Distr.

GENERALE

E/C.12/1994/SR.9
16 mai 1994


Original: FRANCAIS
Compte rendu analytique de la 9ème seance : Morocco. 16/05/94.
E/C.12/1994/SR.9. (Summary Record)

Convention Abbreviation: CESCR
COMITE DES DROITS ECONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS


Dixième session


COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 9ème SEANCE


tenue au Palais des Nations, à Genève,
le vendredi 6 mai 1994, à 10 heures.


Président : M. ALSTON


SOMMAIRE


Examen des rapports :

a) Rapports présentés par les Etats parties conformément aux articles 16 et 17 du Pacte (suite)

Rapport initial du Maroc (suite)


La séance est ouverte à 10 h 15.

EXAMEN DES RAPPORTS :

a) RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES CONFORMEMENT AUX ARTICLES 16 ET 17 DU PACTE (point 4 a) de l'ordre du jour) (suite)

1. M. LAGHMARI (Maroc) rappelle tout d'abord que le texte des réponses du Maroc (document sans cote en français seulement) aux questions écrites du Comité (E/C.12/1994/WP.4) a été remis aux membres du Comité. Il contient notamment un tableau comparatif de l'augmentation des salaires minimums et de l'indice du coût de la vie entre 1989 et 1992 et un tableau de l'évolution des salaires minimums entre 1980 et 1992, dans le commerce, l'industrie et les professions libérales, d'une part, dans l'agriculture, d'autre part.

2. Le représentant du Maroc commente les réponses aux questions 7 à 12 concernant l'article 7 :

3. La législation marocaine garantit aux fonctionnaires de l'Etat, des collectivités locales et des établissements publics un salaire égal pour un niveau égal. A chaque échelon d'un grade correspond un indice qui sert de base pour le calcul des émoluments du fonctionnaire. Aucune discrimination n'est faite à cet égard entre les hommes et les femmes. Le décret du 30 décembre 1975 détermine les conditions d'accès aux postes de responsabilité sur la base de l'ancienneté et de la capacité sans aucune discrimination.

4. Dans le secteur privé, les salaires sont fixés d'un commun accord entre les employeurs et les travailleurs ou leurs représentants, mais ne doivent pas être inférieurs aux salaires minimums. Le Gouvernement marocain fixe par décret les salaires minimums tant dans le secteur industriel et tertiaire, que dans le secteur agricole. Le département ministériel concerné procède continuellement à l'évaluation et à l'exécution de recherches et études relatives aux salaires et à la durée du travail dans le secteur privé en se fondant sur les normes et règles énoncées dans la législation et la réglementation en vigueur, ainsi que sur l'évolution du coût de la vie. Le salaire minimum est fixé en fonction de l'indice du coût de la vie.

5. L'Inspection du travail au Ministère de l'emploi et des affaires sociales est chargée de veiller à l'application des textes législatifs et réglementaires concernant la fixation des salaires minimums et l'égalité de rémunération. A titre indicatif, l'Inspection du travail a enregistré en 1992 1 158 infractions relatives aux salaires minimums.

6. Selon les textes en vigueur, le travailleur a droit à une journée de repos, soit 24 heures consécutives par semaine. Il a également droit à un congé payé après six mois de travail continus et effectifs. Le droit aux congés est calculé sur la base d'un jour et demi par mois de service, pour les travailleurs de plus de 18 ans, et de deux jours par mois de service, pour les travailleurs de moins de 18 ans. Le travailleur a, en outre, droit aux congés payés durant les jours officiellement chômés et payés (fêtes religieuses et nationales). Ces jours sont actuellement au nombre de 18 par an.

7. M. SIMMA rappelle qu'il a demandé la veille ce qu'était exactement un "dahir". Il n'y a pas d'explication à ce sujet dans le rapport initial du Maroc. Dans quels cas la loi est-elle promulguée par décret royal ? S'agit-il alors d'un dahir ? Dans quels cas la loi est-elle promulguée par le Parlement ? Selon le document de base HRI/CORE/1/Add.23, le Maroc est une monarchie démocratique. Quel est donc le rôle du Parlement au Maroc et dans quels cas le roi intervient-il par décret ?

8. M. LAGHMARI (Maroc) indique que le texte de la Constitution marocaine, qui a été remis au Comité, permet de mieux comprendre ce qu'est un "dahir". La Constitution, approuvée par référendum populaire, fixe les prérogatives des trois pouvoirs : législatif, exécutif et judiciaire. Le dahir est une prérogative du roi, et c'est par dahir qu'il exerce les pouvoirs que lui donne la Constitution. Dans le domaine législatif, le dahir équivaut, selon les cas, à une loi, à un décret ou à un décret-loi.

9. Il est intéressant de voir comment se passe le processus législatif. Lorsqu'un projet de texte de loi proposé par le gouvernement ou par la Chambre des représentants a été examiné par les commissions compétentes, puis adopté en plénière par la Chambre, il est soumis (depuis la révision de la Constitution en 1992) au Conseil constitutionnel qui, dans les délais fixés par la Constitution et son règlement intérieur, se prononce sur sa constitutionnalité et vérifie qu'il n'y a pas empiétement d'un des trois pouvoirs sur les prérogatives d'un autre. Après décision positive du Conseil constitutionnel, c'est, comme dans tout Etat de droit, le chef de l'Etat - et donc, dans le cas du Maroc, le roi - qui promulgue la loi. Il dispose alors pour ce faire d'un délai de 30 jours.

10. En cas de vacance de la Chambre des représentants, lorsque des mesures doivent cependant être prises pour assurer la continuité des services de l'Etat, le pouvoir exécutif intervient par décret-loi (il convient de noter qu'une telle situation ne s'est pas présentée au Maroc au cours des 10 dernières années). C'est le Premier Ministre qui assume cette responsabilité. Les projets de textes de loi sont examinés tout d'abord au sein d'un conseil de gouvernement présidé par le Premier Ministre, puis au sein du Conseil d'Etat, présidé par le roi, conformément à la Constitution. Une fois adopté, le texte devient un dahir qui a la valeur d'un décret-loi. Il devient exécutoire, mais est soumis à l'examen de la Chambre des représentants lorsque celle-ci siège de nouveau.

11. En cas de force majeure, la Constitution donne à l'exécutif des pouvoirs pour assurer la continuité des services de l'Etat. Une telle situation ne s'est pas présentée au Maroc depuis plus de 15 ans.

12. Le dahir peut aussi ne pas avoir de portée législative. A titre d'exemple, c'est par dahir que le roi nomme tous les hauts fonctionnaires de l'administration de l'Etat, les ministres, secrétaires généraux, directeurs, agents de l'autorité, chefs des entreprises publiques, etc.

13. M. TEXIER dit que, selon des informations provenant du Département d'Etat des Etats-Unis, il serait fréquent que la législation du travail ne soit pas respectée et soit même ignorée dans le secteur non structuré ainsi que dans des secteurs tels que le textile et l'artisanat. Le gouvernement serait souvent amené pour des raisons politiques à empêcher le plein exercice des droits des travailleurs afin de maintenir son emprise sur les syndicats. Les négociations collectives ne seraient pas assez protégées et la tradition en matière de négociations collectives existant au Maroc ne s'étendrait pas aux nouveaux secteurs économiques. Quelle est la situation à cet égard ?

14. D'autre part, selon un document du BIT en date de 1992, le contrôle exercé par l'Inspection du travail dans le secteur agricole serait d'après certains syndicats marocains, relativement limité, ce qui priverait les travailleurs de leur protection sociale et empêcherait la mise en oeuvre efficace du système d'indemnisation en cas d'accident du travail. Le document du BIT souligne l'absence de statistiques des accidents dans le secteur agricole. M. Texier aimerait savoir comment fonctionne l'Inspection du travail. Dispose-t-elle d'un nombre suffisant d'inspecteurs et peut-elle agir sur l'ensemble du territoire ? Par ailleurs, des poursuites sont-elles engagées devant les tribunaux en cas d'infraction à la législation du travail et des sanctions sont-elles prononcées ?

15. M. NAJIB (Maroc) souligne que le Maroc est caractérisé par un dualisme en ce qui concerne l'économie et la société. Il existe, d'une part, un secteur moderne et, d'autre part, un secteur traditionnel ou informel touché par le processus de transition de l'économie traditionnelle à l'économie moderne. Le secteur informel échappe un peu à la loi et le travail y est clandestin ou semi-clandestin; il n'est pas organisé et est très difficile à contrôler. Les salaires y sont extrêmement bas, mais il en va de même des revenus. Comment un artisan qui ne gagne même pas le salaire minimum pourrait-il accorder un tel salaire à ses apprentis ? Il faut être conscient de cette réalité pour comprendre le non-respect des lois dans le secteur informel. Force est de constater que le travail clandestin n'existe pas seulement dans les pays en développement mais aussi dans les pays les plus développés comme les Etats-Unis, la France et l'Italie. Au Maroc, le secteur informel est très vaste. Il fournirait 50 % des emplois.

16. Quant aux libertés syndicales, elles sont garanties par la loi. Les syndicats sont nombreux au Maroc, ce qui prouve que la loi est réellement appliquée et que les travailleurs en tirent parti pour s'organiser et défendre leurs droits légitimes. Le gouvernement encourage les conventions collectives et considère qu'il s'agit d'instruments efficaces de modernisation des relations de travail.

17. En ce qui concerne la sécurité et l'hygiène du travail, la législation est globalement bien respectée et les contrôles sont assez bien assurés dans le secteur moderne. Dans le secteur informel, par contre, il est difficile d'exercer des contrôles et de faire appliquer la loi. Il est exact que l'ampleur des inspections est limitée dans le secteur agricole. Les moyens du Ministère de l'emploi et notamment les moyens en inspecteurs restent insuffisants pour contrôler un territoire très étendu. Pour montrer l'ampleur des difficultés rencontrées, on peut indiquer qu'il y a environ 200 inspecteurs du travail alors qu'il y a environ 80 000 établissements industriels, outre des établissements commerciaux ou autres. L'insuffisance des contrôles n'est manifestement pas due à une mauvaise volonté, mais à des contraintes budgétaires et à un niveau de développement économique et social que le gouvernement essaie d'améliorer par une politique appropriée. Le gouvernement est en train de lancer un programme de recrutement et de formation de 100 inspecteurs nouvellement recrutés. Il a été demandé au Ministère des finances de créer 200 postes supplémentaires d'inspecteurs dans le cadre de la loi de finances de 1994 de manière à pouvoir renforcer les contrôles et les rendre plus efficaces. En outre, il ne suffit pas pour effectuer les contrôles de disposer d'inspecteurs : il faut aussi des véhicules. Des efforts intenses sont faits dans ce domaine et la situation va en s'améliorant.

18. Le Maroc a pu se doter d'un système d'information statistique qui est actuellement jugé efficace. L'organigramme du Ministère de l'emploi a été modifié, le nombre de directions étant porté de quatre à neuf. Les services de collecte de statistiques et d'information, y compris sur les accidents du travail, ont été renforcés.

19. Des sanctions sont prévues par la loi en cas de non-respect des dispositions relatives à l'hygiène et à la sécurité du travail. Des sanctions efficaces sont prononcées par les tribunaux. Il n'est malheureusement pas possible d'identifier toutes les contraventions à la législation faute de moyens. Le gouvernement essaie donc de les renforcer.

20. M. MARCHAN ROMERO constate qu'il existe une législation du travail importante au Maroc; cependant, il souhaite savoir si le Code du travail, dont il est fait mention au paragraphe 51 du rapport du Maroc, a déjà été adopté. En effet, selon le paragraphe 58 du rapport, des commissions formées de représentants du gouvernement et de partenaires économiques et sociaux seront "chargées de la révision du Code du travail".

21. M. NAJIB (Maroc) précise qu'il convient de faire une distinction entre la législation du travail et le Code du travail. En effet, le Maroc est doté d'une législation du travail très riche mais très ancienne. Le projet de Code du travail est dès lors conçu comme un exercice de modernisation de la législation du travail. Cependant, le Gouvernement marocain n'a pas souhaité imposer un Code du travail au pays. C'est pourquoi un large débat a lieu avec l'ensemble des forces vives de la nation. Ce débat est en cours depuis plusieurs années, les travaux étant complexes et fondés sur des négociations, des compromis et le dialogue. Par conséquent, c'est bien d'une révision de la législation du travail qu'il est question au paragraphe 58 du rapport du Maroc.

22. Le représentant du Maroc commente ensuite les réponses écrites distribuées aux questions 13 à 15 concernant l'article 8 :

23. M. Najib précise que 14 centrales syndicales ont été créées depuis 1955, dont dix sont actives. Cinq de ces centrales sont "politisées" et neuf autres sont dites "autonomes", même si elles sont généralement traversées par des courants politiques. La Constitution marocaine garantit la liberté et l'indépendance des syndicats ainsi que le droit de constituer un syndicat ou d'adhérer au syndicat de son choix. Il ne peut y avoir de limitation à l'exercice de ces libertés que par la loi, comme le stipule l'article 9 de la Constitution de 1992. Les syndicats peuvent être dissous par la volonté de leurs membres ou par un arrêt de la juridiction compétente quant ils ne respectent pas les dispositions légales en vigueur. Par ailleurs, la loi interdit aux magistrats ainsi qu'aux membres des forces armées royales et de la police de créer ou d'adhérer à un syndicat.

24. Le droit de grève est garanti par la Constitution. Cependant, certaines catégories de fonctionnaires, appartenant au corps des magistrats, aux forces armées royales et à la police n'ont pas le droit d'exercer une grève. En revanche, il n'existe aucune restriction à l'exercice du droit de grève dans le secteur privé, pour autant qu'il soit exercé dans les limites des principes et des règles arrêtés par la loi. Le droit des autres peut dans la pratique constituer une limite au droit de grève notamment lorsqu'il perturbe la liberté du travail.

25. M. TEXIER rappelle que, aux termes de l'article 14 de la Constitution, "le droit de grève demeure garanti. Une loi organique précisera les conditions et les formes dans lesquelles ce droit peut s'exercer". Cette loi organique a-t-elle été adoptée ? Dans l'affirmative, la délégation marocaine peut-elle préciser les conditions et les formes en question ? D'autre part, selon des informations émanant de l'Organisation marocaine des droits de l'homme, ONG affiliée à la Fédération internationale des droits de l'homme, des atteintes graves au droit de grève auraient existé, suite en particulier à une lettre du Premier ministre en février 1994 portant interdiction de la grève qui était projetée et ce, en violation de la Constitution. Selon la même ONG, des entraves au droit de manifester se seraient produites, un communiqué officiel du 27 avril 1994 ayant interdit à toute personne non affiliée à un syndicat de participer au défilé du 1er mai. M. Texier s'étonne de cette décision, le 1er mai étant traditionnellement la fête du travail, à laquelle tous les travailleurs devraient pouvoir participer.

26. S'agissant de la liberté syndicale, et selon des informations émanant de l'ONG susmentionnée, ainsi que du résumé du rapport présenté par la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations du BIT, des délégués du personnel auraient été licenciés à cause de leurs activités et des membres et des responsables de certains syndicats auraient été licenciés en raison de la constitution d'un bureau syndical dans l'entreprise ou de leurs activités syndicales. La Commission d'experts du BIT a également rappelé en 1994 que la Confédération démocratique du travail (CDT) et l'Union générale des travailleurs du Maroc (UGTM) avaient présenté en 1991 des commentaires relatifs aux articles 1 et 2 de la Convention No 98 de l'OIT sur le droit d'organisation et de négociation collectives, "critiquant l'absence de tout texte législatif assurant une protection adéquate contre les actes de discrimination antisyndicale dans l'emploi". La Commission d'experts note par ailleurs que le projet de Code du travail est à l'étude depuis plusieurs années. Tout en restant prudent, l'on est en droit de se poser la question de savoir s'il est bien à l'étude ou s'il s'agit d'une absence de volonté politique en la matière. Il est utile de rappeler que le Comité de la liberté syndicale du BIT, lors de son examen du cas No 1589 en 1993, avait rappelé dans ses conclusions "qu'il est nécessaire que la législation établisse d'une manière expresse les recours et les sanctions contre les actes de discrimination antisyndicale des employeurs à l'égard des travailleurs". M. Texier considère, dans ce contexte, que les informations données par la délégation marocaine sont pour le moins insuffisantes. Il ne peut, par ailleurs, que s'associer au voeu exprimé par la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations du BIT qui a indiqué que "dans ces circonstances, comme le Comité de la liberté syndicale, la Commission ne peut que prier à nouveau instamment le gouvernement d'adopter dans un proche avenir des mesures législatives ou autres pour assurer l'application de la Convention".

27. M. SIMMA fait siennes les observations de M. Texier et estime que, si l'on tient compte des informations émanant de l'Organisation marocaine des droits de l'homme et de la Commission d'experts du BIT, il semble que l'article 8 du Pacte soit l'objet de violations manifestes.

28. M. KOUZNETSOV croit comprendre que le mot dahir se rapporte à un acte législatif émanant du roi. Dès lors, dans quelle mesure les droits économiques, sociaux et culturels relèvent-ils de lois votées par le Parlement ? D'une façon générale, quel est le rapport entre les différents pouvoirs dans le système politique marocain ? Des actes émanant du Parlement et des actes juridiques adoptés par d'autres autorités, quels sont ceux qui bénéficient de la prééminence ?

29. M. NAJIB (Maroc) précise que la loi organique concernant le droit de grève n'a pas encore été adoptée, mais qu'elle est actuellement à l'étude. Une telle loi est nécessaire pour organiser le droit de grève et éviter les abus. En aucun cas le gouvernement n'a l'intention d'interdire le droit de grève. C'est ainsi que lorsque le Premier Ministre a pris récemment la décision d'interdire une grève générale, c'est parce qu'elle constituait un acte politique susceptible d'être à l'origine de troubles de l'ordre public. De même, il ne s'agissait pas d'interdire la manifestation du 1er mai, mais de mettre les syndicats devant leurs responsabilités et de leur faire clairement comprendre qu'ils étaient responsables des débordements éventuels de leurs membres. Les manifestations du 1er mai se sont d'ailleurs très bien déroulées et les médias en ont rendu compte de manière objective.

30. D'autre part, le représentant du Maroc fait observer qu'il est impossible de licencier un travailleur pour des raisons liées à ses activités syndicales. Il n'est pas exclu qu'il y ait des abus dans certaines entreprises et qu'un travailleur soit licencié pour de prétendues raisons professionnelles, mais ces agissements sont contraires à la loi. De même, les syndicats sont libres et indépendants et la loi ne prévoit aucune entrave à leurs activités. Il peut également y avoir des abus dans ce domaine mais, là encore, la loi est présente pour faire entendre raison aux patrons fautifs.

31. Par ailleurs, il existe au Maroc plusieurs sources de législation : le Parlement n'est pas le seul organe autorisé à proposer ou à promulguer des lois. En tout état de cause, les lois émanant du Parlement et les règlements émanant d'autres instances ont tous force de loi et les tribunaux sont chargés de les faire respecter.

32. Le PRESIDENT fait observer, comme il l'a déjà fait lors de l'examen d'autres rapports, que le Comité ne s'attache pas uniquement à l'aspect juridique de l'application du Pacte, mais également à la mise en oeuvre pratique des droits qui y sont garantis. C'est ainsi que si les réponses apportées par une délégation aux préoccupations spécifiques des membres du Comité ne concernent que l'aspect juridique des problèmes, le Comité peut être amené à conclure qu'il n'a pas été répondu de manière satisfaisante à ses préoccupations spécifiques.

33. M. SIMMA se félicite que le droit de grève soit garanti par la Constitution et que les diverses lois en la matière semblent en conformité avec les obligations internationales du Maroc mais déplore qu'aucune sanction pénale ne soit prévue en cas de violation de ces dispositions. En outre, en pratique, ces dispositions ne semblent pas garantir réellement les libertés prévues par le Pacte. Par ailleurs, M. Simma souhaite connaître la réaction de la délégation marocaine en ce qui concerne les affirmations de la Confédération internationale des syndicats libres selon lesquelles l'absence de toute protection effective des travailleurs contre des actes évidents de discrimination antisyndicale et l'incapacité du gouvernement à mettre en oeuvre le projet de Code du travail, qui pourrait corriger la situation, ont permis aux employeurs de continuer à commettre des violations des droits syndicaux fondamentaux.

34. M. TEXIER, soutenu par M. ALVAREZ VITA, note que selon l'article 14 de la Constitution "le droit de grève demeure garanti" et "une loi organique précisera les conditions et les formes dans lesquelles ce droit peut s'exercer". Il estime que dans la mesure où cette loi organique n'a pas été promulguée, il est clair que le droit de grève ne devrait pas être limité par une mesure prise par le Premier Ministre ou quiconque. Il lui semble, en effet, difficile de comprendre comment l'on pourrait préjuger qu'une grève est de nature à porter atteinte à l'ordre public. En tant que praticien du droit pénal du travail, il fait observer que, dans tous les pays du monde, les patrons tentent de présenter les licenciements de délégués syndicaux comme des sanctions légitimes pour faute professionnelle. Il faut que les Etats veillent à ce que les travailleurs soient protégés contre ce type de pratiques, notamment en assurant l'efficacité des juridictions chargées de faire respecter le droit syndical.

35. M. Texier fait état d'informations publiées le matin même par différents organes d'information bien connus (Reuters, Le Monde, etc.) selon lesquels 26 militants de l'Association marocaine des droits de l'homme auraient été arrêtés au cours de la manifestation du 1er mai pour avoir lancé des slogans antiroyalistes, et demande des informations à ce sujet.

36. M. KOUZNETSOV demande quel texte juridique ou constitutionnel autorise le Premier Ministre à interdire l'exercice du droit de grève.

37. M. LAGHMARI (Maroc) estime que le témoignage de la Confédération internationale des syndicats libres ne constitue qu'une opinion et non une source crédible et suffisante. Il demande des exemples concrets de violations. Il explique néanmoins que des sanctions sont prévues et appliquées en cas de violation de la législation du travail. De même, des voies de recours sont prévues en cas de licenciement abusif pour exercice d'activités syndicales. Les employés lésés peuvent s'adresser à l'Inspection du travail, dont les inspecteurs veillent attentivement au respect de la législation en vigueur et savent déceler les subterfuges par lesquels certains employeurs pourraient tenter de licencier des syndicalistes en invoquant une faute professionnelle imaginaire. Des abus sont certes possibles mais la délégation marocaine ne peut se prononcer si on ne lui présente pas des cas concrets. Il est possible que le Code du travail soit violé dans le secteur informel, où il est difficile de l'appliquer faute de moyens suffisants. En revanche, M. Laghmari n'a pas connaissance de plaintes émanant des syndicats, mettant en cause des jugements des tribunaux ou l'objectivité des inspecteurs du travail. Il faut savoir que les mécanismes appropriés fonctionnent plutôt bien dans les grandes villes où les syndicats sont puissants et bien organisés et les employeurs bien secondés par des experts, ce qui n'est pas le cas dans le secteur informel. Le Maroc étant un pays en développement, ce secteur est très vaste et occupe plus de 50 % de la main-d'oeuvre. L'intervenant ne dispose d'aucune information sur l'arrestation des 26 militants dont il a été fait état et ne peut donc se prononcer à ce sujet.

38. M. SIMMA entend présenter à la délégation marocaine des cas concrets de violation de la législation du travail extraits de l'étude annuelle pour 1992 de la Confédération internationale des syndicats libres, qui traite des violations des droits syndicaux. Il donne lecture d'importants passages qui relatent en détail des représailles (licenciements abusifs, agressions, emprisonnements, réduction d'effectifs, etc.) exercées en 1992 contre des syndicalistes de l'UMT ou de simples grévistes employés par différentes entreprises (NEMTAV, FIRESTONE, DIMAPLAST, CABELEC, etc.). Il espère que ces informations sont assez complètes et détaillées pour que la délégation marocaine soit en mesure de se prononcer.

39. M. KOUZNETSOV demande une réponse à sa question sur les bases juridiques sur lesquelles le Premier Ministre peut se fonder pour interdire l'exercice du droit de grève.

40. M. LAGHMARI (Maroc) répond à M. Koutznetsov que l'article 13 du Code des libertés publiques stipule que si l'autorité administrative locale estime qu'une manifestation projetée est de nature à troubler l'ordre public, elle l'interdit par notification adressée aux responsables. De son côté, le Premier Ministre prend ses décisions en vertu de la loi. Le représentant du Maroc déclare qu'il a pris note des abus et violations qui lui ont été signalés, à titre de témoignage, et s'engage à les étudier.

41. Le PRESIDENT demande au secrétariat de fournir le plus tôt possible à la délégation du Maroc un exemplaire de l'étude citée par M. Simma. Il espère que la délégation sera en mesure de fournir les éclaircissements demandés avant la fin de la session.

42. M. WIMER ZAMBRANO estime que la réponse de la délégation marocaine a éclairé le Comité sur la portée de la législation du travail et demande, à titre de complément d'information, quelle est l'étendue des pouvoirs discrétionnaires à la disposition du Premier Ministre par rapport aux textes législatifs.

43. Le PRESIDENT rappelle que le Comité examine, au titre de l'article 8 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, un droit auquel correspondent d'autres droits, définis dans l'autre pacte, qui ont trait au droit à la liberté d'association. Il fait observer que la notion d'ordre public est définie de façon très restrictive dans le second pacte.

44. M. LAGHMARI (Maroc) déclare que les pouvoirs du Premier Ministre ne sont pas discrétionnaires : ils sont définis par la Constitution et les décisions et les actes de l'exécutif, dont le Premier Ministre, sont strictement conformes aux lois, au Code des libertés civiles et à la Constitution.

45. Le PRESIDENT invite les participants à examiner l'application de l'article 9, qui se rapporte au droit à la sécurité sociale.

46. M. LAGHMARI (Maroc) commente le document en français, distribué aux membres du Comité, en abordant les réponses aux questions 16 à 18 de la liste E/C.12/1994/WP.4 :

47. Il explique d'abord que le système de protection sociale du Maroc forme un ensemble dans lequel la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) joue un rôle de premier plan. En tant qu'établissement public doté de la personnalité civile et de l'autonomie financière, la CNSS est administrée par un conseil tripartite, où siègent les syndicats. Elle est soumise à la tutelle du Ministère de l'emploi et des affaires sociales. Créée en 1959, trois ans après l'accès à l'indépendance nationale, la CNSS a vu s'élargir ses compétences au profit d'un nombre croissant de salariés des secteurs industriel et commercial, des professions libérales et d'autres secteurs spécifiques tels que l'agriculture, les gens de mer, les employés de coopératives et les propriétaires d'immeubles, les entreprises nationales, les gens de maison, les travailleurs temporaires ou occasionnels du secteur privé et les membres de la famille d'un employé travaillant pour le compte de ce dernier. Les prestations servies par la CNSS sont les allocations familiales, des prestations à court terme sous forme d'indemnités journalières, de maladie et de maternité et d'allocations de décès et des prestations à long terme de vieillesse, d'invalidité et de survivants.

48. La CNSS a développé une politique d'action sanitaire pour répondre aux besoins de santé des salariés et de leurs familles. La création d'un système d'assurance-maladie, qui est envisagée, devrait permettre d'intégrer très rapidement l'action sanitaire de la CNSS dans cette nouvelle branche de la sécurité sociale.

49. La Caisse nationale des organismes de prévoyance sociale (CNOPS), qui a un statut de mutuelle, regroupe huit mutuelles du secteur public, dont celle des fonctionnaires, qui forment les trois quarts de ses adhérents. En tant que caisse d'assurance maladie, la CNOPS reçoit des cotisations et des subventions de l'Etat et rembourse les frais engagés par les adhérents et leurs ayants droit en matière de soins médicaux, d'hospitalisation, de frais pharmaceutiques, de frais d'analyses médicales et de laboratoire, ainsi que les soins et appareillages dentaires. Dans les secteurs public et privé, il existe d'autres mutuelles telles que l'Union des mutuelles des salariés marocains (UMSM), la Mutuelle de l'Office national des chemins de fer, la Mutuelle de l'Office national de l'électricité, la Mutuelle de la Compagnie marocaine de navigation, etc., qui ont essentiellement pour but d'assurer une couverture sociale en matière de soins de santé. La Caisse interprofessionnelle marocaine de retraite (CIMR) est une association regroupant des organismes privés (assurances et entreprises), ayant pour but d'instaurer un système de pension de vieillesse au profit des salariés qui sont des assurés sociaux. Depuis 1960, la CIMR connaît une progression constante du nombre des entreprises, des travailleurs et des bénéficiaires qui y adhèrent ou y sont affiliés.

50. La Caisse marocaine de retraite (CMR), qui est un établissement public, gère le régime des pensions des agents titulaires de la fonction publique. Elle sert des pensions de vieillesse et de survivants. Récemment, ce régime qui servait des pensions relativement faibles par rapport aux traitements, a été réformé dans le sens d'une augmentation sensible des pensions versées. La base de calcul de ces pensions, qui se limitait au traitement de base, a été élargie pour couvrir également les indemnités statutaires incorporées dans les émoluments.

51. Le Régime collectif d'allocations de retraite (RCAR) a été créé en 1978 pour servir des pensions aux agents non titulaires de l'Etat et des collectivités locales, ainsi qu'aux personnels des établissements publics soumis au contrôle financier de l'Etat.

52. L'indemnisation en cas d'accident professionnel relève de la responsabilité de l'employeur, qui s'en décharge en passant contrat avec une compagnie d'assurance. L'indemnisation en cas d'accident du travail et de maladie liée au travail comprend la prise en charge des frais médicaux et le versement d'indemnités journalières dont le montant varie en fonction de la nature et de la durée de l'incapacité de travail. De 1980 à 1989, les prestations de sécurité sociale ont représenté environ 1,5 % du produit intérieur brut.

53. Des études faites en 1989 et en 1990 par les organismes marocains compétents en collaboration avec les services concernés du PNUD et du BIT ont montré que les salariés du secteur public sont, dans l'ensemble, assez bien protégés contre les risques sociaux, tandis que ceux du secteur privé disposent d'une couverture moins homogène et plus différenciée selon les professions.

54. Le gouvernement s'efforce d'étendre la couverture sociale à toutes les catégories. La coordination des régimes de pensions, le rôle que jouera la CNSS en matière d'assurance-maladie et l'extension de la protection sociale à tous les secteurs sont au coeur des actions que mènent les responsables gouvernementaux dans ce domaine.

55. Une protection sociale est assurée aux femmes au même titre qu'aux hommes, sans aucune discrimination. Un dahir du 27 juillet 1972 assujettit obligatoirement au régime de sécurité sociale les apprentis et les personnes salariées de l'un ou de l'autre sexe travaillant pour un ou plusieurs employeurs. Les dispositions de ce dahir ont été étendues aux employeurs et travailleurs des exploitations agricoles, forestières et à leurs ayants droit par un dahir du 8 avril 1981.

56. Selon les textes juridiques et réglementaires en vigueur, toutes les catégories de travailleurs et leurs ayants droit ont droit à la sécurité sociale. Toutefois, on constate dans la pratique que ce droit n'a pas encore été étendu aux travailleurs indépendants, aux membres de la famille d'un employeur travaillant pour le compte de ce dernier, aux employés de maison et aux travailleurs agricoles ne bénéficiant pas des allocations familiales.

57. Il convient également de remarquer que le taux de couverture du régime de la sécurité sociale diffère d'une catégorie à une autre. On s'efforce cependant d'étendre cette couverture et d'harmoniser les prestations que reçoivent les différentes catégories.

58. En ce qui concerne la protection des travailleurs marocains à l'étranger, le Maroc a conclu avec certains pays d'immigration des conventions bilatérales de sécurité sociale qui complètent les conventions bilatérales de main-d'oeuvre. Ainsi, le Maroc a signé des conventions de ce type avec l'Algérie, l'Allemagne, la Belgique, le Danemark, l'Espagne, la France, la Libye, les Pays-Bas, la Suède et la Tunisie, et il poursuit des négociations à cet effet avec d'autres pays tels que le Canada et l'Italie.

59. Ces accords prévoient un certain nombre de principes, règles et mesures qui, non seulement permettent aux travailleurs marocains de bénéficier des régimes obligatoires de sécurité sociale des pays d'immigration en vertu de l'égalité de traitement entre les travailleurs migrants et les nationaux, mais tiennent compte de leurs besoins spécifiques de protection liés à leur qualité de "migrants".

60. Les principales dispositions du régime institué par ces conventions bilatérales sont les suivantes : les périodes de cotisation et d'activité accomplies au Maroc sont ajoutées à celles analogues du pays d'emploi pour la détermination des droits aux prestations maladie, maternité, accident de travail ou maladie professionnelle et aux allocations familiales. Les droits acquis ou en cours d'acquisition d'après la législation marocaine en matière de pension et de retraite sont pris en compte pour accorder ces prestations à long terme dans le pays d'emploi; les prestations de sécurité sociale du pays d'immigration peuvent être transférées au Maroc en cas de retour temporaire, de retour définitif ou pour les enfants restés au Maroc. Ces prestations concernent les soins de santé, les accidents du travail, les maladies professionnelles, les allocations familiales au profit d'enfants restés au Maroc et les pensions d'invalidité ou de vieillesse (retraite) en cas de retour définitif au Maroc.

61. Mme JIMENEZ BUTRAGUEÑO demande si la pension de vieillesse dont il est question au paragraphe 3 de la page 12 du document présenté par la délégation marocaine est compatible avec les prestations de la Caisse nationale de sécurité sociale et si le Gouvernement marocain accorde beaucoup d'avantages pour inciter la population à s'affilier à des caisses de pension privées.

62. Mme IDER demande quel pourcentage du salaire minimum représentent les prestations de la sécurité sociale et dans quelle mesure ces prestations sont indexées sur le coût de la vie. Elle souhaite également savoir quelle est la contribution respective des particuliers, du gouvernement et des entreprises au financement des divers régimes de sécurité sociale et quel pourcentage de la population active est couverte par le système de sécurité sociale.

63. M. NAJIB (Maroc) précise que la Caisse marocaine de retraite ne concerne que les travailleurs titulaires de la fonction publique et qu'il ne s'agit pas d'une association, mais d'un établissement public qui gère le régime des pensions et retraites; les employés du secteur privé sont couverts par la Caisse nationale de sécurité sociale. Les sources de financement de la Caisse nationale de sécurité sociale sont les suivantes : cotisations patronales et salariales, intérêts produits par les réserves financières, dons et legs et autres ressources attribuées par une législation ou réglementation particulière. M. Najib indique que tous les détails concernant ce financement figurent dans un document de huit pages qu'il met à la disposition du secrétariat.

64. En ce qui concerne l'indexation sur le coût de la vie des pensions et des autres prestations de la sécurité sociale, il s'agit là d'un principe admis par le Gouvernement marocain, mais il s'est révélé difficile, au cours des 15 dernières années, d'indexer à la fois les prestations sociales et les salaires. Ce principe n'est donc pas appliqué d'une manière systématique.

65. Mme IDER demande à nouveau quel pourcentage du salaire minimum représentent les prestations sociales et, compte tenu de la hausse rapide des prix et de l'impossibilité d'indexer les prestations sociales sur le coût de la vie, si les retraites sont suffisantes pour permettre aux bénéficiaires de vivre.

66. M. NAJIB (Maroc) dit que le taux des allocations familiales a été relevé de 50 à 80 dirhams par mois et par enfant pour les trois premiers enfants, et qu'il est de 36 dirhams pour les trois enfants suivants. En cas de maladie, les indemnités journalières ont également été augmentées, leurs taux passant de 50 % à deux tiers du salaire journalier moyen pour les 26 premières semaines, les suivantes étant déjà à deux tiers du salaire journalier moyen. Le taux des indemnités journalières de maternité a aussi été relevé, passant de 50 % à 100 % pendant 12 semaines, au lieu de 10, comme c'était le cas auparavant. En outre, le laps de temps séparant deux périodes de maladie a été réduit de 18 jours à six jours et l'allocation décès a été augmentée, passant de 6 000 à 10 000 dirhams. Le représentant du Maroc souligne qu'il faut faire preuve d'une extrême prudence en considérant ces chiffres, car les taux de change officiels ne reflètent pas le pouvoir d'achat réel des habitants du pays.

67. S'agissant de la question de savoir s'il est possible de vivre au Maroc avec une retraite, M. Najib dit que le pouvoir d'achat des retraités varie considérablement en fonction de l'endroit où ils vivent et que, s'il est difficile de vivre avec un salaire minimum de 1 300 dirhams, cela est néanmoins possible. Deux enquêtes, menées respectivement en 1984-1985 et 1991-1992 sur les dépenses des ménages, ont révélé qu'un pourcentage énorme de la population vivait avec des revenus inférieurs à ce salaire minimum. Le taux de pauvreté est passé de 30 % en 1984-1985 à 15 % en 1991-1992, mais les personnes se trouvant dans une situation d'extrême pauvreté représentent actuellement 7 % de la population. Dans ce contexte, ceux qui touchent un salaire minimum ou une retraite de 1 300 dirhams sont relativement privilégiés.

68. M. LAGHMARI (Maroc), commente les réponses aux questions écrites relatives à l'article 10 du Pacte (protection de la famille, de la mère et de l'enfant) :

69. Il dit que le concept de famille a, en droit marocain, un sens restreint. Seule la famille légitime et par le sang est reconnue. Elle puise son fondement dans le mariage. Ainsi, les enfants naturels ne peuvent se prévaloir de leurs liens de filiation pour réclamer quoi que ce soit à leur père, qui, de son côté, ne peut pas les reconnaître.

70. En droit marocain, l'adoption n'a aucune valeur juridique et n'entraîne aucun des effets de la filiation (art. 83 du Code du statut personnel et successoral). Cependant, par charité, la religion musulmane et la loi autorisent la kafala (prise en charge de l'enfant). Pour combler le vide juridique dans ce domaine, le dahir portant loi No 1-93-165 du 10 septembre 1993 a donné une définition de l'enfant abandonné, de son statut juridique et de la procédure à suivre en cas de prise en charge.

71. Pour ce qui est des facteurs qui peuvent faire obstacle à la liberté des hommes et des femmes de contracter mariage, l'article 29 du Code du statut personnel et successoral prohibe : le mariage simultané avec deux femmes qui n'auraient pu, si elles avaient été de sexe différent, contracter mariage entre elles en raison de leur proche parenté; le mariage avec un nombre d'épouses supérieur à celui autorisé par la loi; la reprise en mariage de l'épouse répudiée tant qu'elle n'a pas observé la retraite de continence après un mariage conclu et consommé régulièrement avec un autre époux; le mariage d'une musulmane avec un non-musulman; le mariage avec une femme se trouvant sous la puissance maritale d'un tiers ou en état de retraite de continence.

72. Le dahir portant loi No 1-93-347 du 10 septembre 1994 a modifié et complété certaines dispositions du Code du statut personnel et successoral. Ainsi, concernant le mariage, le législateur a donné à la femme le droit de choisir librement la personne avec laquelle elle désire contracter mariage (art. 5 et 12 du Code). De même la femme majeure qui n'a pas de père peut contracter mariage toute seule.

73. Vu l'importance du mariage, les notaires ne peuvent le "confirmer" qu'après présentation de certains documents : l'autorisation d'un juge pour tous ceux, filles ou garçons, qui n'ont pas encore atteint l'âge légal du mariage, même quand le mariage s'impose comme remède social, un certificat médical prouvant que l'intéressé ne souffre d'aucune maladie contagieuse, une copie de l'autorisation du juge en cas de mariage polygame (la polygamie n'est plus du ressort du seul mari, elle dépend de l'autorisation du juge qui n'est accordée qu'après examen du cas).

74. En réponse à la question relative au divorce, M. Laghmari note que le taux de dissolution du mariage est très élevé (entre 30 et 40 %). C'est pour lutter contre ce phénomène que les dahirs portant loi du 10 septembre 1993 ont apporté des modifications au Code du statut personnel et successoral. L'article 48 stipule ce qui suit : "1. La demande de répudiation doit être reçue par deux Adouls (notaires) en fonction dans le ressort territorial de la compétence du Cadi où se trouve le domicile conjugal, 2. La répudiation ne sera enregistrée qu'en la présence simultanée des deux parties et après autorisation donnée par le Cadi".

75. En vertu de l'article 52 "tout époux qui prend l'initiative de répudier sa femme doit lui remettre un don de consolation (mouta'a) qui sera fixé compte tenu de l'état de ses moyens et de la situation de la femme répudiée" et "s'il est établi que la répudiation n'est pas fondée sur des motifs valables, le Cadi doit tenir compte de tout préjudice que la femme a subi, au moment de l'évaluation du don de consolation". L'article 156 bis a institué "un Conseil de famille chargé d'assister le Cadi dans les affaires de famille".

76. Le législateur marocain a complètement modifié l'article 179 du Code de procédure dont le nouveau texte se lit comme suit : "... le Cadi est tenu, avant d'autoriser la répudiation, de procéder à une tentative de conciliation entre les époux par tous les moyens qu'il estime appropriés, notamment en dépêchant auprès du couple deux conciliateurs à cet effet. Lorsque le Cadi autorise la répudiation, il fixe le montant du cautionnement que le mari doit déposer à la caisse du tribunal, avant la réception par les Adouls de la déclaration de répudiation". Ce cautionnement est destiné à garantir l'exécution des obligations prévues à l'alinéa suivant : "Lors de l'homologation de l'acte de répudiation, le Cadi rend d'office une ordonnance par laquelle il fixe la pension alimentaire de la femme pendant la retraite de continence, le lieu où est effectuée cette retraite, le don de consolation dû à l'épouse, évalué compte tenu du préjudice éventuel subi par elle du fait d'une répudiation non fondée, le paiement de l'arriéré de la dot et la pension alimentaire des enfants, et réglemente le droit de visite du père. Cette ordonnance est exécutoire sur le champ et n'est susceptible d'aucun recours. Il appartient à la partie qui s'estimerait lésée de saisir la juridiction dans les formes ordinaires".

77. Enfin l'article 1248 du Code civil, tel qu'il a été modifié, prévoit parmi les créances privilégiées sur les meubles le préjudice qui pourrait être causé à la femme à la suite d'une répudiation abusive.

78. Répondant à des questions concernant l'emploi des enfants, le représentant du Maroc signale qu'un dahir de 1947 interdit le travail des enfants qui n'ont pas atteint l'âge de 12 ans. Il est, d'autre part, envisagé d'augmenter l'âge d'acceptation au travail dans le cadre du projet de code du travail en cours d'élaboration.

79. Pour protéger l'enfant et préserver sa santé, le législateur a habilité les agents de l'Inspection du travail à exiger des visites médicales pour les enfants dont l'âge est situé entre 12 et 16 ans, le but étant de vérifier leur capacité de supporter le travail qui leur est assigné. En outre, les travailleurs âgés de moins de 18 ans doivent passer une visite médicale de contrôle chaque semestre.

80. D'autre part, la loi interdit l'emploi des enfants à des travaux dangereux et de nuit, et fixe le poids maximum qu'il est permis de leur faire porter, tirer ou pousser. L'application de ces dispositions est contrôlée par des agents de l'Inspection du travail qui sont habilités à effectuer des visites sur les lieux de travail et à recevoir des plaintes des requêtes.

81. Répondant à la question relative à la protection des enfants en situation difficile, M. Laghmari signale que le Ministère de l'emploi et des affaires sociales intervient à différents niveaux. Des centres d'initiation professionnelle prennent en charge les enfants qui ont abandonné l'école, retardant ainsi leur arrivée sur le marché du travail et leur donnant la possibilité de compléter leur formation.

82. Des centres de réinsertion sociale assurent la scolarisation des enfants handicapés et leur dispensent une formation professionnelle adaptée à leur situation. Il convient aussi de signaler la création d'un commissariat pour les handicapés sur lequel de plus amples détails seront donnés plus tard. Les enfants orphelins ou abandonnés sont pris en charge dans des orphelinats et des villages SOS enfants qui leur assurent une scolarisation ou une formation professionnelle. D'autre part, le Ministère des affaires sociales organise périodiquement des campagnes de sensibilisation aux problèmes que rencontrent les enfants dans les domaines de la santé, de l'éducation et de la scolarisation. Il y a lieu aussi de signaler l'appui moral et matériel fourni par l'Etat aux nombreuses organisations non gouvernementales oeuvrant dans le domaine de la protection de l'enfance.

83. En application de la Déclaration et du Plan d'action pour la survie, la protection et le développement de l'enfant, un comité technique a été chargé d'élaborer un plan d'action national pour la réduction de la mortalité infantile et liée à la maternité. Ce plan définit les buts à atteindre ainsi que les stratégies à entreprendre à l'horizon 1996 et 2000. Les principaux objectifs retenus sont la réduction des taux de mortalité infantile et de malnutrition aiguë et chronique, l'amélioration de la scolarisation en milieu rural, la réduction du taux d'analphabétisme et l'amélioration des conditions de vie des enfants vivant dans des situations particulièrement difficiles.

84. La protection de la santé maternelle et infantile figure parmi les principales priorités des plans de développement économique et social depuis les années 70. Le programme établi à cet effet porte sur des actions structurelles en faveur des femmes en âge de procréer (surveillance de la grossesse et de l'accouchement, planification familiale et vaccination) et des enfants âgés de moins de cinq ans (vaccination, surveillance de la croissance et de la nutrition, lutte contre les maladies diarrhéiques, promotion de l'allaitement maternel et lutte contre les infections respiratoires aiguës). Toutes ces mesures ont donné de très bons résultats. Le taux de mortalité infantile est ainsi tombé de 73,3 ‰ en 1987 à 57,4 ‰ en 1992. L'évolution des taux de mortalité infanto-juvénile et lié à la maternité est aussi fort encourageante. De même, le taux de vaccination est passé de 50 % en 1987 à 97 % en 1992 et le pourcentage des bénéficiaires des programmes de planification familiale, de surveillance de la grossesse et de promotion de l'accouchement en milieu surveillé est passé respectivement de 35,9 à 41,5 %, de 25 à 32 % et de 26 à 31 % durant la même période.

85. Le représentant du Maroc répond aux questions relatives au droit à un niveau de vie suffisant proclamé à l'article 11 du Pacte :

86. Il se réfère aux résultats de l'enquête nationale sur les niveaux de vie de 1990-1991, qui témoignent de l'évolution positive des indicateurs de développement économique et social et d'une amélioration du niveau de vie. C'est ainsi que la dépense moyenne par habitant (libellée en dirhams courants) a crû de 11 % par an entre 1985 et 1991. La réduction des inégalités en ce qui concerne les dépenses, observée en 1985, s'est confirmée puisque les 10 % les plus aisés pour les ménages, qui dépensaient en 1985 16 fois plus que les 10 % les moins aisés, dépensaient seulement 13,9 fois plus en 1991, soit une baisse de 14 %. De même, le nombre des personnes vivant au-dessous du seuil de pauvreté relative (3 427 dirhams par personne et par an pour les citadins et 2 432 dirhams pour les ruraux) a diminué aussi bien en termes absolus que relatifs, le pourcentage des pauvres étant passé de 21,1 % en 1985 à 13,1 % en 1990-1991.

87. Le ménage moyen marocain a dépensé en 1990-1991 6 780 dirhams par personne. Mais la dépense moyenne en milieu urbain (9 224 dirhams) était presque deux fois plus élevée qu'en milieu rural (4 680 dirhams). Entre 1985 et 1991, la dépense moyenne par habitant a presque doublé et les dépenses de consommation ont augmenté de 5,1 % en termes réels. Il y a lieu de signaler enfin que la proportion des ménages résidant dans leur propre logement est passée de 37,5 % en 1971 à 48,4 % en 1991.

88. Les obstacles à la jouissance du droit à une alimentation suffisante sont d'ordre climatique (sécheresse, inondations et autres catastrophes naturelles telles que l'invasion acridienne), économique (niveau de développement du pays) et personnel (maladies, décès, perte d'emploi, etc.). Pour les éliminer, le gouvernement a adopté des stratégies de développement économique et social fondées sur la satisfaction des besoins essentiels de la population. En outre, les pouvoirs publics ont institué un système de protection axé principalement sur les groupes vulnérables.

89. Pour ce qui est du logement, M. Laghmari invite les membres du Comité à se référer à une annexe consacrée à l'évolution de l'habitat au Maroc qui sera distribuée par le secrétariat.

90. Mme BONOAN-DANDAN voudrait savoir comment se contracte un premier mariage au Maroc. Par exemple, un homme qui a deux épouses est-il tenu d'obtenir leur autorisation avant de contracter un troisième mariage ? Comment, dans le cadre de la polygamie, l'héritage est-il partagé ? Selon le rapport présenté par le Maroc, la loi interdit les mariages forcés. Mais qu'en est-il dans la réalité, compte tenu du poids des traditions culturelles et religieuses ? Y a-t-il des difficultés particulières à appliquer la législation dans ce domaine ?

91. S'inquiétant du sort des enfants illégitimes, qui ne semblent avoir aucun droit et qui ne peuvent pas être reconnus par leur père, Mme Bonoan-Dandan se demande quelle place leur est réservée dans les stratégies du Plan d'action national pour la survie, la protection et le développement de l'enfant dont il est question dans les réponses de la délégation marocaine aux questions écrites. Elle souhaiterait d'autre part avoir de plus amples détails sur les pratiques traditionnelles qui empêchent les femmes d'exercer pleinement leurs droits économiques, sociaux et culturels. L'excision est-elle une pratique courante dans le monde rural ? Est-elle interdite par la loi et, le cas échéant, quels sont les obstacles à l'application de la volonté du législateur ? Quelles sont les mesures prises par les pouvoirs publics dans l'ensemble du pays et plus particulièrement dans les campagnes pour promouvoir la pleine jouissance des droits économiques, sociaux et culturels ?

92. M. TEXIER dit qu'il partage les préoccupations exprimées par Mme Bonoan-Dandan. L'exposé détaillé sur les conditions du mariage dénote de fortes inégalités entre l'homme et la femme. La polygamie existe mais il n'y a pas de polyandrie. L'homme peut répudier la femme mais celle-ci ne peut pas faire de même. Notant que, selon les renseignements fournis par la délégation marocaine, une musulmane ne peut épouser un non-musulman, M. Texier se demande si la réciproque est vraie. Il ressort de l'exposé de M. Laghmari qu'une femme majeure qui n'a pas de père n'a pas besoin d'autorisation pour se marier, mais qu'en est-il d'une femme majeure qui a un père ? Quelles mesures le Gouvernement marocain envisage-t-il prendre, sachant que certaines pratiques sont fondées sur les traditions et la religion, pour établir progressivement l'égalité proclamée solennellement dans le Pacte ?

93. M. Texier se demande si le divorce existe en définitive. Dans le rapport il est question de répudiation (possibilité offerte à l'homme), mais existe-t-il un divorce par consentement mutuel ? Qu'advient-il des enfants après le divorce ? Un juge intervient-il alors ? Existe-t-il des règles accordant la garde à l'un des époux ou à l'autre et y a-t-il, comme dans certains pays, une possibilité de garde conjointe ?

94. M. Texier se demande enfin si l'âge légal pour le travail des enfants n'est pas trop bas. Dans la réalité il semblerait que même cet âge n'est pas respecté : des enfants de moins de 12 ans sont apparemment employés en tant qu'apprentis dans des ateliers d'artisanat et comme personnel domestique.

95. Le PRESIDENT invite la délégation marocaine à répondre à la prochaine séance.

La séance est levée à 13 heures.

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