Distr.

GENERALE

CAT/C/SR.218
4 mai 1995


Original: FRANCAIS
Compte rendu analytique de la premiere partie de la 218ème seance : Jordan. 04/05/95.
CAT/C/SR.218. (Summary Record)

Convention Abbreviation: CAT
COMITE CONTRE LA TORTURE

Quatorzième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA PREMIERE PARTIE (PUBLIQUE)*
DE LA 218ème SEANCE

tenue au Palais des Nations, à Genève,
le lundi 1er mai 1995, à 10 heures


Président : M. DIPANDA MOUELLE

SOMMAIRE

Examen des rapports présentés par les Etats parties en application de l'article 19 de la Convention
(suite)

Rapport initial de la Jordanie



* Le compte rendu analytique de la deuxième partie (privée) de la séance est publié sous la cote CAT/C/SR.218/Add.1.


La séance publique est ouverte à 10 heures.

EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES EN APPLICATION DE L'ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (point 5 de l'ordre du jour) (suite)

Examen du rapport initial de la Jordanie (CAT/C/16/Add.5)

1. Sur l'invitation du Président, la délégation jordanienne, composée de MM. Rifai et Khasawneh, prend place à la table du Comité.

2. Le PRESIDENT souhaite la bienvenue à la délégation jordanienne et l'invite à présenter le rapport initial de la Jordanie.

3. M. KHASAWNEH (Jordanie) indique que le Représentant permanent de la Jordanie se trouvant dans l'impossibilité d'assister à la séance, c'est M. Rifai, conseiller juridique du ministère jordanien de l'intérieur, qui présentera le rapport de la Jordanie.

4. M. RIFAI (Jordanie) dit que la Jordanie respecte les principes et les normes contenus dans les instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme, qui sont garantis par la Constitution et la Charte nationale ainsi que par les lois et règlements. Après que, en 1989, Sa Majesté le roi Hussein eut promulgué des principes sur le processus de démocratisation, les gouvernements successifs se sont employés à traduire ces principes dans la réalité.

5. La Constitution jordanienne est tout à fait conforme à la Déclaration universelle des droits de l'homme. Le Parlement jordanien, qui est issu d'élections libres, a adopté des lois sur les libertés personnelles (conformément à l'article 7 de la Constitution), sur la liberté d'opinion et d'expression (conformément à l'article 15 de la Constitution) et sur le droit de constituer des partis politiques (conformément à l'article 16 de la Constitution). Ainsi ont été promulguées la loi No 63 de 1992 sur l'amnistie générale, la loi No 32 de 1992 sur les partis politiques, la loi No 12 de 1992 sur la Haute Cour de justice et la loi No 6 de 1993 portant modification de la loi sur la Cour de sûreté de l'Etat. En vertu de cette dernière loi, toute décision de la Cour de sûreté de l'Etat peut faire l'objet d'un recours en cassation auprès de la Cour de cassation, qui est la plus haute instance judiciaire du Royaume; la Cour de cassation peut annuler toute disposition qu'elle estimerait non conforme à la lettre et à l'esprit des lois.

6. La Jordanie adhère aux principes de démocratie, de primauté du droit et de respect des droits de l'homme en général. Dans le cadre de la protection des droits de l'homme et de l'application de la Convention contre la torture, le Gouvernement jordanien a récemment pris un certain nombre de dispositions parmi lesquelles on peut citer la création d'un Centre pour les libertés et les droits de l'homme dans le monde arabe (ce centre a vocation à promouvoir aux plans théorique et pratique le respect des droits de l'homme et le pluralisme politique dans tous les domaines, y compris en matière sociale et intellectuelle; son objectif est de veiller au respect des libertés individuelles et de l'égalité de droits et de devoirs de tous les Jordaniens, indépendamment de leur origine, de leur sexe ou de leur religion); la transformation du Centre d'enquête et de détention du Service des renseignements généraux en prison, à dater du 1er novembre 1993; la conversion de la prison d'Irbid en musée national; l'abolition de la loi martiale en 1992, en vertu d'une ordonnance royale entérinant une décision du Conseil des Ministres d'abolir la loi martiale; la promulgation de la loi de défense No 13 de 1992, fondée sur les dispositions de l'article 124 de la Constitution (cette loi a remplacé la loi antérieure de 1935 ainsi que tous les règlements édictés en vertu de cette dernière).

7. M. Rifai dit que la délégation jordanienne entendra avec intérêt toutes observations formulées par les membres du Comité et répondra volontiers à toute question que ceux-ci voudront bien lui poser.

8. M. EL IBRASHI (Rapporteur pour la Jordanie) remercie le représentant de la Jordanie de sa déclaration claire et concise, dans laquelle ont été mises en évidence plusieurs décisions très positives adoptées dernièrement par les autorités jordaniennes en faveur du respect des droits de l'homme et de l'application de la Convention contre la torture.

9. Le respect du principe de la primauté du droit et les moyens mis en oeuvre pour garantir le processus démocratique sont à saluer. Il y a lieu aussi de se féliciter entre autres de l'abolition de la loi martiale, de l'amnistie accordée aux prisonniers politiques, de la réinstallation dans leurs fonctions de certains fonctionnaires qui avaient été révoqués et du fait que les décisions de la Cour de sûreté de l'Etat sont susceptibles de recours auprès de la Cour de cassation.

10. S'agissant de la présentation du rapport, M. El Ibrashi signale que la partie du rapport écrit consacrée à l'application des articles de la Convention doit normalement comprendre une présentation article par article des moyens mis en oeuvre pour appliquer la Convention, une telle présentation garantissant aussi bien aux Etats qu'au Comité que tous les articles ont été traités et permettant de voir clairement si les dispositions de la Convention sont effectivement appliquées.

11. S'agissant du contenu du rapport, M. El Ibrashi note tout d'abord que les instruments internationaux ratifiés par la Jordanie ont force de loi et priment sur toutes les lois nationales, à l'exception de la Constitution (par. 26 du rapport); il demande à ce sujet si, dans le cas où une convention internationale est en contradiction avec la Constitution jordanienne, celle-ci sera considérée comme supérieure par les tribunaux jordaniens. En d'autres termes, si une partie à un procès invoque une convention internationale contraire à la Constitution, le tribunal la prendra-t-il en considération ? Des cas d'incompatibilité entre la Constitution et la Convention contre la torture se sont-ils déjà posés ?

12. En ce qui concerne l'application de l'article premier de la Convention, article capital qui définit le crime de torture, M. El Ibrashi note que la Jordanie n'a pas promulgué de législation spécifique couvrant tous les aspects de la protection contre la torture et que le crime de torture est réprimé par certaines dispositions du Code pénal telles que l'article 208. Or, cet article ne reprend pas vraiment les éléments de l'article premier de la Convention; il envisage le cas où quiconque inflige une forme quelconque de violence ou de mauvais traitement, sans viser spécifiquement le cas d'un fonctionnaire qui se livrerait à de telles pratiques et ne fait pas mention des souffrances mentales; enfin, il prévoit une peine d'emprisonnement de six mois à trois ans, alors qu'un acte de torture tel qu'il est défini à l'article premier de la Convention doit être sanctionné par une peine beaucoup plus sévère.

13. Se référant à l'article 2 de la Convention, M. El Ibrashi demande à la délégation jordanienne de bien vouloir donner au Comité des informations précises sur les mesures législatives, administratives, judiciaires et autres prises pour empêcher que des actes de torture ne soient commis sur tout territoire relevant de la juridiction jordanienne. Par ailleurs, il voudrait avoir des informations sur l'application de l'article 3 de la Convention et savoir si la Jordanie a l'intention d'adhérer à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et au Protocole de 1967 y relatif. Quelles sont les dispositions légales qui permettent aux réfugiés et aux demandeurs d'asile d'obtenir une protection juridique temporaire en Jordanie ?

14. Il serait en outre intéressant pour le Comité d'avoir des renseignements sur le mode de désignation et de révocation des juges, y compris des juges à la Cour de sûreté de l'Etat et de savoir si les règles du Code de procédure pénale s'appliquent à la Cour de sûreté de l'Etat. Il serait également utile d'en savoir plus sur le régime de la détention provisoire et de la garde à vue. Une personne en détention provisoire a-t-elle le droit d'être examinée par un médecin de son choix ou de demander à être assistée par un avocat de sa connaissance ? Existe-t-il des situations exceptionnelles dans lesquelles une personne détenue peut être interrogée sans qu'un avocat soit présent ? Existe-t-il des situations d'état d'urgence et, dans l'affirmative, quelles sont leurs incidences ? Quels sont les pouvoirs effectifs des officiers des renseignements généraux qui semblent avoir certaines compétences en matière d'enquête et d'interrogatoire ?

15. Enfin, M. El Ibrashi aimerait entendre les commentaires de la délégation jordanienne sur les conclusions du Comité des droits de l'homme relatives à la situation en Jordanie, conclusions qui sont positives sur certains points et négatives sur d'autres. Ayant noté avec une grande satisfaction que les autorités jordaniennes ont laissé Amnesty International et l'Organisation arabe des droits de l'homme créer chacune une section en Jordanie, il saurait gré à la délégation jordanienne de donner des informations sur les cas mentionnés dans le rapport d'Amnesty International.

16. M. BURNS se félicite du rapport détaillé et de la bonne présentation orale de la délégation jordanienne. Le Comité a bien compris comment fonctionnaient les services de police et l'administration pénitentiaire, mais aimerait obtenir des renseignements supplémentaires sur les services de sécurité. Existe-t-il un corps militaire distinct, doté de pouvoirs particuliers et auquel correspondent des tribunaux spéciaux ?

17. M. Burns s'interroge aussi sur les règles régissant la détention au secret, un rapport d'Amnesty International ayant dénoncé des cas de personnes gardées au secret pendant près de six mois. De quelles garanties bénéficient ces détenus ?


18. Il ressort des paragraphe 103 à 105 du rapport que le Code de procédure pénale ne prévoit qu'une présence passive de l'avocat aux côtés de son client, puisque "l'avocat n'a pas le droit de prendre la parole au cours de l'instruction, si ce n'est avec l'autorisation de l'autorité chargée de l'instruction". Le rôle de l'avocat se limite-t-il donc à vérifier qu'aucune irrégularité n'intervient au cours de l'interrogatoire ? Existe-t-il un système d'aide judiciaire en Jordanie ?

19. M. Burns se réfère ensuite au paragraphe 106 du rapport, où il est fait mention des "navires et aéroglisseurs jordaniens". Ne s'agirait-il pas plutôt de navires et d'engins spatiaux ?

20. D'après le paragraphe 135 du rapport, une convention n'entre pas en vigueur immédiatement après signature et ratification car elle doit être incorporée au droit jordanien au moyen d'un texte législatif spécial. Comment cette procédure est-elle compatible avec le paragraphe 1 de l'article 2 de la Convention qui dispose que "tout Etat partie prend des mesures législatives, administratives, judiciaires et autres mesures efficaces pour empêcher que des actes de torture soient commis dans tout territoire sous sa juridiction" ? Certes, la dernière phrase du même paragraphe 135 indique que le Gouvernement jordanien s'engage à respecter toutes les dispositions d'une convention internationale qu'il aurait signée et ratifiée. Un tel engagement, contracté par un gouvernement particulier, sera-t-il repris par les gouvernements ultérieurs ? Le droit jordanien prévoit-il le recours en amparo ou en habeas corpus à tous les stades de la détention ?

21. M. Burns souhaite également poser quelques questions sur l'application de certains articles spécifiques de la Convention. Se référant à l'article 10, il demande si la Jordanie a pris des dispositions pour que l'enseignement et l'information concernant l'interdiction de la torture fassent partie intégrante de la formation du personnel militaire et des agents de la fonction publique. Si tel est le cas, en quoi cette formation est-elle différente de celle que reçoivent les futurs fonctionnaires à l'Ecole de police ?

22. M. Burns demande ensuite comment s'exerce, en Jordanie, la surveillance systématique - prévue à l'article 11 de la Convention - sur les règles, instructions, méthodes et pratiques d'interrogatoire et sur les dispositions concernant la garde et le traitement des personnes arrêtées, détenues ou emprisonnées en vue d'éviter tout cas de torture. Cette surveillance est-elle exercée de façon régulière par une commission spécifique ou le droit jordanien a-t-il simplement prévu une procédure ad hoc sous forme, par exemple, de dépôt de plaintes ?

23. M. Burns s'interroge sur l'application concrète de l'article 12 de la Convention qui dispose que tout Etat partie doit veiller à ce que les autorités compétentes procèdent immédiatement à une enquête impartiale chaque fois qu'il y a des motifs raisonnables de croire qu'un acte de torture a été commis sur son territoire. Amnesty International et le Rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme chargé des questions se rapportant à la torture ont en effet fait état d'une affaire où la Cour de cassation a cassé le jugement prononcé par une juridiction inférieure, les aveux de l'accusé ayant été obtenus sous la torture.

24. En ce qui concerne l'application de l'article 13 de la Convention, M. Burns aimerait savoir s'il existe des statistiques sur d'éventuelles plaintes déposées devant les autorités compétentes par des personnes prétendant avoir été soumises à la torture. Si tel est le cas, il demande combien de plaintes ont été déposées au cours des deux dernières années et si des mesures ont été prises pour remédier aux situations dénoncées.

25. L'article 14 de la Convention garantit à la victime d'un acte de torture le droit d'obtenir réparation et d'être indemnisée équitablement et de manière adéquate, y compris les moyens nécessaires à sa réadaptation la plus complète possible. L'Etat assume-t-il la responsabilité des actes de torture commis par ses fonctionnaires ? Comment la réadaptation médicale est-elle organisée ?

26. On lit au paragraphe 48 du rapport qu'en vertu de l'article 208 du Code pénal, "quiconque inflige une forme quelconque de violence ou de mauvais traitement interdite par la loi à une personne en vue d'obtenir l'aveu d'une infraction ou des informations connexes est passible d'emprisonnement de trois mois à trois ans". Ces dispositions correspondent effectivement à celles de l'article 15 de la Convention. Mais qu'en est-il des preuves indirectes découlant d'aveux obtenus sous la torture ? Le 21 novembre 1994, le Gouvernement jordanien a informé le Rapporteur spécial sur la torture qu'aucun acte contraire aux engagements juridiques, nationaux ou internationaux, contractés par la Jordanie ne s'était produit dans les prisons du Service des renseignements généraux. Or, ce n'est pas ce qui ressort du jugement précité prononcé par la Cour de cassation. La délégation jordanienne pourrait-elle fournir des éclaircissements à ce sujet ?

27. Le recours aux châtiments corporels, dont il est fait état à l'alinéa d) du paragraphe 54 du rapport, semble bien contrevenir aux dispositions de l'article 16 de la Convention. Existe-t-il des statistiques quant à l'utilisation des châtiments corporels en Jordanie ? M. Burns remercie la délégation jordanienne des réponses qu'elle voudra bien apporter à toutes ces questions.

28. Mme ILIOPOULOS-STRANGAS demande quelle est la valeur juridique de la Charte nationale jordanienne promulguée en 1928 et quels sont les liens qui existent entre cette Charte et la Constitution. Les objectifs énoncés dans la Charte (par. 24 du rapport) ont-ils été réalisés ?

29. L'alinéa c) du paragraphe 26 du rapport indique que les instruments internationaux ratifiés par la Jordanie ont force de loi, qu'ils priment sur toutes les lois nationales, à l'exception de la Constitution, et que les tribunaux nationaux appliquent en priorité les instruments internationaux. Les tribunaux décident-ils eux-mêmes d'appliquer les instruments internationaux ou les lois nationales ? On lit, à l'alinéa b) du même paragraphe, que les dispositions des différents textes législatifs jordaniens sont conformes à celles des instruments internationaux et qu'en conséquence le gouvernement n'a pas ressenti la nécessité de promulguer ces textes conventionnels sous forme d'instruments distincts en vue de confirmer les droits qui y sont reconnus. A ce propos, Mme Iliopoulos-Strangas souligne que la plupart des instruments internationaux prévoient un contrôle international sur l'application, dans les Etats parties, des dispositions de ces instruments et que ce contrôle contribue à la protection des citoyens. Par ailleurs, il est fait mention, à l'alinéa a) du même paragraphe 26, de tribunaux religieux ou spéciaux. Quelles sont exactement leurs compétences ?

30. En ce qui concerne l'imposition de châtiments corporels (par. 54 du rapport), Mme Iliopoulos-Strangas dit qu'elle s'associe aux inquiétudes exprimées par M. Burns. Elle fait également siens les commentaires de M. El Ibrashi sur le fait que la Jordanie n'ait pas promulgué de législation spécifique couvrant tous les aspects de la protection contre la torture.

31. Se référant au paragraphe 25 du rapport, Mme Iliopoulos-Strangas déplore que le droit pénal jordanien ne comporte aucune disposition en vertu de laquelle une victime de la torture serait en droit d'être indemnisée. La délégation jordanienne est-elle en mesure d'informer le Comité quant à d'éventuelles sanctions prononcées à l'encontre d'agents de la force publique coupables d'actes de torture ?

32. M. SØRENSEN revient à son tour sur la question des châtiments corporels et en particulier sur le fait qu'une condamnation à un châtiment corporel ne peut être exécutée qu'en présence d'un médecin qui aura certifié que l'état de santé du prisonnier lui permet de supporter un tel traitement (par. 60 du rapport). Il demande tout d'abord si la flagellation est le seul châtiment corporel infligé en Jordanie ou si des amputations sont aussi pratiquées. Il trouve particulièrement choquant que des dispositions juridiques prévoient qu'un médecin cautionne l'imposition de châtiments corporels et puisse déclarer une personne apte à supporter la flagellation. A cet égard, il demande à la délégation jordanienne s'il se trouve des médecins acceptant de se livrer à ce genre de pratiques.

33. En ce qui concerne l'application de l'article 3 de la Convention (par. 64 à 78 du rapport), M. Sørensen s'enquiert des dispositions prises par la Jordanie pour ne pas expulser, refouler ni extrader une personne vers un autre Etat où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture.

34. Par ailleurs, M. Sørensen considère que les dispositions énoncées au paragraphe 132 du rapport en matière de programmes de formation des personnes pouvant intervenir dans le traitement des individus arrêtés, détenus ou emprisonnés (art. 10 de la Convention) ne sont pas suffisantes car il n'est pas fait mention d'un enseignement spécifique concernant l'interdiction de la torture.

35. Se référant à l'article 14 de la Convention, M. Sørensen note que le paragraphe 125 du rapport indique sans ambages que le droit pénal jordanien ne comporte aucune disposition en vertu de laquelle une victime de la torture serait en droit d'être indemnisée. Quelles dispositions le Gouvernement jordanien a-t-il prises pour garantir la réadaptation médicale des victimes de la torture ? Il doit exister en Jordanie un besoin important dans ce domaine étant donné le grand nombre de victimes de la torture qui se sont réfugiées dans le pays après la guerre du Golfe. A cet égard, M. Sørensen rappelle à la délégation jordanienne qu'il existe un Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour les victimes de la torture et que toute contribution à ce fonds, émanant du Gouvernement jordanien, serait la bienvenue.

36. M. REGMI, remerciant la délégation jordanienne pour son rapport fort détaillé, fait tout d'abord observer qu'il ressort du paragraphe 47 de ce document que la Jordanie n'a promulgué aucune législation spécifique réglementant tous les aspects de la protection contre la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants. Par ailleurs, il est précisé au paragraphe 135 dudit rapport qu'une convention internationale n'entre en vigueur qu'après avoir été incorporée au droit jordanien au moyen d'un texte législatif spécial : il serait donc important pour le Comité de savoir ce qui a été fait pour que la Convention entre en vigueur.

37. Il importe de souligner qu'en l'absence d'une définition de la torture reprenant les termes de la Convention, il est difficile pour un Etat de faire en sorte que la sanction imposée à l'auteur d'actes de torture et l'indemnisation accordée à la victime soient adaptées à la gravité de l'infraction, ainsi qu'il est prévu par la Convention.

38. Par ailleurs, M. Regmi souhaiterait savoir comment est assurée l'indépendance du pouvoir judiciaire et notamment comment sont nommés les juges, dans quelles conditions ils sont révoqués, etc. D'autre part, différentes organisations non gouvernementales, et notamment Amnesty International, ont fait état de l'existence en Jordanie de tribunaux militaires spéciaux ainsi que d'une Cour de sûreté de l'Etat; si ces renseignements sont exacts, il serait important d'avoir des détails sur ces juridictions.

39. La Convention fait obligation aux Etats parties d'ouvrir des enquêtes impartiales en cas d'allégations de torture, lorsqu'il y a des motifs raisonnables de croire qu'elles sont fondées. Toute personne responsable de tels abus doit être traduite en justice et les victimes indemnisées. M. Regmi souhaiterait savoir quelle procédure régit l'interrogatoire des suspects, combien de temps ils peuvent être maintenus en détention provisoire, qui décide de leur mise en détention et quels sont leurs droits. Il souhaiterait savoir si les détenus ont le droit d'informer leurs proches, ainsi qu'un médecin et un avocat de leur choix, de la mesure dont ils font l'objet; le détenu est-il informé des motifs de son arrestation et peut-il être mis au secret ?

40. M. Regmi souhaiterait avoir des précisions sur l'application de l'article 10 de la Convention, évoquée au paragraphe 132 du rapport. Il aimerait savoir ce qui a été fait en Jordanie pour éduquer les policiers, les agents de la force publique, le personnel médical civil ou militaire, les fonctionnaires et autres personnes intervenant dans la mise en détention. La sensibilisation de toutes ces personnes est indispensable pour lutter efficacement contre la torture. Dans le même ordre d'idées, il serait utile de savoir combien d'agents de la force publique et de médecins ont été jugés coupables d'actes de torture, et d'avoir le cas échéant des détails sur ces cas. D'une manière plus générale, le système judiciaire jordanien prévoit-il des sanctions pour les auteurs de tels actes, et si les victimes peuvent obtenir réparation ont-elles effectivement droit à une indemnisation adéquate et bénéficient-elles de mesures de réadaptation ? Quelles procédures sont en place pour indemniser les victimes de la torture et quels sont les délais ? Quelle est l'autorité habilitée à recevoir des plaintes pour torture et serait-il possible d'obtenir des statistiques concernant l'indemnisation des victimes ?

41. Selon des renseignements récents émanant du Rapporteur spécial chargé des questions se rapportant à la torture, des personnes seraient détenues au secret par le Service des renseignements généraux durant des semaines ou des mois sans avoir jamais accès à un avocat ni à un juge tant que leur interrogatoire n'est pas terminé et qu'elles ne sont pas, le cas échéant, passées aux aveux. D'ailleurs, en vertu du Code de procédure pénale, les procureurs sont habilités à prolonger indéfiniment, de 15 jours en 15 jours, la durée de la détention provisoire d'un accusé et peuvent interdire tout contact avec les détenus pour des périodes renouvelables de 10 jours. Or c'est durant ces périodes de détention que le risque de torture ou de mauvais traitements est le plus grand. Il a notamment été rapporté que des détenus étaient battus dans les sous-sols du quartier général du Service des renseignements généraux à Amman. M. Regmi souhaiterait recevoir davantage d'informations au sujet de ces pratiques incompatibles avec la Convention.

42. Enfin la peine capitale, encore appliquée en Jordanie, peut être considérée comme constituant dans tous les cas une violation du droit à la vie ainsi que du droit à ne pas être soumis à des traitements ou châtiments cruels, inhumains ou dégradants, droits consacrés par la Déclaration universelle des droits de l'homme. La peine de mort, utilisée pour lutter contre les crimes les plus graves, n'a pas d'effet préventif, et paraît contraire à l'article 16 de la Convention. Si la Jordanie abolissait la peine capitale, elle contribuerait davantage encore à la promotion des droits de l'homme dans le monde.

43. M. YAKOVLEV constate avec satisfaction qu'un processus de démocratisation est de toute évidence engagé en Jordanie et qu'en ce qui concerne les droits de l'homme, cet Etat se montre résolu à collaborer tant avec l'ONU qu'avec des organisations non gouvernementales telles qu'Amnesty International. Il serait précieux d'avoir des données statistiques sur le nombre de personnes condamnées à des peines privatives de liberté en Jordanie et sur le nombre de personnes détenues en attente de jugement, ainsi que sur le nombre de plaintes déposées pour actes de torture et le nombre de personnes ayant fait l'objet de sanctions disciplinaires ou judiciaires pour de tels actes.

44. M. Yakovlev s'associe aux questions qui ont été posées à propos de la Cour de sûreté de l'Etat, et souhaiterait notamment savoir quelle est sa compétence et depuis quand elle existe, en quoi ses procédures diffèrent de celles des tribunaux ordinaires et s'il est envisagé de rendre son fonctionnement conforme aux dispositions du Code jordanien de procédure pénale.

45. M. SLIM constate avec satisfaction que le Gouvernement jordanien a pris d'importantes mesures en vue d'accélérer le processus engagé vers plus de démocratie et de pluralisme, et d'enraciner ses institutions dans un Etat de droit, y compris à l'échelle internationale. Le Royaume hachémite de Jordanie figure désormais au premier rang des Etats arabes qui sont le plus avancés dans ce processus de réformes.

46. C'est dans cette perspective que M. Slim souhaiterait poser quelques questions supplémentaires à la délégation jordanienne. Tout d'abord, il aimerait savoir quel est le rôle de la Cour de sûreté de l'Etat dans les affaires à caractère politique; en d'autres termes, toutes les questions politiques relèvent-elles de sa compétence ou seulement certaines d'entre elles, et quelles sont les procédures qui régissent le fonctionnement de cette cour ?

47. En second lieu, d'importantes questions ont été posées par d'autres orateurs au sujet de l'application de l'article 3 de la Convention en ce qui concerne le droit d'asile et la protection des réfugiés politiques. Il serait utile aussi de savoir comment les victimes d'actes de torture peuvent, en vertu de la loi et de la jurisprudence, être indemnisées. Concrètement, comment les tribunaux traitent-ils dans la pratique ce genre de requêtes et quelles suites donne-t-on aux demandes d'indemnisation des victimes ? Dans un autre ordre d'idées, des programmes de formation des fonctionnaires et des agents de la force publique ont-ils été mis en place en vue de les aider à respecter scrupuleusement les dispositions de la Convention ?

48. Pour ce qui est de la question essentielle de la protection des détenus, M. Slim estime que certaines ambiguïtés subsistent en ce qui concerne notamment les garanties offertes par la loi jordanienne. Certes, l'article 63 du Code de procédure pénale consacre un principe important, à savoir celui de la protection de la personne détenue, et lui garantit la possibilité de se faire assister d'un avocat au cours de l'interrogatoire. Mais le Code de procédure pénale prévoit des exceptions à cette règle, d'une part, en cas de flagrant délit et, d'autre part, lorsque l'on craint de perdre des preuves. Il serait utile de savoir si le détenu peut demander à être examiné par un médecin au cours de la garde à vue et quelle est la durée maximum du délai de garde à vue : celle-ci peut-elle durer des semaines ou des mois, dans la mesure où le Procureur peut prolonger indéfiniment de 15 jours en 15 jours la période de détention ? Il faudrait connaître exactement les règles applicables en la matière, ce que prévoit la loi d'une part, et ce que dit la jurisprudence d'autre part, c'est-à-dire la position des tribunaux face à ce problème.

49. M. GIL LAVEDRA constate avec satisfaction que la Jordanie a soumis un rapport fort précis et détaillé; de nombreuses questions ont déjà été posées à son sujet, et il ne reviendra que sur certaines d'entre elles, auxquelles il attache une importance particulière. De plus amples renseignements ont été demandés sur la Cour de sûreté de l'Etat, sur le Service des renseignements généraux et sur le fonctionnement des services de police en général. Des questions importantes ont aussi été posées sur l'application de l'article 3 et de l'article 4 de la Convention et notamment sur la définition de la torture. L'article 4 stipule que tout Etat doit non seulement veiller à ce que les actes de torture soient qualifiés d'infractions pénales, mais aussi à ce qu'ils soient passibles de peines en rapport avec leur gravité. Or l'article 218 du Code pénal jordanien, qui réprime les actes de torture, prévoit une peine de trois mois à trois ans de prison maximum pour de tels actes, ce qui paraît insuffisant au regard de la Convention. Des questions essentielles ont aussi été posées, au sujet de l'article 14 de la Convention, qui fait un devoir à chaque Etat d'assumer la responsabilité des actes commis par ses fonctionnaires.

50. Dans la perspective de ses nouvelles orientations en matière de droits de l'homme, la Jordanie a récemment adhéré à la Convention contre la torture. Il est normal que le processus d'adaptation de sa législation interne aux dispositions de la Convention prenne du temps, mais certaines questions sont prioritaires et doivent être traitées sans retard. C'est le cas en particulier des garanties entourant les conditions de détention. Pour l'heure, le Code de procédure pénale n'est, de ce point de vue, pas conforme aux normes internationales relatives au traitement des prisonniers. En particulier, la possibilité pour un détenu de prendre contact avec un avocat est bien prévue aux articles 63 et 64 du Code, mais dans certains cas particuliers assez souvent invoqués, il peut être dérogé à ce droit sur décision du Procureur. Par ailleurs, il faut souligner que les détenus doivent avoir accès à un médecin de leur choix et non au médecin mandaté par l'Etat, et qu'ils doivent pouvoir prendre contact avec leurs proches comme avec le juge. Or il semble qu'en Jordanie le ministère public jouit à cet égard de pouvoirs considérables lui permettant de retarder beaucoup la comparution devant un juge. Dès lors, il serait important de savoir quel recours a un détenu si ce n'est pas le juge qui contrôle la procédure, et s'il est vrai que le Procureur a la possibilité de proroger indéfiniment, de 15 en 15 jours, la durée de la détention. D'une manière générale, M. Gil Lavedra aimerait savoir comment, dans ce domaine, la Jordanie compte adapter sa législation aux normes internationales, dans la mesure où c'est durant ces périodes de détention que le risque de torture est le plus grand.

51. L'un des buts de la Convention est d'éliminer les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Or la loi No 23 sur les prisons, qui prévoit l'application de châtiments corporels aux prisonniers, semble de ce point de vue incompatible avec cet instrument. Est-il prévu de modifier cette loi déjà fort ancienne en vue de la rendre conforme aux normes internationales ? Dans un même ordre d'idées, M. Gil Lavedra souligne que la peine capitale, toujours appliquée en Jordanie, pourrait être considérée comme non conforme à l'esprit de la Convention.

52. Le PRESIDENT s'associe aux observations et questions des orateurs précédents et se contentera de demander tout d'abord, à propos du paragraphe 40 du rapport, s'il existe en Jordanie des prisons à caractère privé puisqu'il y est question d'établissements pénitentiaires publics; si tel est le cas, il aimerait avoir des renseignements sur ces établissements pénitentiaires privés. En second lieu, il est affirmé dans le rapport que la Jordanie est un Etat constitutionnel attaché au principe de la primauté du droit - garantie par un pouvoir judiciaire indépendant - tirant sa légitimité de la libre volonté du peuple; mais il est aussi indiqué par ailleurs que tous les jugements sont rendus "au nom du Roi" : cette justice ne devrait-elle pas plutôt être rendue au nom du peuple ?

53. Le Président remercie la délégation jordanienne pour sa précieuse collaboration et l'invite à poursuivre le dialogue avec le Comité à la séance suivante.

54. La délégation jordanienne se retire.
La séance (publique) est levée à 12 h 5.
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