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et politiques

 

 

 

 

 

                                                                                                   Distr.

                                                                                                   GENERALE

 

                                                                                                   CCPR/C/SR.1376

                                                                                                   14 novembre 1994

 

                                                                                                   Original : FRANCAIS

 

 

 

COMITE DES DROITS DE L'HOMME

 

Cinquante-deuxième session

 

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 1376ème SEANCE

 

tenue au Palais des Nations, à Genève,

le vendredi 28 octobre 1994, à 10 heures.

 

Président : M. ANDO

 

 

SOMMAIRE

 

 

Examen des rapports présentés par les Etats parties conformément à l'article 40 du Pacte (suite)

 

          Deuxième rapport périodique de la Jamahiriya arabe libyenne (suite)

 

 

 

 

__________

 

          Le présent compte rendu est sujet à rectifications.

 

          Les rectifications doivent être rédigées dans l'une des langues de travail. Elles doivent être présentées dans un mémorandum et être également portées sur un exemplaire du compte rendu. Il convient de les adresser, une semaine au plus tard à compter de la date du présent document, à la Section d'édition des documents officiels, bureau E.4108, Palais des Nations, Genève.

 

          Les rectifications aux comptes rendus des séances publiques de la présente session seront groupées dans un rectificatif unique qui sera publié peu après la clôture de la session.

 

GE.94-19738 (F)

 


La séance est ouverte à 10 h 25.

 

EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES CONFORMEMENT A L'ARTICLE 40 DU PACTE (point 4 de l'ordre du jour) (suite)

 

Deuxième rapport périodique de la Jamahiriya arabe libyenne (CCPR/C/28/Add.16; M/CCPR/93/54) (suite)

 

1.       Sur l'invitation du Président, MM. Hafyana, El Zahrah et Al Jnuli, Mme Markhus, M. Abuzenen et Mme El Hajjaji (Jamahiriya arabe libyenne) prennent place à la table du Comité.

 

2.       Le PRESIDENT souhaite la bienvenue à la délégation libyenne. Il annonce que le Comité reprend l'examen du deuxième rapport périodique de la Jamahiriya arabe libyenne (CCPR/C/28/Add.16) qu'il avait commencé à sa quarante-neuvième session. Au cours de ladite session, la délégation libyenne avait répondu aux questions écrites des sections I et II de la Liste des points à traiter (M/CCPR/93/54), ainsi qu'aux questions orales portant sur la section I. En ce qui concerne la section II, un certain nombre de questions complémentaires posées oralement par des membres du Comité étaient restées sans réponse, la délégation libyenne ayant demandé un délai pour pouvoir en traiter plus complètement. Depuis, les autorités libyennes ont rédigé un document dans lequel elles répondent aux questions écrites de toutes les sections de la Liste, ainsi qu'aux questions complémentaires posées oralement à propos des sections I et II. Malheureusement, ce document est actuellement en cours de traduction et n'a donc pas pu être remis aux membres du Comité. Une fois traduit dans toutes les langues de travail, il sera distribué comme document officiel du Comité. Le Président donne ensuite la parole à la délégation libyenne.

 

3.       Mme EL HAJJAJI (Jamahiriya arabe libyenne) déclare que la délégation libyenne a réuni les informations nécessaires à la poursuite d'un dialogue utile avec le Comité, et a remis au secrétariat un document dans lequel il est répondu à toutes les questions qui ont été posées, qu'elles l'aient été par écrit ou oralement. En outre, le Comité notera la composition de la délégation libyenne, qui montre l'importance que les autorités nationales attachent au respect des dispositions du Pacte, à l'établissement des rapports et aux travaux du Comité. Mme El Hajjaji rappelle que son pays a adhéré au Pacte en 1976, et au Protocole facultatif en 1989. Depuis lors, diverses mesures ont été prises pour promouvoir les libertés et droits fondamentaux. Parmi ces mesures, on peut relever la libération de prisonniers et l'adoption du Grand document vert sur les droits de l'homme.

 

4.       Mme El Hajjaji conclut en regrettant le fait que le document de réponse aux questions des membres du Comité ne soit pas encore disponible dans toutes les langues de travail de ce dernier, ce qui ne saurait manquer d'entraver le bon déroulement de l'examen du rapport (CCPR/C/28/Add.16).

 

5.       M. HAFYANA (Jamahiriya arabe libyenne) espère que le dialogue qui reprend avec le Comité permettra de lever toutes les ambiguïtés qui étaient à l'origine des questions posées à la délégation lors de la quarante-neuvième session. Le fait que les membres du Comité n'aient pas pu prendre connaissance du document dans lequel il est répondu à leurs questions rend plus difficile la tâche aussi bien du Comité que de la délégation libyenne.

 

6.       M. Hafyana souligne que le document répond très précisément à chacune des questions de la Liste des points à traiter et il ajoute, en ce qui concerne celles de l'alinéa e) de la section II, que les tribunaux libyens ne peuvent prendre en considération des aveux obtenus sous la contrainte. Il indique en outre que la loi régissant le système pénitentiaire renferme le texte de l'Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus. Ces règles sont d'ailleurs enseignées dans les écoles de police.

 

7.       En ce qui concerne la section IV de la Liste, le document fait ressortir que chacun jouit du droit à la sécurité de sa personne en Libye. De plus, il n'existe pas de discrimination fondée sur la religion, l'appartenance ethnique, l'origine sociale, l'opinion politique ou la fortune. A propos de l'alinéa c) de la même section, M. Hafyana précise que les femmes participent à la vie publique et à la défense des intérêts de la nation. On trouve des femmes parmi les avocats, les ingénieurs, les membres de la hiérarchie militaire, le corps diplomatique et les ministres.

 

8.       M. Hafyana conclut en disant qu'il n'existe pas de minorité linguistique ou religieuse dans son pays.

 

9.       Le PRESIDENT invite les membres du Comité à poser oralement leurs questions.

 

10.     M. EL SHAFEI se félicite de la reprise du dialogue avec les représentants des autorités libyennes, dont la volonté de respecter les engagements pris en faveur des libertés et droits fondamentaux est attestée par l'adhésion au Pacte et au Protocole facultatif, ainsi que par le haut niveau de la délégation présente à Genève. La Jamahiriya arabe libyenne ayant choisi un système politique, économique et social d'un caractère particulier, qui n'est guère répandu dans le monde, il est particulièrement intéressant d'étudier dans le détail la façon dont le Pacte est appliqué dans ce pays. Ses propres questions portant sur les chapitres III et IV de la Liste, M. El Shafei se propose de les poser ultérieurement.

 

11.     M. LALLAH déplore que les membres du Comité ne disposent pas du document auquel a fait allusion la délégation libyenne, car il comporte à l'évidence des renseignements qui seraient précieux pour poursuivre le dialogue sur l'ensemble des points évoqués dans la Liste. Compte tenu de cette difficulté, la délégation libyenne serait-elle assez aimable pour résumer oralement, point par point, les réponses qu'elle a fournies dans le document en question ?

 

12.     M. POCAR rappelle qu'à la quarante-neuvième session, des membres du Comité avaient posé oralement à propos de la section II de la Liste des questions auxquelles la délégation libyenne n'avait pas été en mesure de répondre. Il serait donc reconnaissant à la délégation libyenne de bien vouloir résumer oralement les réponses à ces questions précises qui figurent dans le document en cours de traduction.

 

13.     Mme EVATT s'associe à la demande de M. Pocar et ajoute qu'au moins deux questions de la section II de la Liste, celles qui figurent dans les alinéas a) et c), n'avaient pas reçu d'éléments de réponse lors du précédent dialogue. Mme Evatt souhaiterait, par conséquent, que la délégation libyenne y réponde également.

 

14.     M. EL ZAHRAH (Jamahiriya arabe libyenne) indique, en réponse à l'alinéa a) de la section II de la Liste, que la peine de mort n'a pas été appliquée depuis la révolution de septembre 1969, à l'exception de ces dernières années et uniquement pour des crimes particulièrement horribles; il n'y a pas eu plus de 20 cas dans lesquels cette sentence a été exécutée. Dans chacun d'eux, la procédure judiciaire en vigueur a été d'ailleurs pleinement respectée, et le Conseil suprême de la magistrature a donné son accord, ainsi que le prévoit la loi. En 1994, la peine de mort a été appliquée dans 15 cas de crimes crapuleux ou particulièrement horribles. En imaginant qu'il existe une sanction plus sévère que la peine capitale, leurs auteurs l'auraient amplement méritée.

 

15.     Les infractions passibles de la peine capitale sont dûment prévues par la loi. M. El Zahrah cite notamment les délits relatifs à la sécurité intérieure et extérieure de l'Etat, ceux qui visent des chefs d'Etat étrangers ou qui portent atteinte à la sécurité et à l'ordre publics. Il mentionne également certains délits de caractère économique, comme le fait de mettre le feu à un puits de pétrole, et l'assassinat de personnes chargées d'appliquer la législation contre les stupéfiants. En outre, l'autorité législative a déterminé que la peine capitale devait être prononcée et appliquée dans le respect de la chari'a. A ce propos, le Coran dit : "Celui qui tue doit être tué à son tour". En outre, le Grand document vert sur les droits de l'homme stipule qu'encourt la peine de mort celui dont les activités constituent un danger pour autrui.

 

16.     Les lois régissant l'usage des armes à feu (question c) de la section II) sont énoncées dans la Grande Charte verte des droits de l'homme. Les cas où les forces de sécurité peuvent faire usage des armes à feu sont définis de manière très précise à l'article 13 de la loi No 10 de 1993 relative à la police; il s'agit notamment du cas où une personne en état d'arrestation, ou un accusé ayant fait l'objet d'une décision de justice, résiste ou cherche à s'évader, et des cas où la police doit faire cesser ou disperser tout rassemblement de plus de cinq personnes qui peut mettre en danger l'ordre public, lorsque l'usage des armes à feu est alors le seul moyen d'atteindre l'objectif visé. La législation spécifie quelles sont les autorités qui peuvent donner l'ordre de faire feu dans les cas autres que la légitime défense.

 

17.     Pour ce qui est du respect de l'article 7 du Pacte et de la question de savoir si des aveux ou des témoignages obtenus sous la contrainte peuvent être pris en considération dans le cadre de procédures judiciaires (questions d) et e)), la loi libyenne respecte bien l'article 7, puisqu'elle punit les délits d'enlèvement, d'abus d'autorité ou d'arrestation sans motif ainsi que les autres mesures de restriction de la liberté des personnes qui ne sont pas légalement motivées. De plus, la Libye a signé la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il convient de citer également la loi No 17 de 1986 sur l'éthique médicale, qui interdit de porter atteinte au corps d'une personne en vie sans son autorisation écrite (par. 23, CCPR/C/28/Add.16). Des plaintes ont du reste été déposées contre la police pour délits d'enlèvement, violences, ou abus de pouvoir, et certains éléments de la police ont été jugés; des décisions ont été rendues contre ceux qui ont violé les droits garantis par le Pacte et la législation libyenne.

 

18.     La législation libyenne ne reconnaît pas les aveux ou témoignages qui ont été extorqués sous la contrainte, et ceux-ci ne peuvent être utilisés comme preuve. Si, au cours du procès, l'accusé déclare que ses aveux ont été obtenus par la force, le juge doit le faire examiner par un médecin légiste et, si celui-ci affirme qu'il y a eu violences ou mauvais traitements, les aveux ne seront pas retenus, et un recours sera formé devant le procureur contre les auteurs des actes de contrainte.

 

19.     En ce qui concerne les dispositions de contrôle des lieux de détention et les procédures suivies pour recevoir les plaintes et mener des enquêtes à leur sujet (point f)), c'est la loi No 47 de 1975 qui s'applique (par. 27 et 28 du rapport). En vertu des articles 32 et 33 de cette loi, le procureur et les membres du parquet ont le droit de se rendre dans tous les lieux de détention pour veiller à l'application des décisions des tribunaux et s'assurer que nul n'y est détenu sans raison, contrôler le registre des plaintes, s'entretenir avec les détenus afin de recevoir leurs réclamations éventuelles et s'assurer que la loi est appliquée, puis prendre les décisions nécessaires en cas de violation. Les directeurs de centres de détention doivent prêter leur assistance et fournir toutes les informations qui leur sont demandées. En vertu de l'article 33 du Code de procédure pénale, tout détenu a le droit d'adresser une plainte oralement ou par écrit au directeur du centre de détention, qui doit la transmettre au parquet et la consigner dans le registre prévu à cet effet. Toute personne détenue sans raison doit en informer le parquet, ou le juge compétent, qui doit se rendre sur les lieux, procéder à une enquête et ordonner la mise en liberté le cas échéant, le tout étant consigné dans un procès-verbal.

 

20.     Sur le point de savoir si l'Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus est respecté et par quel moyen ces dispositions ont été portées à la connaissance des membres de la police et des forces armées, du personnel carcéral et de toute autre personne chargée des interrogatoires (point g)), la délégation libyenne précise que la loi No 47 de 1975 suit de près les règles en question en ce qui concerne l'admission des détenus, leur traitement, la séparation des détenus, les règles applicables aux femmes détenues, l'emploi, l'enseignement et la formation, les soins médicaux et sociaux ou les règles relatives aux visites, à la correspondance et aux permissions. Il s'agit d'une loi progressiste et évoluée dont la délégation libyenne tient le texte à la disposition du Comité. Les membres de la police ou des forces armées, les fonctionnaires de l'administration pénitentiaire et les autres personnes chargées des interrogatoires sont informés des dispositions de cette loi, qui est enseignée dans les écoles de formation de la police ainsi que dans les facultés de droit.

 

21.     Question h) : les délais indiqués au paragraphe 26 du rapport pour la garde à vue et la détention provisoire sont-ils conformes aux dispositions de l'article 9 du Pacte ? A cela la délégation libyenne répond que selon l'article 26 du Code de procédure pénale, le greffier doit entendre immédiatement et enregistrer les aveux du prévenu, qui, dans les 48 heures, doit être déféré devant le parquet et être interrogé par ce dernier dans les 24 heures. Passé ce délai, la personne doit être mise en état d'arrestation ou relâchée. Selon l'article 112 du Code de procédure pénale, le juge d'instruction doit interroger immédiatement la personne arrêtée; si cela est impossible, le responsable de la prison, passé un délai de 24 heures, doit remettre la personne au parquet et une décision doit être prise sur la mise en liberté ou l'arrestation.

 

22.     Selon l'article 122 du Code de procédure pénale, la détention provisoire doit cesser au bout de 15 jours, à l'issue desquels le juge d'instruction, après avoir entendu le parquet et l'accusé, peut prolonger la période de détention; mais celle-ci ne peut dépasser 45 jours. Selon l'article 123 du Code de procédure pénale, si le juge d'instruction estime qu'il faut prolonger la détention provisoire, la décision est prise par le tribunal de première instance (composé de trois juges) au vu des documents pertinents et après audition du parquet et de l'accusé. La période de détention provisoire ne peut être prolongée de plus de 45 jours à la fois, et ce jusqu'à l'achèvement de l'instruction (par. 26, CCPR/C/28/Add.16).

 

23.     Selon l'article 124 du Code de procédure pénale, le juge d'instruction peut à tout moment, de son propre chef ou à la demande du prévenu, prendre une décision de remise en liberté, à condition que le prévenu s'engage à se présenter chaque fois qu'on le lui demandera et à ne pas chercher à échapper à la justice. Selon l'article 126 du Code de procédure pénale, la mesure de mise en liberté provisoire peut être suspendue, auquel cas le prévenu doit fournir une caution dont une partie pourra être prélevée comme sanction si le prévenu ne se présente pas ou se présente en retard devant le juge. Cette caution sert à couvrir les frais encourus par l'Etat.

 

24.     Quant aux délais dans lesquels la famille d'une personne est informée de son arrestation et aux délais dans lesquels, après son arrestation, cette personne est autorisée à prendre contact avec un avocat, la loi libyenne stipule tout d'abord qu'on ne peut arrêter, interroger ou fouiller une personne quelconque, sauf si elle a commis un acte réprimé par la loi et à condition d'agir en conformité avec la loi. L'isolement a lieu pendant la période nécessaire à l'instruction dans un endroit bien déterminé, qui peut être notifié à la famille. La législation libyenne garantit au détenu le droit de prendre contact avec un avocat. L'article 121 du Code de procédure pénale stipule que le parquet général ainsi que le juge d'instruction peuvent faire cesser tout contact avec une personne ou isoler cette personne, sans toutefois violer le droit qu'a l'accusé d'avoir des contacts avec son avocat hors de la présence de tiers, puisque la loi libyenne garantit à l'accusé le droit de prendre contact avec son avocat à tout moment.

 

25.     Enfin, la détention au secret (point j) de la Liste) concerne les personnes qui peuvent représenter pour autrui un danger sur le plan moral ou autre; ces personnes seront isolées dans des cellules à part.

 

26.     La délégation libyenne pense avoir répondu aux questions figurant dans la Liste des points à traiter ainsi qu'aux questions posées par les membres du Comité à la quarante-neuvième session.

 

27.     Le PRESIDENT invite les membres du Comité qui le souhaitent à poser les questions qu'auront pu susciter les réponses qui viennent d'être données par la délégation libyenne.

 

28.     Mme EVATT apprécie le fait que la délégation de la Jamahiriya arabe libyenne ait fourni des réponses écrites et détaillées aux questions figurant dans la Liste des points à traiter et aux questions posées par les membres du Comité au cours de la quarante-neuvième session, mais elle regrette vivement de ne pas disposer de la traduction de ces réponses.

 

29.     Il lui semble se souvenir qu'à la quarante-neuvième session, au sujet de la peine de mort, la délégation libyenne avait indiqué que l'Etat partie était en train de réexaminer sa législation en vue de restreindre le nombre des crimes passibles de cette peine et d'appliquer d'autres sanctions. Elle voudrait savoir si tel est bien le cas, car il ressort des réponses que vient de fournir la délégation que certains délits économiques figurent toujours sur la liste des crimes passibles de la peine de mort, de même que certains actes assez vaguement définis comme des actes portant atteinte à l'ordre public. Faute d'éléments d'information plus précis, Mme Evatt tendrait à penser que ces "crimes" ne correspondent pas aux dispositions de l'article 6 du Pacte.

 

30.     Par ailleurs, selon la presse australienne, il y a eu en janvier 1994 une révision de la loi pénale libyenne qui visait à introduire une nouvelle gamme de peines que Mme Evatt juge inquiétantes. En effet, l'adultère serait puni de flagellation, la consommation d'alcool, d'une amende et d'une peine de prison, et certains autres délits seraient punis d'une amputation. Si cette information est exacte, Mme Evatt estime que les peines prévues sont absolument incompatibles avec les dispositions de l'article 7, selon lesquelles nul ne doit être soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Elle voudrait par conséquent savoir s'il est envisagé de réduire la liste des actes entraînant la peine de mort, quels sont les actes punis des peines d'amputation et de flagellation, et enfin si ces nouvelles peines ont été prononcées depuis la révision de la loi pénale.

 

31.     Enfin, Mme Evatt appelle l'attention de la délégation libyenne sur le cas de 16 personnes dont les noms ont été communiqués aux membres du Comité par Amnesty International. Il s'agit de personnes qui, après avoir été arrêtées vers la fin de l'année 1993, seraient détenues au secret sans avoir été inculpées et risqueraient la torture ou même la condamnation à mort. La liste des noms peut être communiquée à la délégation libyenne si elle le souhaite. Mme Evatt voudrait savoir si ces personnes sont en détention, sous quel chef d'inculpation et si elles ont déjà été jugées.

 

32.     M. FRANCIS se réfère au paragraphe 21 du rapport (CCPR/C/28/Add.16), où il est dit que la loi exclut que la peine de mort puisse être appliquée à une femme enceinte et ce, jusqu'à un délai de deux mois suivant l'accouchement. Etant donné l'évolution actuelle des législations sur la peine de mort et la place occupée par la femme dans la société, la tendance est aujourd'hui, dans le monde, à commuer la peine de mort prononcée à l'encontre d'une femme. La Libye envisage-t-elle d'accorder ce traitement plus libéral aux femmes qui ont été condamnées à mort ?

 

33.     M. WENNERGREN accueille avec une grande satisfaction la présence de la délégation libyenne devant le Comité. Il se souvient que lors de la précédente rencontre avec le Comité, les représentants n'avaient pas été en mesure de donner des informations sur une question pour lui très importante. Il avait signalé que, d'après Amnesty International, 75 personnes se trouvaient détenues au secret en Jamahiriya arabe libyenne et il avait même donné à la délégation un rapport où 40 des 75 détenus étaient nommément cités. Le représentant avait répondu qu'il s'enquerrait mais aujourd'hui aucune réponse n'a été donnée, raison pour laquelle M. Wennergren demande à nouveau ce qu'il en est de cette affaire.

 

34.     Par ailleurs, à sa cinquante et unième session, en mars 1994, le Comité des droits de l'homme a rendu ses constatations en ce qui concerne une communication adressée au Comité en vertu du premier Protocole facultatif au nom de M. Youssef El-Megreisi, faisant état de violations de l'article 7. Le Comité a considéré que ce détenu, n'ayant pu avoir aucun contact avec l'extérieur depuis 1989, était victime de mauvais traitements; il demandait au Gouvernement libyen de lui faire tenir dans les 90 jours des renseignements sur les mesures qui avaient été prises pour remédier à la situation. A ce jour, le Comité n'a pas eu de réponse, mais le représentant de la Jamahiriya arabe libyenne pourra peut-être lui en donner une.

 

35.     M. LALLAH remercie la délégation libyenne des renseignements détaillés qu'elle a donnés au sujet de l'application de la peine de mort. Toutefois, plusieurs points demeurent obscurs, et M. Lallah demande en particulier si de nouvelles infractions ont été ajoutées à la liste des crimes emportant la peine de mort a été en vertu de la loi libyenne. Il se demande aussi s'il est vrai que le champ de l'application de la peine de mort a été élargi aux personnes reconnues coupables d'avoir consommé de l'alcool et aux "hérétiques", mot qui peut recouvrir bien des réalités. En vertu du Pacte, de tels actes ne peuvent évidemment en aucune manière être punis de la peine de mort.

 

36.     La libération des prisonniers politiques et la démolition de prisons par le Chef de la Révolution en personne, signalées dans le paragraphe 59 du rapport, sont assurément des faits positifs. Mais on peut se demander si tous les prisonniers politiques ont bien bénéficié d'une telle libération. En effet, le Groupe de travail de la détention arbitraire, dans une décision datée du 30 avril 1993 figurant dans un rapport adressé à la cinquantième session de la Commission des droits de l'homme (E/CN.4/1994/27), a déclaré arbitraire la détention d'un dirigeant d'un groupe d'opposition religieux illégal, Rashid Abdal-Hamid al-Urfia, détenu depuis plus de 11 ans sans avoir été inculpé ou jugé. Le Groupe de travail avait adressé une requête au Gouvernement libyen, qui n'avait pas répondu. M. Lallah voudrait savoir si ce prisonnier a bénéficié de la démolition des prisons.

 

37.     Enfin, M. Lallah demande si les autorités libyennes ont ouvert une enquête pour faire la lumière sur la disparition, en Egypte, de l'ancien ministre libyen des affaires étrangères, M. Mansur Kikhiya, qui assistait à l'assemblée générale de l'Organisation arabe des droits de l'homme.

 

38.     M. BAN souligne que le climat dans lequel se déroule le dialogue avec la délégation libyenne se caractérise par une volonté accrue de celle-ci de coopérer avec le Comité, ce dont il y a lieu de se féliciter. Des réponses ont été apportées à un grand nombre de questions, même si, comme il est compréhensible, certaines réponses font encore défaut.

 

39.     En ce qui concerne l'application de la peine capitale, M. Ban a entendu les chiffres de 20 condamnés exécutés au cours de la période écoulée depuis le dernier rapport et de 15 condamnés exécutés depuis le début de l'année en cours. Si ces chiffres sont exacts, ils sont très préoccupants, car il s'agit d'un nombre d'exécutions particulièrement élevé. Toujours au sujet de la peine de mort, M. Ban souhaiterait savoir quelle est la méthode d'exécution utilisée en Libye.

 

40.     Au sujet des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, M. Ban déclare qu'il a toujours considéré que la flagellation et l'amputation étaient contraires au Pacte, et il veut savoir si ces deux peines sont véritablement appliquées. D'après des renseignements dignes de foi, une infirmière hongroise travaillant dans un hôpital libyen a été condamnée à la flagellation pour avoir entretenu des relations sexuelles avec un Libyen. Comme les faits remontent à plusieurs années, M. Ban souhaiterait des précisions en ce qui concerne la pratique actuelle. Il demande également si pareille peine relève du droit criminel ou de la chari'a.

 

41.     M. BRUNI CELLI, notant qu'il est indiqué dans le paragraphe 19 du rapport que "l'objectif de la société jamahiriyenne est d'abolir la peine de mort", demande quelles mesures ont été prises dans cette voie, et si la Jamahiriya arabe libyenne aurait l'intention de ratifier le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte. Si la tendance est à l'abolition, on comprend mal pourquoi la liste des infractions emportant la peine capitale a été étendue. A ce sujet, des explications sur les délits économiques qui peuvent être punis de la peine capitale sont nécessaires.

 

42.     La Jamahiriya arabe libyenne est partie à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Or des informations dignes de foi font état de tortures psychiques et physiques sévères. De telles plaintes sont de notoriété publique, et M. Bruni Celli voudrait savoir si des enquêtes ont été ouvertes et s'il est arrivé que les auteurs présumés d'actes de torture et de mauvais traitements soient traduits en justice.

 

43.     M. EL SHAFEI déclare que des précisions sur les motifs pour lesquels la peine de mort peut être prononcée sont d'autant plus nécessaires que le terme de "corruption" n'apparaît pas dans le rapport périodique; ce qui est indiqué au paragraphe 19 est différent : la peine capitale "sera imposée uniquement aux personnes dont la vie met en danger ou corrompt la société". Le représentant de la Jamahiriya arabe libyenne a évoqué sept catégories d'infractions emportant la peine capitale mais, selon d'autres sources, d'autres infractions ont été ajoutées. Pour ce qui est des 15 personnes exécutées au cours de l'année écoulée, M. El Shafei souhaiterait savoir si certaines d'entre elles avaient été reconnues coupables de "crime économique" et, dans l'affirmative, quel était exactement le chef d'inculpation.

 

44.     M. POCAR remercie la délégation des réponses qu'elle a données. Il partage la préoccupation des autres membres du Comité au sujet de l'augmentation du nombre des actes pour lesquels la peine capitale peut être prononcée, élargissement décidé en vertu de la loi No 20 de 1991. Il rappelle que, bien que le Pacte permette la peine capitale, le Comité estime qu'il laisse fortement entendre que l'abolition est souhaitable. Du point de vue juridique, des obligations strictes sont imposées aux Etats qui n'ont pas aboli la peine capitale, notamment l'obligation de ne pas en étendre l'application; et ceux qui l'ont abolie sont tenus de ne pas la réintroduire. Il souhaiterait donc des précisions au sujet de cet élargissement des motifs pour lesquels la peine de mort peut être prononcée. Par ailleurs, pour ce qui est du nombre d'exécutions, il n'a pas bien saisi si les 15 condamnés exécutés au cours de l'année écoulée viennent s'ajouter aux 20 autres cas cités ou font partie de ce groupe.

 

45.     M. HAFYANAH (Jamahiriya arabe libyenne) remercie les membres du Comité de leur intérêt. Il comprend leurs inquiétudes légitimes d'experts indépendants et de juristes au sujet de la peine capitale. Il s'efforcera de répondre de son mieux.

 

46.     Il appelle l'attention sur le fait que la Jamahiriya arabe libyenne est un pays ouvert où vivent des ressortissants de plus de 93 pays du monde entier. Certains viennent travailler sur des chantiers, dans le cadre du plan de développement et de transformation du pays, et d'autres viennent en tant que voisins. Le crime est un phénomène social qui se déplace avec les hommes et si, bien évidemment, les ressortissants libyens ne sont pas à l'abri de la criminalité, la criminalité importée représente de son côté un lourd fardeau économique, social et culturel, et pose de sérieux problèmes de sécurité.

 

47.     Pour ce qui est de la peine de mort, l'opinion libyenne est partagée. Certains ne sont pas convaincus de l'opportunité de l'abolir, préconisant une restriction progressive de son application, et d'autres sont au contraire favorables à l'abolition pure et simple. Actuellement, la tendance générale est plutôt de développer la législation jusqu'à l'abolition. La Grande Charte verte visait à abolir la peine de mort, et un mémorandum en ce sens a été soumis au peuple, mais la question reste controversée.

 

48.     Pour ce qui est de l'application de cette peine, on précisera que les crimes emportant la peine de mort sont ceux qui menacent la sécurité intérieure et extérieure du pays, ainsi que les agressions dirigées contre des chefs d'Etat étrangers. Par crime économique, il ne faut pas entendre évidemment le vol, mais les atteintes aux sources vitales et stratégiques de l'économie du pays, par exemple la destruction de puits de pétrole. On peut citer également le cas de l'introduction frauduleuse de certaines marchandises en temps de guerre. Actuellement, il n'y a aucune tendance à l'augmentation du nombre des condamnations à mort.

 

49.     Les membres du Comité éprouvent peut-être certaines difficultés à se faire une idée juste de la situation des droits de l'homme en Jamahiriya arabe libyenne car ils n'ont pas les moyens de vérifier les sources de renseignements. C'est pourquoi M. Hafyana précise que les autorités libyennes reconnaissent la fiabilité des renseignements fournis par certaines organisations non gouvernementales telles qu'Amnesty International, mais que certains autres renseignements émanant d'autres sources sont entièrement dénués de fondement, notamment en ce qui concerne la pratique de l'excision et, de façon générale, la situation de la femme en Jamahiriya arabe libyenne, qui serait plutôt enviable par rapport à la situation des femmes dans d'autres pays arabes voisins.

 

50.     A propos de la disparition en Egypte au mois de décembre 1993 de l'ancien ministre libyen des affaires étrangères, M. Mansur Kikriya, la délégation libyenne affirme que l'ancien ministre était un citoyen libyen honorable, qui n'a pu aucunement traiter avec l'étranger dans un sens contraire aux intérêts de son pays, et que toutes les démarches ont été entreprises pour enquêter tant en Egypte qu'en Jamahiriya arabe libyenne sur les circonstances de sa disparition. Il donne au Comité l'assurance qu'il lui transmettra sans hésitation tous les renseignements concernant cette affaire qui lui parviendront. Pour ce qui est des membres du groupe militaire accusé d'avoir tenté de porter atteinte à la sécurité du régime de la Jamahiriya arabe libyenne, M. Hafyana indique que des enquêtes ont eu lieu conformément au Code de procédure pénale militaire et que certains accusés sont encore en détention, ce qui est certes regrettable, mais qui est dû à la présence dans le pays, comme dans d'autres pays arabes voisins tels que l'Egypte, l'Algérie, la Tunisie et le Maroc, de groupes d'extrémistes religieux qui ont recours à la violence et au terrorisme pour renverser l'équilibre économique et social du pays. Les membres de ces groupes sont dangereux, mais les autorités n'admettent pas pour autant leur mise en détention sans enquête ni jugement.

 

51.     Enfin, il n'est pas prévu, selon la législation pénale libyenne, d'augmenter le nombre des crimes entraînant la peine de mort. En outre, un grand nombre de condamnations à mort prononcées contre des criminels ne sont pas appliquées. Les exécutions, lorsqu'elles sont autorisées en vertu de l'arrêt définitif d'un tribunal spécial, ont lieu par pendaison dans la prison centrale, après lecture de la sentence et en présence d'un médecin légiste, d'un homme de loi et du directeur de la prison.

 

52.     M. EL ZAHRA (Jamahiriya arabe libyenne) ajoute que la législation nationale est inspirée de la chari'a islamique, qui a été choisie par le peuple libyen pour régir la vie nationale, et qui prévoit effectivement des châtiments corporels tels que la flagellation et l'amputation des mains des personnes reconnues coupables de vol, ainsi que la peine de mort. Toutefois, la législation a été modifiée en 1993 et, désormais, par exemple, la consommation d'alcool n'est plus sanctionnée par la privation de droits civils et politiques, mais par une simple amende lorsque la personne reconnue coupable se repent. Néanmoins, la fornication ou l'adultère est toujours sanctionné par la flagellation, conformément à la loi islamique, l'objectif étant de faire en sorte que la personne coupable, homme ou femme, se repente, et de servir d'exemple afin d'empêcher les viols et toute autre pratique sexuelle inacceptable.

 

53.     La délégation libyenne a déjà indiqué que le nombre des crimes entraînant la peine de mort selon la législation était très limité. Néanmoins, la Jamahiriya arabe libyenne étant un pays largement ouvert et accueillant beaucoup de travailleurs étrangers, la criminalité a eu tendance à augmenter, et c'est pourquoi les citoyens se sont prononcés en majorité en faveur du maintien de la peine de mort pour les crimes graves portant atteinte à la sécurité et à l'ordre public. Toutefois, près de la moitié des peines prononcées ne sont jamais exécutées. En outre, selon la législation, la peine de mort ne peut être exécutée dans le cas d'une femme enceinte que deux mois après l'accouchement et, dans la pratique, cette peine n'a jamais été prononcée à l'égard d'une femme. Par ailleurs, la législation libyenne comporte des dispositions contre la détention arbitraire et n'autorise la détention provisoire que pour certaines catégories de personnes mises en examen. Enfin, le terme de "corruption" a sans doute été employé dans le rapport pour signifier de façon générale tout acte correspondant à un délit selon la loi coranique.

 

54.     M. HAFYANA (Jamahiriya arabe libyenne) déclare que l'article 17 de la Constitution nationale interdit la torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et prévoit des sanctions pour les personnes reconnues coupables d'actes de cette nature. Pour ce qui est de l'application de la peine de mort aux personnes qu'il a été convenu de qualifier d'"hérétiques", il indique que la Jamahiriya arabe libyenne est certes un pays arabe et musulman, mais qu'elle reconnaît et respecte sans distinction toutes les autres religions, et que la peine de mort n'est appliquée que selon la seule loi coranique et aux personnes reconnues coupables de crimes graves.

 

55.     M. EL ZAHRA (Jamahiriya arabe libyenne) déclare que toutes les réponses aux questions posées par les membres du Comité lors de l'examen du deuxième rapport périodique de la Jamahiriya arabe libyenne à la quarante-neuvième session du Comité figurent en détail dans le rapport écrit qui a été présenté par la délégation à la session en cours et qu'il faut espérer que les membres du Comité pourront en prendre connaissance lorsque le texte original aura été traduit dans les différentes langues de travail.

 

56.     M. WENNERGREN demande à la délégation de la Jamahiriya arabe libyenne de fournir au Comité les noms des personnes qui ont été libérées et de celles qui sont toujours en détention parmi les 75 personnes figurant sur la liste qui lui a été communiquée. Il souhaiterait également être informé sur le sort des personnes détenues au secret, apparemment depuis de nombreuses années, sans enquête ni jugement.

 

57.     M. AGUILAR URBINA souhaiterait que la délégation précise la différence que l'on fait en Jamahiriya arabe libyenne entre l'hérésie et l'athéisme, et indique également si les autorités judiciaires tiennent compte du droit de légitime défense dans les affaires d'assassinat.

 

58.     Le PRESIDENT déclare que, si elle ne répond pas oralement aux questions des membres du Comité, la délégation de la Jamahiriya arabe libyenne pourra faire parvenir au Comité un complément d'information par écrit.

 

La séance est levée à 13 h 5.

 

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