Distr.

GENERALE

CAT/C/SR.183
4 mai 1994


Original: FRANCAIS
Compte rendu analytique de la 183ème seance : Israel. 04/05/94.
CAT/C/SR.183. (Summary Record)

Convention Abbreviation: CAT

COMITE CONTRE LA TORTURE

Douzième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 183ème SEANCE

tenue au Palais des Nations, à Genève,
le lundi 25 avril 1994, à 10 heures.


Président : M. DIPANDA MOUELLE


SOMMAIRE


Examen des rapports présentés par les Etats parties en application de l'article 19 de la Convention
(suite)

La séance est ouverte à 10 heures.

EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES EN APPLICATION DE L'ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (suite) (point 7 de l'ordre du jour)

Examen du rapport initial d'Israël (additif) (CAT/C/16/Add.4)

1. Sur l'invitation du Président, la délégation israélienne, composée de Mme Beinisch et de MM. Lootsteen et Walden, prend place à la table du Comité.

2. Le PRESIDENT, ayant fait observer qu'il y avait désormais tout juste le quorum au sein du Comité, en l'absence de M. Gil Lavedra qui ne pouvait être présent pendant la seconde semaine de la session, de M. El Ibrashi, rappelé dans son pays et de M. Yakovlev, toujours indisposé, salue la délégation israélienne et l'invite à présenter son rapport.

3. Mme BEINISCH fait tout d'abord observer que la ratification par Israël de la Convention contre la torture en 1991 ne marque pas un tournant dans la politique de ce pays vis-à-vis de la question politique dont elle est simplement la confirmation. En effet, dans la Déclaration d'indépendance d'Israël, document ayant valeur de statut constitutionnel, étaient déjà incorporés les principes fondamentaux de la Charte de l'Organisation des Nations Unies. De surcroît, la torture, sous toutes ses formes, est explicitement interdite par la loi pénale israélienne. Israël se doit de défendre les droits fondamentaux de toutes les personnes relevant de sa juridiction. Au fur et à mesure, toutefois, que le terrorisme s'amplifie, il se trouve écartelé entre deux nécessités : celle de préserver le caractère démocratique de l'Etat et celle de défendre les citoyens israéliens. D'aucuns ont qualifié Israël de démocratie en état de siège, et c'est là une formule tout à fait appropriée. L'appareil de sécurité de l'Etat vise avant tout à préserver le plus fondamental des droits de l'homme - le droit à la vie, tout en combattant la violence terroriste et en protégeant les droits de tous, y compris de ceux qui menacent le plus gravement l'Etat.

4. Mme Beinisch fait ensuite le point des mécanismes et mesures mis en place pour garantir que les forces de sécurité en Israël respectent les droits de l'homme dans l'exercice de leurs fonctions. Elle se félicite de la signature à Washington de la Déclaration de principes et espère ardemment voir enfin advenir le temps où le Moyen-Orient, ayant oublié les conflits qui le déchirent, sera une terre de coopération et de paix. Elle déplore toutefois que le moment ne soit pas encore mûr, le processus de paix étant fortement compromis par la violence terroriste qui vise à faire échec à la paix. Cela dit, même dans un tel contexte, Israël reste fermement attaché aux principes des droits de l'homme et, en particulier, aux principes consacrés dans la Convention contre la torture.

5. Mme Beinisch note que les efforts d'Israël se situent à deux niveaux. Sur le plan des principes généraux, la législation en vigueur interdit purement et simplement la torture. Concrètement parlant, il existe des lois, des directives et des mécanismes de contrôle concernant chacune des forces de sécurité, à savoir la police, le Service général de la sûreté (SGS) et l'armée. L'emploi de la force par la police est clairement défini et limité. Un recours "raisonnable" à la force est autorisé lors d'une arrestation ou de la dispersion d'une manifestation ou d'une émeute. Cela dit, cette force doit être proportionnelle à la gravité du crime ou du danger considéré. Par ailleurs, une fois un suspect appréhendé, l'emploi de la force est strictement interdit. La torture ou les mauvais traitements physiques au cours de l'interrogatoire sont pareillement illégaux. En droit israélien, les aveux ne sont admissibles que s'il est établi qu'ils n'ont pas été obtenus par la force. Le recours illégal à la force par un officier de police constitue, outre un manquement à la discipline, un délit pénal.

6. Mme Beinisch précise qu'en 1991, un organe indépendant, relevant directement du Procureur de la République a été créé, soustrayant ainsi à la police toute plainte dont celle-ci ferait elle-même l'objet. Il s'agit de la Division chargée d'enquêter sur les fautes de la police, qui fait une enquête chaque fois qu'un agent de police est l'objet d'une plainte. Le directeur de la Division peut décider soit d'engager des poursuites pénales, soit de prendre des mesures disciplinaires. Il peut également recommander que certaines modifications soient apportées aux institutions pour que de tels abus ne se reproduisent pas. La création de cette division, désormais seule habilitée à enquêter en cas de plainte contre la police, est intervenue par modification de la loi et témoigne de la ferme volonté d'Israël d'assurer que les enquêtes soient menées en toute indépendance. L'expérience est d'ailleurs positive, car la Commission jouit de la confiance non seulement du grand public mais encore des universitaires et de l'Association israélienne des droits civils.

7. L'Etat n'en demeure pas moins conscient que les enquêteurs, soucieux d'obtenir des résultats, peuvent être tentés de recourir à des méthodes d'interrogatoire interdites. D'où l'importance des moyens consacrés aux programmes de formation visant à sensibiliser la police aux droits de l'homme. Ces programmes de formation portent notamment sur la protection des droits individuels et sur les limites de l'autorité de la police. Par ailleurs, l'Association des droits civils, en coopération avec le Ministère de l'intérieur, organise de nombreux séminaires et journées d'études à l'intention des policiers à tous les échelons de la hiérarchie. Le Service général de la sûreté (SGS) a pour fonction de lutter contre le terrorisme et d'enquêter sur les activités terroristes; il a également pour fonction le renseignement. Ses enquêteurs sont tenus, comme tous les citoyens, de respecter la loi et, à ce titre, il leur est interdit de pratiquer quelque forme de torture ou de mauvais traitement que ce soit dans l'exercice de leurs fonctions. Les méthodes légitimes d'interrogatoire sont clairement définies par un ensemble de directives établies par la Commission Landau, créée en 1987, précisément pour examiner les méthodes d'interrogatoire de personnes soupçonnées de terrorisme. La création même de cette commission d'enquête indépendante témoigne de la volonté d'Israël de respecter les droits de l'homme, quand bien même il s'agit de terroristes. Cette commission a reconnu le danger, pour les valeurs démocratiques de l'Etat, de tout abus de pouvoir. Elle a donc recommandé des méthodes d'interrogatoire non physiques et établi un ensemble de directives autorisant l'exercice limité de pressions en des circonstances très particulières. De l'avis de la commission, ces directives garantissent tant l'efficacité de l'interrogatoire que le respect de la dignité de la personne interrogée. Ce sont celles que suit le SGS depuis 1988. Elles sont révisées périodiquement par un comité ministériel au sein duquel siègent notamment le Premier Ministre et le Ministre de la justice. Pour assurer une efficacité plus grande encore, les interrogatoires menés par le SGS sont depuis quelque temps soumis à des contrôles externes; tout incident suspect est examiné par un bureau indépendant du Ministère de la justice. Ceux qui mènent les interrogatoires connaissent bien les directives et savent pertinemment que tout écart peut entraîner des poursuites disciplinaires, voire pénales. Ainsi, entre 1988 et fin 1993, des poursuites ont été engagées contre 20 personnes. Trois d'entre elles ont été inculpées; certaines autres ont été renvoyées du Service.

8. En tout état de cause, Mme Beinisch estime que la situation en Israël est telle qu'il est quelquefois inévitable de recourir à des pressions physiques modérées pour empêcher un mal plus grand encore. Tout est fait - et Mme Beinisch d'invoquer l'article 22 de la loi pénale et les directives internes du SGS - pour garantir le délicat équilibre entre la défense de l'intérêt public et le respect de l'intégrité physique des suspects. Pour ce qui est des Forces israéliennes de défense (FID), chargées d'assurer la sécurité d'Israël et des Israéliens et le maintien de l'ordre public en Judée et Samarie et dans la bande de Gaza, il leur est interdit de recourir de manière illicite à la force ou de torturer ou d'infliger de mauvais traitements. Les FID ont élaboré à l'intention de leur membres des directives détaillées pour assurer que la force n'est utilisée que dans les cas où elle est absolument indispensable. Par ailleurs, tout résident des territoires occupés, qu'il soit ou non citoyen israélien, peut porter plainte, y compris, si besoin est, jusque devant la Cour suprême.

9. Mme Beinisch rappelle à quel point la police et le SGS ont un rôle difficile et combien délicat est l'équilibre à maintenir. Elle demande qu'on juge Israël non sur les quelques errements qui peuvent partout et toujours se produire, mais sur la manière dont le système réagit à ces errements. Israël fait le maximum pour prévenir et punir d'éventuels abus et pour faire en sorte que le système mis en place protège les droits fondamentaux de toutes les personnes relevant de sa juridiction. Mme Beinisch réaffirme que l'Etat d'Israël mène un combat incessant pour préserver les principes fondamentaux des droits de l'homme et demande que l'on veuille bien tenir compte de ses immenses efforts.

10. Le PRESIDENT remercie la délégation israélienne de son exposé tout à la fois riche et précis et invite le Rapporteur du Comité à faire part de ses observations.

11. M. BURNS (Rapporteur du Comité contre la torture) remercie la délégation israélienne de son exposé précis mais assez succinct et qui appelle, de ce fait, comme le rapport d'Israël (CAT/C/16/Add.4), un certain nombre de questions. Il précise que les questions qu'il va poser lui ont été très largement inspirées par les rapports d'Amnesty International et de Al-Haq, la branche locale de la Commission internationale de juristes ainsi que de certaines autres organisations. Il souhaiterait tout d'abord, qu'on explique mieux comment les dispositions de la Convention contre la torture sont incorporées dans le droit interne d'Israël. Il rappelle que la Convention a été ratifiée en 1991, qu'Israël a émis des réserves à propos des articles 20 et 30 et qu'il n'a pas fait la déclaration prévue à l'article 22. Il n'a jamais non plus contribué au Fonds de contributions volontaires. M. Burns souhaite que l'attention du Gouvernement israélien soit appelée sur ce dernier point dans l'espoir qu'il soit remédié à cette situation. Se référant à la définition de la torture que donne l'article premier de la Convention et, plus particulièrement, à l'article 16 de celle-ci, aux termes duquel les Etats parties s'engagent à interdire "d'autres actes constitutifs de peines ou traitements cruels qui ne sont pas des actes de torture tels que définis à l'article premier" en même temps qu'au chapitre II du rapport d'Israël, il fait observer qu'il ressort du paragraphe 6 de ce chapitre et des remarques concernant l'article 4 de la Convention auquel il renvoie (voir par. 12) qu'Israël considère que deux dispositions de la loi pénale israélienne (à savoir les dispositions 277 et 427) recouvrent pratiquement à elles seules toutes les définitions qui sont données de la torture dans la Convention. Or ces deux dispositions sont l'une et l'autre très limitées, se bornant à interdire la force ou la menace de la force pour obtenir des aveux. Les dispositions de la Convention sont, elles, à la fois plus vastes et plus précises, englobant les sévices tant physiques que psychologiques. M. Burns signale à cet égard qu'aucune disposition de la législation israélienne ne mentionne la torture psychique. Le paragraphe 6 du rapport d'Israël lui paraît donc ne pas vraiment correspondre à la réalité et il s'estime fondé à conclure que les dispositions de la Convention, tout en liant Israël au plan international, n'ont pas été incorporées dans le droit interne israélien et ne peuvent donc être invoquées directement - ce qu'il déplore.

12. A propos de la Commission Landau, instaurée pour enquêter sur les pratiques du Service général de la sûreté, M. Burns estime qu'il s'agit là d'un outil à double tranchant car, si sa création même est un fait important dont il faut se féliciter - comme il faut se féliciter du débat public qui a suivi la publication de ses conclusions - il n'en reste pas moins que cette commission admet implicitement l'existence de règles secrètes régissant les interrogatoires, règles qui, estime-t-il, pourraient bel et bien constituer ce que le Comité lui-même définit comme torture psychologique. Ces règles contreviennent en soi sinon à la lettre, du moins à l'esprit de l'article premier de la Convention. En ce qui concerne la notion de "nécessité", maintes fois évoquée, M. Burns y voit une violation de l'article 2, paragraphe 2 de la Convention. C'est en effet une notion qui, en fait, est l'argument des tyrans et ne saurait être acceptée sous aucune condition. A propos de l'article 2, paragraphe 3 de la Convention, M. Burns rappelle là aussi que l'ordre d'un supérieur ne peut jamais être invoqué, et qu'on ne saurait établir de distinction, comme le fait Israël, entre des ordres "manifestement illicites" et des ordres "manifestement licites". En effet, si au regard du droit interne israélien, un soldat qui aurait procédé à un interrogatoire d'une manière s'apparentant à la torture, pourrait invoquer les ordres d'un supérieur, une telle défense serait impossible au regard du droit international.

13. M. Burns demande ensuite comment Israël s'acquitte des obligations contractées en vertu de l'article 3 de la Convention, puisqu'il apparaît que celle-ci n'a pas été incorporée au droit interne. Il se pose également la question en ce qui concerne l'article 5. Il aimerait savoir si, dans certaines circonstances, les autorités adoptent la juridiction universelle, c'est-à-dire si elles peuvent engager des poursuites contre un non-Israélien accusé d'avoir commis, en territoire israélien, des actes de torture envers un autre non-Israélien, lorsqu'elles ont la certitude que le coupable serait torturé s'il était extradé dans son pays d'origine. Il voudrait savoir, d'autre part, combien de cas d'oppression par un agent de la fonction publique ont fait l'objet d'une enquête en vertu de la disposition 277 de la loi pénale 5737-1977 (par. 21 du rapport).

14. En ce qui concerne l'article 7, M. Burns demande si la délégation israélienne dispose de statistiques sur le nombre de personnes soupçonnées d'actes de torture qui ont été extradées. Les membres des forces armées et du SGS sont-ils considérés comme des agents de la fonction publique et, partant, soumis à la disposition 277 de la loi précitée ? Pour ce qui est des principes directeurs fondamentaux applicables aux interrogatoires, énoncés par la Commission d'enquête Landau, il voudrait savoir si ces principes valent uniquement pour les interrogatoires de terroristes présumés ou pour toute personne suspectée de crime ou de délit en Israël ou dans les territoires occupés. Le paragraphe 3 du rapport indique que la Commission Landau a recommandé que l'on ait recours principalement à des pressions psychologiques et que dans les cas, peu nombreux, où le danger anticipé est considérable, l'on tolère uniquement une "pression physique raisonnable", notion qui, nous dit-on, n'est pas étrangère à d'autres pays démocratiques. M. Burns dit qu'à sa connaissance, cette notion n'existe nulle part ailleurs et demande à quel autre pays démocratique il est fait allusion. Certes, l'article premier de la Convention définit le terme torture comme tout acte infligeant une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, ce qui place le concept de "pression physique raisonnable" en dehors de la définition de la torture donnée par la Convention. Cependant, les abus portés à la connaissance du Comité, notamment par Amnesty International, ne sauraient être considérés autrement que comme des cas de pression physique graves. La Commission Landau a considéré que si les limites fixées pour les formes de pression sont strictement respectées, l'efficacité de l'interrogatoire sera assurée en même temps que l'on évitera largement de faire intervenir des tortures physiques ou mentales, des mauvais traitements ou de porter atteinte à la dignité de la personne interrogée. Pourtant, une partie du texte définissant les formes exactes de pression que les enquêteurs du SGS pourraient légitimement exercer a été tenue confidentielle, et l'on ne peut que constater un manque de transparence pour ce qui est de la méthodologie de l'interrogatoire. M. Burns rappelle à ce propos que, dans tous les pays, les personnes chargées de l'interrogatoire sont soumises à une pression constante qui les pousse à obtenir à tout prix des aveux du suspect. C'est pourquoi il n'est pas raisonnable, selon lui, d'attendre d'inspecteurs de police débutants qu'ils puissent établir objectivement la distinction entre une "pression physique raisonnable" et "l'exercice de pressions disproportionnées" (par. 36). Se référant aux paragraphes 38 et suivants du rapport, M. Burns se félicite que le Gouvernement israélien ait jugé important d'établir des garanties ainsi qu'un système d'examen des pratiques afin de s'assurer que les enquêteurs du SGS ne violent pas les directives énoncées par la Commission Landau et que l'examen des allégations de torture ou mauvais traitements au cours d'un interrogatoire ne relève plus dorénavant du Contrôleur du SGS mais d'une unité indépendante créée au Ministère de la justice. Néanmoins, il aurait été préférable d'instituer une commission de contrôle totalement indépendante.
Le Comité pourrait-il obtenir des détails supplémentaires sur les poursuites engagées contre 20 personnes, dont Mme Beinisch a fait mention dans sa présentation orale ? M. Burns demande ensuite quelles sont les circonstances qui permettent de détenir un prisonnier au secret, en Israël et dans les territoires occupés. Combien de temps cette détention au secret peut-elle se prolonger et y a-t-il à cet égard une procédure de contrôle judiciaire ?

15. Par ailleurs, M. Burns aimerait savoir comment les juges sont nommés et révoqués et si l'affaire, mentionnée au paragraphe 44 du rapport, concernant une requête introduite devant la Cour suprême d'Israël par un détenu et par un groupe privé dénommé Comité public d'Israël contre la torture et qui contestent la légalité des directives énoncées par la Commission Landau, est toujours en instance. Il demande si un tribunal a la possibilité, sauf dans des circonstances spéciales où une personne dit avoir été brutalisée, d'émettre un jugement déclaratif. En ce qui concerne l'article 14 de la Convention, il voudrait savoir s'il existe un système d'indemnisation financé par l'Etat pour les victimes d'actes de torture. Le paragraphe 46 du rapport indique qu'un tribunal qui a condamné une personne pour acte de torture peut exiger d'elle qu'elle verse à la victime un montant maximum de 37 500 shekels. A quoi équivaut cette somme en dollars américains ?

16. Au paragraphe 47 du rapport (concernant l'article 15 de la Convention) il est dit que l'aveu d'une infraction par le prévenu n'est recevable que lorsque le tribunal a acquis la certitude que les aveux ont été faits librement et volontairement. A qui revient la charge de la preuve et quels en sont les critères ? Tolère-t-on aussi, dans ce contexte, une "pression physique raisonnable" ? Un certain nombre d'ONG, et en particulier Amnesty International, ont dénoncé des abus commis par le SGS et par les Forces israéliennes de défense (FID), qui auraient parfois entraîné le décès des prévenus pendant les interrogatoires. La délégation israélienne pourrait-elle apporter des précisions sur ces allégations ? Enfin, M. Burns aimerait que la délégation israélienne fasse part au Comité de ses commentaires sur les conclusions auxquelles est parvenu le Rapporteur spécial chargé d'examiner la question de la torture dans son rapport de 1994 (E/CN.4/1994/31).

17. M. SORENSEN s'associe aux commentaires de M. Burns concernant l'absence d'une définition de la torture dans le droit israélien et les problèmes d'application du paragraphe 2 de l'article 2 de la Convention. Il dit ne pas comprendre comment le Gouvernement israélien a pu ratifier la Convention sans créer la base juridique nécessaire à son application. A-t-il l'intention de remédier à ce problème ? M. Sorensen rappelle le contenu de l'article 3 de la Convention et déplore que les paragraphes 10 et 11 du rapport, qui lui sont consacrés, ne traitent que de la question de l'extradition. Il demande quelles sont les garanties juridiques qui permettent de croire qu'Israël n'expulsera, ne refoulera, ni n'extradera une personne vers un autre Etat à l'égard duquel il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture. Il aimerait savoir par ailleurs si un demandeur d'asile débouté peut faire appel.

18. En tant que médecin, M. Sorensen dit qu'il réprouve fortement le tristement célèbre "formulaire de santé" que les médecins israéliens des prisons doivent remplir pour tous les détenus et qui sert essentiellement à déterminer si ceux-ci sont en assez bonne condition physique pour supporter des actes de torture. Le seul fait d'apporter une réponse à certaines questions de ce formulaire pourrait être considéré comme une violation de la Convention. Ce formulaire a-t-il été supprimé ? Dans l'affirmative, a-t-il été remplacé par un autre formulaire et le Comité pourrait-il en recevoir copie ? M. Sorensen déplore par ailleurs que l'article 10 de la Convention ne soit pas traité dans le rapport. La mention qui en a été faite par Mme Beinisch dans sa présentation orale est loin d'être suffisante. En effet, il est essentiel que les médecins qui travaillent dans les prisons et dans les postes de police, et donc dans des situations à risques, reçoivent une formation sérieuse concernant l'interdiction de la torture. Cette formation existe-t-elle ? Par qui est-elle dispensée et quels en sont les programmes ? Comment l'indépendance du travail du médecin est-elle garantie ? Selon des informations reçues de plusieurs ONG, il semblerait que les prisons israéliennes détiennent plus de 5 000 prisonniers, accusés de terrorisme, dont la majorité auraient été victimes de mauvais traitements sous une forme ou sous une autre. Il est indispensable que tous les membres du personnel médical (médecins, infirmiers, dentistes, etc.) reçoivent une formation qui leur permette de reconnaître les détenus ayant fait l'objet de sévices et de leur apporter un traitement spécifique. L'article 10 prévoit également que tout Etat partie doit veiller à ce que l'enseignement et l'information concernant l'interdiction de la torture fassent partie intégrante de la formation du personnel civil ou militaire chargé de l'application des lois. Cette formation est-elle assurée ? Bien qu'étant conscient de l'énorme fléau que représente le terrorisme, le Comité a toujours soutenu que la brutalisation des suspects ne résoudra en rien le problème. Maltraiter un détenu permet rarement d'obtenir des aveux valables et la violence engendre la violence. M. Sorensen rappelle en outre que les pays peuvent bénéficier, lorsqu'il s'agit de l'application de l'article 10 de la Convention, de l'aide de diverses ONG et de l'assistance technique du Centre pour les droits de l'homme.

19. Les garanties évoquées aux paragraphes 38 à 42 du rapport à l'examen appellent un certain nombre de précisions. Il serait par exemple utile de savoir combien de jours un détenu peut être maintenu au secret; s'agit-il d'une huitaine de jours ou ce type de détention peut-il se prolonger pendant 18 jours ? Il semble d'autre part que les détenus peuvent être privés d'avocat pendant 30 jours et que le CICR n'est admis à les rencontrer qu'au bout de 12 jours. Or en matière de prévention de la torture, le Comité considère que quatre garanties sont essentielles, à savoir l'accès à un avocat, le droit d'être vu par un médecin, le droit pour le détenu d'informer ses proches de son arrestation et le droit pour lui-même d'être informé de ses droits. L'article 11 de la Convention fait obligation à tout Etat partie d'exercer une surveillance systématique sur les règles, méthodes et pratiques d'interrogatoire et sur les dispositions concernant la garde et le traitement des personnes emprisonnées; lorsqu'Israël s'acquitte de cette obligation, la surveillance exercée concerne-t-elle aussi bien les terroristes que les délinquants ordinaires et les dispositions qu'il prend à cet égard sont-elles valables dans les territoires occupés aussi bien qu'en Israël même ? Cette question étant fort complexe, M. Sorensen comprendra fort bien que des réponses lui soient apportées par écrit après la session.

20. S'agissant de leur droit d'accès aux services d'un avocat, les détenus peuvent-ils se faire assister dès l'instant où ils sont arrêtés, peuvent-ils être interrogés avant de s'être entretenus avec leur avocat et cet entretien a-t-il lieu sans témoin ? L'avocat est-il présent lors de l'interrogatoire ? Si l'on craint qu'il n'y ait collusion entre le détenu et son avocat personnel, lui donne-t-on à choisir un conseil sur une liste d'avocats établie d'un commun accord par le barreau et les autorités ? Enfin, si le détenu se voit refuser l'assistance d'un avocat, cette décision est-elle prise en fonction de critères précis et préétablis, et fait-elle l'objet d'un réexamen systématique à intervalles réguliers ? L'application de ce genre de règles offre une excellente protection non seulement aux détenus mais aussi à la police elle-même, qui se met ainsi à l'abri d'accusations mensongères. La preuve est faite que ces méthodes sont beaucoup plus efficaces pour obtenir des renseignements exacts que le recours à la force.

21. Il est souhaitable que les détenus puissent à tout moment avoir accès au médecin de leur choix, à leurs frais bien entendu. S'il y a risque de collusion entre celui-ci et le détenu, ce dernier peut être invité à choisir un médecin sur une liste auparavant établie par le Conseil de l'ordre en accord avec les autorités. Ces dispositions sont à prendre dans le cadre de l'institution pénitentiaire aussi bien qu'au niveau de la police. Le placement d'un prisonnier en régime cellulaire pose des problèmes particuliers. Une telle mesure peut parfois s'avérer nécessaire, mais sa durée doit être la plus courte possible et le détenu doit toujours avoir la possibilité de rencontrer un médecin autre que celui nommé par les autorités, dont les visites régulières peuvent servir d'alibi pour la poursuite des mauvais traitements. Si un détenu déclare avoir besoin des services d'un médecin, un praticien extérieur doit le voir et soumettre ses conclusions aux autorités. Le fait pour un détenu de pouvoir informer ses proches de son arrestation est, on le sait, l'une des protections les plus efficaces contre les mauvais traitements; en outre, en faisant respecter ce principe, l'Etat renforcera son crédit et la confiance de l'opinion. Enfin, la quatrième garantie veut que le détenu soit informé de ses droits, si possible à la fois oralement et par écrit, dans sa propre langue, ce fait étant dûment consigné dans les dossiers.

22. La réparation prévue pour les victimes à l'article 14 de la Convention est de trois ordres : morale, la victime devant être publiquement réhabilitée, financière, grâce à une indemnisation, et enfin médicale, car les victimes souffrent souvent de séquelles et ont besoin de traitements adaptés. A cet égard, M. Sorensen souligne que l'espoir d'un traité de paix qui se dessine actuellement rendra cette nécessité de plus en plus impérative car une fois la paix revenue, ils seront nombreux à oser venir dire au grand jour qu'ils ont été victimes de tortures. Des centres de réadaptation seront plus nécessaires que jamais et de tels centres sont en voie de création à Gaza, à Jérusalem et en Cisjordanie; une réunion vient d'avoir lieu au Danemark à ce sujet mais une personne de Gaza qui devait y participer n'a pas été autorisée à sortir du pays. Il y a lieu de signaler dans ce contexte que le Fonds de contributions volontaires pour les victimes de la torture a dramatiquement besoin de ressources, puisqu'il ne dispose que de 1,2 million de dollars alors qu'il aurait besoin de 5 millions de dollars. Un don de la part d'Israël aurait une haute signification morale et montrerait que ce pays a conscience des besoins des victimes et leur témoigne du respect.

23. M. Sorensen conclut en disant que ce n'est pas sans difficultés qu'il a soulevé les problèmes qu'il vient d'évoquer, se souvenant de la fuite vers la Suède - de tous les Juifs vivant - alors qu'il n'était lui-même qu'un très jeune homme - dans son pays, le Danemark, fuite organisée avec le soutien de tous les Danois. Son pays a fait preuve du plus grand respect et de la plus grande compassion pour les souffrances subies à cette époque par les Juifs. M. Sorensen espère vivement que toutes les personnes placées sous juridiction israélienne pourront très bientôt jouir de tous les droits de l'homme et affirme qu'une démocratie véritable ne saurait se concevoir sans l'élimination de la torture.

24. M. BEN AMMAR a pris connaissance avec le plus grand intérêt des renseignements communiqués par Israël; à l'instar des autres membres du Comité, il constate qu'il y a un fossé entre les affirmations de l'Etat partie et les informations reçues d'autres sources, aussi diverses que dignes de foi. Leurs témoignages donnent à penser que la pratique de la torture par les autorités israéliennes est fréquente, voire systématique et générale. D'après Amnesty International, les détenus seraient systématiquement torturés dans les prisons israéliennes; ils recevraient des coups, seraient affublés de sacs sales sur la tête, privés de sommeil, placés dans des cellules minuscules ou dans des pièces très froides. Huit personnes au moins seraient mortes en détention en raison de tortures ou de manque de soins. L'organisation de juristes palestiniens Al-Haq, affiliée à la Cour internationale de Justice, dénonce elle aussi la pratique systématique de la torture par les autorités israéliennes, en apportant des preuves matérielles sérieuses montrant que, dans 85 % des cas, les détenus sont soumis à des mauvais traitements; cette organisation fournit des noms, ainsi que des détails fort précis, confirmés par Amnesty International, sur les conditions de détention. Elle mentionne des chocs électriques, des pressions psychologiques sous forme de menaces d'atteintes à l'intégrité physique et à l'honneur des proches des détenus, et fait état de 11 décès. Ces organisations ne sont d'ailleurs pas les seules à avoir alerté l'opinion; le CICR, le Rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme sur les questions se rapportant à la torture et le Rapporteur sur la situation des droits de l'homme dans les territoires occupés, notamment, ont fait connaître leurs préoccupations.

25. Face à une telle situation, plusieurs questions viennent à l'esprit. La première est celle de savoir si la Convention s'applique dans les territoires occupés ainsi que l'exige l'article 2, qui fait obligation aux Etats parties de prendre des mesures "efficaces" pour empêcher les actes de torture, aucune situation, si exceptionnelle soit-elle, ne pouvant être invoquée par lui pour se dérober à ses obligations. Force est de constater que les principes et critères entérinés par la Commission Landau légalisent en fait la pratique de pressions physiques "tolérables". Pour des raisons évoquées dans le rapport CAT/C/16/Add.4, les dispositions prises en ce qui concerne ces pressions psychologiques et physiques ont été tenues secrètes : M. Ben Ammar demande si cette décision de garder le secret vaut également pour les deux rapporteurs spéciaux de l'ONU et pour le Président du Comité contre la torture, personnes éminemment conscientes de leurs responsabilités et dont le jugement sur le degré de conformité des règles et pratiques d'interrogatoire avec les normes internationales reconnues est crucial.

26. Il n'est pas question, dans le rapport à l'examen, des dispositions prises par l'Etat partie en vertu de l'article 10 de la Convention pour former les cadres et agents des divers corps civils et militaires ainsi que du corps médical; ce dernier point revêt une gravité exceptionnelle, car l'Association des médecins palestiniens et israéliens pour les droits de l'homme a fait savoir que des médecins se font complices de la torture. En effet, des médecins examinent les détenus en vue d'évaluer leur capacité de résister aux différentes méthodes de torture ainsi qu'à la mise au secret, à l'enchaînement, à la station debout prolongée, au port d'une cagoule ou d'un bandeau sur les yeux. Cette complicité, inadmissible du point de vue déontologique, devrait être interdite en droit.

27. L'article 11 de la Convention fait obligation à l'Etat partie d'exercer une surveillance systématique sur les règles et pratiques d'interrogatoire et d'inspecter les lieux de détention. Quelle autorité indépendante de la police et de l'armée est habilitée à procéder à de telles inspections ? Qu'en est-il en Israël et dans les territoires occupés du respect du droit du détenu à avoir accès à un avocat dès son arrestation et à être vu par le médecin de son choix ? Par ailleurs, dans les pays démocratiques, la garde à vue excède rarement 24 heures : quelle est la durée maximum de la garde à vue en Israël ? On sait qu'un isolement prolongé favorise la pratique de la torture; or les délégués du CICR ne peuvent apparemment rendre visite aux détenus qu'au bout de 14 jours.

28. En vertu de l'article 12 de la Convention, les Etats parties doivent veiller à ce qu'il soit procédé immédiatement à une enquête impartiale chaque fois qu'il y a des motifs de croire qu'un acte de torture a été commis. Le rapport à l'examen ne fait état que d'un seul cas où une enquête de ce genre a été ouverte - enquête dont on n'a d'ailleurs pas les résultats. Or ce sont des centaines de cas qui sont dénoncés par les organisations non gouvernementales et M. Ben Ammar demande pour lesquels d'entre eux il y a eu enquête et procès, quelles sanctions ont été prises à l'encontre des tortionnaires, et si les victimes ont eu droit à réparation ainsi qu'il est prévu à l'article 14 de la Convention.

29. M. Ben Ammar conclut en formant le voeu qu'Israël lèvera les réserves qu'il a émises sur l'article 20 de la Convention et qu'il fera les déclarations prévues aux articles 21 et 22 : cela témoignerait de la confiance qu'il place dans le Comité et d'un engagement renouvelé de respecter les droits de l'homme. Il nourrit le même espoir en ce qui concerne l'adhésion au Protocole facultatif se rapportant à la Convention qui sera prochainement présenté à l'Assemblée générale.

30. M. LORENZO remercie Israël pour les renseignements apportés oralement et par écrit. Il a pour sa part toujours estimé que le travail d'organes tels que le Comité devait se fonder sur la coopération et le dialogue et non sur l'affrontement; le Comité, comme les Etats parties, n'a d'autre but que de promouvoir les droits de l'homme pour le bien-être de tous les êtres humains sans exception; aussi, M. Lorenzo espère-t-il que cette oeuvre commune aboutira pour tous à d'heureux résultats.

31. Un grand nombre des questions qu'il souhaitait poser ayant déjà été soulevées, M. Lorenzo se contentera de revenir sur les conclusions de la Commission Landau. Celle-ci a accompli un travail considérable, mais elle est tombée dans le piège où se prennent toujours ceux qui défendent la nécessité de recourir parfois aux mauvais traitements. Vouloir défendre la démocratie en acceptant ce genre de pratiques, c'est partir d'une hypothèse erronée et se vouer à l'échec. A cet égard, M. Sorensen a, en tant que médecin, beaucoup appris au Comité dans le domaine des sciences psychosociales. Très souvent, a-t-il fait comprendre, on justifie l'usage de la torture et des mauvais traitements par les nécessités de l'enquête; c'est pourtant là le pire moyen d'enquêter - si l'on peut parler de moyen : le coupable, s'il est fort, va nier envers et contre tout cependant que l'innocent faible "avouera" tout ce que l'interrogateur veut entendre. De plus, a montré M. Sorensen, la pratique de la torture trouve sa racine dans le subconscient du tortionnaire, qui est animé par la haine et la peur de l'autre, de celui qui est différent. La véritable raison des mauvais traitements n'est pas que la victime est coupable, mais qu'elle est d'une autre ethnie, ou pauvre, par exemple, et qu'il faut pour cela la détruire.

32. Ainsi, en décrétant que les mauvais traitements se justifient parfois lors des interrogatoires, la Commission Landau a fait une grave erreur. L'exemple extrême qu'elle invoque, celui de la bombe qui va exploser et du terroriste qu'il faut faire parler au plus vite, ne se présente pratiquement jamais dans la réalité et, en tout état de cause, la personne maltraitée peut toujours mentir. Force est de constater que les conclusions de la Commission Landau, en créant un climat de permissivité fort néfaste, ont surtout permis de maltraiter des lanceurs de pierres ou autres auteurs d'actes peu graves. Une avocate juive israélienne a été jusqu'à affirmer qu'Israël était le seul pays au monde à avoir légalisé la pratique de la torture, une commission spéciale du gouvernement, comportant un juge de la Cour suprême, ayant conclu qu'il était permis de recourir à des pressions psychologiques mais aussi à des pressions physiques modérées au cours d'interrogatoires. Sans aller aussi loin dans son jugement, M. Lorenzo estime que le climat ainsi instauré a banalisé les mauvais traitements. Il espère que la Commission Landau sera amenée à réviser ses conclusions de manière à ce que les mauvais traitements soient proscrits. Ainsi que M. Burns l'a dit, le seul fait que la Commission Landau ait gardé certaines de ses conclusions secrètes atteste que des pressions psychologiques contraires à l'article premier de la Convention se pratiquent en Israël.

33. Mme ILIOPOULOS-STRANGAS dit que, si elle a bien compris, la Convention contre la torture n'est pas incorporée dans le droit israélien. Si cela est effectivement le cas, il s'agit d'un manque grave. Pour elle, s'il serait souhaitable que l'Etat d'Israël fasse des déclarations au titre des articles 20 et 22 de la Convention, il est plus urgent encore qu'il incorpore celle-ci dans son droit interne.

34. En ce qui concerne la question de l'extradition, ayant noté qu'en la matière la décision ultime relève du pouvoir discrétionnaire du Ministre de la justice (par. 11 du rapport), elle demande si, dans le cas où la Cour suprême s'est prononcée contre l'extradition, le Ministre de la justice a toujours le pouvoir discrétionnaire de procéder à celle-ci. Elle fera, par ailleurs, plusieurs remarques sur l'affirmation faite au paragraphe 34 du rapport selon laquelle le recours à une pression raisonnable est conforme au droit international. Pour justifier cette affirmation, les auteurs du rapport ont invoqué une décision de la Cour européenne des droits de l'homme. Cependant, d'un point de vue juridique, on ne peut déduire de la décision de la Cour européenne des droits de l'homme que certaines formes de pressions physiques sont conformes au droit international. En effet, d'une part, la décision invoquée ne porte que sur un seul cas et elle est liée à une autre convention que la Convention contre la torture; la notion de torture telle qu'elle est conçue dans la Convention contre la torture est différente, - et plus vaste, que celle envisagée dans la Convention européenne des droits de l'homme. D'autre part, celle-ci est une convention régionale alors que la Convention contre la torture a une portée universelle, la première ayant un caractère général tandis que la seconde est spécifique. Il serait donc plus franc et plus exact de dire qu'il existe une pratique internationale d'acceptation, comme ultimum remedium, d'une pression physique raisonnable que de dire que le droit international autorise ce type de pratique. Outre qu'il n'est pas exact de dire que le recours à une pression raisonnable est conforme au droit international, une telle affirmation est choquante et dangereuse, entre autres en ce qu'elle donne à penser au personnel des forces de sécurité que la pratique de pressions physiques est tolérée en droit.

35. Enfin, Mme Iliopoulos-Strangas ne voit pas comment la Commission Landau peut évoquer le principe de proportionnalité à l'appui de certaines des mesures qu'elle recommande (par. 36 du rapport). A son avis, les solutions préconisées par cette commission sont illégitimes du point de vue du droit international vu que les "pressions physiques raisonnables" sont contraires à l'article premier de la Convention contre la torture et alors que le principe de proportionnalité présuppose une intervention légitime. Mme Iliopoulos-Strangas espère que l'Etat d'Israël, qui se veut un Etat de droit, prendra les remarques du Comité en considération.

36. M. REGMI rappelle qu'aux termes des directives générales concernant la forme et le contenu des rapports initiaux que les Etats parties doivent présenter en application du paragraphe 1 de l'article 19 de la Convention, les Etats parties sont invités à fournir des informations précises sur l'application par l'Etat auteur du rapport des articles 2 à 16 de la Convention; il demande pourquoi, dans le rapport initial d'Israël, il n'est rien dit sur l'application de l'article 10 de la Convention qui porte sur l'enseignement et l'information du personnel civil ou militaire chargé de l'application des lois, du personnel médical, des agents de la force publique et des autres personnes qui peuvent intervenir dans la garde, l'interrogatoire ou le traitement de tout individu arrêté, détenu ou emprisonné de quelque façon que ce soit. M. Regmi voudrait savoir la raison de cette lacune. Par ailleurs, il se demande si la notion de "pression physique raisonnable" n'est pas tout simplement contraire à la Convention.

37. Le PRESIDENT remercie une nouvelle fois la délégation israélienne des précieuses informations apportées au Comité et fait siennes les nombreuses questions qui ont été posées par les membres de celui-ci. Il insistera, pour sa part, sur deux points : en premier lieu, il est impérieux et indispensable qu'Israël, même s'il est de tradition moniste, incorpore les dispositions de la Convention contre la torture dans son droit interne, car il importe que celles-ci soient rendues précisément et concrètement applicables, tant il est vrai, comme le dit l'adage que "nullum crimen, nulla poena sine lege". Un délit comme l'imposition de souffrances psychologiques ou mentales doit, par exemple, être précisément prévu. En second lieu, en ce qui concerne l'application de l'article 7 de la Convention, il faudrait savoir si, dans le cas où l'Etat d'Israël n'extrade pas dans un autre pays une personne ayant commis des actes de torture alors qu'il y a des garanties que cette personne n'y sera pas elle-même exposée à des tortures, la législation israélienne prévoit que l'intéressé peut être jugé en Israël. En d'autres termes, le principe aut dedere, aut judicare s'applique-t-il ?

38. Ces remarques faites, le Président invite la délégation israélienne à revenir à la séance de l'après-midi pour répondre aux questions qui lui ont été posées et précise que toutes les questions auxquelles une réponse immédiate ne peut être donnée, par exemple les questions faisant intervenir des statistiques, peuvent faire l'objet d'une réponse ultérieure écrite.

39. La délégation israélienne se retire.
La séance est levée à 12 h 25.

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