Distr.

GENERALE

CCPR/C/SR.1712
18 décembre 1998


Original: FRANCAIS
Compte rendu analytique de la 1712ème séance : Libyan Arab Jamahiriya. 18/12/98.
CCPR/C/SR.1712. (Summary Record)

Convention Abbreviation: CCPR

COMITÉ DES DROITS DE L'HOMME


Soixante-quatrième session


COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 1712ème SÉANCE


tenue au Palais des Nations, à Genève, le mardi 27 octobre 1998, à 10 heures


Présidence : Mme CHANET

puis : M. EL SHAFEI

puis : Mme CHANET



SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L'ARTICLE 40 DU PACTE (suite)


La séance est ouverte à 10 h 15.

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L'ARTICLE 40 DU PACTE (point 4 de l'ordre du jour) (suite)

Troisième rapport périodique de la Jamahiriya arabe libyenne (CCPR/C/102/Add.1; CCPR/C/64/Q/LIB/1)

1. Sur l'invitation de la Présidente, M. Hafyana, M. Tleba, Mme Al-Hajjaji et Mme Shaweish (Jamahiriya arabe libyenne) prennent place à la table du Comité.

2. La PRÉSIDENTE souhaite la bienvenue à la délégation libyenne et l'invite à présenter le troisième rapport périodique de la Jamahiriya arabe libyenne (CCPR/C/102/Add.1) qui a été distribué en anglais seulement.

3. M. HAFYANA (Jamahiriya arabe libyenne) rappelle les grandes lignes de l'introduction et de la conclusion du rapport, qui font respectivement l'objet des paragraphes 3 et 4, et 371 à 378.

4. La PRÉSIDENTE invite ensuite la délégation libyenne à répondre aux questions posées dans la Liste des points à traiter (CCPR/C/64/Q/LIB/1).

5. M. HAFYANA (Jamahiriya arabe libyenne), répondant aux questions faisant l'objet du point 1 a), indique que le projet de constitution a été soumis aux congrès populaires, lesquels ont formulé des recommandations visant à renforcer les garanties qui y sont énoncées. De nombreux juristes et universitaires ont été associés au débat, et le texte a été ensuite présenté au Congrès populaire général (parlement). Une commission composée du ministre de la justice, du secrétaire général du Congrès populaire général, du président de la Cour suprême et d'autres éminents experts mettent actuellement au point la version définitive du projet, qui sera ensuite adopté selon la procédure établie. En ce qui concerne la Cour suprême, M. Hafyana rappelle ce qui est dit au paragraphe 26 du rapport (CCPR/C/102/Add.1).

6. Répondant sur le point 1 b), M. Hafyana indique que le Grand document vert sur les droits de l'homme à l'ère des masses est un texte juridique dont les dispositions sont contraignantes et ont la même autorité que celles du Pacte dans la hiérarchie des lois libyennes. Tous les textes législatifs doivent s'en inspirer et y être conformes, faute de quoi ils sont considérés comme nuls. En outre, les tribunaux sont tenus d'en appliquer les dispositions.

7. En réponse à la question posée au point 1 c), M. Hafyana dit qu'il ne dispose pas d'exemples précis mais il assure le Comité que rien ne s'oppose à l'invocation des dispositions du Pacte devant les tribunaux libyens. Il rappelle à cet égard ce qui est dit dans les paragraphes 31, 32, 34 et 51 du rapport (CCPR/C/102/Add.1).

8. M. Hafyana pense avoir répondu en partie à la demande formulée dans le point 1 d) au titre de la question précédente, et ajoute que la Cour suprême est l'instance compétente pour régler tout conflit entre les textes, de même que les conflits de compétence entre les organes judiciaires. Il précise néanmoins qu'il n'y a pas eu jusqu'ici de cas de conflit entre les dispositions du Pacte et le droit interne.

9. Répondant aux questions posées au point 2 a), M. Hafyana indique qu'il y a bien eu des plaintes faisant état de détentions arbitraires ou de mauvais traitements dans le cadre d'enquêtes du ministère public. Ces plaintes ont cependant été dûment traitées, et les responsables de ces actes ont été punis et placés en détention. En ce qui concerne les plaintes pour exécution extrajudiciaire, aucune plainte de ce type n'a été enregistrée, ce qui s'explique par le fait qu'il n'y a tout simplement pas eu d'exécutions extrajudiciaires. Certaines ONG, notamment Amnesty International, ont prétendu que certaines personnes avaient été victimes d'une forme d'exécution extrajudiciaire à la suite d'une révolte conduite par des unités de l'armée à Bani Walid, mais ces allégations sont sans fondement. L'enquête sur les incidents en question a été conduite dans le plein respect du droit, et l'affaire a été ensuite jugée par le tribunal compétent, qui a rendu une décision conforme à la loi.

10. Revenant sur un cas qui avait préoccupé le Comité lors de l'examen du deuxième rapport périodique de la Jamahiriya arabe libyenne (CCPR/C/28/Add.16) à savoir celui des membres d'un groupe militaire qui avaient été accusés de porter atteinte à la sécurité du régime, M. Hafyana indique que les personnes concernées ont été dûment jugées par un tribunal militaire, et elles ont bénéficié de toutes les garanties prévues en matière d'appel, y compris le pourvoi en cassation devant la Cour suprême. Il fait par ailleurs observer que, dans cette affaire, les autorités libyennes s'en sont tenues au principe universellement reconnu selon lequel nul n'a le droit d'attenter à la sûreté de l'État et de chercher à renverser l'ordre établi.

11. Répondant aux questions posées au point 2 b), M. Hafyana indique que tout citoyen qui se déclare victime de torture ou de mauvais traitements peut saisir les tribunaux et demander éventuellement une indemnisation conformément à la loi. Il cite l'exemple d'un citoyen libyen qui s'était plaint de tortures devant un tribunal civil, et a obtenu 600 dollars d'indemnisation. En ce qui concerne la peine capitale (point 2 c) de la liste), les crimes qui emportent cette peine sont énoncés dans la loi et relèvent de trois grandes catégories : les atteintes à la sécurité de l'État, les actes de destruction ou de sabotage des installations et équipements publics ainsi que le meurtre. Sont ainsi passibles de la peine capitale diverses infractions comme le meurtre d'un membre des forces armées, l'absence de résistance face à une puissance étrangère qui agresserait la Jamahiriya arabe libyenne, le fait de recevoir des fonds de l'étranger destinés à nuire aux intérêts du pays, le complot avec un soutien de l'étranger ou la complicité dans un complot fomenté par une puissance étrangère, le fait de donner accès à des installations stratégiques du pays (ports, aéroports, usines d'armement, etc.) à des forces étrangères, l'espionnage et l'incitation à la désobéissance des militaires en temps de guerre, la divulgation de secrets d'État, l'utilisation d'explosifs pour assassiner un homme politique ou pour renverser l'ordre établi, etc. Par ailleurs, la législation sur la peine de mort punit aujourd'hui également certains crimes économiques visant le secteur de l'industrie pétrolière qui constitue une source de revenus vitale pour le pays. Cependant, les seuls délits économiques susceptibles d'entraîner la peine de mort sont la destruction ou le sabotage des installations pétrolières ou des équipements produisant des biens de consommation. À ce sujet, M. Hafyana ne dispose pas de statistiques relatives aux condamnations à la peine capitale, mais il fera parvenir au Comité un complément de réponse par écrit sur ce point. En ce qui concerne la procédure d'amnistie, chaque année un certain nombre de condamnés en bénéficient et, là encore, la délégation libyenne fournira ultérieurement par écrit des renseignements plus précis. Plus généralement, M. Hafyana indique que les autorités libyennes partent du principe que la peine capitale ne doit être appliquée que pour les crimes les plus graves et dans les cas où la vie de l'auteur du délit pourrait mettre en danger ou corrompre la société, comme il est dit au paragraphe 132 a) du rapport. Cela étant, la législation libyenne est conforme à l'article 6 du Pacte et, en tout état de cause, cette peine n'est appliquée qu'une fois tous les recours internes épuisés, y compris le pourvoi en cassation devant la Cour suprême, et dans le plein respect des dispositions en vigueur. M. Hafyana précise également que, pour certains crimes de sang, la famille de la victime peut renoncer à son droit d'exiger l'application stricte de la loi et demander une indemnisation financière.

12. Répondant sur le point 2 e), M. Hafyana appelle l'attention du Comité sur les différences culturelles, religieuses et autres qui font qu'une pratique tolérée dans une société peut être interdite dans une autre dont les valeurs sont différentes. Ainsi, la consommation d'alcool est réprimée dans la Jamahiriya arabe libyenne car elle est interdite dans le Coran. Elle est punissable de flagellation, mais la mesure a essentiellement un caractère dissuasif : elle vise à prévenir la récidive de l'intéressé, d'une part, et l'alcoolisme dans la société en général, d'autre part. En cas de consommation d'alcool en public, la loi doit être appliquée, mais M. Hafyana précise que la flagellation n'est pas une peine aussi cruelle qu'on pourrait le penser.

13. M. El Shafei prend la présidence.

14. Répondant à la question No 3 relative à l'arrestation et à la détention arbitraires de suspects (art. 9), M. Hafyana dit que s'il est prouvé qu'une détention est arbitraire, une enquête est immédiatement ouverte et l'intéressé est libéré, puis indemnisé. En revanche, parler de "procès inéquitables" est inconcevable, étant donné que les enquêtes sont menées par les instances compétentes et que l'audience a lieu en public et en présence d'avocats. Par ailleurs, les conditions de la détention provisoire sont régies par le Code de procédure pénale. Des délais stricts sont prévus et tout dépassement de ceux-ci rend illégale la détention. Les personnes en détention provisoire sont convenablement traitées, conformément aux dispositions du Pacte. La détention au secret est limitée strictement à la durée de l'instruction et est liée à la nature du délit et au souci d'empêcher une éventuelle destruction des éléments de preuves.

15. S'agissant des conditions de détention (art. 10), M. Hafyana précise qu'en Jamahiriya arabe libyenne on ne parle pas de prisons mais d'institutions de réhabilitation, l'objectif ultime n'étant pas la répression. Une commission composée de représentants des Ministères de l'intérieur et de la justice a été constituée et chargée de résoudre les problèmes de surpopulation carcérale. Les membres du Comité doivent prendre conscience du fait que les frontières libyennes, très étendues, sont ouvertes à tous les Africains, qui jouissent d'une liberté de circulation totale. L'une des conséquences de cette situation est l'existence d'un trafic de drogue, de devises et d'armes, qui fait peser un lourd fardeau sur la Jamahiriya arabe libyenne. En tout état de cause, les détenus ont des droits, qui sont énoncés en termes clairs tant dans le Code pénal que dans la loi sur le renforcement des libertés. Ils ont la possibilité de déposer des plaintes, qui sont transmises aux services du Procureur général.

16. Mme Chanet reprend la présidence.

17. Répondant à la question No 5 relative à l'indépendance du pouvoir judiciaire (art. 14), M. Hafyana dit que la Grande Charte verte des droits de l'homme et la Constitution stipulent que les juges sont indépendants et n'obéissent qu'à leur seule conscience. La nomination des juges relève du Conseil supérieur de la magistrature, dont la décision est confirmée par le Ministre de la justice. Il existe une inspection de la magistrature, qui est présidée par un juge de la Cour suprême et dont sont membres les présidents des cours d'appel et de cassation ainsi que des tribunaux de première instance. Les particuliers peuvent porter plainte pour mauvais fonctionnement de la justice auprès d'un organisme spécialement créé à cet effet. Les mesures disciplinaires contre les juges sont prises par un organe indépendant et aucun magistrat ne peut être relevé de ses fonctions pour des faits liés à l'exercice de son mandat. Les magistrats eux-mêmes ont la possibilité de porter plainte directement auprès de la Cour suprême au sujet de tout abus de pouvoir. Ils relèvent d'un cadre administratif et financier différent de celui des autres corps de l'administration et divers avantages (moyens de transport, salaire conséquent) leur sont accordés, de manière à garantir leur indépendance.

18. En ce qui concerne les avocats, il existe une loi qui fixe les pouvoirs et les devoirs des membres du barreau. Les avocats constituent, après les juges et les procureurs, le troisième pilier du pouvoir judiciaire et appartiennent à une profession libérale pleinement indépendante vis-à-vis de l'État et les cabinets privés d'avocats sont parfaitement reconnus par la loi. Il reste néanmoins que les justiciables ont le choix entre les services gratuits des avocats de la fonction publique et ceux des avocats privés, dont le coût peut être prohibitif.

19. S'agissant de la portée et de l'application de la loi connue sous le nom de "Charte d'honneur", M. Hafyana dit que ce texte, établi par les congrès généraux du peuple, a fait l'objet de nombreuses critiques de la part des médias et des ONG. Ces critiques s'expliquent peut-être par le manque d'information sur cette question, ou encore par le parti pris de certains médias. Néanmoins, selon le principe de l'autogestion sur lequel repose la Jamahiriya, la "Charte d'honneur" permet à tous les citoyens libyens de réfléchir ensemble aux problèmes auxquels la société libyenne est confrontée et d'y faire face. Basée sur l'essence même de la société libyenne, elle s'inspire de la Grande Charte verte des droits de l'homme et de la loi sur le renforcement des libertés. Mais cette loi n'autorise aucunement les châtiments collectifs, quels qu'ils soient.

20. Répondant à la question 5 d), M. Hafyana indique que les aveux ou témoignages obtenus sous la contrainte n'ont aucune valeur et ne peuvent donc être utilisés dans les procédures judiciaires.

21. Mme AL-HAJJAJI (Jamahiriya arabe libyenne), répondant à la question No 6 relative à l'égalité entre hommes et femmes (art. 3 et 26), dit que la Grande Charte verte des droits de l'homme stipule que tous sont égaux en droits et que la discrimination fondée sur le sexe est considérée comme une injustice flagrante. Le mariage est un partenariat au sein duquel les conjoints sont égaux et nul ne peut être entraîné dans un mariage contre sa volonté. Non seulement le mariage n'est possible qu'avec le consentement de la femme, mais en outre celle-ci peut choisir son époux en dehors de la volonté de ses parents ou de son tuteur légal. La loi interdit à l'homme d'épouser une deuxième femme sans le consentement de la première. L'article 26 de la loi sur le renforcement des libertés stipule qu'en cas de divorce, la garde des enfants revient à la femme, qui a le droit de continuer de résider dans la maison conjugale tant que dure cette garde. Si le divorce est prononcé aux torts du mari, la femme a tous les droits : pension alimentaire, compensation financière pour préjudice moral, garde des enfants et droit d'occuper la maison conjugale. La femme libyenne a le droit de posséder des biens et peut gérer librement son patrimoine. Quant à l'héritage, il a fait l'objet de nombreux débats, surtout dans les pays musulmans. En Jamahiriya arabe libyenne, on pense que tout débat constructif sur cette question doit reposer sur les principes suivants : connaissance approfondie des aspects moraux du Coran, compréhension de la situation sociale et politique du moment et prise en compte de l'influence de différentes civilisations et cultures aussi bien avant qu'après la naissance de l'islam. Il est vrai qu'un verset du Coran donne à la femme la moitié des droits dont jouit l'homme, mais ce verset a été révélé dans une société rétrograde qui n'accordait aucun droit de succession aux femmes. Or, le Coran dit aussi que l'homme a le droit de disposer de ses biens comme il l'entend, ce qui signifie qu'il peut léguer tous ses biens à ses filles et rien à ses fils. Toutefois, il convient de savoir que dans une société musulmane, les garçons assument des responsabilités auxquelles les filles ne sont pas tenues, notamment le devoir de subvenir aux besoins de la famille au cas où le père venait à mourir ou se trouvait dans l'incapacité de s'acquitter de cette fonction. On peut donc trouver logique que le garçon ait des droits de succession supérieurs à ceux de la fille.

22. Mme Al-Hajjaji dit que la législation libyenne garantit l'accès égal à l'éducation aux hommes et aux femmes. Le taux de scolarisation des filles a considérablement progressé au cours des vingt dernières années, passant, pour l'enseignement primaire, de 60,3 % en 1972-73 à 92,2 % en 1992-93. Sur la même période, la part relative des filles dans les effectifs scolaires est passée de 12,9 à 49,2 % dans l'enseignement secondaire, de 35 à 81 % dans les écoles de formation des instituteurs et de 11,3 à 48,5 % dans l'enseignement supérieur. Les filles ont accès à tous les établissements d'enseignement technique et professionnel et à toutes les universités, même si elles sont plus représentées dans certaines filières que dans d'autres. Le taux d'analphabétisme a également chuté au cours des vingt dernières années : alors qu'en 1973, 73 % des filles de 10 ans et plus étaient analphabètes, elles n'étaient plus que 33 % en 1992. Le processus d'alphabétisation a cependant plus profité aux hommes qu'aux femmes, puisque 68 % des personnes analphabètes étaient des femmes en 1973 et que ce chiffre était de 71 % en 1992.

23. Hommes et femmes peuvent, à égalité, participer à la vie politique du pays par l'intermédiaire des congrès populaires. En 1993, entre 30 et 40 % des membres et entre 30 et 35 % des participants aux séances de ces instances étaient des femmes. Au cours des dix dernières années, les femmes ont de plus en plus accédé à des postes de haute responsabilité. C'est ainsi que la Jamahiriya arabe libyenne a compté une ministre de l'enseignement, une ministre de l'information et une secrétaire adjointe du Congrès populaire général, et que plusieurs postes d'ambassadrices à l'étranger ont été occupés par des femmes. Une nette progression a aussi été enregistrée dans les vingt dernières années sur le plan de la participation des femmes à la vie économique, avec une multiplication par plus de trois du nombre de femmes parmi la population active. La participation des femmes augmente dans tous les secteurs, sauf dans le secteur primaire (agriculture, pêche, foresterie) où elle est en diminution constante, et ce en raison de l'élévation du niveau d'éducation des femmes. Alors qu'en 1973, le secteur primaire était le premier secteur employeur de femmes, cette place était occupée en 1992 par le secteur scientifique et technique, devant les services et la production, et le secteur primaire était relégué au troisième rang.

24. S'agissant des violences domestiques, Mme Al-Hajjaji précise qu'en Jamahiriya arabe libyenne, celles-ci s'entendent de toutes les violences commises au sein de la famille, que la victime soit de sexe masculin ou féminin, qu'il s'agisse d'un enfant ou d'un adulte. Le droit pénal sanctionne d'une année d'emprisonnement quiconque fait subir des violences morales ou physiques à toute personne qui est sous son autorité ou sous sa garde ou dont il a la responsabilité en matière d'éducation, de formation ou d'emploi. Cette peine est multipliée par 1,5 si les violences entraînent des séquelles physiques et mentales et est portée à 8 années d'emprisonnement au maximum si elles entraînent le décès de la victime. Les recours judiciaires offerts aux victimes sont les mêmes pour les hommes et les femmes.

25. M. HAFYANA (Jamahiriya arabe libyenne) dit que les citoyens libyens jouissent du droit de circuler librement à l'intérieur et à l'extérieur de leur pays en temps de paix et sont libres de quitter le pays ou d'y entrer. La Jamahiriya arabe libyenne est d'ailleurs l'un des rares pays à avoir supprimé l'obligation de demander un visa de sortie pour quitter le territoire national. Ses ressortissants peuvent ainsi quitter le territoire pour n'importe quelle destination dès lors qu'ils sont en possession d'un passeport valide et le droit d'avoir un passeport est accordé à tous. La femme jouit des mêmes droits que l'homme en la matière. Il est certes d'usage que certaines règles soient respectées au sein de la famille, mais cela tient à la nature des relations entre êtres humains et non à la législation. Si, en tant que mère et épouse, une femme estime qu'elle ne peut pas abandonner sa famille en partant seule à l'étranger, tout comme un employé estimerait ne pas pouvoir quitter le pays sans avoir obtenu une autorisation de congé, cela ne saurait en aucun cas être considéré comme une restriction à la liberté de circulation.

26. Concernant l'expulsion des étrangers, M. Hafyana souligne que l'immigration illégale fait peser un lourd fardeau sur la Jamahiriya arabe libyenne. Le pays a récemment conclu un accord avec le Tchad, le Niger, le Burkina Faso et le Mali, en vertu duquel la liberté de circulation, de travail et de résidence est accordée dans la Jamahiriya arabe libyenne aux ressortissants de ces États. Tous les Arabes entrant sur le territoire libyen ont par ailleurs les mêmes droits que les citoyens libyens eux-mêmes et peuvent demander la nationalité libyenne. Les services compétents pour accorder les visas peuvent procéder à une expulsion si l'étranger n'est pas en possession d'un visa ou si son visa n'est plus valide, si une décision d'expulsion a été rendue par un tribunal, ou si l'étranger a été condamné dans une affaire de moralité ou de conditions de séjour. La décision d'expulsion doit être confirmée par le Directeur général du service des passeports et elle peut, en tout état de cause, faire l'objet d'un recours, sauf impératifs contraires de sécurité nationale. L'expulsion n'est d'ailleurs ordonnée qu'après épuisement de toutes les voies de recours. La décision d'expulsion est une décision discrétionnaire. En effet, aussi légitime que soit la volonté énoncée dans le Pacte d'accorder des garanties aux étrangers, la Jamahiriya arabe libyenne considère que nul ne peut entraver la raison d'État ou le pouvoir discrétionnaire des juges.

27. La PRÉSIDENTE invite les membres du Comité qui le souhaitent à poser des questions complémentaires à la délégation libyenne.

28. M. EL SHAFEI constate que le rapport offre une bonne comparaison des dispositions du Pacte et des dispositions de la législation nationale, mais donne peu d'informations sur la réalisation effective des droits énoncés dans le Pacte. Il aimerait notamment avoir des précisions sur l'existence éventuelle, dans la pratique, de restrictions à la liberté d'expression (art. 19 du Pacte). D'autre part, il demande quelles conditions les citoyens doivent remplir pour être candidats aux congrès populaires, quelles mesures sont prises pour les inciter à participer à ces congrès et comment les candidats sont choisis (art. 25 du Pacte).

29. Par ailleurs, M. El Shafei aurait souhaité que le rapport fasse état des difficultés et des obstacles rencontrés concrètement dans l'exercice des droits et des libertés énoncés dans le Pacte. À cet égard, il y a lieu de souligner que les sanctions imposées à l'État partie depuis de nombreuses années en application des résolutions du Conseil de sécurité ont eu des incidences négatives sur l'exercice de l'ensemble des droits énoncés dans tous les instruments internationaux auxquels la Jamahiriya arabe libyenne est partie, notamment les droits économiques, sociaux et culturels et les droits des femmes et des enfants.

30. À propos de l'absence de dispositions équivalant à celles du Pacte dans la Constitution ou la législation libyenne, M. El Shafei fait observer que les instruments internationaux ratifiés par l'État partie sont d'application immédiate et qu'en conséquence il n'est pas nécessaire de prendre des mesures pour leur donner force de loi. Ainsi, les dispositions du Pacte pouvant être invoquées directement, devant les tribunaux notamment, la délégation libyenne pourrait peut-être donner des exemples précis illustrant les cas concrets dans lesquels des particuliers ont pu faire valoir leurs droits en vertu du Pacte devant les autorités libyennes. Par ailleurs, M. El Shafei constate, d'après le paragraphe 118 du rapport, que la Grande Charte verte des droits de l'homme stipule que "l'objectif de la société jamahiriyenne est d'abolir la peine capitale". Il demande en conséquence quelles mesures concrètes sont envisagées par les autorités pour atteindre cet objectif et, tant que la peine de mort continue à être appliquée, s'il est prévu de restreindre le nombre de crimes entraînant la peine capitale. Se référant en outre au paragraphe 129 du rapport, il demande quelles sont les modalités suivies, dans les cas de crimes de sang où les proches de la victime renoncent à réclamer la mort du coupable pour que la peine ne soit en conséquence pas appliquée. En outre, existe-t-il des textes de loi donnant la définition des crimes de sabotage et de subversion au sein de la société libyenne ? De même, M. El Shafei souhaiterait savoir s'il existe dans la législation libyenne des textes définissant avec précision le crime de torture, les indications données au paragraphe 135 c) du rapport lui paraissant insuffisantes à ce sujet. En outre, il souhaite savoir quels ont été les résultats de l'examen des plaintes pour actes de torture déposées contre des membres des forces de police.

31. Enfin, M. El Shafei souhaiterait obtenir des précisions sur la façon dont la législation relative au statut des étrangers est appliquée eu égard aux dispositions de l'article 13 du Pacte. Il demande également si la Jamahiriya arabe libyenne a désormais adhéré au Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

32. M. SCHEININ notant, à propos de l'égalité entre hommes et femmes, que la Jamahiriya arabe libyenne a émis une réserve générale à la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, se demande comment l'État partie peut en toute bonne foi affirmer qu'il applique pleinement les dispositions des articles 3 et 26 du Pacte garantissant le droit égal des hommes et des femmes de jouir de tous les droits civils et politiques et le droit à l'égalité de toutes les personnes devant la loi, sans discrimination fondée sur le sexe.

33. S'agissant des réponses données par la délégation à la question 2 de la Liste des points sur le droit à la vie, M. Scheinin relève que tout en ayant affirmé qu'aucune exécution extrajudiciaire n'avait eu lieu en Jamahiriya arabe libyenne, des cas ont été cités dans lesquels des détenus qui s'étaient évadés avaient été poursuivis et abattus et que des personnes en détention, aux mains des autorités carcérales, avaient été exécutées. De même, il a cru comprendre que les responsables des Coordinations des Congrès populaires étaient en droit d'exécuter quiconque refusait d'obéir aux ordres donnés par les autorités locales. Il se demande en conséquence s'il ne s'agit pas là précisément de cas d'exécution extrajudiciaire. En outre, la Jamahiriya arabe libyenne aurait été responsable d'assassinats commis à l'étranger, l'un à Londres en 1995 et l'autre à Malte en 1996. À cet égard, M. Scheinin se demande si l'État partie reconnaît sa responsabilité en vertu du Pacte à l'égard des actes commis par ses agents en territoire étranger. Par ailleurs, la délégation libyenne pourrait peut-être commenter les allégations d'Amnesty International selon lesquelles la torture, tant physique que psychologique, est largement pratiquée dans les prisons libyennes. En outre, l'État partie a-t-il envisagé d'abolir définitivement les châtiments corporels tels que la flagellation, ainsi que les châtiments collectifs tels que la prise en otage de membres des familles d'une personne condamnée, qui sont tous contraires à l'article 7 du Pacte ? Enfin, M. Scheinin demande à la délégation de fournir des explications sur les allégations selon lesquelles près d'une centaine de personnes seraient maintenues en détention sans jugement depuis plus de 15 ans et certaines autres seraient toujours maintenues en détention après avoir été acquittées par les tribunaux.

34. M. ZAKHIA exprime sa préoccupation à l'égard de la situation de la femme en Jamahiriya arabe libyenne. En effet, si le rapport expose de façon complète la législation applicable en matière d'égalité des sexes, il n'y est pas fait état des problèmes réels qui se posent sans nul doute dans l'application des textes. Ainsi, si une femme peut être répudiée par son mari pour raison de stérilité, qu'en est-il lorsque l'homme lui-même est stérile ? M. Zakhia demande en outre si une femme peut transmettre sa nationalité à ses enfants, à l'égal de l'homme. Il s'interroge également sur les éventuelles discriminations qui pourraient exister dans le Code pénal en matière d'adultère ou de crime d'honneur et se demande pour quelle raison seule la femme, et non pas le mari, doit obtenir une autorisation pour se déplacer.

35. M. KLEIN, se référant aux questions relatives au statut du Pacte, constate qu'il est dit notamment au paragraphe 31 du rapport que tout instrument international ratifié par l'État partie a force obligatoire et est applicable par l'appareil judiciaire du pays et, au paragraphe 33, qu'il n'existe pas d'incompatibilité entre les dispositions du Pacte et la législation libyenne. Il se félicite de ces affirmations, mais il se demande néanmoins si les particuliers ont connaissance de leurs droits en vertu du Pacte si les responsables de l'application des lois, les juges et les magistrats connaissent les dispositions du Pacte et si le texte du Pacte est aisément accessible à tous. Par ailleurs, le fait que "l'objectif de la société jamahiriyenne est d'abolir la peine capitale", comme il est dit au paragraphe 8 de la Grande Charte verte des droits de l'homme, est une affirmation insuffisante eu égard aux dispositions de l'article 6 du Pacte et, à ce sujet, il serait bon que la délégation fournisse au Comité une liste des crimes entraînant la peine capitale. En outre, M. Klein se demande si les châtiments corporels cruels tels que la flagellation et l'amputation, qui sont toujours prévus dans la législation libyenne, peuvent véritablement être justifiés par la différence culturelle, comme l'a indiqué la délégation libyenne. En effet, le fondement même de la Déclaration universelle des droits de l'homme et du Pacte lui-même est le respect de la dignité humaine, qui est manifestement bafoué par de tels modes de châtiment.

36. Lord COLVILLE, abordant la question de la détention avant jugement, rappelle que cette question avait été soulevée lors de l'examen du deuxième rapport périodique de l'État partie. Or aucune précision n'est apportée dans le troisième rapport périodique et aucune réponse n'a été donnée oralement par la délégation libyenne. Lord Colville pose en conséquence de nouveau la question de savoir quelles sont les raisons pour lesquelles un délai de 15 jours peut intervenir avant qu'une personne arrêtée ne soit traduite devant un tribunal. En outre, il s'inquiète des dispositions des articles 122 et 123 du Code de procédure pénale qui, comme il ressort du paragraphe 170 du rapport, prévoient que la détention avant jugement peut être prolongée pratiquement indéfiniment. Enfin, il souhaite savoir si le texte des décisions de la Cour suprême donnant force de loi aux dispositions du Pacte sont disponibles pour consultation.

37. Mme EVATT se félicite de la présentation dans les délais prévus du rapport de l'État partie, mais regrette que celui-ci ne contienne aucune réponse aux préoccupations exprimées par les membres du Comité lors de l'examen du deuxième rapport périodique. Elle regrette également qu'aucune organisation non gouvernementale n'ait été en mesure de donner une analyse critique de la situation des droits de l'homme en Jamahiriya arabe libyenne. Elle partage les préoccupations exprimées par les membres du Comité concernant le maintien de la peine capitale, la pratique de la torture et l'imposition de châtiments corporels cruels, toutes pratiques qui sont manifestement contraires aux dispositions du Pacte. Pour sa part, elle souhaiterait des éclaircissements sur les questions controversées auxquelles il est fait allusion au paragraphe 73 a) du rapport. Elle partage également les préoccupations exprimées par M. Scheinin à propos de la réserve générale formulée à l'égard de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes et constate à ce sujet que les femmes en Jamahiriya arabe libyenne sont toujours victimes d'inégalités flagrantes en matière, notamment, d'héritage et de mariage. Ainsi, l'institution de la polygamie est loin d'être conforme aux principes énoncés dans le Pacte concernant le partenariat égalitaire entre l'homme et la femme. En outre, Mme Evatt se demande s'il est encore vrai qu'un homme responsable du viol d'une femme peut échapper à toute sanction s'il épouse sa victime, si l'avortement est interdit à une femme victime de viol, si la femme doit toujours obtenir l'autorisation de son mari pour employer des moyens contraceptifs et si les mutilations sexuelles sont toujours pratiquées sur les femmes.

38. M. POCAR souhaite, lui aussi, obtenir des éclaircissements sur la place respective de la Grande Charte verte des droits de l'homme et du Pacte dans la législation interne libyenne, compte tenu des disparités qui existent dans les dispositions de ces deux instruments. Il s'associe également aux préoccupations exprimées à propos des châtiments corporels cruels et de la durée apparemment extrêmement longue de la détention avant jugement. Il souhaite, pour sa part, un complément d'information sur l'organisation de l'appareil judiciaire. Il souhaite savoir notamment s'il existe des tribunaux spéciaux et, dans l'affirmative, quelle est l'étendue de leur juridiction. Enfin, il demande à qui appartient la décision de refuser la délivrance d'un passeport pour des raisons de sécurité ou de protection de l'intérêt national, comme il est prévu dans la législation libyenne.


La séance est levée à 13 heures.

©1996-2001
Office of the United Nations High Commissioner for Human Rights
Geneva, Switzerland