actuelle d'ouverture permettra d'en finir avec les ingérences des militaires dans les domaines de compétence des autorités civiles. A cet égard, il a été mis un terme à l'enrôlement forcé, pratique qui constituait auparavant une source permanente de violation des droits de l'homme.

26. Une tragédie récente a contribué à affaiblir l'influence des militaires à savoir le massacre de la communauté Aurora, épisode regrettable qui a cependant permis d'établir la suprématie des autorités civiles. En effet, le lendemain de ce massacre, le Président de la République a exigé et obtenu la démission du Ministre de la défense, affirmant ainsi pour la première fois la primauté du pouvoir civil. Le commandant de la région militaire où s'étaient produits les faits a été destitué et les 25 membres de la patrouille en cause, ainsi que leur chef, ont été traduits en justice. En outre, le Président de la République a immédiatement envoyé un représentant personnel auprès de la communauté victime de ces exactions afin de les indemniser. Il est ainsi apparu clairement que de tels événements étaient contraires à la volonté de l'Etat qui, pour la première fois, a pris des mesures concrètes pour mettre fin à l'impunité des coupables.

27. La question du retour des réfugiés ne doit pas être considérée dans la perspective de ce fait isolé, bien au contraire. Les réfugiés continuent à rentrer parce qu'ils savent qu'ils pourront vivre en paix au Guatemala et qu'ils y trouveront des conditions d'existence meilleures. Plus de 25 000 d'entre eux, soit près de 50 % de ceux qui avaient fui, sont rentrés, dont 11 000 au cours de la seule année 1995. Leur retour se passe dans la sécurité et pacifiquement, avec l'aide des autorités qui ont acquis de vastes terres afin de leur permettre de s'y installer, et qui les aident à les mettre en valeur dans le cadre de projets destinés non à assurer leur survie à court terme, mais à leur permettre de participer pleinement à l'effort productif du pays.

28. Par ailleurs, M. Arranz Sanz est heureux de faire savoir au Comité que son gouvernement envisage de faire la déclaration prévue à l'article 22 de la Convention; le processus d'analyse et de consultation nécessaire est bien engagé et devrait prochainement aboutir à une décision favorable. A cet égard, il y a lieu de signaler que le Guatemala reconnaît la compétence de la Cour interaméricaine des droits de l'homme, qui peut notamment être saisie de plaintes pour tortures et sévices.

29. Les médecins guatémaltèques, qui prêtent le serment d'Hippocrate et s'engagent de ce fait à ne rien faire qui soit contraire à la vie et à la dignité de l'homme, doivent se conformer aux principes de l'éthique médicale. Dans le cadre de leur formation à la médecine légale, ils sont sensibilisés aux problèmes des droits de l'homme et informés que toutes actions allant à l'encontre de la vie ou de la dignité humaine sont proscrites.

30. D'une manière plus générale, des plans de formation et de renouveau culturel axés sur les adultes mais aussi sur la jeunesse sont en préparation au Guatemala. Les accords en cours de négociation prévoient eux aussi une éducation à la réconciliation axée principalement sur les jeunes, car 60 % de la population guatémaltèque a moins de 18 ans, si bien que la transformation passera par leur initiation aux valeurs fondamentales des droits de l'homme. Il est à noter qu'à la fin du mois de novembre 1995, dès que la campagne électorale aura pris fin, une campagne nationale de sensibilisation aux droits de l'homme sera lancée. Celle-ci fera appel à tous les moyens de communication de masse et s'organisera autour de trois idées essentielles, à savoir que tous les hommes sont égaux, que tout ce qui a favorisé la corruption et l'impunité est désormais proscrit et enfin, que chacun est responsable de ses actes et doit s'engager personnellement à respecter les droits de l'homme.

31. Il a été demandé quelle était la différence entre les fonctions du Procureur des droits de l'homme et celles de la COPREDEH. Le premier est une institution constitutionnelle qui joue un rôle de "vérificateur externe" des pratiques du gouvernement en matière de droits de l'homme et contrôle la façon dont celui-ci s'acquitte de ses engagements dans ce domaine, avec toute l'autorité que lui confère la Constitution. La COPREDEH, quant à elle, est une commission créée par le Président sur la suggestion de l'expert désigné par les Nations Unies, M. Tomuschat, dans le but de coordonner l'action du gouvernement : vérificateur interne de l'activité de l'exécutif, elle veille à ce que celui-ci donne suite aux recommandations du Procureur des droits de l'homme en s'assurant qu'elles sont bien appliquées par les fonctionnaires du gouvernement, de même que les recommandations de la MINUGUA. C'est aussi la COPREDEH qui assure la liaison avec les organes internationaux et régionaux de défense des droits de l'homme. On peut dire qu'elle est le signe tangible de la volonté du gouvernement de respecter les droits de l'homme, et l'homologue sur le plan national de la MINUGUA. Elle se compose de six ministres d'Etat et est présidée par un représentant personnel du Président.

32. Le Gouvernement guatémaltèque reconnaît que la situation du pays est préoccupante et, dans ses efforts pour la redresser, il compte beaucoup sur l'aide internationale. L'offre de coopération et d'assistance formulée à la séance précédente, si elle a naguère été rejetée, est la bienvenue aujourd'hui et ce, non seulement en matière de lutte contre la torture, mais pour tout ce qui touche aux droits de l'homme. D'ailleurs, une réunion qui vient de se tenir au Centre pour les droits de l'homme a débouché sur la création d'une commission spéciale qui va se rendre au Guatemala au début de 1996 pour évaluer les besoins techniques, éducatifs et institutionnels. Cette mission devrait aboutir à l'élaboration d'un programme à moyen et à long terme pour la reconstruction du pays. Si les autorités guatémaltèques ont sollicité l'aide du Centre pour les droits de l'homme, c'est qu'il est devenu urgent de coordonner et de renforcer l'action des institutions mises en place sous l'impulsion de la MINUGUA.

33. Enfin, M. Arranz Sanz indique que des réponses seront apportées par écrit à certaines questions précises posées par les membres du Comité.

34. M. URRUELA PRADO (Guatemala) déclare que la situation de son pays doit être considérée dans son contexte, c'est-à-dire dans la perspective d'une extrême pauvreté et d'un conflit armé interne qui est l'un des plus anciens de la région. L'URNG, avec laquelle le gouvernement a dû négocier un accord, regroupe quatre tendances politiques distinctes, qui sont entièrement autonomes sur le plan militaire et ne se sont regroupées qu'en vue de ces négociations. Dans ces conditions, il s'avère très difficile de trouver un terrain d'entente et notamment de faire accepter à ces groupes le fait que la Constitution est la loi de la République. Or sans l'appui de ces forces divergentes, il sera fort difficile d'améliorer la structure économique et sociale du pays; s'attaquer aux problèmes de santé, d'éducation, etc., sera impossible si ces groupes armés continuent de recourir au terrorisme comme moyen d'action.

35. L'état de guerre a empêché le pays de s'engager sur la voie du progrès et obligé le gouvernement à prendre des mesures énergiques. D'où une culture de la violence, dans un pays où les citoyens ont grandi dans l'idée que celle-ci est un moyen normal d'arriver à ses fins. A cet égard, M. El Ibrashi a soulevé un point fort pertinent : la MINUGUA a déclaré que l'UNRG avait violé l'Accord relatif aux droits de l'homme en percevant un impôt de guerre - et ce terme est un euphémisme. Il est vrai qu'avec la fin de la guerre froide, les groupes armés ont vu leurs ressources financières se tarir et ont eu recours à cette pratique condamnée par les instances internationales.

36. Mme Iliopoulos-Strangas a demandé si la Constitution guatémaltèque comportait une définition de la torture. Une définition très large figure dans le récent décret No 5895 qui dispose que, se rend coupable du délit de torture quiconque, sur l'ordre ou avec l'autorisation, l'appui ou l'approbation des autorités de l'Etat, inflige intentionnellement à une personne des douleurs ou souffrances graves, qu'elles soient physiques ou mentales, afin d'obtenir d'elle ou d'un tiers des informations ou une confession concernant des actes commis ou dont on soupçonne qu'ils ont été commis, ou recourt à ces pratiques dans un but d'intimidation. Sont aussi coupables de ce délit les auteurs d'exactions se réclamant de groupes ou bandes organisés à des fins terroristes, insurrectionnelles, subversives ou à toutes autres fins délictuelles. Les coupables de tels actes sont punis de 25 à 30 ans de prison. Le fait que la torture soit commise sur ordre ou avec la complicité des autorités ou de groupes subversifs joue donc un rôle important.

37. Il a été demandé si la difficulté de rendre la justice au Guatemala et l'impunité qui y règne s'expliquent par un manque d'indépendance du pouvoir judiciaire. Il y a eu de grands progrès dans ce domaine, mais il est vrai que le pays était naguère soumis à un pouvoir autoritaire ne lui laissant qu'une indépendance très relative. Dans les années 70, où le régime était contrôlé par les militaires, le procureur général était nommé par le Président de la République. Dans la phase d'ouverture démocratique qui a suivi, une autre perversion du système est apparue, le pouvoir judiciaire étant alors manipulé non plus par l'exécutif mais par les groupes politiques.

38. M. El Ibrashi a posé une question sur la validité des déclarations obtenues dans le cadre d'interrogatoires extrajudiciaires et sous la torture. Les paragraphes 73 à 75 du rapport CAT/C/12/Add.5 sont très clairs à cet égard. Même en l'absence de torture ou d'autres pratiques illégales, aucun aveu ne saurait être invoqué en justice s'il n'est pas accompagné d'autres éléments de preuve.

39. Il a été demandé si l'indemnisation des victimes pouvait être demandée dans le cadre de la procédure pénale ou s'il fallait intenter une action distincte au civil. La victime peut engager simultanément les deux procédures, ou intenter une action civile après le procès pénal. Le juge tranche la question de l'indemnisation de la victime par l'auteur du délit, mais si celle-ci veut demander réparation à l'Etat, elle doit le faire ultérieurement, devant une juridiction civile. La question des indemnisations par l'Etat n'est pas encore vraiment réglée et il est probable qu'à l'avenir, la commission chargée de l'établissement de la vérité élabore une législation spécifique au sujet du droit à réparation. Par ailleurs, aucun plafond n'a été fixé pour l'indemnisation, dont l'importance est fonction de la gravité des cas. Jusqu'à présent, il y a généralement eu négociation directe entre les victimes et les représentants de l'Etat. Il est à noter que la Cour interaméricaine des droits de l'homme a été amenée à trancher des cas de ce genre concernant le Honduras, en fixant des indemnités très élevées lorsque cet Etat a été déclaré responsable. Il se pourrait bien que ces précédents soient applicables au Guatemala.

40. Ume question a été posée sur la façon dont les tribunaux militaires traitaient les personnes détenues dans les prisons secrètes évoquées dans un rapport d'Amnesty International. Les membres de la MINUGUA ont eu largement accès aux installations militaires guatémaltèques et n'ont constaté nulle part l'existence de prisons secrètes. Quant aux tribunaux militaires, ils ne s'occupent pas des prisonniers politiques; ils ont à connaître exclusivement des infractions commises par les membres des forces armées, ainsi qu'il est normal. Ce point sera d'ailleurs précisé au cours des négociations de paix et lorsque le nouveau gouvernement issu de celles-ci entrera en fonctions, dans six mois. La démocratie est neuve au Guatemala et le contrôle des citoyens en est encore à ses débuts, mais les militaires devront se conformer à la volonté générale.

41. Il a été question des mauvais traitements infligés aux enfants des rues par des policiers. Il faut souligner qu'il s'agit dans la plupart des cas d'agents de sécurité privés et il faut savoir que de par la loi, les polices privées ont uniquement un rôle de surveillance. L'existence de ces enfants des rues, qui se livrent souvent à la délinquance, découle de la misère et de ses conséquences sur la famille. C'est un phénomène relativement limité au Guatemala, si on le compare à ce qui se passe dans les métropoles des pays voisins. Pour résoudre un tel problème, il faut d'abord en reconnaître les causes profondes, qui sont d'ordre économique et social.

42. S'agissant des droits du suspect, M. Urruela Prado précise que le délai de présentation de la personne est de six heures et qu'il n'est pas reconductible. Durant cette période, l'intéressé a le droit de communiquer avec sa famille, un médecin, au besoin, et son avocat. S'il n'a pas retenu les services d'un avocat dans l'intervalle, il lui en est commis un d'office, car il ne peut y avoir d'instruction judiciaire sans que ces règles de procédure soient respectées.

43. Quant au point de savoir si, du fait de la mention de la torture dans la Constitution, la Convention contre la torture a le statut de loi constitutionnelle, il y a lieu de noter que la Convention, qui est un traité international relatif aux droits de l'homme, a une autorité supérieure au droit interne mais ne prime pas la Constitution et que c'est dans ce cadre que doit s'appliquer et s'interpréter cet instrument.

44. Le fait que des problèmes graves sévissent constamment au Guatemala ne tient pas à quelque absence de volonté politique du gouvernement, mais à la pauvreté même de ce pays en développement, où le manque de ressources matérielles, la très nette insuffisance des services publics et spécialisés, ainsi que la faiblesse des institutions - qui remplissent mal leurs fonctions de surveillance - limitent les possibilités réelles qu'a le gouvernement de donner une pleine application aux lois nationales et contrecarrent ses tentatives pour instaurer la démocratie. La guerre sourde qui a opposé des groupes d'insurgés au gouvernement durant plus de 30 ans avant de déboucher sur des négociations de paix n'a pas non plus facilité les choses. Il faudra d'ailleurs mettre fin à cet affrontement afin que toutes les familles guatémaltèques parties du pays puissent regagner leurs foyers dans des conditions de sécurité.

45. M. ALONZO MAZARIEGOS (Guatemala) indique qu'il ne peut être fait droit à des demandes d'extradition que lorsque la personne visée a commis un délit de droit commun. Cette condition étant remplie, la demande peut être rejetée uniquement si le principe de la réciprocité a été reconnu par voie de traité (article 18 du Code pénal). La Constitution établit, en son article 27, que l'extradition est régie par les dispositions des traités internationaux : par conséquent, les dispositions de la Convention contre la torture et les principes qu'elle consacre s'appliquent au Guatemala aux fins d'extradition.

46. En ce qui concerne les problèmes liés à une inconstitutionnalité éventuelle des lois, le représentant du Guatemala signale que la loi sur le recours en amparo, la présentation de la personne et la constitutionnalité habilite quiconque s'estimerait directement lésé par l'inconstitutionnalité d'une loi dans un cas concret à saisir le tribunal compétent, qui tranchera.
47. Quant à l'élection des magistrats et des juges, M. Alonzo Mazariegos dit que la Cour suprême se compose de 13 magistrats, y compris le président, qui sont élus pour cinq ans par le Congrès sur la base d'une liste de 26 candidats proposés par une commission des candidatures. Cette commission est composée à son tour d'un représentant des recteurs des universités nationales, qui la préside, et des doyens des facultés de droit et des sciences juridiques et sociales de chaque université, ainsi que d'un nombre équivalent de représentants élus par l'assemblée générale du Collège des avocats et des notaires et encore d'un nombre équivalent de représentants élus par les magistrats titulaires de la Cour d'appel. Les magistrats de la Cour d'appel sont eux aussi élus par le Congrès sur proposition d'une commission des candidatures et doivent avoir les mêmes qualités que ceux de la Cour suprême. C'est de cette dernière que relève la nomination des juges. Le Procureur de la République (fiscal general), quant à lui, est nommé par le Président de la République parmi six candidats proposés par une commission des candidatures composée du président de la Cour suprême, des doyens des facultés de droit et des sciences juridiques et sociales, du président du bureau du Collège des avocats et des notaires et du président du tribunal d'honneur de ce collège.

48. Les polices privées sont autorisées par le Ministère de l'intérieur et placées sous le contrôle de la police nationale : leurs membres doivent n'avoir jamais été condamnés au pénal et sont tenus de faire enregistrer leurs armes par l'entreprise qui les emploie, conformément à la loi sur le contrôle des armes et des munitions. Quant à la police nationale, le Bureau de la responsabilité professionnelle est tenu d'ouvrir une enquête sur toute plainte portée contre un membre de la police. Il s'agit d'une enquête interne durant laquelle le responsable présumé est entendu et qui peut donner lieu à des sanctions administratives ou déboucher sur des poursuites, le Bureau étant tenu de communiquer au ministère public le résultat de l'enquête pour que celui-ci puisse prendre les mesures prévues par la loi.

49. L'un des experts a demandé pourquoi les recommandations émanant d'instances internationales et nationales n'étaient pas suivies d'effet au Guatemala. M. Alonzo Mazariegos signale que les autorités guatémaltèques ont commencé, il y a plus de deux ans, à élaborer un plan national très complet pour le respect des droits de l'homme dans le pays, plan qui, bien entendu, tient largement compte des recommandations du procureur des droits de l'homme, de l'experte indépendante, Mme Mónica Pinto, de la Commission interaméricaine des droits de l'homme et du Directeur de la MINUGUA. D'ailleurs, une commission se réunit chaque semaine pour donner effet au plan institutionnel à ces recommandations; son premier rapport sur la suite qui y a été donnée vient d'être remis au Directeur de la MINUGUA.

50. M. ARRANZ SANZ (Guatemala) dit que la situation au Guatemala ne laisse pas d'inquiéter le gouvernement, qui est néanmoins résolu à opérer les transformations nécessaires pour parvenir à la réconciliation nationale. Il exprime le souhait que les conclusions et les recommandations du Comité seront de nature à soutenir les efforts déployés par les autorités guatémaltèques à cette fin.

51. La délégation guatémaltèque se retire.
La deuxième partie (publique) de la séance prend fin à 17 h 45.

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