Distr.

GENERALE

CAT/C/SR.204
21 novembre 1994


Original: FRANCAIS
Compte rendu analytique de la premiere partie (publique) de la 204ème seance : Morocco. 21/11/94.
CAT/C/SR.204. (Summary Record)

Convention Abbreviation: CAT

COMITE CONTRE LA TORTURE

Treizième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA PREMIERE PARTIE (PUBLIQUE)*
DE LA 204ème SEANCE

tenue au Palais des Nations, à Genève,
le mercredi 16 novembre 1994, à 15 heures.


Président : M. DIPANDA MOUELLE

SOMMAIRE

Examen des rapports présentés par les Etats parties en application de l'article 19 de la Convention
(suite)

Rapport initial du Maroc (suite)



* Le compte rendu analytique de la deuxième partie (privée) de la séance est publié sous la cote CAT/C/SR.204/Add.1, le compte rendu analytique de la troisième partie (publique) de la séance, sous la cote CAT/SR.204/Add.2 et le compte rendu analytique de la quatrième partie (privée) de la séance, sous la cote CAT/C/SR.204/Add.3.



La séance est ouverte à 15 h 5.

EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES EN APPLICATION DE L'ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (point 4 de l'ordre du jour) (suite)

Rapport initial du Maroc (CAT/C/24/Add.2) (suite)

1. Sur l'invitation du Président, M. Madji, M. Chaira, M. Doumou, M. Kaddouri, M. Kharrati et Mme Zirari (Maroc) prennent place à la table du Comité

2. M. DOUMOU (Maroc), Directeur des affaires criminelles et de la grâce au Ministère de la justice, répondant à quelques-unes des questions posées par les membres du Comité à la séance précédente, évoque celle de l'indépendance de la magistrature. Dans l'exercice de leur fonction primordiale, rendre les sentences, les magistrats marocains n'obéissent qu'à la loi et à leur conscience. Les juges du parquet soutiennent l'accusation publique contre les auteurs d'infractions au Code pénal sous la direction et le contrôle du Ministre de la justice; le Code de procédure pénale permet à ce dernier de donner des instructions écrites aux procureurs en vue d'engager des poursuites, mais ce même code permet à ces magistrats d'émettre un avis contraire à celui du Ministre. Quant à l'indépendance des juges du siège, elle est garantie par le statut de la magistrature, qui consacre l'inamovibilité et l'irrévocabilité des juges et a mis en place un Conseil supérieur de la magistrature présidé par le Roi dont la présidence est toutefois déléguée au Ministre de la justice; ce conseil se compose de trois membres permanents (le président de la Cour suprême, le procureur général du Roi et le président de la première chambre civile de la Cour suprême), de trois membres élus par l'ensemble des magistrats des cours d'appel et enfin, de trois membres élus par l'ensemble des magistrats des tribunaux de grande instance. Les magistrats sont nommés par le Roi sur proposition du Conseil supérieur de la magistrature, leur avancement est régi par des critères énoncés dans le statut de la magistrature et ils ne peuvent être révoqués que sur décision dudit conseil dans des cas déterminés par la loi.

3. La Cour spéciale de justice connaît des affaires concernant les fonctionnaires auteurs de concussion ou sujets de corruption. Elle se compose d'un premier président et de quatre magistrats nommés par le Conseil supérieur de la magistrature sur proposition du Ministre de la justice, ainsi que d'un procureur général du Roi chargé de soutenir l'accusation. Un, deux ou trois juges d'instruction, selon l'importance des affaires qui lui sont déférées, siègent auprès de la Cour spéciale.

4. En matière d'entraide judiciaire et notamment d'extradition, le Maroc entretient d'excellentes relations avec les pays tiers. Il répond favorablement à toutes les demandes que lui présentent les pays soit en vertu d'une convention bilatérale, soit eu égard à la règle de la réciprocité lorsqu'il n'existe pas de convention bilatérale. En outre, l'article 8 de la Convention contre la torture est une base juridique valable pour toute demande d'extradition lorsqu'aucune convention ne lie le Maroc à un pays requérant l'extradition d'un tortionnaire.

5. Il existe 36 établissements pénitentiaires au Maroc. Les femmes et les mineurs sont emprisonnés dans des quartiers réservés. En cas de décès de personnes détenues dans les locaux de la police, des instructions précises ont été données aux parquets pour ordonner systématiquement des autopsies; les juges d'instruction sont automatiquement saisis en cas de décès de ce genre, en vue de l'ouverture d'une information judiciaire visant à établir les causes du décès et de soumettre le cas échéant les auteurs présumés à l'examen judiciaire. M. Doumou tient à la disposition du Comité des statistiques à ce sujet ainsi que le texte de jugements prononcés à l'encontre de fonctionnaires coupables de tortures ou mauvais traitements.

6. La responsabilité des auteurs d'actes de torture est affirmée par la loi pénale. L'article 226 du Code pénal reconnaît la responsabilité civile du fonctionnaire auteur de mauvais traitements ainsi que celle de l'Etat. La victime peut donc toujours obtenir réparation, soit en se constituant partie civile lorsqu'il y a poursuites pénales contre l'auteur de l'infraction (article 2 du Code de procédure pénale), soit en s'adressant aux juges civils pour obtenir réparation dans le cadre général de la responsabilité civile (Code des obligations et des contrats), soit encore en invoquant l'article 226 du Code pénal qui engage la responsabilité de l'Etat.

7. En 1990, les délais de la détention préventive ordonnée par les juges d'instruction ont été ramenés de trois à deux mois, et ces délais ne peuvent plus être prolongés plus de cinq fois, après quoi le directeur de la maison d'arrêt doit libérer le détenu sous peine de tomber sous le coup de la loi pour détention arbitraire. D'autre part, des instructions écrites aux procureurs et juges d'instruction leur font obligation de se rendre une fois par mois dans les établissements de détention en vue de s'assurer de l'état des prévenus, d'entendre leurs doléances, de suivre les cas de report de leurs affaires et enfin de soumettre un rapport détaillé à la Direction des affaires pénales sur les motifs de la prolongation de leur détention et du report de leur affaire.

8. Mme ZIRARI (Maroc), consultante expert auprès du Ministère chargé des droits de l'homme, répond aux questions posées au sujet du Conseil consultatif des droits de l'homme et du Ministère chargé des droits de l'homme. Le Conseil consultatif des droits de l'homme, dont la création remonte à avril 1990, a une composition très large : il comprend de nombreux ministres, des représentants de la société civile (partis politiques, centrales syndicales, associations de droits de l'homme, Amicale des magistrats du Maroc, Association des barreaux du Maroc, corps professoral universitaire et Ordre des médecins), et enfin, des personnalités choisies pour leurs compétences en matière de droits de l'homme et leur moralité. Le rôle de ce Conseil consultatif est étendu : il peut être saisi par le chef de l'Etat de toutes questions touchant les droits de l'homme et il peut aussi se saisir lui-même, en le décidant à la majorité des deux tiers, de toute question lui paraissant relever de sa compétence. Enfin, il peut visiter les prisons et l'a d'ailleurs fait à de nombreuses reprises.

9. Le Ministère chargé des droits de l'homme, créé en novembre 1993, est une structure qui est encore de petite taille; elle comporte notamment une Direction de la concertation et de la défense des droits de l'homme, une Direction des relations internationales et une Direction des études juridiques et de la promotion des droits de l'homme. La première Direction est chargée de renforcer le dialogue avec les institutions et associations directement ou indirectement concernées par les droits de l'homme en vue d'assurer la promotion de ces droits en liaison avec les administrations intéressées. Ce service reçoit et étudie les plaintes émanant d'organisations ou de particuliers; en cas de plainte pour torture, il demande à l'organe mis en cause de faire un rapport explicatif à la lumière duquel, s'il estime que la plainte pourrait être fondée, il transmet le dossier au Ministère de la justice pour enquête et poursuites éventuelles. La Direction a reçu de nombreuses plaintes depuis sa création, dont une dizaine pour actes de torture.

10. La Direction des études juridiques et de la promotion des droits de l'homme, quant à elle, est chargée de s'assurer que les textes législatifs et réglementaires se conforment aux exigences liées à la défense des droits de l'homme et, à ce titre, en concertation avec la Direction des relations internationales, elle assure l'harmonisation de la législation interne avec les conventions internationales qui sont d'ailleurs intégrées directement à l'ordre juridique interne et supérieures à la norme interne. En ce qui concerne la Convention contre la torture, l'harmonisation en cours tend à faciliter l'application concrète de ses dispositions au Maroc et diverses modifications législatives vont être proposées à cet effet. En particulier, les textes actuels ne font pas de la torture une infraction distincte; celle-ci est cependant assimilable aux "coups, blessures, violences ou voies de fait" qui constituent des délits punis beaucoup plus sévèrement lorsqu'ils ont été commis par des fonctionnaires dans l'exercice de leurs fonctions. Les délits en question englobent la définition donnée par la Convention dans la mesure où la jurisprudence a condamné pour voies de fait des personnes qui avaient eu des gestes suffisamment menaçants pour impressionner la victime sans pour autant la toucher. Par ce biais, tous les actes de torture peuvent donc être réprimés, mais il serait préférable que le Code pénal interdise expressément la torture, ce qui aurait aussi l'avantage de faire de la tentative de violences ou de voies de fait une infraction, et de permettre de la réprimer, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui puisque les violences sont réprimées proportionnellement au dommage causé.

11. Pour aligner la législation marocaine sur la Convention il faudrait aussi modifier certaines dispositions du Code de procédure pénale, notamment en ce qui concerne la compétence internationale des tribunaux; à l'heure actuelle, les juges marocains ne peuvent pas juger des étrangers ayant commis des actes de torture à l'étranger; le nouveau Code de procédure pénale en préparation pourrait leur attribuer cette compétence et prévoir aussi expressément l'extradition pour actes de torture.

12. Un membre du Comité s'inquiète parce que la chambre d'accusation ayant été supprimée, il n'existerait plus de contrôle judiciaire sur la police. Or, cette chambre a été remplacée dans toutes ses attributions par la chambre correctionnelle de la Cour d'appel, si bien que les officiers de police judiciaire sont toujours placés non seulement sous le contrôle direct du parquet mais aussi sous celui de cette chambre, qui peut leur infliger des sanctions pouvant aller jusqu'à la suspension et saisir éventuellement le magistrat compétent afin d'entamer des poursuites pénales.

13. M. CHAIRA (Maroc), Gouverneur, Directeur de la réglementation et des libertés publiques au Ministère de l'intérieur, rappelle qu'il a été demandé quelle est la portée exacte du préambule de la Constitution. Dès la Constitution de 1963, toute ambiguïté à cet égard a été levée : le préambule fait partie intégrante de la Constitution marocaine, qui consacre le principe de la séparation des pouvoirs de manière très précise. Le pouvoir législatif, émanation de la volonté populaire, contrôle le gouvernement soit par le vote de la loi de censure, soit par les commissions d'enquête, innovation introduite par le législateur à la suite du référendum de 1992. C'est l'article 40 de la Constitution qui porte création de ces commissions, dont la composition sera réglée par une loi organique en préparation : le projet correspondant est devant la Chambre des représentants et devrait être examiné très prochainement. Le pouvoir législatif dispose d'un autre moyen de contrôle sur l'exécutif : les membres du gouvernement, ou le gouvernement dans son ensemble, peuvent être mis en accusation par la Chambre des représentants et traduits devant la Haute Cour de justice, composée exclusivement de députés qui siègent en tant que magistrats pour connaître des crimes et délits commis par ceux-ci dans l'exercice de leurs fonctions. Enfin, à titre de garantie supplémentaire, la Constitution de 1992 a institué un Conseil constitutionnel qui a dernièrement rendu son premier arrêt et rejeté une loi qui avait été présentée par le gouvernement et votée par la majorité.

14. L'article 9 de la Constitution garantit à tous les citoyens la liberté de se déplacer ainsi que les libertés d'opinion, d'expression, de réunion et d'association et la liberté d'adhérer à toute organisation syndicale et politique; il ne peut être apporté de limitation à l'exercice de ces libertés que par la loi. Cet article 9 se trouve renforcé par l'article 19 de la Constitution, qui stipule que le Roi est le protecteur des droits et libertés des citoyens, groupes sociaux et collectivités, si bien qu'en cas de conflit entre le gouvernement et le parlement, le citoyen conserve toujours une voie de recours.

15. M. KADDOURI (Maroc), Directeur à la Direction générale de la sûreté nationale, déclare que les responsables de la police marocaine sont fermement décidés à consolider, au Maroc, l'Etat de droit et à assurer le respect des droits de l'homme. On signale bien entendu parfois des écarts de conduite ou "bavures", mais ils ne sont pas le fait de l'institution et toutes garanties sont données aux victimes pour qu'elles puissent poursuivre les coupables. Lorsque les faits sont établis, les coupables sont sanctionnés par l'administration avant d'être présentés à la justice.

16. La garde à vue ne peut être décidée par l'officier de police judiciaire que si les nécessités de l'enquête l'exigent. Les articles 68, 69, 82 et 169 du Code de procédure pénale ainsi que les textes qui les ont complétés en fixent la durée et ainsi que les formalités à accomplir à cet égard. En matière de flagrants délits, le délai de la garde à vue est de 48 heures, prolongeable de 24 heures au maximum sur autorisation écrite du procureur. Dans le cas d'une enquête préliminaire, les officiers de police disposent des mêmes délais, mais la prolongation ne peut être accordée qu'après audition de l'intéressé par le procureur. Quand une personne doit être retenue par l'officier de police pour l'exécution d'une commission rogatoire, elle doit obligatoirement être présentée à un juge d'instruction dans les 24 heures. Celui-ci, après audition de l'intéressé, peut accorder l'autorisation écrite de prolonger la garde à vue d'un nouveau délai de 48 heures. Tous ces délais sont multipliés par deux en cas d'atteinte à la sûreté de l'Etat.

17. En matière de garde à vue, l'officier de police judiciaire est tenu d'aviser les familles immédiatement, d'adresser au procureur du Roi, dans les 24 heures, la liste des personnes ainsi détenues et de mentionner l'heure du début et de la fin de la garde à vue au procès-verbal ainsi que sur un registre tenu à cet effet et paraphé par le procureur. Ce dernier peut se rendre inopinément dans les locaux de la sûreté nationale où s'effectue la garde à vue. De plus, l'article 76 du Code de procédure pénale stipule que le procureur doit faire examiner l'intéressé par un médecin expert si la demande lui en est faite ou s'il constate des signes justifiant cet examen. Enfin, les officiers de police consignent au procès-verbal les déclarations des personnes impliquées dans des affaires pénales. Les enquêteurs chargés des investigations judiciaires recourent de plus en plus aux moyens techniques pour confondre les délinquants, et les aveux doivent uniquement confirmer les preuves réunies. La Direction générale de la sûreté nationale s'est équipée de moyens modernes qui permettent à ses cadres de s'acquitter de leur mission dans les meilleures conditions.

18. Il n'existe pas à l'heure actuelle de centres de détention secret au Maroc. Les autorités sont disposées à recevoir la visite de personnes habilitées pour qu'elles puissent s'en assurer.

19. La gendarmerie royale relève de la défense nationale; il s'agit d'une administration militaire. Sur le plan judiciaire, elle en réfère au Ministre de la justice puisque c'est elle qui constate les infractions dans les centres ruraux où la police n'est pas implantée et qui présente les délinquants à la justice.

20. Mme ZIRARI (Maroc) apporte un complément d'information sur certaines des questions posées à la 203ème séance.

21. Le Ministère des droits de l'homme n'est pas le seul à se charger d'organiser l'enseignement des droits de l'homme : c'est aussi l'une des préoccupations de la Commission de révision des conditions de l'enseignement. Mais c'est le Ministère qui a mis en train un projet tendant à ce que cette matière fasse partie des différentes disciplines de l'enseignement supérieur. Des informations complémentaires pourront être fournies à ce sujet au Comité s'il le souhaite.

22. La Convention contre la torture n'a, à ce jour, pas été publiée au Bulletin officiel, mais la Cour suprême considère que, sur le plan juridique, elle est néanmoins applicable. Publier la Convention demeure certes une formalité nécessaire, mais il est plus important de la populariser. Le Ministère des droits de l'homme prévoit de diffuser sous forme de plaquette le texte des diverses conventions relatives aux droits de l'homme, auxquelles le Maroc est partie, accompagné d'une explication s'il y a lieu.

23. Répondant à une question sur l'habeas corpus, Mme Zirari précise que c'est une notion étrangère à la tradition juridique marocaine. Le respect des droits de l'homme s'y situe à un autre niveau.

24. Mme Zirari pourra fournir au Comité un dossier sur l'organisation de la médecine dans les prisons. Le texte régissant encore les prisons marocaines est ancien, c'est un dahir de 1930, mais des projets ont été élaborés qui devraient être adoptés prochainement. La collaboration instaurée entre le Ministère de la justice et le Ministère de la santé a déjà permis d'améliorer les conditions sanitaires de la détention.

25. Les 484 personnes qui ont bénéficié en juillet 1994 d'une "grâce amnistiante" peuvent demander à être indemnisées si elles sont en mesure de prouver qu'elles ont subi des tortures, ce qui n'est pas facile quand il s'est écoulé beaucoup de temps depuis les faits. En ce qui concerne la réinsertion, les personnes qui étaient fonctionnaires avant leur arrestation seront réintégrées dans la fonction publique. Le Ministère des droits de l'homme aide les autres à chercher du travail. Si elles ont besoin de soins médicaux, le Ministère des droits de l'homme et le Ministère de la santé les aident ensemble sur ce plan. Le Ministère des droits de l'homme n'est pas un simple organe consultatif, il a les moyens de s'acquitter de sa fonction : une circulaire du premier ministre datant de septembre 1994 demande aux différents ministères de coordonner avec le Ministère des droits de l'homme l'instruction de toutes les plaintes relatives à des violations de droits de l'homme.

26. Mme Zirari donne au Comité des informations concernant le rapport d'Amnesty international daté de mai 1994 dont il a été question à la 203ème séance. Toutes les personnes citées dans ce rapport sauf deux ont été grâciées en juillet 1994. Restent une personne qui n'était pas condamnée, mais avait fait l'objet d'une assignation administrative à résidence, laquelle a déposé un recours devant la Cour suprême, et une dernière personne dont on n'a pas retrouvé la trace. Un rapport plus récent de la même organisation fait état d'un certain nombre de plaintes dont certaines ont déjà été instruites par la police. Deux personnes qui sont nommément citées passent actuellement en jugement. Leur avocat a pris contact avec le Ministère des droits de l'homme qui l'a informé de tous leurs droits. Les autres personnes visées ont été invitées à présenter un dossier pour suite à donner.

27. M. DOUMOU (Maroc) complète les informations données par Mme Zirari en ce qui concerne l'enseignement des droits de l'homme : l'Institut national marocain des études judiciaires a introduit cet enseignement dans la formation des futurs magistrats. M. Doumou assure lui-même cet enseignement à l'Académie de la gendarmerie royale et de la police. Enfin, l'Ecole des cadres dispense, elle aussi, un tel enseignement.

28. On a demandé pourquoi 200 juges avaient été nommés par décision du Ministère de la justice. M. Doumou explique que le Conseil supérieur de la magistrature, qui, normalement, nomme les juges, se réunit une fois par an, en janvier. Entre deux de ses réunions, il peut y avoir des vacances de poste. Le législateur a prévu qu'en pareil cas, le Ministre de la justice peut, par arrêté, déléguer pour trois mois, n'importe quel magistrat à de nouvelles fonctions dans de nouvelles juridictions. Cette décision du ministre est soumise ensuite au Conseil supérieur de la magistrature qui la confirme ou l'infirme. A deux reprises, le Conseil supérieur de la magistrature ne s'est pas réuni, parce que les deux membres supplémentaires qui doivent y siéger aux termes de la nouvelle constitution de 1992 n'étaient pas encore nommés. D'où les nombreuses délégations décrétées par le Ministre de la justice, en attendant la réunion prochaine du nouveau Conseil supérieur de la magistrature.

29. Comme l'a indiqué Mme Zirari, l'organisation des établissements pénitentiaires est toujours régie par un dahir de 1930. L'administration pénitentiaire a déposé un projet de réforme qui reprend l'Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus établi par la communauté internationale et tient compte de l'évolution des droits de l'homme au Maroc. Le Parlement ne devrait pas tarder à adopter ce projet.

30. Il a été posé des questions sur la prolongation de la garde à vue. Le dahir de 1990, dans son article 56, fixe à 48 heures le délai normal de garde à vue, lequel peut être prolongé, comme on l'a vu, de 24 heures sur autorisation écrite du Procureur, mais cette autorisation n'est donnée qu'une fois que la personne gardée à vue a été présentée physiquement au Procureur, lequel peut ainsi s'assurer de l'état physique et moral de chaque individu placé en garde à vue.

31. Les crimes passibles de la peine de mort sont l'homicide volontaire avec préméditation et guet-apens, l'empoisonnement ayant entraîné la mort, l'incendie volontaire de lieux servant d'habitation, l'atteinte à la sûreté de l'Etat lorsqu'elle s'est accompagnée de meurtre de personne ou d'attentat sur la personne du Roi ou de membres de la famille royale. M. Doumou remettra au Comité, si celui-ci le souhaite, une photocopie des articles pertinents du Code pénal.

32. M. CHAIRA (Maroc) ajoute une information : il existe deux institutions qui se trouvent l'une à Al Ank, sur le territoire de la préfecture de Casablanca et l'autre à Aïn Atik, sur le territoire de la préfecture de Rabat et qui ne sont ni des centres de détention, ni des établissements psychiatriques mais des institutions sociales hébergeant des personnes sans ressources, sans famille ou sans domicile fixe, prises en charge par la collectivité sous le contrôle des autorités judiciaires et sanitaires. Les autorités marocaines seraient disposées à recevoir toute personne que le Comité souhaiterait envoyer visiter ces institutions.

33. M. KADDOURI (Maroc) dit que les deux détenus, dont il a été question à la séance précédente, M. Stéphane Aït Idir et M. Redouane Hammadi, et qui prétendent avoir subi des sévices des mains de la police (deux personnes qui ont tiré sur des touristes à Marrakech) avaient la possibilité d'en faire état lorsqu'ils ont été présentés devant le Procureur; ils étaient assistés par des avocats. Dans les deux cas, une information a été ouverte.

34. M. SORENSEN serait heureux d'être informé de la publication de la Convention contre la torture au Bulletin officiel quand elle aura lieu, et de recevoir un complément d'information sur la plaquette de vulgarisation des conventions relatives aux droits de l'homme dont a parlé Mme Zirari.

35. M. LORENZO dit que le Comité n'a pas reçu d'information sur les peines encourues par les auteurs d'actes de torture. Conformément à l'article 4, paragraphe 2 de la Convention, ces peines doivent être en rapport avec la gravité des actes.

36. Il est bon qu'au Ministère marocain chargé des droits de l'homme existe un service ayant pour mission d'élaborer les mesures législatives nécessaires pour harmoniser le droit interne marocain avec les traités internationaux auxquels le Maroc est partie. M. Lorenzo rappelle l'importance qui s'attache à l'adoption d'une disposition de droit pénal prohibant explicitement la torture, et prescrivant à l'encontre des auteurs d'actes de torture, des peines graves. Une telle disposition assurerait qu'aucune des situations envisagées à l'article premier de la Convention n'échappe à la sanction et, en même temps, constituerait un avertissement sérieux adressé à toute la société et surtout aux forces de sécurité.

37. M. GIL LAVEDRA voudrait savoir quelles sont, en dehors de la peine de mort et de l'emprisonnement, les sanctions des crimes et délits qui sont prévues par la législation marocaine.

38. M. EL IBRASHI évoque le rapport d'une organisation non gouvernementale selon lequel le Ministre marocain des droits de l'homme, en réponse à une question posée par un parlementaire, avait déclaré que 34 anciens militaires parmi ceux qui étaient incarcérés à Tazmamert étaient décédés, ce qu'attesterait un document officiel émanant des autorités. M. El Ibrashi aimerait recevoir un complément d'information à ce sujet. Il aimerait en outre savoir quelles mesures législatives et judiciaires ont été prises pour prévenir la torture. Par ailleurs, quelle est la définition de l'atteinte à la sûreté de l'Etat qui justifie le doublement du délai maximum de garde à vue. M. El Ibrashi demande aussi s'il est vrai que le délai maximum de la garde à vue prévue par le Code de justice militaire est de 10 jours prolongeables, si certaines des peines applicables aux détenus comme la fermeture des portes, le port de chaînes, qui sont inscrites dans le dahir de 1930 sont encore en vigueur, enfin s'il y a eu des cas de poursuites intentées selon des règles spéciales contre des fonctionnaires ayant pratiqué la torture.

39. M. BEN AMMAR voudrait savoir s'il y a encore des personnes considérées comme disparues et quel est leur nombre. Pour ce qui est de l'enseignement et de l'information concernant l'interdiction de la torture, prévus à l'article 10 de la Convention, M. Ben Ammar signale que l'UNESCO recommande la mise en place d'un plan national d'éducation relative aux droits de l'homme applicable à la fois dans le secteur scolaire et le secteur extrascolaire. Une conférence mondiale réunie en mars 1993 à Montréal en a arrêté les grandes lignes. Par ailleurs, l'adoption d'un code de déontologie policière pourrait contribuer à la formation et à l'éducation des personnels chargés de l'application des lois. Enfin, M. Ben Ammar rappelle que le Comité espère que le Maroc lèvera la réserve qu'il a formulée à l'article 20 et fera les déclarations prévues aux articles 21 et 22 de la Convention.

40. M. DOUMOU (Maroc) dit que les peines encourues par les auteurs d'actes de torture sont celles qui sont prévues par le Code pénal pour punir les délits commis par des fonctionnaires dans l'exercice de leurs fonctions, ou pour punir des crimes tels que la violence, l'homicide, etc. Une nouvelle réforme du Code pénal est en cours et le nouveau texte comportera une définition de la torture et énoncera les peines dont seront passibles les auteurs d'actes de torture. Aux termes de la réforme du Code pénal qui a déjà eu lieu en 1990, il est prévu qu'en cas d'atteinte à la sûreté intérieure ou extérieure de l'Etat, la durée maximale de la garde à vue est de 96 heures (soit 4 jours), renouvelable une seule fois sur autorisation écrite du Procureur du Roi ou du Procureur général du Roi. Cette règle s'applique, que le juge saisi soit civil ou militaire. Enfin, M. Doumou tient à la disposition du Comité des statistiques et des décisions judiciaires concernant des fonctionnaires reconnus coupables d'avoir infligé à des détenus de mauvais traitements pouvant aller jusqu'au meurtre maquillé en suicide.

41. Mme ZIRARI (Maroc) dit que les peines prescrites par le dahir de 1930 qui régit encore les établissements pénitentiaires sont tombées en désuétude et ne sont plus appliquées. Le projet de réforme est prêt. Par ailleurs, le Ministre de la justice a publié un "Guide du détenu" qui énonce clairement les droits des détenus et qu'il est facile de se procurer.

42. M. MAJID (Maroc) ajoute que ce guide est affiché dans toutes les prisons, dans des endroits visibles, et que tous les détenus peuvent en prendre connaissance.

43. M. Majid dit qu'il fera part au Gouvernement marocain des préoccupations du Comité quant à la publication de la Convention au Bulletin officiel du Maroc.

44. Tous les détails concernant les personnes disparues et les 34 militaires détenus qui sont décédés à Tazmamert ont été fournis au Comité des droits de l'homme lors de l'examen du troisième rapport périodique du Maroc (CCPR/C/SR.1364, par. 64). Aucun autre cas de disparition ne s'est produit depuis.

45. Le PRESIDENT remercie la délégation marocaine de son rapport écrit, de son exposé oral et des réponses précises qu'elle a apportées aux questions du Comité.

46. La délégation marocaine se retire.
La première partie (publique) de la séance prend fin à 16 h 35.
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