Distr.

GENERALE

CRC/C/SR.145
18 avril 1994


Original: FRANCAIS
Compte rendu analytique de la 145ème séance : Jordan. 18/04/94.
CRC/C/SR.145. (Summary Record)

Convention Abbreviation: CRC
COMITE DES DROITS DE L'ENFANT

Sixième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 145ème SEANCE

tenue au Palais des Nations, à Genève,
le jeudi 14 avril 1994, à 10 heures

Président : M. HAMMARBERG


SOMMAIRE


Examen des rapports présentés par les Etats parties

Rapport initial de la Jordanie (suite)


Le présent compte rendu est sujet à rectifications.

Les rectifications doivent être rédigées dans l'une des langues de travail. Elles doivent être présentées dans un mémorandum et être également portées sur un exemplaire du compte rendu. Il convient de les adresser, une semaine au plus tard à compter de la date du présent document, à la Section d'édition des documents officiels, bureau E.4108, Palais des Nations, Genève.

Les rectifications éventuelles aux comptes rendus des séances publiques de la présente session seront groupées dans un rectificatif unique qui sera publié peu après la clôture de la session.


La séance est ouverte à 10 h 10.

EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES (point 4 de l'ordre du jour) (suite)

Rapport initial de la Jordanie (suite) (CRC/C/8/Add.4)

1. Le PRESIDENT, se référant à la liste des points à traiter (CRC/C.6/WP.4) demande à la délégation jordanienne de continuer à répondre aux questions du chapitre "Principes généraux" de cette liste et des chapitres suivants et àdes questions posées oralement par des membres du Comité sur des sujets apparentés.

2. M. KHASAWNEH (Jordanie), concernant l'intérêt supérieur de l'enfant, apporte plus d'informations sur un certain nombre de mesures qui visent àprotéger notamment les filles de moins de 18 ans. Conformément à l'article 7 du Code du statut des personnes, le juge veille à l'intérêt des filles de moins de 18 ans susceptibles d'épouser un homme bien plus âgé qu'elles. En premier lieu, le mariage peut être rejeté si cet homme a une santé chancelante, et n'est pas en mesure de s'acquitter de ses devoirs de chef de famille et d'époux ou de ses responsabilités financières. Par ailleurs, lorsque la jeune fille est handicapée, le fait d'épouser un homme plus âgé qu'elle n'est peut-être pas pour elle la meilleure solution et les autorités s'attachent à l'aider à sortir de son isolement. Enfin, lorsque la différence d'âge entre les promis est très grande, il convient de tenir compte du bien-être psychologique des enfants. En effet, un homme âgé peut ne pas avoir à l'égard de ses enfants la conduite que l'on peut attendre d'un père plus jeune. De plus, un homme très âgé risque de mourir avant sa femme et ses enfants, les laissant dans le besoin. Le juge peut alors s'opposer au mariage, cela dans l'intérêt supérieur de la femme. Toutefois, les statistiques montrent qu'en général la différence d'âge dans le couple est de quatre ans. Les cas exposés ci-dessus sont donc très rares.

3. S'agissant de la question 14 sur la sensibilisation du public à la promotion de la participation des enfants, le gouvernement prend des mesures pour permettre aux enfants de participer et d'exercer leurs droits. L'orateur précise qu'il existe des émissions de radio et de télévision destinées aux enfants dont la préparation est confiée à des enfants mais aussi à des psychologues et à d'autres professionnels (sociologues par exemple). Ces émissions visent à rendre les parents, les mères notamment, plus conscients des droits de leurs enfants, de leur identité et de leur capacité à participer à bien des aspects de la vie pratique, en particulier au sein de la famille. Ainsi, les autorités jordaniennes cherchent aussi à infléchir la conduite des parents qui, parfois, méconnaissent la psychologie de l'enfant.

4. Se référant à la question 15 sur les procédures judiciaires et administrations, M. Khasawneh précise que les autorités judiciaires font en sorte de confier la garde à des parents dont la conduite ne nuit pas àl'enfant, la mère ou la parente la plus proche le plus souvent. Il arrive parfois que l'enfant assiste aux délibérations du tribunal. Ainsi, le juge peut prendre en compte la réaction spontanée de l'enfant au cours de ces procédures pour décider qui en aura la garde. L'orateur insiste sur le fait que le juge ne demande pas directement à l'enfant quel est son choix, mais qu'il s'efforce de discerner ses souhaits. Il estime de la sorte avoir répondu aux questions de Mlle Mason sur l'opinion et le bien-être de l'enfant.

5. En réponse à Mme Eufemio sur les enfants illégitimes qui ne connaissent pas l'identité de leurs parents naturels et sur les effets psychologiques que cela peut avoir sur eux, l'orateur décrit trois cas. En premier lieu, lorsque le père d'un enfant est inconnu et qu'il est malaisé pour les autorités de déterminer son identité, celles-ci estiment alors que l'enfant est trouvé et lui donnent la nationalité jordanienne, même si la nationalité de ses parents leur est inconnue. La plupart de ces enfants sont placés dans les centres sociaux du roi Hussein, qui dépendent du Ministère du développement social, après réception d'un courrier de la police ou du gouverneur de la région où l'enfant habite. L'orateur souligne que ce placement s'effectue dans la même région. Les centres sociaux en question complètent à leur tour le dossier de l'enfant et l'adressent au ministère concerné. L'orateur rappelle que, dans la société jordanienne, les relations entre sexes sont prévues au sein du mariage, conformément aux coutumes et traditions, et que les cas d'enfants nés en dehors du mariage restent rares. Lorsque les parents de l'enfant sont connus, les autorités incitent le père à épouser la femme qu'il a rendue enceinte. Si le mariage n'a pas lieu, un des deux parents doit garder l'enfant; généralement c'est la mère, même si l'enfant connaît son père.

6. Par ailleurs, lorsqu'une femme donne le jour à un enfant d'un homme autre que son mari, cet enfant est remis aux autorités compétentes et l'on cache àl'enfant l'identité de ses parents de crainte de porter préjudice à l'unité de la famille et à la mère. En effet, la tradition voit d'un mauvais oeil les femmes adultères, qui sont rejetées par la société. Certes, l'enfant ne connaissant pas l'identité de ses parents, risque d'épouser sa soeur ou son frère. Mais le Comité conviendra qu'il y a peu de chances que cela arrive.

7. En réponse à M. Kolosov, l'orateur précise que l'opinion des enfants sur le système scolaire (enseignement ou professeurs) est prise en compte à tous les niveaux. Par le biais de programmes de télévision scolaire, de journaux et de bulletins affichés dans les écoles, les élèves ont le loisir de s'exprimer. De plus, les enfants peuvent formuler des critiques lors des réunions périodiques qui rassemblent parents d'élèves, élèves et enseignants. Après enquête, un enseignant incriminé peut faire l'objet d'une suspension ou d'un transfert de la part de l'administration.

8. En réponse à Mme Santos Pais, l'orateur rappelle que la majorité est fixée à 18 ans; à titre d'exemple, on peut devenir fonctionnaire à cet âge et on est légalement responsable de ses actes. Ainsi, un fonctionnaire âgé de 18 ans encourt des peines en cas de négligence professionnelle. Ces peines ne seraient pas applicables à un fonctionnaire de moins de 18 ans.

9. Le PRESIDENT, remerciant le représentant de la Jordanie de ces précisions, notamment de celles qui concernent l'article 12 de la Convention, rappelle que le principe qui doit guider la loi est l'intérêt supérieur de l'enfant; il note avec satisfaction qu'en Jordanie un juge peut tenir compte de l'opinion d'un enfant.

10. S'agissant des femmes qui ont un enfant en dehors des liens du mariage, l'on devrait également tenir compte de leurs droits et aussi de l'intérêt de l'enfant car, parfois, les femmes dans cette situation ont de bonnes raisons pour ne pas souhaiter se marier avec le père de leur enfant.

11. Mme EUFEMIO, s'agissant des enfants nés en dehors du mariage, souhaiterait que les pouvoirs publics, en Jordanie, définissent une politique en la matière pour l'avenir; en effet, les cas qu'a mentionnés le représentant de la Jordanie, pour rares qu'ils soient, pourraient devenir plus fréquents. Les autorités jordaniennes ont-elles l'intention de légiférer dans ce sens ?

12. M. KHASAWNEH (Jordanie) souligne que ce n'est pas parce que le risque qu'il a évoqué est faible que les autorités jordaniennes ne se préoccupent pas du meilleur intérêt de l'enfant. Il ne possède pas de dossier faisant état d'une décision de justice sur un cas de ce genre, mais il s'efforcera d'obtenir des autorités judiciaires de son pays de plus amples informations àcet égard.

13. M. MOMBESHORA se référant à la section "santé et bien-être", souhaiterait savoir si le groupe sanguin des enfants est déterminé à leur naissance.

14. M. EL RASHDAN (Jordanie) confirme que le médecin qui a assisté àl'accouchement prélève un échantillon du sang de l'enfant pour procéder aux analyses habituelles, parmi lesquelles la détermination du groupe sanguin.

15. M. MOMBESHORA souhaiterait aussi savoir si l'enfant né de deux parents de confessions différentes peut choisir sa religion.

16. Mme SANTOS PAIS demande à partir de quel âge les enfants peuvent exercer leur droit de faire partie d'une association. En effet, il importe pour le Comité de connaître le cadre juridique du pays, mais aussi de savoir dans quelle mesure les enfants exercent leurs droits consacrés dans la Convention, et si cet instrument récent peut être invoqué devant les tribunaux.

17. A propos de la protection de la vie privée, M. KOLOSOV demande si des dispositions existent pour protéger l'enfant à l'intérieur de la famille.

18. Répondant à M. MOMBESHORA sur les questions de la liberté de religion, M. EL RASHDAN (Jordanie) dit que selon la Chari'a, un enfant a la religion de son père. Un Jordanien a le droit de se marier à une personne de confession chrétienne, juive, athée ou agnostique, mais la Chari'a interdit à une femme de confession musulmane de se marier à un homme qui ne soit pas musulman.

19. Abordant la question de la liberté d'association et de réunion pacifique, M. El Rashdan dit que les Jordaniens jouissent du droit de réunion dans les limites fixées par la loi qui s'applique à toutes les personnes âgées de plus de 18 ans. Il existe toutefois des clubs où les enfants se réunissent et pratiquent un certain nombre d'activités. Ces clubs servent aussi de centres d'information sur toutes les questions relevant de l'intérêt de l'enfant. M. El Rashdan précise que diverses organisations non gouvernementales, notamment Amnesty International et l'Organisation arabe des droits de l'homme, ont des divisions spécialisées sur les questions du bien-être des enfants et comptent des enfants parmi leurs membres.

20. Mme SANTOS PAIS dit qu'elle saisit mal la réalité des droits des enfants jordaniens. Elle fait remarquer que les enfants doivent avoir la possibilité d'exprimer leurs points de vue dans différents cadres (écoles, associations) mais que leurs droits doivent également être respectés dans la pratique, sans qu'ils soient manipulés.

21. M. El RASHDAN (Jordanie) convient avec Mme Santos Pais que les autorités compétentes doivent veiller à ce que les enfants ne soient pas manipulés. En ce qui concerne la situation des enfants nés de parents ayant une religion différente, il précise que la logique de cette question est assez contradictoire et difficile à comprendre. En effet, l'enfant né d'un père musulman et d'une mère juive est considéré sur le plan du judaïsme comme juif (l'enfant a la religion de la mère) et musulman selon la Chari'a (l'enfant a la religion du père). Cette situation complexe explique que la Jordanie ait exprimé une réserve concernant l'article 14 de la Convention relative aux droits de l'enfant lorsqu'elle l'a signée, et a réitéré cette réserve au moment de la ratification.

22. En réponse à M. Kolosov, M. El Rashdan dit que l'enfant peut faire entendre son opinion dans le milieu familial. Au sujet de la liberté d'association, il précise que des réunions ont lieu dans les écoles et tiennent compte des différents avis exprimés par les enfants sur diverses questions.

23. Mme EUFEMIO demande des précisions sur la kafala.

24. M. EL RAHSDAN (Jordanie) dit que le concept de kafala selon la Chari'a est en fait une protection de remplacement pour l'enfant. La famille qui a la garde de l'enfant est chargée de son éducation jusqu'à ce que les circonstances changent et permettent à cet enfant de retourner dans sa famille d'origine. On peut notamment distinguer une kafala (protection) financière et une kafala sociale.

25. A propos du recouvrement de la pension alimentaire de l'enfant, Mlle MASON demande ce qui se passe lorsque le père est dans une situation financière qui ne lui permet pas de verser cette pension.

26. M. EL RASHDAN (Jordanie) dit que conformément à la loi sur le statut personnel, cette obligation incombe au père de famille. Toutefois, si le père est indigent, cette obligation incombe à la mère lorsqu'elle est financièrement en mesure d'assumer ces frais. Cette pension peut également être versée par un parent proche du côté paternel. De son côté, le gouvernement a prévu un fonds national d'aide aux familles les plus pauvres. Les emplois sont créés pour les pères sans travail afin de leur permettre d'assurer la survie de leur famille. Un fonds de charité appelé "Zakat" prévoit une aide financière à certaines familles.

27. M. MOMBESHORA demande des informations sur le programme de planification familiale et le problème du SIDA. Il souhaite également savoir s'il existe en Jordanie un organisme chargé de surveiller la bonne conduite du corps médical en général, et en particulier dans les cas d'avortement.

28. Mlle MASON fait remarquer que le rapport CRC/C/8/Add.4 ne contient pas de statistiques dans le domaine de la santé et de l'éducation. Il serait bon d'avoir à l'avenir des données statistiques qui permettent d'évaluer les divers programmes dans ces domaines.

Répondant à M. Mombeshora, M. EL RASHDAN (Jordanie) dit que l'avortement est interdit en Jordanie et que des poursuites sont entamées contre les médecins qui pratiquent l'interruption de grossesse. Les associations médicales sont chargées de veiller en permanence à ce que les médecins respectent les lois. Les médecins qui violent la loi perdent le droit de pratiquer la médecine. Des exceptions sont toutefois faites lorsque, par exemple, l'avortement est pratiqué pour des raisons médicales dans l'intérêt de la santé de la mère.

30. A propos de la planification familiale, M. El Rashdan dit que les autorités jordaniennes ont entrepris avec l'aide de l'UNICEF une campagne d'information à l'intention des mères pour les encourager à espacer leurs grossesses et à assurer leur santé et celle de leur futur enfant. Il note que 57 cas de SIDA sont enregistrés en Jordanie et sont tous dus à une contamination par voie de transfusion sanguine ou par des étrangers résidant en Jordanie. Des mesures sont prises pour enrayer cette maladie.

31. M. KHASAWNEH (Jordanie) précise que la société jordanienne accorde une grande valeur sociale à l'institution du mariage et que le risque d'une maladie telle que le SIDA est donc très limité en Jordanie. Les seuls cas de transmission du virus sont causés par des étrangers résidant en Jordanie ou par voie de transfusion sanguine.

32. Le PRESIDENT appelle l'attention sur la section "Education, loisirs et activités culturelles" de la liste CRC/C.6/WP.4 (art. 28, 29 et 31 de la Convention).

33. M. KOLOSOV demande quels sont les moyens utilisés pour permettre aux étudiants de "garder un esprit ouvert sur les valeurs et les principes des différentes cultures qui méritent le respect" (CRC/C/8/Add.4, par. 127). Les étudiants ont-ils la possibilité, par le biais de la télévision ou du cinéma par exemple, de prendre connaissance des autres cultures ?

34. Mme SANTOS PAIS est préoccupée par le fait qu'en vertu d'un décret de 1991 les documents que les parents remplissent lors de l'inscription de leurs enfants à l'école doivent mentionner s'ils sont de confession musulmane ou chrétienne. Si un enfant n'appartient à aucune de ces deux religions, comme c'est le cas par exemple pour les enfants de la communauté bahaïe, est-il incorporé à l'un des deux groupes religieux précités ? Est-il écarté du système scolaire ? Des faits nouveaux sont-ils intervenus depuis l'adoption du décret en question ? Des solutions sont-elles envisagées pour régler ce problème ?

35. Mme EUFEMIO demande s'il existe un mécanisme destiné à contrôler les programmes de télévision, les programmes de radio ou les paroles des chansons, afin d'éviter que des messages à caractère violent ou pornographique ne soient transmis aux enfants.

36. Le PRESIDENT demande si les objectifs en matière d'éducation définis àl'article 29 de la Convention font partie intégrante des "buts de l'éducation" en Jordanie cités au paragraphe 127 du rapport. L'alinéa e) du paragraphe 127 du rapport doit-il, par exemple, être interprété comme incitant les étudiants à garder un esprit ouvert sur les autres religions ?

37. M. KHASAWNEH (Jordanie) précise que la télévision jordanienne est subdivisée en deux chaînes : l'une émet exclusivement en arabe et l'autre offre des programmes en anglais et une heure et demie de programmes en français par jour. Pour les deux chaînes de télévision, la politique des autorités compétentes est de programmer des émissions portant sur les cultures étrangères, qu'elles soient musulmanes ou non. D'autre part, la presse quotidienne jordanienne comprend notamment un journal en anglais, "The Jordan Times", dans lequel paraissent de nombreux articles sur des cultures étrangères.

38. Enfin, des festivals de films étrangers sont organisés, principalement àAmman, en collaboration avec les divers centres culturels étrangers présents dans la capitale. Ces centres culturels offrent en outre des cours de langues étrangères à des tarifs abordables.

39. Par ailleurs, à la télévision jordanienne une section est chargée du contrôle des programmes, afin d'empêcher que des programmes malsains ou susceptibles d'avoir des conséquences négatives sur le public puissent être diffusés. A cet égard, la violence est considérée comme l'un des éléments qui pourraient avoir des conséquences négatives sur le public. Lorsqu'un programme comporte quelques rares scènes de violence, le public en est averti et les parents peuvent prendre les dispositions nécessaires pour empêcher leurs enfants de le suivre. En ce qui concerne la chanson, il convient de signaler que les textes violents ne font pas partie de la tradition musicale arabe. En revanche, s'agissant de la chanson anglaise, un service administratif est chargé d'empêcher que des chansons à caractère violent ne soient diffusées.

40. Il convient de souligner que, lors de la préparation du rapport, la délégation jordanienne a étudié les éléments les plus significatifs concernant la situation des droits de l'enfant dans le pays. C'est pourquoi, s'agissant de l'inscription des enfants à l'école, il a été surtout question de la majorité musulmane et de la minorité chrétienne. Les autres groupes qui peuvent exister en Jordanie sont très minoritaires, mais la délégation jordanienne ne pensait pas que leur situation pouvait poser un problème. La question de Mme Santos Pais sera par conséquent transmise aux autorités compétentes et une réponse y sera apportée ultérieurement.

41. Le PRESIDENT estime que permettre aux enfants d'avoir connaissance des cultures étrangères tout en les protégeant de l'influence négative des médias étrangers constitue une question très complexe. Il appelle ensuite l'attention sur la section "Mesures spéciales de protection de l'enfance" de la liste CRC/C.6/WP.4.

42. Mme SANTOS PAIS rappelle que, outre les réfugiés palestiniens, divers groupes de population, originaires d'Iraq ou de Somalie par exemple, sont actuellement réfugiés en Jordanie. Le fait qu'ils ne soient pas officiellement reconnus comme réfugiés et que la Jordanie n'ait pas encore adhéré à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés ou au Protocole de 1967 relatif au statut des réfugiés est préoccupant. Dans quelle mesure les enfants de ces réfugiés jouissent-ils des droits garantis par la Convention ? La Jordanie a-t-elle l'intention d'adhérer aux deux instruments internationaux susmentionnés ?

43. M. EL RASHDAN (Jordanie) souligne que le Gouvernement jordanien étudie actuellement la possibilité d'adhérer à la Convention de 1951 et au Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés. Il convient de préciser que les Palestiniens qui sont arrivés en Jordanie à la suite de la guerre du Golfe sont essentiellement des citoyens jordaniens qui sont revenus dans leur pays. Ils ne sont dès lors pas considérés comme des réfugiés. Par ailleurs, les réfugiés en provenance de l'Iraq et de la Somalie ne sont pas réellement considérés comme des réfugiés en Jordanie, mais ils y résident. Certains groupes sont considérés comme des hôtes du Gouvernement jordanien et bénéficient des services de santé et de logement et de la possibilité de poursuivre leurs études et d'apprendre l'arabe. Dès que les problèmes qui sévissent dans leur pays seront résolus ces personnes pourront y retourner.

44. Le PRESIDENT se félicite que le gouvernement étudie la possibilité d'adhérer aux deux instruments internationaux relatifs au statut des réfugiés. Par ailleurs, on ne peut que louer l'hospitalité du Gouvernement jordanien envers certains groupes de personnes qui ont fui leur pays, mais peut-être ces personnes souhaiteraient-elles voir leur situation régularisée.

45. Mme SANTOS PAIS rappelle que les enfants de réfugiés, quel que soit leur statut juridique, doivent pouvoir jouir de tous les droits dont jouissent les autres enfants qui relèvent de la juridiction jordanienne.

46. M. KOLOSOV croit comprendre que le statut de réfugié est un statut de facto en Jordanie. Il semble en effet qu'il n'existe pas de législation nationale sur le statut de réfugié. Cela rend la situation très aléatoire et, si le gouvernement actuel considère certaines personnes comme des hôtes de la Jordanie, qui peut dire quelle sera l'attitude d'un prochain gouvernement ?

47. M. EL RASHDAN (Jordanie) reconnaît que le statut de réfugié est en réalité un statut de facto. C'est pourquoi, le gouvernement étudie actuellement la possibilité d'adhérer aux deux instruments internationaux relatifs au statut des réfugiés.

48. Mme SANTOS PAIS rappelle que, concernant la torture, le paragraphe 52 du rapport de la Jordanie CRC/C/8/Add.4 indique que "quiconque soumet une personne à une forme quelconque de violence ou de coercition interdite par la loi en vue d'en obtenir l'aveu d'un crime ou des informations connexes" est punissable. Cette phrase pourrait être interprétée en laissant penser que la torture n'est punissable que lorsqu'il s'agit d'obtenir des informations. Mme Santos Pais est certaine que tel n'est pas le cas, mais souhaite une confirmation en la matière de la part de la délégation jordanienne. Par ailleurs, le rapport initial de la Jordanie indique qu'aucune action pénale ne sera engagée contre une personne qui était âgée de moins de sept ans au moment des faits. Dans le même temps, le rapport précise que l'âge de la responsabilité pénale est de 18 ans. Quelles sont les actions qui peuvent être engagées contre un enfant de plus de sept ans mais moins de 18 ans ? Le rapport fait en outre référence au "mauvais caractère" de certains enfants qui ne seraient dès lors pas placés dans les mêmes centres que les autres enfants. Mme Santos Pais estime que l'utilisation de ce critère présente un certain danger de subjectivité. Ce danger existe également lorsqu'il s'agit de faire une différence entre les enfants capables de prendre conscience du fait qu'ils ont enfreint la loi et ceux qui en sont incapables. D'autre part, y a-t-il réellement une différence de traitement entre les enfants vagabonds ou susceptibles de tomber dans la délinquance et les enfants qui ont réellement enfreint la loi, à partir du moment où ils sont placés dans les mêmes centres ?

49. D'une manière générale, le Comité estime que l'âge de la responsabilité pénale ne doit pas être fixé trop bas. Un enfant trop jeune n'est en effet pas capable d'enfreindre la loi, puisqu'il ne sait même pas ce que cela signifie exactement.

50. Mlle MASON souhaite avoir des précisions sur la notion d'âge de discernement. Celui-ci est-il lié à l'état psychologique ou physique de l'enfant ?

51. Par ailleurs, à l'alinéa 2 iv) du paragraphe 142 du rapport, il est indiqué que "si, après avoir examiné les preuves à charge, la cour estime nécessaire de poursuivre l'action pénale," elle fournit une assistance aux mineurs. Un enfant n'a-t-il droit à une assistance juridique qu'à ce stade de la procédure ? Dans l'affirmative, cette mesure n'est-elle pas en contradiction avec la Convention ?

52. M. EL RASHDAN (Jordanie) rappelle qu'aux termes du Code pénal et de la loi sur les mineurs, aucune action pénale ne peut être engagée contre un mineur de sept ans et que toute personne âgée de moins de 12 ans sera considérée comme pénalement irresponsable à moins qu'il ne soit établi qu'au moment des faits elle était capable de discernement (voir le paragraphe 156 du rapport). Dans la pratique, les tribunaux tiennent dûment compte de la capacité de discernement d'un enfant qui a commis un délit et de son aptitude à comprendre les conséquences de ses actes. Lorsque des mineurs délinquants sont placés dans la même maison de redressement que des mineurs exposés aux dangers de la délinquance ou du vagabondage, on veille à ce que les premiers n'aient pas une influence néfaste sur les seconds. Par ailleurs, les délits commis par des mineurs ne sont pas inscrits à leur casier judiciaire. Enfin, M. El Rashdan rappelle qu'aucun mineur ne peut être condamné à la peine capitale.

53. Le PRESIDENT dit qu'en matière de délinquance juvénile l'âge ne devrait pas être un critère déterminant. Il faut en effet prendre en considération les circonstances dans lesquelles les délits sont commis, et notamment l'environnement social et familial. On peut par exemple se demander si les deux enfants de dix ans qui ont commis récemment un meurtre horrible àLiverpool étaient des criminels ou des victimes.

54. Mme SANTOS PAIS dit qu'en matière de justice pénale, il faut prendre garde de ne pas privilégier des critères relativement subjectifs, tels que la capacité de discernement ou le caractère, aux dépens des faits et des circonstances. Il faut avant tout prendre en considération les besoins et l'âge de l'enfant. Il serait bon également de ne pas appliquer le même traitement aux jeunes délinquants et aux jeunes qui sont seulement exposés aux dangers de la délinquance ou du vagabondage. A cet égard l'accent doit être mis sur l'importance des mesures préventives qui doivent être prises tant au niveau de la famille qu'au niveau des communautés locales.

55. Quel que soit l'âge minimum au-dessous duquel l'enfant est présumé n'avoir pas la capacité d'enfreindre la loi pénale, ce qui importe c'est de protéger l'enfant et notamment de veiller à ce qu'il bénéficie des garanties énoncées à l'article 40 de la Convention lorsqu'il est en conflit avec la loi. D'une manière générale, Mme Santos Pais souhaiterait que la Jordanie réexamine l'ensemble des dispositions législatives relatives à l'enfance à la lumière des principes énoncés dans la Convention.

56. Mlle MASON aimerait avoir des précisions sur l'exploitation sexuelle et les violences sexuelles dont sont victimes les enfants. Les autorités organisent-elles des campagnes de prévention ? Existe-t-il des données statistiques sur cette question, notamment en ce qui concerne le nombre d'enfants victimes et le nombre de poursuites engagées contre les auteurs de tels actes. Y a-t-il des cours d'éducation sexuelle à l'école et existe-t-il des programmes de sensibilisation des adultes à cette question ?

57. M. KOLOSOV aimerait savoir si des mesures sont prises pour organiser et réglementer le secteur informel. En effet, les enfants qui travaillent dans ce secteur souvent ne bénéficient d'aucune protection.

58. M. EL RASHDAN (Jordanie) dit que le secteur informel n'est pas encore réglementé mais fait l'objet d'un certain nombre de dispositions dans le projet de code du travail qui est en cours d'élaboration.

59. M. KHASAWNEH dit que les enfants jordaniens reçoivent une éducation sexuelle dans le cadre des cours d'initiation aux sciences au niveau primaire et dans le cadre des cours de biologie au niveau secondaire. Il ajoute que ces cours sont exactement les mêmes dans les établissements pour garçons et les établissements pour filles. Quant aux observations formulées par Mme Santos Pais à propos de la torture, elles seront dûment communiquées aux autorités jordaniennes.

60. Le PRESIDENT invite à présent les membres du Comité à formuler leurs observations finales.

61. M. KOLOSOV se félicite que la Jordanie envisage de modifier sa législation de sorte qu'elle soit pleinement compatible avec les dispositions de la Convention. Le rapport initial de la Jordanie contient de nombreuses informations sur les textes législatifs mais ne donne pas assez de détails sur les mesures administratives et autres qui sont prises pour donner effet à la Convention. M. Kolosov exprime l'espoir que la Jordanie appliquera la Convention No 138 de l'OIT, remédiera à l'apatridie des enfants dont la mère a épousé un étranger et régularisera la situation des enfants réfugiés.

62. Mme SANTOS PAIS se félicite de l'esprit d'ouverture qui a présidé aux débats, de l'abondance des informations fournies par la délégation jordanienne et de l'engagement qu'elle a pris de répondre ultérieurement aux questions qui sont restées sans réponse. Elle exprime l'espoir que la Jordanie continuera d'harmoniser sa législation avec les dispositions de la Convention. Cependant elle craint que l'existence de juridictions séparées pour les musulmans et pour les chrétiens ne porte atteinte au principe de non-discrimination, et que les enfants qui n'appartiennent à aucune de ces deux communautés religieuses ne soient laissés de côté.

63. Il convient par ailleurs d'encourager la Jordanie à réexaminer les réserves qu'elle a formulées à propos des articles 14, 20 et 21 de la Convention.

64. La création d'un organe qui serait chargé de surveiller l'application de toutes les dispositions de la Convention s'avérerait sans doute très utile.

65. Une large diffusion de la Convention, du rapport initial de la Jordanie et des comptes rendus des séances du Comité aiderait à surmonter les difficultés dues à certaines traditions. Il serait bon, par exemple, de faire figurer la Convention dans les programmes scolaires et de sensibiliser les personnes qui s'occupent d'enfants (enseignants, juges, policiers, etc.) aux droits des enfants et à la nécessité de respecter les principes généraux énoncés dans la Convention, notamment le principe de l'interdiction de toute discrimination fondée sur le sexe et le respect de l'intérêt supérieur de l'enfant et des vues exprimées par l'enfant. Il conviendrait également d'accorder davantage d'attention aux situations concrètes dans lesquelles les enfants peuvent exercer leurs droits civils.

66. L'étude sur les mauvais traitements qui va être menée pourrait l'être àla lumière de la Déclaration sur la violence contre les femmes adoptée à la dernière session de l'Assemblée générale de l'ONU. En ce qui concerne l'administration de la justice pour mineurs, les autorités jordaniennes pourraient s'inspirer des principaux instruments élaborés par l'ONU en la matière, notamment des Règles de Beijing, des Règles minima des Nations Unies pour la protection des mineurs privés de liberté, des Principes directeurs des Nations Unies pour la prévention de la délinquance juvénile et bien sûr de la Convention relative aux droits de l'enfant.

67. S'agissant des réfugiés, il est encourageant que la Jordanie envisage de ratifier la Convention de 1951 ainsi que le Protocole de 1967. Il faut cependant espérer que la situation des enfants réfugiés sera rapidement régularisée.

68. Enfin, en ce qui concerne le travail et l'emploi, la Jordanie devrait tenir pleinement compte non seulement de la Convention No 138 de l'OIT mais aussi de l'article 32 de la Convention.

69. Mme EUFEMIO remercie la délégation jordanienne pour les réponses qu'elle a fournies au Comité. Elle aurait cependant souhaité disposer de plus de données statistiques afin d'avoir une idée plus précise de la situation des enfants notamment en ce qui concerne les droits civils, les violences sexuelles, les enfants privés d'environnement familial et la délinquance juvénile. Des recherches devraient être menées pour obtenir des données dans ce domaine afin de pouvoir prendre des mesures appropriées et de mesurer le degré d'application des dispositions de la Convention.

70. M. MOMBESHORA remercie la délégation jordanienne d'avoir répondu avec beaucoup de franchise à des questions parfois difficiles. Si l'on met en parallèle, d'une part la Chari'a, qui donne lieu à des interprétations assez variées, selon les pays, et d'autre part la Convention, on s'aperçoit qu'en fin de compte il existe de nombreuses correspondances entre ces deux textes. Par ailleurs, force est de constater que la loi consacre une certaine discrimination à l'égard des filles.

71. Mlle MASON remercie la délégation jordanienne pour la richesse des informations qu'elle a fournies au Comité. Elle regrette cependant que, faute de temps, certaines questions soient restées sans réponse. Elle regrette que l'absence de données statistiques précises n'ait pas permis au Comité d'évaluer avec précision la situation des enfants. Aussi suggère-t-elle que pendant les cinq années à venir le Comité reste en contact avec les autorités jordaniennes afin de pouvoir évaluer les progrès réalisés dans l'application de la Convention.

72. Il serait souhaitable que des modifications continuent d'être apportées àcertaines dispositions législatives, notamment celles concernant les non-musulmans. Enfin, Mlle Mason souhaiterait que les autorités jordaniennes organisent une vaste campagne d'information afin de lutter contre le phénomène des femmes battues et créent un organe indépendant qui serait chargé de veiller à l'application de la Convention.

73. Le PRESIDENT salue l'ouverture d'esprit et le sens du dialogue de la délégation jordanienne et salue les efforts faits par les autorités jordaniennes pour améliorer la situation des enfants, notamment en modifiant sa législation et en mettant l'accent sur la formation.

74. M. KHASAWNEH se félicite de l'atmosphère positive dans laquelle s'est déroulé le dialogue avec le Comité, qui a dûment tenu compte de la spécificité culturelle de la Jordanie. Ce pays met tout en oeuvre pour garantir les droits de l'homme et les droits des enfants qui sont énoncés dans les instruments auxquels elle est partie.

75. L'absence de données statistiques dans certains domaines est due àl'arrivée d'un grand nombre de réfugiés à la suite de la crise du Koweït. Il faudra un certain temps pour réorganiser le système de collecte de données statistiques.

76. Pour conclure, M. Khasawneh assure le Comité que son pays souhaite vivement poursuivre le dialogue fructueux qui s'est engagé.

La séance est levée à 13 h 10.

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