Distr.

GENERALE

E/C.12/1994/SR.11
17 mai 1994


Original: FRANCAIS
Compte rendu analytique de la 11ème séance : Iraq. 17/05/94.
E/C.12/1994/SR.11. (Summary Record)

Convention Abbreviation: CESCR
COMITE DES DROITS ECONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS


Dixième session


COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 11ème SEANCE


tenue au Palais des Nations, à Genève,
le lundi 9 mai 1994, à 10 heures


Président : M. ALSTON


SOMMAIRE

Examen des rapports :

a) Rapports présentés par les Etats parties conformément aux articles 16 et 17 du Pacte

Relations avec les organes des Nations Unies et d'autres organes créés en vertu d'instruments internationaux

ôôôôôôôôôôôô

Le présent compte rendu est sujet à rectifications.

Les rectifications doivent être rédigées dans l'une des langues de travail. Elles doivent être présentées dans un mémorandum et être également portées sur un exemplaire du compte rendu. Il convient de les adresser, une semaine au plus tard à compter de la date du présent document, à la Section d'édition des documents officiels, Bureau E.4108, Palais des Nations, Genève.

Les rectifications éventuelles aux comptes rendus des séances de la présente session seront groupées dans un rectificatif unique qui sera publié peu après la clôture de la session.


La séance est ouverte à 10 h 15.

EXAMEN DES RAPPORTS :

a) RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES CONFORMEMENT AUX ARTICLES 16 ET 17 DU PACTE (Point 4 de l'ordre du jour) (suite)

1. Sur l'invitation du Président, MM. Hamash, directeur général des relations culturelles au Ministère de l'éducation, Hussein, conseiller à la Mission permanente à Genève, et Salman, premier secrétaire à la Mission permanente, membres de la délégation iraquienne, prennent place à la table du Comité.

2. M. HAMASH (Iraq) fait tout d'abord observer que son déplacement à Genève n'a pas été facile, à cause de l'embargo imposé à son pays. Depuis la présentation du premier rapport de l'Iraq, deux événements importants ont marqué la situation des droits de l'homme en Iraq. C'est ainsi que, tout d'abord, la guerre entre l'Iran et l'Iraq a pris fin en 1988, ce qui a permis au Gouvernement iraquien d'entamer la reconstruction du pays et d'abroger bon nombre de lois et de décrets d'urgence qui avaient été adoptés pendant la guerre. C'est également dans ce contexte qu'un nouveau projet de constitution a été examiné. Cependant, l'embargo économique décrété en août 1990 et la guerre du Golfe de 1991 ont inévitablement eu un impact sur la situation des droits de l'homme dans le pays. La délégation iraquienne est certaine que, lorsque les membres du Comité auront pris connaissance des effets négatifs de l'embargo économique sur la jouissance des droits garantis par les articles 13 à 15 du Pacte par les citoyens iraquiens, ils ne pourront que militer en faveur d'une levée de l'embargo économique, mesure indispensable à l'amélioration de la situation des droits de l'homme dans le pays.

3. S'agissant des droits visés aux articles 13 à 15 du Pacte, le deuxième rapport périodique présenté par l'Iraq fait état du programme d'éducation obligatoire et d'éradication de l'analphabétisme et du fait que tous les droits économiques, sociaux et culturels, y compris le droit à l'éducation, sont mis en oeuvre en accord avec le principe de non-discrimination énoncé à l'article 19 de la Constitution iraquienne. C'est ainsi que l'égalité de chances est donnée à tous les membres de la société, sans discrimination, en ce qui concerne l'éducation.

4. Par ailleurs, le Code de l'éducation ne contient aucune disposition empêchant la création d'écoles privées, pour autant que l'enseignement reste gratuit. Néanmoins, à l'heure actuelle, il n'existe aucune école primaire ou secondaire privée en Iraq, alors que quatre collèges privés y ont été ouverts.

5. Les enseignants, sur lesquels repose le système d'éducation iraquien, sont relativement bien payés par rapport à d'autres fonctionnaires de formation équivalente. En outre, ils participent à l'élaboration de la politique d'enseignement du pays par le biais de leur appartenance à l'Union des enseignants.

6. Le Gouvernement iraquien s'efforce en outre d'encourager la recherche scientifique dans l'intérêt du développement national. Cependant, l'embargo économique qui frappe l'Iraq empêche le progrès technologique et tient le pays à l'écart des progrès scientifiques réalisés dans le reste du monde. Dans ce contexte, il convient de souligner que l'Iraq a signé de nombreux accords bilatéraux d'échange de technologie et d'étudiants boursiers, qui n'ont pu être mis en oeuvre depuis 1990 à cause de l'embargo économique. Le rapport périodique de l'Iraq fait également référence à la proportion des diplômés de l'école préparatoire admis dans les universités et collèges; aux règlements régissant leur admission à l'université; à l'harmonisation entre le nombre de diplômés des différents domaines de spécialisation et les besoins du marché du travail; aux moyens pédagogiques à la disposition des enseignants et des professeurs d'université; au développement du rôle des institutions éducatives et scientifiques; aux langues utilisées dans l'enseignement; au système d'avancement dans le corps universitaire iraquien; aux procédures de promotion suivies dans les universités iraquiennes; et à l'éducation des enfants mentalement, psychologiquement et physiquement déficients.

7. En ce qui concerne l'assistance que l'Iraq a reçue des organisations internationales et des ONG, on peut dire que les montants ont été relativement faibles, la plus grande partie provenant de l'UNESCO, de l'UNICEF et des ONG Care et OXFAM. Enfin, il convient de souligner que l'annexe au rapport de l'Iraq comprend des statistiques concernant notamment le nombre d'étudiants par gouvernorat; la répartition des étudiants par sexe; le nombre de professeurs; le nombre d'écoles professionnelles; le nombre d'universités par gouvernorat; ainsi que le nombre d'étudiants universitaires.

8. Enfin, le rapport exprime le souhait des gens concernés de mettre toujours mieux en oeuvre le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Cependant, cela ne sera possible que si la communauté internationale remplit elle-même ses obligations humanitaires, en levant notamment l'embargo injuste qui frappe le peuple iraquien.

9. Mme VYSOKAJOVA fait observer que, selon des informations émanant du Département d'Etat américain, les femmes mariées ne pourraient se rendre à l'étranger qu'après avoir obtenu l'autorisation de leur mari. Comment, dès lors, les femmes iraquiennes peuvent-elles participer à la vie scientifique et culturelle et bénéficier de programmes d'échange de boursiers si elles doivent attendre l'autorisation de leur mari pour voyager ?

10. M. WIMER ZAMBRANO demande comment la gratuité de l'enseignement secondaire et primaire est compatible avec le fait qu'il n'existe aucune disposition interdisant la création d'écoles privées. En principe, la création d'établissements d'enseignement privés est liée à une notion d'intérêt économique.

11. M. SIMMA fait tout d'abord observer qu'il refuse d'interpréter la dernière phrase du premier paragraphe du rapport de l'Iraq comme signifiant que ce pays mettrait en cause l'universalité des droits de l'homme. Il rappelle, par ailleurs, l'intérêt que le Comité porte à la situation des juifs qui résident encore en Iraq.

12. S'agissant de l'article 13 du Pacte, M. Simma souhaite savoir si, dans le cadre du programme d'éradication de l'analphabétisme, il n'y a pas une discrimination entre les hommes et les femmes, puisque selon le paragraphe 7 du rapport de l'Iraq, l'objectif de la campagne "était d'inscrire 50 % des hommes pendant les deux premières années et 25 % des femmes en quatre ans". Par ailleurs, pourquoi ne sont considérées comme analphabètes que les personnes "de 15 à 45 ans incapables de lire et d'écrire" ?

13. M. Simma estime également que le tableau statistique qui figure au paragraphe 29 du rapport est difficile à interpréter. La délégation iraquienne peut-elle fournir des précisions à ce sujet ?

14. S'agissant du système d'avancement dans le corps universitaire iraquien (par. 51 du rapport), les conditions d'avancement sont-elles également appliquées aux enseignants étrangers qui souhaiteraient travailler en Iraq ?

15. D'autre part, M. Simma rappelle que le Comité a toujours été plus intéressé par l'application pratique des dispositions contenues dans le Pacte que par la situation des droits économiques, sociaux et culturels dans les textes de lois. A cet égard, quelle est la situation réelle des populations assyrienne et turcomane en Iraq ? La population turcomane est-elle autorisée à apposer dans ses écoles ou ses mosquées des inscriptions dans sa langue ? La radio turcomane est-elle totalement libre ou est-elle contrôlée par le Parti baas ? Est-il vrai qu'à la fin de 1993 certains étudiants assyriens ont été renvoyés et certains enseignants assyriens ont été licenciés ? Selon certaines sources d'information, les écoles chiites seraient régulièrement fermées, voire détruites. La délégation iraquienne peut-elle fournir des renseignements à ce sujet ? D'autre part, selon certaines informations en 1991, 105 religieux et intellectuels chiites auraient été arrêtés et auraient disparu. La délégation iraquienne peut-elle donner des informations sur le sort de ces personnes et sur l'endroit où elles se trouvent ?

16. Quelles sont les conséquences du programme d'assèchement des marais sur la vie quotidienne des Arabes qui vivent dans les zones marécageuses du Sud du pays ? Ces populations peuvent-elles continuer à vivre dans leur région d'origine ou sont-elles obligées de fuir, ce qui entraînerait l'anéantissement de leur culture et de leurs traditions ? S'agissant de la région de Kirkouk, dans le nord du pays, est-il vrai que les enseignants de cette région n'ont reçu aucun salaire depuis des années et qu'ils ne bénéficient pas de la sécurité sociale ?

17. Selon certaines informations provenant des Etats-Unis, le Gouvernement iraquien n'aiderait plus les étudiants iraquiens qui se trouvent à l'étranger et aurait pris des sanctions contre les familles des étudiants qui ne souhaitent pas rentrer en Iraq. Ces informations sont-elles exactes ?

18. Il semblerait, par ailleurs, que pour quitter l'Iraq un visa de sortie est nécessaire et que son prix serait de 5 000 dinars iraquiens, soit environ 15 000 dollars des Etats-Unis, au cours officiel. Il semble dès lors difficile pour un enseignant moyen de se rendre à l'étranger pour participer à la vie culturelle et scientifique internationale. La délégation iraquienne peut-elle donner des précisions à ce sujet ?

19. En conclusion, M. Simma dit qu'il éprouve des difficultés à entendre parler de liberté de l'enseignement et de liberté culturelle dans un pays dirigé par un parti unique et où prédomine visiblement un climat de peur et d'intimidation.

20. M. TEXIER constate que l'Iraq a longuement insisté, dans son rapport, sur les effets néfastes de l'embargo économique sur la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels en Iraq et demandé au Comité, à titre humanitaire, d'intercéder auprès de la communauté internationale pour obtenir la levée de cette mesure. Il note, néanmoins, que l'Iraq est resté muet sur le but de l'embargo qui, comme en Afrique du Sud du temps de l'apartheid ou en Haïti où il existe un régime militaire illégitime, est la démocratisation.

21. L'Iraq a présenté une vision paradisiaque de la situation dans son territoire en prétendant, par exemple, qu'il n'y existe aucune discrimination, que l'éducation y est libre pour tous, et que tous les problèmes sont causés par l'embargo économique. Le Comité dispose néanmoins d'informations qui contredisent cette image de perfection. M. Tessier comprend que la population de l'Iraq comprend non seulement des sunnites et des chiites, mais aussi des Kurdes, des Turkmènes, des Assyriens et des juifs. Les sunnites, soit 12 % de la population, occupent depuis toujours une place prédominante dans la société iraquienne. Mais on note surtout que les divisions ethniques et géographiques ont entraîné des soulèvements populaires, en particulier dans le nord et le sud de l'Iraq, qui ont été sévèrement réprimés par le Gouvernement iraquien. Il s'en est suivi un déplacement de populations, des mesures de réinstallation forcée et la démolition de nombreux villages kurdes, assyriens et turkmènes dans le nord du pays, au mépris du droit de milliers de personnes de choisir librement leur lieu de résidence.

22. M. Texier déplore qu'il soit particulièrement difficile d'obtenir des informations fiables sur la situation en Iraq et rappelle à ce sujet qu'une ONG, Human Rights Watch, attribue ce problème à la surveillance étroite des étrangers et au climat de peur qui règne en Irag. Amnesty International a, de même, signalé que des milliers d'opposants avaient été arrêtés pour délit d'opinion et que des centaines d'Arabes et de Kurdes, dont 106 dignitaires religieux, avaient été également arrêtés au cours des soulèvements en masse d'avril 1991. De même, dans sa résolution 1993/74 sur la situation des droits de l'homme en Iraq, la Commission des droits de l'homme a condamné fermement la suppression de la liberté de pensée, d'expression et d'association, ainsi que la violation des droits de propriété, et le refus du Gouvernement iraquien de s'acquitter de ses responsabilités en ce qui concerne le respect des droits économiques de la population iraquienne.

23. L'intervenant rappelle qu'il est dit dans le rapport du CERD que cet organe est gravement préoccupé par l'absence de renseignements sur le traitement de différents groupes ethniques en Iraq. Enfin, la Commission des droits de l'homme a signalé dans son dernier rapport que la liberté d'expression n'est pas protégée en Iraq et s'est inquiétée de la répression à l'encontre des chiites et des Kurdes qui se répercute sur l'ensemble du peuple iraquien et, en particulier, de la politique de répression et de discrimination à l'encontre de la communauté chiite et de la population civile de l'Iraq méridional, qui est motivée par une politique d'hostilité systématique à l'égard des populations arabes des marais. Enfin, il est indiqué dans le rapport de Human Rights Watch pour 1993 que les Kurdes vivant dans la région montagneuse luttent pour plus d'autonomie ou, parfois, pour l'indépendance.

24. M. Texier demande un complément d'information sur la situation réelle des Kurdes dans le domaine des droits économiques, sociaux et culturels et aimerait savoir où et dans quelles conditions est enseignée la langue kurde, et si la radio kurde peut s'exprimer librement sur tout le territoire de l'Iraq. Il reste perplexe devant la contradiction entre le rapport de l'Iraq et les informations à la disposition de l'ONU et a des doutes, en général, sur la véracité et la fiabilité du deuxième rapport périodique de l'Iraq, qui présente un cadre juridique admirable, alors que la réalité semble tout autre. Il demande enfin des renseignements sur la situation réelle des minorités, question qui est sa préoccupation essentielle.

25. M. ALVAREZ VITA rappelle que la question de la participation de l'Iraq aux travaux du Comité n'a pas été une question facile et précise, compte tenu des conséquences de la guerre et de l'embargo économique sur la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels. Etant donné que la délégation iraquienne a déclaré, dans son exposé, que l'éducation est ouverte à tous sans restriction et que la liberté d'enseignement est conforme aux lois, il demande des renseignements sur le contenu des lois en question et sur la manière dont l'enseignement peut s'exercer.

26. M. Alvarez Vita appelle l'attention du Comité sur la situation de la minorité chrétienne assyro-chaldéenne, originaire de Mésopotamie, qui est la plus ancienne communauté religieuse de l'Iraq, où elle est établie depuis quelque 2 000 ans. Cette communauté est soumise à un processus d'islamisation par l'enseignement obligatoire de l'islam, au mépris de l'article 13 du Pacte. A cet égard, il ne suffit pas de dire que cette communauté a la liberté d'enseigner sa religion au sein de ses paroisses si elle est, en même temps, forcée d'étudier une autre religion. En l'occurrence, cette population, qui est dispersée dans la population générale, et n'occupe pas un territoire particulier, est assujettie à toutes les obligations communes à tous les Iraquiens sans pouvoir participer à la conduite des affaires politiques et des autres affaires de l'Iraq. Les membres de la diaspora assyro-chaldéenne ne peuvent retourner librement en Iraq et sont soumis à l'obligation de travailler le dimanche, mesure qui les empêche d'enseigner leur religion et constitue une atteinte à la liberté d'enseignement, droit fondamental prévu dans le Pacte.

27. M. KOUZNETSOV demande si beaucoup d'Iraquiens font des études à l'étranger et si leurs diplômes sont reconnus par l'Iraq. Si la réponse était négative, il aimerait savoir quel est le motif de la non-acceptation éventuelle des diplômes étrangers.

28. M. GRISSA donne quelques éclaircissements à propos de questions posées par d'autres membres du Comité en précisant que les Kurdes, étant également des sunnites, il serait faux de dire que les sunnites constituent 12 % de la population; ce pourcentage ne tiendrait pas compte des 3 millions de Kurdes.

29. Mme TAYA dit que, d'après le rapport du Département d'Etat des Etats-Unis de 1991, les étudiants iraquiens qui ne retournent pas en Iraq ont l'obligation de rembourser le montant des dépenses gouvernementales pour toutes les études effectuées en Iraq ou à l'étranger aux frais du Gouvernement iraquien. Elle demande si cette expression vise les bourses seulement ou toutes les dépenses du gouvernement. Soupçonnant que ce texte vise des étudiants non sunnites qui doivent étudier à l'étranger et n'ont pas de possibilités d'emploi en Iraq, elle aimerait savoir le nombre et l'appartenance religieuse des étudiants qui doivent effectuer des remboursements.

30. M. CEAUSU relève que l'Iraq traite dans son rapport des effets de l'embargo sur l'éducation et la culture (par. 63 à 70) et des effets de l'embargo économique et de l'agression des Etats de la coalition contre l'Iraq (par. 113, 115 et 117) et rappelle que la délégation iraquienne a demandé au Comité de se prononcer pour la levée de l'embargo contre l'Iraq afin d'aider ce pays à s'acquitter de ses obligations internationales. L'intervenant juge que ces propos donnent une idée fausse de la cause de l'embargo et rappelle que le Conseil de sécurité a pris cette décision pour mettre un terme à l'agression de l'Iraq contre le Koweït et que les Etats de la coalition ont défendu cet Etat, en vertu de dispositions relatives à la sécurité collective, inscrites dans la Charte. Il estime donc que les parties du rapport concernant les effets de l'embargo économique, de l'agression des Etats et de la coalition contre l'Iraq et leurs conséquences pour la promotion de l'information et de la culture n'ont pas leur place dans le rapport soumis par l'Iraq à un organe du Conseil économique et social. Il engage la délégation iraquienne à expliquer correctement les causes des difficultés rencontrées par l'Iraq dans la mise en oeuvre des droits économiques, sociaux et culturels.

31. M. RATTRAY dit qu'il envisage la situation en Iraq sans tenir compte des antécédents. Il désire simplement savoir comment, eu égard à la situation existante, le Gouvernement iraquien essaie de permettre aux différentes composantes de la société iraquienne, y compris les minorités ethniques, d'avoir accès de façon équilibrée à l'éducation. Il demande si l'Iraq dispose de statistiques sur les inscriptions universitaires et l'octroi de diplômes aux membres des différents groupes minoritaires pendant les trois années précédentes.

32. Mme JIMENEZ BUTRAGUEÑO estime que le rapport E/1990/7/Add.15 ne décrit pas la situation réelle en Iraq. Evoquant la partie du rapport du Département d'Etat de 1991 qui concerne les Iraquiens d'origine iranienne (p. 1998), elle demande si ces derniers doivent toujours porter des signes d'identification. Rappelant que les femmes sont obligées d'obtenir de leur époux une autorisation pour sortir du territoire iraquien, elle demande si une autorisation est également nécessaire pour d'autres actes et s'il existe des cas de discrimination juridique à l'encontre des femmes. Elle relève avec inquiétude que la priorité est donnée, en matière d'éducation et d'éradication de l'analphabétisme, aux personnes travaillant dans les secteurs socialiste, mixte et privé, et demande le sens de la notion de secteur socialiste ainsi que la différence entre enseignement universitaire et enseignement supérieur (par. 27 et 28). Elle aimerait savoir, en outre, quelle est l'origine du financement des établissements d'enseignement privé et quelles sont leur idéologie religieuse et leurs rapports avec le Gouvernement iraquien. Elle estime enfin que le Gouvernement iraquien doit faire preuve de bonne volonté pour obtenir la levée de l'embargo économique.

33. Le PRESIDENT propose à la délégation iraquienne de répondre le lendemain matin aux questions du Comité, si elle le désire.

34. M. HAMASH (Iraq) dit que vu le nombre de questions posées à la délégation iraquienne, elle préfère répondre à la plupart à la séance du lendemain. M. Hamash tient toutefois, à faire quelques observations. Tout d'abord l'Iraq fait partie des quelques pays en développement qui accordent un rang de priorité élevée à l'enseignement, comme en témoignent les prix qui lui ont été décernés par l'UNESCO et d'autres organismes internationaux en reconnaissance des efforts exceptionnels qu'il consacre à la lutte contre l'analphabétisme et au maintien de la qualité de l'enseignement. Les résultats remarquables qu'il a obtenus auraient été encore meilleurs si le processus n'avait pas été perturbé par la guerre entre l'Iraq et l'Iran.

35. En réponse à des questions posées par M. Simma, le représentant de l'Iraq note que la différence entre le pourcentage des femmes (25 %) et des hommes (50 %) inscrits aux programmes d'alphabétisation s'explique simplement par le fait que le nombre de femmes illettrées est plus important. Il précise d'autre part que l'opération consistant à inscrire d'abord les personnes âgées de 15 à 45 ans n'est qu'une première étape, le gouvernement souhaitant axer ses efforts dans un premier temps sur le centre de la pyramide.

36. M. Hamash nie qu'il existe en Iraq une quelconque distinction entre les membres des différentes confessions et minorités nationales. La politique du gouvernement n'a jamais été sectaire. Dans toutes les familles iraquiennes, il y a, par exemple, à la fois des chiites et des sunnites. C'est un problème créé de toutes pièces à des fins politiques. Parler des Arabes des marais est aussi absurde que de parler des Arabes des montagnes ou des plaines. Ce sont tous des Iraquiens, quelle que soit la partie du territoire où ils vivent. Quand l'Etat iraquien a proclamé la gratuité et le caractère obligatoire pour tous de l'enseignement, il en a fait un principe applicable à tous les citoyens sans distinction aucune de race, de sexe ou de religion.

37. Répondant à une question relative à l'éducation des jeunes, le représentant de l'Iraq fait observer que tous les Etats accordent une importance primordiale à ce sujet et interviennent directement ou indirectement dans l'élaboration des politiques en la matière, car il y va de l'avenir du pays. En revanche M. Hamash s'inscrit en faux contre les affirmations selon lesquelles il y aurait un processus d'islamisation en Iraq par le biais de l'enseignement et que des membres de certaines confessions seraient forcés d'apprendre les préceptes de l'Islam.

38. Répondant à une question de M. Kouznetsov sur les écoles privées en Iraq, M. Hamash informe le Comité que tous les établissements d'enseignement privés iraquiens ont leur propre conseil d'administration.

39. S'agissant de l'équivalence des diplômes obtenus à l'étranger, le représentant de l'Iraq signale qu'ils sont généralement acceptés après qu'un comité ait vérifié que l'enseignement dispensé est conforme à certaines normes.

40. Répondant à une question de Mme Taya, M. Hamash dit que les étudiants sont libres d'étudier à l'étranger mais l'Iraq n'a pas les moyens de financer leurs études, surtout à cause de l'embargo économique. Il ne peut, d'autre part, leur réclamer le remboursement de ce qu'il ne peut pas leur payer. Il arrive cependant qu'un étudiant ait des obligations découlant d'un contrat passé avec l'Etat.

41. M. HUSSEIN (Iraq) dit que la délégation iraquienne aurait espéré que les problèmes politiques que connaît son pays soient laissés en marge de l'examen du rapport de l'Iraq. Il s'attendait, en outre, à ce que le Comité se montre favorable à la levée de l'embargo, surtout que ses membres connaissent bien l'Iraq à travers ses universitaires et les étudiants iraquiens qui ont étudié en Europe et dans d'autres régions du monde ces dernières décennies. Malheureusement, il a été surpris par certaines questions qui semblent accorder plus d'importance à ce qui est généralement ressassé au sujet de l'Iraq qu'à l'application des droits économiques, sociaux et culturels. C'est ce que fait M. Texier par exemple lorsqu'il se demande comment l'Iraq peut espérer une levée de l'embargo tant qu'il continuera de faire l'objet d'accusations, allant même jusqu'à comparer les mesures imposées à l'Iraq aux sanctions contre l'Afrique du Sud, comme si les deux situations étaient comparables.

42. La Section C de la résolution 687 (1991) du Conseil de sécurité subordonne la levée de l'embargo au démantèlement des armes de destruction massive. Or de l'avis des inspecteurs de l'ONU, l'Iraq s'est conformé à cette exigence. Le Conseil de sécurité devrait donc honorer ses engagements en vertu du paragraphe 22 de la résolution, surtout que trois de ses membres permanents, la Chine, la France et la Russie ont reconnu que l'Iraq a beaucoup progressé dans l'application de la résolution. Il y a lieu par conséquent de se demander, au vu de la persistance à maintenir l'embargo, s'il ne s'agit pas simplement d'une affaire de règlement de comptes.

43. Tous les rapports publiés par les organisations humanitaires ainsi que par l'UNESCO et la FAO indiquent que la situation économique et sociale qui règne en Iraq est grave et recommandent à la communauté internationale de prendre des mesures en vue de mettre fin au calvaire de tout un peuple.

44. M. Ceausu est tout à fait en droit de s'étonner de l'utilisation du terme agression dans le deuxième rapport périodique de l'Iraq. Mais il y a lieu peut-être de se demander au vu de l'acharnement dont a fait preuve la coalition, si le but était d'amener l'Iraq à se retirer du Koweït ou de détruire le pays. Comment interpréter par exemple le bombardement de l'abri d'Al-Amiria dans lequel des centaines d'enfants, de femmes et de vieillards ont trouvé la mort ?

45. Le PRESIDENT dit qu'il est essentiel de définir les termes du débat avec la délégation iraquienne. Les travaux du Comité portent sur l'application des articles 13 à 15 du Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels que l'Iraq a ratifié. Son principal souci est d'obtenir des réponses claires et précises sur la question. Il est vrai qu'en tant qu'organe de l'ONU son action s'inscrit dans le contexte plus vaste des questions dont s'occupe l'Organisation. Les membres du Comité ont eu connaissance des débats relatifs à l'Iraq au Conseil de sécurité et à la Commission des droits de l'homme, ils ont lu les rapports publiés par les organisations humanitaires, mais il ne leur appartient pas d'aborder des questions qui ne sont pas de leur ressort et qui sont déjà examinées d'une manière approfondie par d'autres organes. Certes, le contexte fait parfois qu'il est nécessaire d'aborder certains sujets, mais il faut préalablement démontrer qu'ils se rapportent bien aux travaux du Comité.

46. M. Ceausu a simplement voulu dire que les membres du Comité ne souscrivaient pas tous aux prémisses dont procède le rapport de l'Iraq. L'objectif visé est d'établir la vérité. Or, les affirmations catégoriques selon lesquelles il n'y aurait pas de discrimination religieuse, ethnique ou culturelle en Iraq ne peuvent être prises au sérieux par le Comité. Le Président tient à dire cela d'emblée parce que avec des réponses de ce type la délégation iraquienne ne devra pas s'étonner de voir le Comité tirer des conclusions sévères.

47. M. HUSSEIN (Iraq), tout en reconnaissant que le Comité n'est pas l'instance appropriée pour débattre de l'embargo imposé à l'Iraq, fait observer qu'il n'a fait que réagir à des questions soulevées par des membres du Comité. Il souscrit entièrement aux observations du Président et l'assure de la pleine coopération de la délégation iraquienne avec le Comité, de la manière jugée nécessaire.

48. Le PRESIDENT invite la délégation iraquienne à poursuivre ses réponses le lendemain.

49. La délégation iraquienne se retire.

RELATIONS AVEC LES ORGANES DES NATIONS UNIES ET D'AUTRES ORGANES CREES EN VERTU D'INSTRUMENTS INTERNATIONAUX (Point 6 de l'ordre du jour)

50. Sur l'invitation du président, M. Harris, membre du Comité d'experts indépendants sur l'application de la Charte sociale européenne, adoptée par le Conseil de l'Europe, prend place à la table du Comité.

51. M. HARRIS (Comité d'experts indépendants sur l'application de la Charte sociale européenne) indique que le Comité dont il est membre est un peu l'équivalent à l'échelle régionale du Comité des droits économiques, sociaux et culturels. Les deux comités pourraient peut-être trouver des moyens de coopérer notamment par l'échange de documents. La Charte sociale européenne est un peu le pendant de la Convention européenne des droits de l'homme. Alors que la Convention, adoptée en 1950, traite des droits civils et politiques, la Charte, adoptée en 1961 et entrée en vigueur en 1965, traite des droits économiques et sociaux. La Charte n'a pas pris autant d'importance que la Convention, probablement à cause des mécanismes de contrôle de son application, et peut-être aussi parce qu'en Europe occidentale on continue à accorder un rang de priorité plus élevé aux droits civils et politiques qu'aux droits économiques et sociaux. La situation s'est cependant améliorée au cours des dernières années. On compte maintenant 20 Etats parties à la Charte, contre 14 six ans plus tôt. Le Conseil de l'Europe comprend quant à lui une trentaine de membres qui sont essentiellement des Etats d'Europe occidentale, dont les 20 Etats parties à la Charte (parmi les membres du Conseil, seuls la Suisse, Saint-Marin et le Liechtenstein ne sont pas parties à la Charte) et les nouveaux Etats d'Europe orientale et de la région baltique par exemple. Ces pays d'Europe orientale et de la Baltique ne sont pas encore parties à la Charte mais devraient le devenir.

52. La Charte et son Protocole additionnel énoncent des garanties fondamentales plus ou moins équivalentes à celles qu'énonce le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Il existe cependant certaines différences entre les deux textes. Il n'est pas question dans la Charte du droit à l'éducation, ce qui est étrange et regrettable. En fait, il s'était avéré impossible en 1961 de se mettre d'accord dans ce domaine sur des dispositions acceptables par tous les Etats. Les engagements que prennent les Etats au titre de la Charte d'une part, du Pacte d'autre part, ont des caractères différents dans la mesure où les Etats parties à la Charte ne sont pas tenus d'accepter tous les droits et toutes les dispositions énoncés dans la partie II. Ils doivent seulement s'engager à se considérer comme liés (voir la partie III, art. 20) par au moins dix articles complets sur les 19 de la partie II ou par 45 des paragraphes numérotés dans cette même partie, soit à peu près 60 % de l'ensemble. Le caractère très inhabituel de cette disposition s'explique par l'impossibilité dans laquelle on s'était trouvé en 1961 d'imposer des obligations plus contraignantes aux Etats, faute de volonté politique. Dans la réalité, les Etats parties ont en moyenne accepté 80 % des obligations auxquelles ils pouvaient souscrire, et six Etats en ont accepté la totalité.

53. Par contre, il n'y a dans la Charte sociale européenne aucune disposition équivalente à celle du paragraphe 1 de l'article 2 du Pacte, qui prévoit que les Etats peuvent assurer progressivement le plein exercice des droits reconnus dans ledit Pacte en fonction des ressources nationales. La Charte prévoit que les Etats assument des obligations immédiates. Si par exemple un Etat s'engage à se considérer comme lié par l'article 11, relatif au droit à la protection de la santé, il doit alors faire tout ce qu'exige cet article, indépendamment de sa situation économique.

54. Une des faiblesses de la Charte est que, pour certains droits économiques, un Etat est considéré comme s'acquittant de son obligation dès lors que les dispositions à respecter sont appliquées à la majorité des personnes intéressées; on peut à ce sujet se reporter à l'article 33 de la Charte.

55. Plutôt que de traiter exhaustivement de la Charte, M. Harris préfère mentionner quelques points particuliers. Le Comité dont il est membre a noté la tendance des Etats à moins s'intéresser à la protection des droits syndicaux et en particulier des droits correspondant aux normes de l'OIT en vigueur en 1961 qui ont été prises en compte dans la Charte. Cette attitude est due à une nouvelle conception des droits syndicaux et des droits économiques en général. Le Comité a eu tendance à maintenir la jurisprudence qu'il a établie en ce qui concerne le respect des normes de l'OIT prises en compte dans la Charte. La seule exception à cet égard concerne les dispositions selon lesquelles on ne peut dans certaines entreprises être embauché qu'à condition d'appartenir à un syndicat donné ("closed shop"). L'OIT avait à ce sujet une position de neutralité que la Charte tendait à refléter. Maintenant, compte tenu d'une tendance générale observée dans les Etats européens, le Comité s'est prononcé contre le système de "closed shop", le jugeant contraire à l'article 5 de la Charte sociale européenne.

56. Par ailleurs, le Comité a noté que du fait de la récession économique qui a affecté l'ensemble de l'Europe, les Etats ont réduit les prestations de sécurité sociale; il a donc rappelé les obligations prévues aux articles 12 et 13 de la Charte.

57. D'autre part, le Comité doit tenir compte de l'apparition et de l'évolution des normes en Europe. Il tend par exemple à adopter les dispositions de l'Union européenne concernant la durée hebdomadaire du travail (48 heures) comme correspondant à un maximum et les dispositions de cette organisation en matière de congés de maternité comme un minimum. Il convient de noter qu'avec l'élargissement de l'Union européenne 16 Etats vont être à la fois membres de l'Union et parties à la Charte sociale européenne. Le Comité s'attache de plus en plus à garantir l'absence de discrimination fondée par exemple sur l'origine ethnique dans le traitement des particuliers.

58. En ce qui concerne la présentation de rapports par les Etats parties, les dispositions sont à certains égards similaires à celles appliquées pour le Pacte, mais sont différentes à d'autres égards. Les Etats parties ont généralement présenté leurs rapports dans les délais voulus. Cependant, compte tenu de l'augmentation de son volume de travail, le Comité a décidé que pour certaines dispositions qui ne sont pas fondamentales des rapports ne seraient demandés que tous les quatre ans, et non plus tous les deux ans. La manière dont le Comité auquel appartient M. Harris aborde les rapports est très différente de la méthode adoptée par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels. Ce dernier tend apparemment à concentrer ses efforts sur les principaux problèmes tels qu'il les perçoit pour un Etat particulier, et pas à aborder toutes les obligations auxquelles les Etats ont souscrit. Le Comité créé en application de la Charte doit quant à lui déterminer, selon une approche quasi judiciaire, si tel Etat s'est acquitté de toutes ses obligations en les examinant une par une. Cela exige beaucoup de temps et beaucoup de préparation. A cet égard, il faut indiquer que le Comité dispose d'assez bons moyens et de services de secrétariat, un peu comme l'OIT. Il y a dans son secrétariat des personnes qui résument les rapports, en font l'analyse, présentent des informations provenant d'autres sources et élaborent un projet de conclusions quant au respect ou non des obligations.

59. Une autre différence importante entre le Comité créé en application du Pacte et le Comité créé en application de la Charte sociale est que ce dernier n'est pas seul à jouer un rôle dans le système d'examen et d'évaluation des rapports. Il faut aussi mentionner le Comité gouvernemental (voir art. 27 tel que modifié en 1991) et le Comité des ministres (voir art. 28 de la Charte tel que modifié en 1991). Cependant, les mécanismes servant à faire appliquer la Charte sociale européenne fonctionnaient mal. Intervenant après le Comité d'experts indépendants, le Comité gouvernemental prétendait jouer le même rôle que le Comité d'experts indépendants, à savoir interpréter et appliquer la Charte. Après examen des conclusions du Comité d'experts indépendants quant au respect ou non par tel ou tel Etat de ses obligations, il établissait lui-même ses propres conclusions à cet égard en adoptant généralement une interprétation plus restrictive que le Comité d'experts indépendants. Les conclusions des deux comités étaient communiquées au Comité des ministres qui était censé, selon l'article 29 de la Charte sociale, déterminer s'il fallait ou non adresser des recommandations spécifiques à tel ou tel Etat en indiquant les violations éventuelles de telle ou telle obligation et les mesures qui pourraient être prises pour y remédier. Or, jusqu'en 1993, il n'avait jamais formulé de telles recommandations. La situation était donc particulièrement insatisfaisante.

60. Elle a heureusement changé de manière spectaculaire au cours des deux dernières années écoulées. Grâce à une initiative du Conseil de l'Europe, les mécanismes visant à faire appliquer la Charte ont été modifiés dans un protocole portant amendement à la Charte. Ce protocole n'est pas encore entré en vigueur mais est en fait déjà appliqué dans une large mesure. Ainsi, le Comité gouvernemental assume maintenant un nouveau rôle. Il accepte les conclusions du Comité d'experts quant au respect ou non de la Charte et recommande éventuellement au Comité des ministres d'adresser des recommandations à l'Etat partie considéré. Le Comité des ministres assume maintenant lui aussi son véritable rôle et a déjà sur cette base adressé de telles recommandations à certains Etats.

61. On observe donc une plus grande volonté politique d'utiliser les mécanismes d'application de la Charte, même si cette volonté n'est pas encore aussi forte qu'on pourrait le souhaiter. L'idée de présentation de plaintes individuelles pour non-respect de la Charte n'a jamais été sérieusement envisagée. Il semble que ce serait aller au-delà de ce que nombre d'Etats sont prêts à accepter. Il n'est même pas sûr qu'un projet de protocole prévoyant l'examen de plaintes collectives sera adopté. Après certains signes qui incitaient à un moment à l'optimisme, l'examen du projet de protocole en ce sens se retrouve bloqué au Comité des ministres. Ce texte prévoyait la possibilité pour des organisations internationales qui s'intéressent aux droits économiques et sociaux (organisations syndicales, organisations d'employeurs et ONG qui s'occupent des droits sociaux) et, dans une certaine mesure, pour des organisations nationales (ONG s'occupant des droits sociaux) et des organisations syndicales et des organisations d'employeurs nationales de formuler des plaintes collectivement pour non-respect par un Etat des obligations auxquelles il a souscrit. Selon le texte, l'acceptation d'une plainte formulée par une ONG nationale n'aurait pas été automatique mais conditionnée par une déclaration expresse en ce sens de l'Etat qui accepterait ledit protocole.

62. Mme JIMENEZ BUTRAGUEÑO remercie M. Harris de ses précieuses indications qui peuvent aider le Comité dans ses travaux. Elle aimerait savoir quels sont les six pays qui ont accepté l'ensemble des obligations proposées dans la Charte sociale européenne. Par ailleurs, quels ont été, de manière générale, les effets de la récession économique sur les droits des personnes âgées en ce qui concerne la santé et les pensions par exemple ?

63. M. HARRIS (Comité d'experts indépendants sur l'application de la Charte sociale européenne) indique que ces six Etats sont la Belgique, l'Espagne, la France, l'Italie, les Pays-Bas et le Portugal. Il croit savoir que tous les Etats parties à la Charte sociale, à l'exception peut-être de la Turquie, sont également parties au Pacte.

64. Il n'y a pas dans la Charte elle-même de disposition concernant les personnes âgées, mais il y en a dans le Protocole additionnel. Ce dernier n'a encore été accepté que par quatre Etats et il n'est pas encore soumis à l'interprétation du Comité d'experts. Cependant, lors de l'examen des rapports des Etats, le Comité d'experts indépendants s'est préoccupé de la protection des personnes âgées. Il n'a pas reçu à ce sujet de réponses des Etats qui lui permettraient de faire une déclaration très précise quant à la position des Etats en la matière.

65. M. RATTRAY note qu'un des objectifs de la Charte sociale européenne était apparemment d'énoncer certains principes relatifs à l'héritage commun de l'Europe. Il y a eu de nombreuses évolutions en Europe et dans le monde, s'agissant en particulier de la privatisation et du rôle de l'Etat dans le développement économique et social. Ces évolutions ont-elles eu des effets importants sur la façon de concevoir la manière dont la Charte sociale européenne devrait être appliquée en ce qui concerne la responsabilité de l'Etat, en particulier dans des domaines tels que la santé et l'éducation ? Par ailleurs, la Charte a-t-elle eu des effets sur le contenu des droits civils et politiques et dans quelle mesure la Charte et la Convention européenne des droits de l'homme sont-elles indissociables

66. M. SIMMA aimerait savoir quelle est la composition du Comité d'experts indépendants. Quelle est la fréquence de ses sessions et quelle est leur durée ? Une des différences entre le Comité créé en application de la Charte et le Comité créé en application du Pacte est que le premier n'a pas de dialogue direct avec des représentants des Etats. M. Harris pense-t-il qu'il serait souhaitable d'introduire cette formule dans son Comité ? Par ailleurs, que pense-t-il des chances de succès d'un système de présentation de plaintes individuelles en application d'un protocole facultatif qui serait rattaché au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ?

67. M. Harris indique qu'une différence fondamentale entre la Charte sociale européenne et le Pacte est que la Charte est censée s'appliquer immédiatement aux Etats parties tandis que le Pacte est censé s'appliquer progressivement. Ne pense-t-il pas que l'application progressive est d'une certaine manière inhérente aux droits économiques et sociaux ?

68. M. Harris a-t-il par ailleurs des idées quant à la façon dont son comité, la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations de l'OIT et le Comité créé en application du Pacte pourraient coordonner leurs initiatives et coopérer au-delà du simple échange de documents ? Ne serait-ce pas une bonne idée de profiter d'une journée de débat général, lors d'une future session du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, pour permettre aux divers comités d'échanger leurs vues ?

69. M. TEXIER pense que l'idée d'un protocole additionnel facultatif se rapportant au Pacte suscitera sans doute de grandes réticences, tout particulièrement de la part de certains pays d'Europe, dont la France. Par ailleurs, l'inégalité de traitement observée entre la Charte sociale européenne et la Convention européenne des droits de l'homme semble assez comparable à l'inégalité de traitement observée entre le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

70. D'autre part, dans la partie I de la Charte, on trouve la formulation "les parties contractantes reconnaissent comme objectif d'une politique..."; cette formulation laisse entendre qu'il n'y a pas d'obligation immédiate mais une obligation à moyen ou à long terme. Il n'y a donc peut-être pas à cet égard de grandes différences avec le Pacte qui prévoit une réalisation progressive des droits.

71. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels s'efforce de souligner dans toutes ses recommandations et lors de son dialogue avec les Etats qu'indépendamment des différences dans le degré de développement des Etats il existe un noyau commun de droits de l'homme qui sont des droits individuels. Ce type de débat sur le caractère individuel des droits, dont découlerait la possibilité de faire contrôler leur exercice par un organe juridictionnel, a-t-il cours au sein du Comité d'experts indépendants ? Quelle est la tendance dominante parmi ses membres ? En quoi, sur cette question précise, les deux comités pourraient-ils coopérer et échanger des vues ultérieurement ?

72. M. GRISSA note que beaucoup de droits sont énoncés dans la Charte sociale européenne, mais que cet instrument ne dit rien sur la façon de prendre en charge les coûts énormes des actions à mener pour garantir lesdits droits, et ne peut donc qu'être violé.

73. Mme AHODIKPE demande ce que fait le Comité d'experts indépendants lorsque des Etats parties ne s'acquittent pas de leur obligation de présenter des rapports.

74. M. MARCHAN ROMERO note que M. Harris a parlé de l'approche de type judiciaire suivie par le Comité d'experts indépendants. Ceci est très intéressant compte tenu de la volonté du Comité des droits économiques, sociaux et culturels d'améliorer sa façon de dialoguer avec les Etats parties. Le Comité d'experts indépendants dispose-t-il de documents contenant des indicateurs sociaux pour déterminer le cas échéant dans quelle mesure il y a eu violation de telle ou telle obligation ? La Charte sociale européenne fait référence à des aspects quantitatifs. A l'article 33 (partie V), il est par exemple question d'application de dispositions à la grande majorité des travailleurs. Le paragraphe 4 de la partie I dispose que "tous les travailleurs ont droit à une rémunération équitable leur assurant, ainsi qu'à leurs familles, un niveau de vie satisfaisant". Ce niveau de rémunération équitable est-il défini quantitativement de manière à permettre au Comité d'experts indépendants de suivre une approche de type judiciaire ?

75. Mme HODGES-AEBERHARD (Bureau international du Travail) souhaite ajouter que, conformément à l'article 26 de la Charte sociale européenne, l'Organisation internationale du Travail joue un rôle dans la procédure de contrôle de l'application de cet instrument. Elle joue même un rôle très actif et se rend à Strasbourg trois à quatre fois par an pour participer aux travaux du Comité d'experts indépendants. Les conclusions de ce comité, de même que celles du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, sont intégrées dans les dossiers de l'OIT. Il serait intéressant, suivant la suggestion faite par M. Simma, d'organiser une réunion des présidents du Comité d'experts indépendants, de la Commission d'experts de l'OIT et du Comité des droits économiques, sociaux et culturels pour voir comment ces divers organes abordent des problèmes communs.

76. Le PRESIDENT indique que l'échange de vues avec M. Harris, du Comité d'experts indépendants sur l'application de la Charte sociale européenne, se poursuivra à la séance suivante.


La séance est levée à 13 heures.

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