Distr.

GENERALE

CERD/C/SR.1334
26 novembre 1999


Original: FRANCAIS
Compte rendu analytique de la 1334ème séance : Haiti. 26/11/99.
CERD/C/SR.1334. (Summary Record)

Convention Abbreviation: CERD


COMITÉ POUR L'ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE


Cinquante-cinquième session


COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 1334ème SÉANCE


tenue au Palais des Nations, à Genève,
le lundi 2 août 1999, à 15 heures

Président : M.ABOUL-NASR


SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS, OBSERVATIONS ET RENSEIGNEMENTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L'ARTICLE 9 DE LA CONVENTION

- Dixième, onzième, douzième et treizième rapports périodiques d'Haïti

QUESTIONS D'ORGANISATION ET QUESTIONS DIVERSES (suite)


La séance est ouverte à 15 h 5.

EXAMEN DES RAPPORTS, OBSERVATIONS ET RENSEIGNEMENTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L'ARTICLE 9 DE LA CONVENTION (point 4 de l'ordre du jour)

Dixième, onzième, douzième et treizième rapports périodiques d'Haïti (CERD/C/336/Add.1)

1. Sur l'invitation du Président, M. Leblanc, M. Antonio, Mme Dathis, M. Gaspard et Mlle Duchatellier (Haïti) prennent place à la table du Comité.

2. Le PRÉSIDENT souhaite la bienvenue à la délégation haïtienne et dit qu'il se félicite tout particulièrement de la présence de M. Leblanc, Ministre de la justice.

3. M. LEBLANC (Haïti) dit que, compte tenu du fléau que représente le racisme, l'humanité tout entière peut se réjouir des multiples conventions internationales ou régionales signées à travers le monde pour mettre fin à l'exploitation d'individus ou de peuples en raison de leur couleur ou de leur origine ethnique. Avec la présentation de ce rapport périodique, le Gouvernement haïtien effectue un pas supplémentaire pour reprendre définitivement sa place au sein de la communauté internationale. En effet, depuis 1990 Haïti n'a soumis aucun rapport au Comité en raison d'abord du coup d'État militaire de 1991 puis, après le retour à l'ordre constitutionnel en 1994 et l'élection à la présidence de la République en 1995 de M. René Garcia Préval, d'une longue période de crise qui touche à sa fin. Des élections seront organisées en novembre 1999 pour reconstituer l'ensemble des institutions du pays et rétablir la démocratie et l'état de droit.

4. En raison des événements précités, le rapport à l'examen a été élaboré dans un délai relativement court et il comporte de ce fait quelques lacunes, notamment sur le plan des données statistiques qui avaient été demandées par le Comité et qui seront communiquées dans le cadre du prochain rapport.

5. Haïti a toujours lutté résolument contre la discrimination raciale. Dès 1805, la première Constitution du pays disposait, dans son article 14, que "toutes considérations de couleur parmi les enfants d'une même famille dont le chef de l'État est le père devant nécessairement cesser, les Haïtiens seront désignés sous la dénomination générique de Noirs". La Constitution de 1987 en vigueur, si elle ne se réfère pas de manière explicite à la discrimination raciale, renvoie à la Déclaration universelle des droits de l'homme et à la Constitution de 1805 dans son préambule. La question de la discrimination raciale ne se pose donc pas dans ce pays.

6. Par un décret en date du 23 novembre 1990, le Gouvernement haïtien a ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dont l'article 2 fait obligation aux États parties de s'engager à garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire les droits reconnus dans le Pacte sans distinction aucune, notamment de race et de couleur. Par ailleurs, le décret du 4 février 1981, visant à harmoniser la législation haïtienne avec les dispositions de la Convention, prévoit que "tout fait de discrimination raciale ou comportement violant les droits fondamentaux de l'homme survenu à cause de sa race, de sa couleur, de son appartenance à une ethnie, est un délit punissable".

7. Même si la tâche est difficile, le Gouvernement haïtien reste déterminé à tout faire pour garantir le respect des principes fondamentaux consacrés dans les conventions internationales, et en particulier dans la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale.

8. M. RECHETOV (Rapporteur pour Haïti) se félicite de la reprise du dialogue entre Haïti et le Comité et salue la présence d'une délégation de haut niveau. Cependant, il regrette que le rapport à l'examen ne contienne pas les statistiques démographiques demandées par le Comité et que les textes législatifs évoqués dans la présentation liminaire de la délégation n'aient pas de lien direct, pour certains, avec le mandat du Comité. Par ailleurs, le Comité peut difficilement accepter l'affirmation sans nuance selon laquelle il n'y aurait aucune discrimination raciale en Haïti. Le Comité avait en effet conclu, à l'issue de l'examen du précédent rapport, que des problèmes se posaient et c'est pourquoi il avait requis des informations sur la proportion de Noirs, de mulâtres et de Blancs au sein de la population haïtienne. En 1998, le Comité, qui avait dû examiner la situation en Haïti en l'absence de tout rapport, avait réitéré ses demandes.

9. Le rapport à l'examen contient toutefois des informations intéressantes. Ainsi, au paragraphe 4, il est dit que les deux langues officielles du pays sont le créole et le français, ce qui laisse supposer que la composition démographique n'est pas totalement homogène. Au paragraphe 12, il est indiqué que les traités ou accords internationaux, une fois ratifiés dans les formes prévues par la Constitution, font partie intégrante de la législation du pays et que les droits qui y sont consacrés sont incorporés au droit national, ce qui laisse supposer qu'ils peuvent être invoqués directement devant les tribunaux haïtiens. Cependant, le Comité aurait souhaité avoir des informations sur la mise en oeuvre concrète de ces dispositions.

10. Le Comité aurait aussi aimé avoir des éclaircissements sur la disposition de la Constitution de 1805 prévoyant que "les Haïtiens seront désignés sous la dénomination générique de Noirs", qui semble un peu surprenante. Par ailleurs, malgré l'affirmation du gouvernement selon laquelle la discrimination raciale n'a pas cours en Haïti, on peut lire au paragraphe 21 du rapport que dans la sphère privée s'expriment parfois des préjugés liés à la couleur qui tirent leur origine de disparités existant au sein de la société, mais qui ne sont en aucun cas le fait de l'État. A cet égard, il convient de rappeler que la ratification de la Convention par le Gouvernement haïtien met celui-ci dans l'obligation de lutter contre toutes les formes de discrimination raciale à tous les niveaux, y compris dans la sphère privée, la responsabilité de l'État ne pouvant en aucun cas être exclue.

11. Enfin, M. Rechetov demande si les mesures adoptées ces dernières années pour rendre justice aux victimes de la répression ont été éventuellement étendues à des victimes d'actes de violence raciale et si les réformes entreprises dans les domaines de la justice, du système pénitentiaire et de la police ont eu un effet positif sur la mise en oeuvre des droits des différentes communautés ethniques.

12. M. FERRERO COSTA se félicite de ce que l'Etat partie ait renoué le dialogue avec le Comité et ait envoyé une délégation de haut niveau pour le représenter, montrant par là sa volonté politique de coopérer.

13. On peut rappeler, d'abord, que les périodes difficiles que le pays a traversées ont entraîné une détérioration de la situation politique et socio-économique, d'où aujourd'hui l'extrême pauvreté d'une grande partie de la population haïtienne et des disparités sociales profondes. Dans son rapport sur la situation des droits de l'homme en Haïti (A/53/355), établi en 1998, l'expert indépendant de la Commission des droits de l'homme, M. Adama Dieng, a fait état de cette situation préoccupante. Le Comité aurait donc une vision plus claire de ce contexte si le rapport contenait, notamment en matière démographique, les données précises que tous les États parties sont invités à fournir.

14. Sur le fond, il est dit dans divers paragraphes du rapport que la discrimination raciale n'existe pas en Haïti, mais simultanément il ressort du paragraphe 16 du rapport que la Constitution de 1805 prévoyait de désigner tous les Haïtiens sous la dénomination générique de Noirs, ce qui est une position juridique discriminatoire à l'égard de la population blanche. De même, le fait que la Constitution actuelle ne se réfère pas explicitement à la discrimination raciale (par. 17 du rapport) ne prouve pas que cette discrimination n'existe pas. Et si les préjugés liés à la couleur qui peuvent s'exprimer dans la sphère privée ne sont certes pas le fait de l'État, il n'en demeure pas moins que les États sont tenus, aux termes de la Convention, de prendre des mesures pour éliminer toutes formes de racisme, même entre particuliers. M. Ferrero Costa engage donc l'État partie à admettre certaines réalités, car c'est seulement à partir de là qu'un dialogue constructif pourra être entamé et qu'il sera possible de faire face aux problèmes éventuels. Il espère qu'Haïti tiendra compte de cette observation dans son prochain rapport périodique.

15. S'agissant du décret du 4 février 1981 mentionné au paragraphe 26 du rapport, il serait intéressant de savoir comment ce texte de loi est mis en oeuvre concrètement et dans quelle mesure il est compatible avec l'article 4 de la Convention. M. Ferrero Costa souhaiterait aussi obtenir des informations complémentaires sur l'exercice du droit au travail, au logement et à l'éducation en relation avec la question de la discrimination raciale. Quant à la question de l'impunité, elle demeure un sujet de préoccupation pour le Comité, qui avait déjà invité l'Etat partie, en 1998 (A/53/18, par. 364), à lui communiquer les mesures prises pour faire en sorte que les auteurs des actes de violence ayant un rapport avec la discrimination raciale ne demeurent pas impunis. M. Ferrero Costa souhaiterait notamment savoir si le gouvernement s'est réellement impliqué dans la lutte contre l'impunité, s'il peut citer des cas où les auteurs ont été punis et où la victime a obtenu réparation, et si les membres des forces de l'ordre et de la police et les agents de l'Etat n'agissent pas de manière discriminatoire à l'égard de certains groupes de population, comme semblent le démontrer certaines plaintes reçues.

16. Le PRÉSIDENT fait observer qu'eu égard aux nombreux commentaires suscités par le paragraphe 16 du rapport, il conviendrait de vérifier si le texte de l'ancienne Constitution qui y est cité, à savoir "les Haïtiens seront désignés sous la dénomination générique de Noirs", figure toujours dans la nouvelle Constitution. Si tel est le cas, la question mériterait effectivement un examen plus poussé.

17. Mme ZOU souscrit pleinement aux observations de M. Rechetov et de M. Ferrero Costa. Se référant, par ailleurs, aux paragraphes 9 et 30 du rapport, elle se demande si le Haïtien qui reprend sa nationalité après y avoir renoncé un temps jouira des mêmes droits que les autres citoyens. En outre, elle souhaiterait savoir si les Haïtiens par naturalisation sont soumis à d'autres prescriptions particulières, comme le fait de devoir attendre cinq ans avant de pouvoir occuper des fonctions publiques. Ont-ils la possibilité d'être élus chef de l'État par exemple ? Mme Zou souhaiterait obtenir plus de détails aussi au sujet de la notion de "délit punissable" et des "peines" mentionnées aux paragraphes 26 et 27 du rapport. Par ailleurs, à propos de l'inauguration de l'Ecole de la magistrature et de la création de la Commission préparatoire à la réforme de la justice (par. 35 du rapport), elle espère que les magistrats font l'objet d'une formation en matière de lutte contre la discrimination raciale. Enfin, compte tenu de ce qui est dit au paragraphe 39 sur la mise en place de la Police nationale d'Haïti et de l'Inspection générale de la police nationale haïtienne, elle aimerait savoir ce qu'il en est des 2 278 dossiers faisant état de violations des droits de l'homme par les forces de police, répertoriés entre novembre 1995 et décembre 1997. Quelle est la nature précise de ces cas et quelle suite leur a été donnée ?

18. M. VALENCIA RODRIGUEZ fait observer qu'il est nécessaire d'analyser le contexte politique et socio-économique pour avoir une idée exacte des conditions dans lesquelles vit la population. Il importe donc que dans son prochain rapport le Gouvernement haïtien fournisse au Comité des données précises sur les principaux indicateurs socio-économiques, ainsi que sur la répartition démographique des différentes composantes de la population, à savoir Noirs, Blancs et mulâtres, compte tenu des disparités et des préjugés évoqués au paragraphe 21 du rapport. Même si le Comité est sceptique quant à l'affirmation selon laquelle il n'y aurait aucune discrimination raciale en Haïti, il se réjouit de ce que la Constitution du pays interdise toute forme de discrimination entre citoyens. De même, il se réjouit du fait qu'une fois ratifiés les traités internationaux, et notamment la Convention, fassent partie de l'ordre juridique national et puissent donc être directement invoqués par les tribunaux (voir par. 12 et 18 du rapport).

19. Pour ce qui est de l'application de l'article 2 de la Convention, M. Valencia Rodriguez relève dans le rapport que l'article 54 de la Constitution garantit la même protection aux étrangers qu'aux Haïtiens. Il aimerait savoir ce qu'il en est exactement sur le plan de l'exercice des droits politiques. Par ailleurs, l'Etat partie devrait poursuivre ses efforts dans le domaine des mesures économiques et sociales visant à éliminer les préjudices raciaux. La ratification de la Convention interaméricaine sur la prévention, la sanction et l'élimination de la violence contre la femme est à cet égard un pas positif, les femmes de couleur étant souvent l'objet d'une double discrimination, d'une part en raison de leur statut de femme et d'autre part en tant que personnes de couleur.

20. En relation avec l'application de l'article 4 de la Convention, il serait utile de disposer du texte intégral du décret du 4 février 1981, qui semble répondre en partie au but préventif recherché. Dans le cadre de l'application de l'article 5 de la Convention, M. Valencia Rodriguez félicite l'Etat partie d'avoir entrepris une réforme du système judiciaire et d'avoir créé une Ecole de la magistrature (par. 34 et 35 du rapport). Ces mesures, intervenant après le climat d'insécurité qu'a connu le pays sous le régime militaire et à la suite des travaux de la Commission nationale de vérité et de justice (saisie de 8 000 plaintes), vont dans le sens du rétablissement de l'ordre. A cet égard, la présence de la Mission civile internationale en Haïti devrait également jouer un rôle positif. Il est dit en outre au paragraphe 51 que les étrangers ont des droits limités en matière de propriété immobilière. Les étrangers sont-ils traités sur un pied d'égalité dans ce domaine, indépendamment de leur nationalité ? Les efforts entrepris par le gouvernement pour améliorer les conditions d'habitat et pour garantir le droit à l'éducation (par. 64 et 68) méritent, quant à eux, d'être loués et encouragés, compte tenu du peu de moyens dont dispose le pays.

21. En ce qui concerne l'application de l'article 6 de la Convention, le Comité souhaiterait disposer des textes de lois dont il est question au paragraphe 72 du rapport. Pour ce qui est des dispositions du Code civil mentionnées au paragraphe 73 du rapport, si celles-ci prévoient l'obligation de dédommager les victimes de discrimination raciale, elles ne satisfont toutefois pas totalement aux obligations découlant de l'article 4 de la Convention dans la mesure où elles subordonnent cette indemnisation à une décision judiciaire. L'État partie doit donc revoir sa législation afin de la rendre conforme à la Convention.

22. S'agissant enfin de l'article 7 de la Convention, M. Valencia Rodriguez note les efforts déployés par Haïti en matière d'éducation en dépit de ses faibles ressources. Il suggère à l'Etat partie de rechercher une aide à cet effet dans le cadre de la coopération internationale. Enfin, la diffusion de la Convention en français et en créole dans des publications autres que le Journal officiel et de portée plus large aurait sans doute un meilleur impact sur la population.

23. M. GARVALOV salue la franchise avec laquelle le Gouvernement haïtien rend compte des événements récents qui ont influencé l'exercice des droits individuels et des libertés fondamentales en Haïti depuis 1990. Il estime cependant que les dispositions relatives à l'égalité et à la lutte contre la discrimination raciale fondée sur la race, la couleur ou l'origine nationale qui ont été prises sont formulées en termes trop généraux pour garantir l'application effective de la Convention. A cet égard, il est indiqué dans le rapport (par. 17) que la Constitution de 1987 en vigueur ne se réfère pas explicitement à la discrimination raciale. C'est donc de façon implicite seulement que la loi fondamentale interdit la discrimination raciale par le biais d'une référence à la Charte universelle des droits de l'homme.

24. Notant qu'il est dit dans différentes parties du rapport, notamment au paragraphe 21, que la discrimination raciale n'existe pas en Haïti, M. Garvalov tient à préciser à l'intention de la délégation que comme le Comité considère par principe qu'aucun pays n'est exempt de ce phénomène, présent partout sous différentes formes ou à des degrés divers, il attend des Etats parties qu'ils prennent toutes mesures en vue de le combattre conformément à leurs obligations au regard de la Convention.

25. Se référant également au paragraphe 18, où il est dit que les dispositions de la Convention peuvent être invoquées devant les tribunaux et instances administratives d'Haïti, M. Garvalov aimerait savoir si la Convention fait effectivement partie de l'ordre juridique national et si ses dispositions peuvent être invoquées directement devant les tribunaux. En outre, quelles sont les sanctions et peines prévues pour les personnes reconnues coupables d'actes de discrimination raciale et quelles voies de recours et possibilités d'indemnisation sont offertes aux victimes ? Enfin, les citoyens haïtiens sont-ils informés du fait qu'ils peuvent invoquer devant les tribunaux les dispositions de la Convention ?

26. M. Garvalov note par ailleurs que les dispositions de l'article 6 du décret du 4 février 1981 ne définissent pas explicitement la discrimination raciale (voir par. 27 du rapport), ce qui laisse penser - comme d'autres indices d'ailleurs - que les dispositions adoptées par le Gouvernement haïtien en vue de combattre la discrimination raciale sont insuffisantes.

27. En ce qui concerne l'application du droit à un traitement égal devant les tribunaux prévu à l'article 5 de la Convention, M. Garvalov relève avec préoccupation, au paragraphe 30 du rapport, que les Haïtiens qui n'ont jamais renoncé à leur nationalité bénéficient de certains avantages devant la loi et qu'il est fait une distinction entre les Haïtiens d'origine et les Haïtiens naturalisés ou ayant renoncé à leur nationalité, ce qui semble contraire aux dispositions de l'article premier de la Convention. Au demeurant, cette distinction contredit l'affirmation faite au paragraphe 40 du rapport selon laquelle la législation haïtienne serait antidiscriminatoire.

28. M. WOLFRUM se félicite de la qualité de la déclaration liminaire de la délégation haïtienne et du rapport riche en informations et bien structuré soumis par le Gouvernement haïtien. Cependant, comme MM. Rechetov et Ferrero Costa, il estime qu'il se dégage du rapport (voir par. 15, notamment) une conception de la notion de discrimination raciale étroite par rapport à celle prévue dans la Convention, qui vise non seulement les actes de discrimination raciale commis par l'Etat ou ses agents mais aussi toutes les situations, lois ou attitudes pouvant causer une discrimination au sens de l'article premier de cet instrument.

29. En ce qui concerne l'information selon laquelle des préjugés raciaux s'expriment parfois dans la sphère privée (par. 21), il convient de rappeler que les Etats parties ont l'obligation, en vertu de la Convention, de combattre les préjugés sociaux liés à la couleur ou à l'appartenance raciale ou ethnique. M. Wolfrum aimerait notamment que la délégation explique comment la législation haïtienne est antidiscriminatoire en relation avec les droits énoncés à l'article 5 de la Convention (par. 29 du rapport), car il lui semble que la portée de la législation haïtienne à cet égard est fort en deça des dispositions très complètes énoncées dans ledit article.

30. En ce qui concerne l'article 6 de la Convention, il est dit dans le rapport (par. 34 et 35) que le Gouvernement haïtien a entrepris, en coopération avec plusieurs pays et organisations intergouvernementales, un vaste effort de modernisation de son système judiciaire et de formation des magistrats et des commissaires du Gouvernement. M. Wolfrum aimerait savoir si cette réforme est solidement engagée et quelles mesures concrètes ont été prises pour mettre en place un appareil judiciaire qui respecte scrupuleusement les droits de la défense et les droits fondamentaux.

31. M. de GOUTTES se réjouit de constater que le Gouvernement haïtien a tenu à renouer avec le Comité un dialogue longtemps interrompu en chargeant une délégation de très haut niveau de présenter son rapport. Il se réjouit aussi d'apprendre que la situation s'est améliorée en Haïti depuis la présentation du rapport précédent, que des réformes ont été réalisées dans les domaines de la justice et de la police et qu'une Ecole de la magistrature a été créée.

32. Si le rapport à l'examen présente des aspects incontestablement positifs sur le plan des dispositions normatives, il reflète aussi des lacunes sur le plan de l'application des textes législatifs et de la vérification de leur efficacité concrète. Il est dit par exemple que la Convention a été incorporée dans le droit interne, qu'elle est supérieure à ce dernier et que par le décret du 4 février 1981 la législation nationale a été harmonisée avec les dispositions de la Convention (voir par. 26 et 27), mais aucun cas où la Convention aurait été effectivement invoquée par des particuliers ou des organisations n'est mentionné. Il convient de rappeler, encore une fois, que le Comité ne peut se satisfaire de simples affirmations indiquant que la discrimination raciale n'existe pas. Le Comité souhaite non seulement connaître l'état de la législation interdisant la discrimination raciale, mais surtout obtenir des renseignements sur l'application concrète de cette législation. Dans le cas d'Haïti, l'absence de plaintes dénonçant des infractions racistes ou discriminatoires n'est pas forcément positive, car elle peut traduire un défaut d'information sur les voies de recours disponibles ou un manque de confiance des citoyens à l'égard des autorités. Quant à l'absence de poursuites concernant des actes discriminatoires visés par la Convention, elle peut être due au désintérêt ou à l'apathie des services de police à l'égard des infractions à caractère raciste ou ethnique.

33. Dans le même esprit que M. Ferrero Costa, M. de Gouttes souligne enfin que contrairement au point de vue des autorités haïtiennes apparemment reflété au paragraphe 21 du rapport, les Etats parties ont l'obligation en vertu de la Convention de protéger toutes les personnes placées sous leur juridiction contre tous les actes de discrimination raciale, que ces derniers soient commis par des particuliers ou par les pouvoirs publics eux-mêmes. Etant donné l'existence en Haïti de profondes disparités sociales conjuguées à des relations parfois difficiles entre populations noire, mulâtre et blanche, le Gouvernement haïtien doit tenir compte des observations faites à ce sujet pour établir son prochain rapport périodique et fournir notamment au Comité des renseignements plus complets sur l'application effective des articles 4 et 6 de la Convention.

34. Mme SADIQ ALI dit qu'en ce qui concerne les enfants domestiques en Haïti (par. 21 du rapport), elle aimerait savoir si le statut des enfants en question sera modifié et si ceux-ci auront accès à l'éducation. En outre, la délégation devrait fournir des éclaircissements, notamment d'ordre statistique, sur la domination économique exercée par les groupes de population à peau claire et sur l'exclusion des Noirs des postes de responsabilité dans le secteur économique. Elle souhaite en outre que la délégation fournisse au Comité des chiffres concernant l'émigration des Haïtiens, qui partent en grand nombre à l'étranger.

35. M. SHAHI se réjouit de la reprise du dialogue entre Haïti et le Comité après une longue interruption. En ce qui concerne les renseignements fournis au paragraphe 39 du rapport sur la mise en oeuvre de l'article 5 de la Convention, il aimerait que la délégation précise la nature et le contenu des plaintes qui ont été soumises à l'Inspection générale de la police haïtienne (IGPNH). Comment lesdites plaintes ont-elles été traitées par les autorités compétentes et quelle en a été l'issue ? Les victimes ont-elles été indemnisées ?

36. M. Shahi aimerait savoir en outre si la coopération internationale évoquée dans le même paragraphe a aidé à améliorer le fonctionnement des forces de police et, partant, à éliminer le phénomène de l'impunité qui prévalait traditionnellement en Haïti. Enfin, quelles restrictions réglementaires peuvent venir limiter la liberté de la presse consacrée dans la législation ?

37. M. SHERIFIS prend note avec satisfaction de ce que le Gouvernement haïtien fait des efforts importants dans le domaine de l'éducation afin de diffuser largement les principes des droits de l'homme et, notamment, d'encourager la compréhension, la tolérance et l'amitié entre les nations et les groupes raciaux et ethniques. Rappelant les recommandations générales XIII et XVII du Comité concernant, respectivement, la formation des responsables de l'application des lois à la protection des droits de l'homme et la création d'organismes nationaux pour faciliter l'application de la Convention, M. Sherifis souhaite que le Gouvernement haïtien en tienne compte afin d'améliorer l'application de la Convention dans le pays. Il souhaite en outre que le gouvernement présente dans son prochain rapport périodique des renseignements plus complets sur la composition démographique de la population haïtienne et sur les cas de violence liés à la discrimination raciale.

38. M. Sherifis aimerait savoir, enfin, si le Gouvernement haïtien serait prêt à accepter l'amendement au paragraphe 6 de l'article 8 de la Convention relatif à la prise en charge des dépenses des membres du Comité décidé par les Etats parties et à faire la déclaration prévue à l'article 14.

39. Le PRÉSIDENT dit qu'il est difficile de savoir exactement ce qui se passe actuellement en Haïti. De nombreuses études ont été publiées sur ce pays, dont la dernière en date est celle de M. Boutros Boutros-Ghali, l'ancien Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies, mais la question de savoir qui dirige actuellement le pays n'est pas très claire. Les Nations Unies assurent-elles toujours une présence sur le terrain ? La Mission civile internationale en Haïti (MICIVIH) décidée par le Conseil de sécurité est-elle toujours opérationnelle ? Des troupes étrangères sont-elles stationnées dans le pays et, si oui, par qui sont-elles commandées ? Dans son rapport sur la situation des droits de l'homme en Haïti (voir A/53/355), l'expert indépendant de la Commission des droits de l'homme, M. Adama Dieng, estime de son côté qu'il est temps que les acteurs politiques permettent au Président Préval d'exercer sa prérogative constitutionnelle de désigner un Premier Ministre. Faut-il en déduire qu'il n'y a pas de Premier Ministre en Haïti ? Il serait donc souhaitable que le Ministre de la justice haïtien explique aux membres du Comité quelle est exactement la situation dans son pays.

40. M. LEBLANC (Haïti) se félicite des remarques constructives et intéressantes qu'ont formulées les experts au sujet de son pays. Il rappelle qu'aux termes de la Constitution de 1805, texte fondateur de l'Etat haïtien, "les Haïtiens seront désignés sous la dénomination générique de Noirs". A l'époque, le pays venait tout juste de sortir de l'esclavage, lequel était précisément fondé sur la discrimination raciale. Il a été alors décidé que plus aucune discrimination ne serait exercée sur la base de la couleur de la peau et que tous ceux résidant sur le territoire seraient considérés comme Noirs. Cela ne signifie pas qu'il n'y ait pas eu de minorités ethniques en Haïti. Lors de la fondation de l'Etat, on comptait 15 % de mulâtres sur les 500 000 habitants et moins de 1% de personnes d'origine européenne.

41. Passant au problème des droits des personnes ayant renoncé à la nationalité haïtienne, M. Leblanc confirme que celles-ci ne peuvent être éligibles à des fonctions publiques et que, pour voter, il faut être de nationalité haïtienne ou avoir recouvré cette nationalité, Haïti ne reconnaissant pas la double nationalité. Toutefois, de fortes pressions sont actuellement exercées, notamment par la très importante communauté haïtienne exilée aux Etats-Unis, qui représente près d'un quart de la population, en faveur d'une modification de cette loi.

42. Pour ce qui est de l'utilisation du français ou du créole, le représentant explique que l'usage de l'une ou l'autre langues ne renvoie pas à une question de race, mais à un problème d'éducation. Jusqu'en 1984, l'enseignement était pour l'essentiel dispensé en français; en conséquence, toutes les personnes éduquées s'exprimaient en français, les autres (près de 83% de la population) s'exprimant en créole. En 1987, il a été décidé que le français et le créole seraient les deux langues nationales officielles.

43. En ce qui concerne la situation politique du pays, M. Leblanc indique qu'un gouvernement a été constitué le 26 mars 1999 sur la base d'un accord politique passé entre le président Préval et les partis politiques. Les prochaines élections législatives ont été fixées au 23 novembre 1999.

44. S'agissant de l'absence de saisines juridictionnelles pour actes de discrimination raciale évoquée par certains experts, il faut expliquer qu'avant 1957 le pays a connu des pratiques discriminatoires. Il existait notamment des clubs auxquels on ne pouvait adhérer que si l'on était Blanc. Cette pratique a été interdite par François Duvallier qui a fait fermer ces institutions. Il existe toujours des clubs très fermés mais ceux-ci recrutent leurs membres sur la base de leur richesse et non de leur couleur ou de leur race. La délégation n'a pas donné de chiffres concernant les poursuites pour actes de discrimination raciale car le dernier cas, qui touchait au droit du travail, remonte à 1964. Conformément à la législation haïtienne, de nombreux efforts sont déployés, pour la plupart avec succès, pour dissiper toutes les tensions qui peuvent se produire dans le domaine de la discrimination raciale. Le gouvernement entend toutefois rester vigilant en la matière. La délégation haïtienne, qui a pris bonne note des préoccupations formulées par les membres du Comité sur certains aspects du rapport, assure que les autorités haïtiennes prendront les mesures voulues.

45. M. Leblanc indique par ailleurs que les Nations Unies sont en effet présentes en Haïti et que le mandat de la MICIVIH arrive à expiration en novembre 1999. Le Conseil économique et social a toutefois adopté à sa dernière session un projet de résolution (E/1999/L.35) demandant à l'Assemblée générale de renouveler le mandat de la MICIVIH.

46. Pour ce qui est des sanctions infligées aux policiers, M. Leblanc précise que, depuis 1995, suite aux plaintes déposées auprès de l'Inspection générale de la police nationale haïtienne, près de 700 policiers ont été révoqués pour s'être livrés à des actes inacceptables, tels que violences à l'égard de détenus ou utilisation de méthodes illégales lors des interrogatoires. Des efforts très importants ont été déployés pour assurer une meilleure formation du personnel de police, grâce au soutien actif de la communauté internationale. En outre, plusieurs commissions ont été créées dans le cadre de la réforme de la justice, telle la Commission nationale de vérité et justice. Le Canada, les Etats-Unis et la France participent activement à cette initiative en formulant des propositions en vue de la modification des instruments juridiques existants. Les autorités haïtiennes ont la ferme volonté de mener à bien cette réforme de la justice, ainsi que celle de la police.

47. Le PRÉSIDENT se félicite du dialogue constructif engagé avec la délégation et se dit certain que celle-ci apportera les précisions demandées par le Comité.

QUESTIONS D'ORGANISATION ET QUESTIONS DIVERSES (point 2 de l'ordre du jour) (suite)

48. Le PRÉSIDENT dit avoir reçu un message de la Mission permanente du Sénégal demandant à ce que la date d'examen des neuvième et dixième rapports périodiques de ce pays, fixée au mardi 17 août 1999, soit maintenue. Il a aussi reçu une lettre du Chargé d'affaires de la République fédérale de Yougoslavie demandant que le rapport périodique de ce pays soit examiné au plus tôt dans un an.

49. M. BANTON estime que la demande du Sénégal est raisonnable. Pour ce qui est de la demande des autorités yougoslaves, il devrait être possible d'y accéder compte tenu de la ponctualité dont a fait preuve l'Etat partie dans la présentation de ses précédents rapports.

50. Le PRÉSIDENT suggère que l'on décide à une date ultérieure de l'issue à donner à la requête de la République fédérale de Yougoslavie. Il propose par ailleurs que le Secrétaire du Comité informe la Mission permanente du Sénégal que la date prévue pour l'examen de son rapport est maintenue au 17 août.

51. Il en est ainsi décidé.


La séance est levée à 17 h 30.


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