Distr.

GENERALE

E/C.12/2000/SR.70
1 décembre 2000


Original: FRANCAIS
Compte rendu analytique de la 70ème séance : Morocco. 01/12/2000.
E/C.12/2000/SR.70. (Summary Record)

Convention Abbreviation: CESCR
COMITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS

Vingt-quatrième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 70ème SÉANCE

tenue au Palais Wilson, à Genève,
le mercredi 22 novembre 2000, à 10 heures

Présidente : Mme BONOAN-DANDAN

SOMMAIRE


EXAMEN DES RAPPORTS : Deuxième rapport périodique du Maroc

La séance est ouverte à 10 h 10.


EXAMEN DES RAPPORTS :

a) RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT AUX ARTICLES 16 ET 17 DU PACTE (point 6 de l'ordre du jour) (suite)

Deuxième rapport périodique du Maroc [(E/1990/6/Add.20); document de base (HRI/CORE/1/Add.23); profil de pays (E/C.12/CA/MOR/1); liste des points à traiter (E/C.12/Q/MOR/1); réponses écrites du Gouvernement marocain (HR/CESCR/NONE/12)]

1. Sur l'invitation de la Présidente, la délégation marocaine prend place à la table du Comité.

2. M. BENJELLOUN-TOUIMI (Maroc) dit que son pays a fait de la défense des droits de l'homme une priorité nationale et est entièrement acquis aux principes de leur indivisibilité. Dans le premier discours du trône qu'il a prononcé, en 1990, le Roi Mohammed VI a proclamé son attachement à la monarchie constitutionnelle, au multipartisme, au libéralisme économique et social, à l'édification de l'État de droit, à la sauvegarde des droits de l'homme et des libertés individuelles et collectives, et au maintien de la sécurité et de la stabilité pour tous. En outre, il a préconisé une nouvelle conception de l'autorité, pour que celle-ci soit au service du citoyen et proche de ses préoccupations et de ses besoins. Des mesures concrètes ont été prises pour protéger effectivement les droits de l'homme. C'est ainsi que le Gouvernement a rendu public un mémorandum qui clarifie la situation de 112 personnes présumées disparues. Les autorités ont également créé une commission d'arbitrage indépendante chargée de fixer les indemnités à verser aux ayants droit des personnes déclarées disparues. Les premières indemnisations ont déjà été versées.

3. La lutte contre la pauvreté et la défense des droits économiques, sociaux et culturels, notamment des personnes les plus vulnérables, constituent des objectifs prioritaires du Gouvernement marocain. En particulier, la Fondation Mohammed V de solidarité vient en aide aux pauvres, aux personnes âgées et aux handicapés. Le plan de développement économique et social pour la période 2000-2004 a érigé la lutte contre la pauvreté en priorité nationale et, dans cet esprit, 42 % du budget de l'État sont affectés au développement social. La société civile contribue à cet élan de solidarité nationale et plus de 20 000 associations mènent des activités dans des domaines tels que les droits de la femme, la lutte contre la pauvreté, l'emploi des jeunes et la promotion de la microentreprise.

4. Une commission nationale a élaboré une charte pour l'éducation et la formation en vue de favoriser un enseignement intégré dans son environnement national et culturel, mais également ouvert sur le monde. Cette charte a été soumise au Parlement. Par ailleurs, le Gouvernement et les partenaires sociaux ont conclu un accord visant à créer une commission d'arbitrage chargée, sous la présidence du Premier Ministre, de statuer sur les conflits sociaux et une commission nationale d'investigation et de conciliation. De même, des ressources budgétaires ont été affectées à l'exécution des programmes de formation élaborés par les syndicats les plus représentatifs. Pour lutter contre le chômage, le Gouvernement a pris une série d'initiatives, dont la création de l'Agence nationale de promotion de l'emploi et de compétence et du Fonds pour la promotion de l'emploi des jeunes, conformément au Plan d'action du Sommet mondial pour le développement social. Pour donner suite à la Déclaration et au Plan d'action de la Quatrième Conférence mondiale sur les femmes, les autorités ont mené, au cours des deux années écoulées, avec l'aide d'ONG, des actions importantes et ciblées pour améliorer la santé des femmes et favoriser l'accès des filles à l'enseignement dans les campagnes. Le Gouvernement a adopté un plan d'intégration de la femme, qui a suscité un débat fructueux, que les autorités entendent poursuivre pour pouvoir adopter rapidement des mesures concrètes visant notamment à instaurer l'égalité entre les hommes et les femmes.

5. Pays jeune et en pleine mutation, le Maroc se heurte à une série de problèmes et ses dirigeants sont conscients de la nécessité d'agir énergiquement pour résorber les fractures sociales. Des progrès importants ont déjà été réalisés dans le domaine des droits de l'homme et le Gouvernement est convaincu que la promotion des droits économiques, sociaux et culturels est indispensable. Si le chemin à parcourir est encore long, l'objectif pourra être atteint graduellement. Dans cette perspective, le Gouvernement ne doute pas que le dialogue avec le Comité sera fructueux.

6. M. RIEDEL dit que l'élaboration d'une charte nationale pour l'éducation et la formation est une très bonne initiative, mais que le Comité souhaite disposer de points de repère pour pouvoir mesurer les progrès accomplis depuis l'établissement du rapport précédent.

7. M. SADI dit que le Maroc entre dans une ère nouvelle, sous la direction d'un roi progressiste, à la hauteur de la tâche et soucieux d'accomplir des progrès dans le domaine des droits de l'homme. Comme la délégation l'a reconnu, ceux-ci sont indivisibles, de sorte qu'il n'est pas possible de promouvoir les droits économiques, sociaux et culturels si les Marocains ne peuvent se déplacer librement et ne jouissent pas de la liberté de la presse. Il faut se féliciter de la création d'une commission d'arbitrage chargée de la question des disparitions. Cependant, cette dernière aura essentiellement pour mission d'indemniser les personnes qui ont subi un préjudice du fait d'une disparition. Est-il envisagé d'élargir ultérieurement son mandat et de la charger d'enquêter sur les raisons des disparitions, pour que ce fléau ne se répète pas à l'avenir ? Des indemnisations ne suffisent pas : il faut s'attaquer à la racine du mal.

8. M. AHMED se félicite des changements survenus récemment au Maroc, qui entame un processus de démocratisation et s'emploie à faire table rase de nombreux aspects de son passé féodal et à surmonter les problèmes provoqués par la dette extérieure et la sécheresse. Le Premier Ministre, M. El Youssoufi, a lancé un appel en faveur d'une coresponsabilité et d'une coopération internationales, pour permettre l'exercice effectif des droits économiques, sociaux et culturels. Lors de la réunion organisée à Paris pour commémorer le cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme, il a souligné que les organisations non gouvernementales jouent un rôle décisif dans la défense des droits de l'homme et que les instances gouvernementales doivent avoir un dialogue constructif avec elles. Les ONG ont-elles été invitées à participer à l'élaboration du deuxième rapport périodique ? Il faut espérer qu'il y aura à l'avenir une coordination et une coopération entre les autorités responsables des droits de l'homme et les ONG, en particulier l'Association marocaine des droits humains et l'Organisation marocaine des droits humains, qui assistent à l'examen du deuxième rapport périodique de l'État partie. Celles-ci ont du reste établi un rapport parallèle, qui présente beaucoup d'intérêt. En 1994, le Comité des droits civils et politiques a indiqué que la Constitution marocaine ne contenait pas de dispositions clarifiant le lien entre les instruments internationaux et le droit interne, et qu'il fallait mieux définir la place du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dans le système juridique marocain, pour assurer la conformité du droit interne avec ce Pacte. La situation est-elle la même à l'égard du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ? En particulier, ce dernier peut-il être invoqué devant les tribunaux ?

9. M. KOUZNETSOV demande si le Maroc a adopté un plan d'action national relatif aux droits de l'homme. Il aimerait également avoir de plus amples renseignements sur le Conseil consultatif pour les droits de l'homme mentionné au paragraphe 21 du document de base (HRI/CORE/1/Add.23). Existe-t-il par ailleurs au Maroc un médiateur chargé de défendre les droits de l'homme ? Enfin, au paragraphe 32 du document de base précité, il est indiqué que les dispositions de certains instruments sont susceptibles d'être invoquées devant les juridictions marocaines. Cela signifie-t-il qu'il est possible d'invoquer directement le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels devant les tribunaux ? Si tel est le cas, il serait intéressant que la délégation marocaine donne des exemples.

10. M. BENJELLOUN-TOUIMI (Maroc) répond que le Conseil consultatif pour les droits de l'homme, qui est un organe représentatif de la société marocaine et travaille par consensus, a mené une enquête pour déterminer le sort des personnes présumées disparues. L'indemnisation des ayants droit constitue une autre étape. Il est envisagé de passer à une troisième phase, qui consisterait à établir les responsabilités et à déterminer les moyens d'éviter la répétition de telles disparitions. Le Conseil consultatif pour les droits de l'homme pourrait être chargé d'une telle tâche, mais il importe de panser les plaies et d'éviter toute démarche vindicative. Il faudra engager un dialogue plus approfondi avec les ONG lors de l'élaboration du rapport suivant. Il est nécessaire de faire en sorte que les droits de l'homme s'intègrent pleinement à la culture marocaine. Des impulsions ont été données au sommet, mais il faudra du temps pour que la culture des droits de l'homme imprègne l'ensemble de l'administration. En ce qui concerne la possibilité d'invoquer le Pacte devant les tribunaux, il est prévu de mettre toutes les lois en conformité avec le Pacte, mais cela nécessite un examen complet de la législation. Des lois et des décrets seront bientôt adoptés pour aligner le droit interne sur les instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme. Pour ce qui est de l'institution d'un médiateur chargé de défendre les droits de l'homme, il s'agit d'un projet qui se concrétisera dans un avenir rapproché.

11. La PRÉSIDENTE invite les membres du Comité qui le souhaitent à poser des questions ou à faire des observations sur les réponses de l'État partie (HR/CESCR/NONE/12) à la liste des points à traiter (E/C.12/Q/MOR/1).

12. M. RIEDEL se félicite de l'existence au Maroc d'un ministère des droits de l'homme et d'un conseil consultatif pour les droits de l'homme. En ce qui concerne le projet de création d'un poste de médiateur pour les droits de l'homme, le mandat de ce dernier sera-t-il conforme aux Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l'homme (Principes de Paris) ? En d'autres termes, le médiateur sera-t-il neutre et indépendant ? De qui relèvera-t-il ? Par ailleurs, quelle est la position du Maroc à l'égard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ? L'État partie prévoit-il d'instituer une procédure de réclamations individuelles ou collectives ? S'agissant des ONG, quelle a été leur participation à l'établissement du rapport et des réponses aux points à traiter ? Est-il prévu de les associer plus étroitement à l'élaboration du rapport périodique suivant ?

13. M. PILLAY voudrait savoir quelle est la place du Pacte en droit interne. Dans la mesure où la Constitution stipule que le droit international prime le droit interne, est-on fondé à conclure que le Pacte est directement applicable ? En ce qui concerne l'examen complet de la législation, pourquoi n'a-t-il pas été entrepris plus tôt ? De nombreuses lois ne sont pas compatibles avec le Pacte. Certaines sont discriminatoires à l'égard des femmes et des enfants. Elles devraient être abrogées sans retard. En ce qui concerne le système judiciaire, l'Association marocaine des droits humains signale, dans son rapport parallèle, que les violations du Code du travail et des droits syndicaux sont favorisées par le fait que la justice marocaine ne s'emploie pas à faire respecter les lois en vigueur et à garantir les droits consacrés par le Pacte. Pourquoi en est-il ainsi ? Les tribunaux ne connaissent-ils donc pas les dispositions du Pacte ?

14. M. SADI voudrait savoir si le Pacte est pris en considération non seulement par les instances judiciaires, mais aussi par le Parlement et le Gouvernement. Par ailleurs, étant donné que le Maroc est un État très endetté, il serait intéressant de savoir si le Gouvernement marocain met en avant les droits énoncés dans le Pacte dans ses discussions avec le FMI et la Banque mondiale.

15. M. CEVILLE note que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ou la Convention relative aux droits de l'enfant sont considérés comme directement applicables. Cela ne signifie pas que le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels soit lui-même directement applicable, et ce en raison d'un principe fondamental du droit public qui veut que toute règle juridique doit être énoncée dans une loi (contrairement au principe de droit privé selon lequel tout ce qui n'est pas interdit est admis). Il voudrait en outre en savoir plus sur la faculté du Roi du Maroc de dissoudre le Gouvernement et le Parlement et sur les conditions dans lesquelles cette faculté peur s'exercer.

16. M. TEXIER dit, à propos de l'applicabilité du Pacte, qu'à sa connaissance le Pacte a rarement - si ce n'est pas du tout - été appliqué par les tribunaux marocains. Le Gouvernement envisage-t-il de faire un effort pour sensibiliser davantage les magistrats au contenu du Pacte et au fait qu'il est directement applicable ? En outre, il importe que le rapport de l'État partie soit diffusé le plus largement possible pour que la société civile puisse présenter des observations à son sujet, et qu'ainsi s'établisse un dialogue entre le Gouvernement et la société civile sur les droits économiques, sociaux et culturels. Enfin, M. Texier s'associe aux remarques émises par M. Rattray sur le fait que plusieurs lois sont contraires au Pacte.

17. M. ANTANOVICH sait gré aux autorités marocaines des nombreuses informations fournies dans le rapport et les réponses écrites. Il prend note avec satisfaction qu'à la première rencontre méditerranéenne des institutions nationales de promotion et de protection des droits de l'homme organisée en 1998 à Marrakech, à laquelle assistait la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, le Roi du Maroc a souligné que la préservation des droits dans leurs divers aspects est tributaire de la garantie des droits économiques, sociaux et culturels. Il remarque également que des mesures encourageantes ont été prises en vue d'assurer une meilleure protection de ces droits, par exemple dans le domaine du droit du travail.

18. Néanmoins, selon une organisation non gouvernementale, s'il est vrai que des avancées sont enregistrées en matière de protection des droits syndicaux, la majorité des textes dans le domaine du travail datent du protectorat (1912-1956). Il semble aussi que certaines lois qui maintiennent des situations discriminatoires soient toujours en vigueur. Notant que l'adoption d'un nouveau code pénal a été annoncé, M. Antanovich aimerait que la délégation présente au Comité les points forts de ce nouveau code.

19. M. RATTRAY se réfère, à propos de l'application de l'article 2 du Pacte, aux conclusions adoptées par le Comité à l'issue de l'examen du rapport initial du Maroc (E/C.12/1994/5), dans lesquelles le Comité recommandait que des mesures soient prises pour prévenir et éliminer les attitudes discriminatoires ou les préjugés à l'encontre des enfants nés hors mariage. Les mesures voulues ont-elles été prises ou sont-elles envisagées pour accorder à tous les enfants les mêmes droits ?

20. M. Rattray voudrait en outre savoir quelle est la place du Pacte, notamment par rapport au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, si ses dispositions peuvent être invoquées devant les tribunaux. Il souligne l'importance d'une véritable culture des droits de l'homme.

21. M. BENJELLOUN-TOUIMI (Maroc) dit que l'activité gouvernementale et législative que connaît le Maroc aujourd'hui est comparable à un immense chantier. De profondes réformes sont engagées dans de nombreux domaines sous l'impulsion de la société civile. Les grandes lignes de l'action gouvernementale ont été annoncées par le Premier Ministre après sa nomination. Une vaste refonte de la législation est en cours. Les changements sont plus aisés dans certains secteurs que dans d'autres, mais les mesures de protection des droits économiques, sociaux et culturels vont de pair avec celles qui visent à garantir les droits et les politiques. En ce qui concerne la question sur l'état d'exception, une réponse écrite détaillée sera envoyée ultérieurement.

22. M. BELMAHI (Maroc) dit que le projet visant à instituer un médiateur est sur le point d'être achevé. Le médiateur sera indépendant de toute institution. Il pourra être saisi tant par les personnes que par les institutions, et interviendra directement auprès de l'administration concernée. Il présentera un rapport en fin d'année.

23. En ce qui concerne les Principes de Paris, M. Belmahi dit qu'ils ont été entre autres concrétisés dans le cadre du Conseil consultatif des droits de l'homme, comme l'avait annoncé le Roi dans le discours du trône du 30 juillet 2000. Pour ce qui est de l'adoption d'un protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, le Gouvernement n'a pas encore fait connaître sa position.

24. À propos de l'observation de l'Association marocaine des droits de l'homme selon laquelle la justice marocaine ne remplirait pas pleinement son rôle, M. Belmahi souligne qu'une des préoccupations majeures du Gouvernement et du Roi est la réforme de la justice aux fins de modernisation et de moralisation, et que cette volonté de réforme a été maintes fois affirmée.

25. En vue d'assurer une meilleure application du Pacte, les autorités oeuvrent sur plusieurs fronts. D'une part, elles sont engagées dans une refonte totale de la législation nationale en vue d'harmoniser celle-ci avec les instruments internationaux, ce qui n'est pas toujours simple en raison des obstacles techniques, même si la volonté politique ne fait pas défaut. D'autre part, elles s'efforcent de concrétiser sur le terrain les engagements que le Maroc a pris au plan international : l'enseignement des droits de l'homme est inscrit aux programmes des établissements scolaires secondaires. Un centre de documentation, de formation et d'information en matière de droits de l'homme, institué sous les auspices du Ministère marocain des droits de l'homme, du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme et du PNUD, dispense des formations au personnel chargé de l'application des lois. En 1996, toutes les administrations concernées ont participé activement à un colloque organisé par deux organisations non gouvernementales sur l'incorporation du droit international dans le droit interne. Il existe donc une réelle dynamique pour assurer un plus grand respect des droits de l'homme, conformément aux engagements que le Maroc a pris au plan international.

26. M. DADSI (Maroc) dit qu'en matière de droit du travail, le Maroc a connu pendant longtemps non pas un vide législatif, mais plutôt une dispersion des réglementations. L'Organisation marocaine des droits de l'homme a noté que certains textes remontaient à la période précédant l'indépendance; c'est exact. C'est pourquoi tout est fait pour élaborer une législation moderne à même de répondre aux défis auxquels fait face le Maroc dans son environnement national et international. Ce n'est pas une tâche facile en raison des problèmes engendrés par le phénomène de la mondialisation et le protectionnisme.

27. Un projet de code du travail a été présenté aux principaux partenaires sociaux, dans le cadre du "dialogue social", puis adopté par le Conseil des ministres. Il est actuellement en discussion au Parlement. Il compte 571 articles, dont cinq soulèvent quelques difficultés. Il pourrait être adopté rapidement par la majorité parlementaire, mais le Gouvernement préférerait le faire adopter à l'unanimité, avec le soutien de l'ensemble des acteurs intéressés, pour que ses dispositions puissent être effectivement appliquées sans risquer d'entraîner trop de conflits sociaux.

28. La plupart des litiges du travail surgissent dans le secteur des textiles, secteur qui doit être restructuré et modernisé. En matière sociale, le Gouvernement a renforcé son action dans le domaine de la lutte contre la pauvreté, comme il ressort du rapport qu'il a présenté à la session extraordinaire de l'Assemblée générale des Nations Unies sur le suivi du Sommet mondial de Copenhague sur le développement social.

29. M. BENJELLOUN-TOUIMI (Maroc) tient à souligner que, au fil des années, la publicité donnée aux observations finales qu'adoptent les comités chargés de l'application des instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme est de mieux en mieux assurée. Par exemple, la presse a rendu largement compte de celles du Comité des droits de l'enfant et de celles du Comité pour l'élimination de la discrimination raciale. Cette sensibilisation du grand public a été à l'origine de débats fructueux au sein du Gouvernement et du Parlement.

30. Mme AYOUBI IDRISSI (Maroc) dit que le Pacte, tout comme les autres instruments internationaux auxquels le Maroc est partie, est pris en considération par le Gouvernement et le Parlement. Les magistrats sont sensibilisés à la défense des droits énoncés dans le Pacte et ils bénéficient à cet effet de sessions de formation.

31. Traditionnellement, dans l'esprit musulman, il ne doit pas y avoir de procréation sans mariage. L'existence des enfants nés hors mariage n'est cependant pas occultée au Maroc. En 1915 déjà, une loi prévoyait leur inscription sur les registres d'état civil. Une circulaire du Ministère de l'intérieur de 1978 fait en outre obligation de ne pas mentionner, si tel est le cas, que le père est inconnu. Si l'officier ministériel ne se conforme pas à cette obligation, cela est considéré comme une simple faute matérielle qui n'entraîne pas de procédure judiciaire. L'enfant né de père inconnu obtient la nationalité marocaine dès lors que sa mère est citoyenne marocaine. Il se voit attribuer, sous réserve de l'autorisation des parents de la mère, le patronyme de celle-ci. L'enfant né hors mariage bénéficie des mêmes droits que l'enfant légitime pour ce qui est de l'accès aux soins de santé ou à l'éducation. Le principal problème est la stigmatisation dont il est victime. La société civile a cependant été la première à prendre des initiatives pour aider les mères célibataires et prévenir les abandons. L'État n'a toutefois pas été insensible aux efforts de sensibilisation des ONG. Il mène désormais des campagnes de solidarité et accorde des subventions substantielles à une association gérant des foyers, des restaurants coopératifs et des crèches en faveur des mères célibataires.

32. M. GRISSA demande si l'adoption est légale au Maroc et, dans la négative, ce que deviennent les orphelins.

33. Mme AYOUBI IDRISSI (Maroc) répond que l'État partie ne reconnaît ni l'adoption plénière ni l'adoption simple. En revanche, la kafalah de droit islamique, mentionnée dans la Convention relative aux droits de l'enfant et dans la Convention de La Haye sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale, a toujours existé dans les sociétés arabo-musulmanes en général et au Maroc en particulier. Un décret de 1993 fixe plus précisément les conditions et dispositions administratives relatives à la kafalah et les garanties dont doit bénéficier l'enfant concerné.

34. M. PILLAY aimerait que la délégation donne des exemples d'avis émis par le Conseil consultatif pour les droits de l'homme dans des cas concrets et précise si ce Conseil consultatif est habilité à examiner les politiques économiques du Gouvernement du point de vue de leurs conséquences sur la jouissance des droits de la population.

35. M. Pillay, par ailleurs, n'est pas tout à fait satisfait des réponses apportées. À titre d'exemple, la délégation marocaine a certes indiqué que tout citoyen peut invoquer des dispositions du Pacte devant les tribunaux, mais elle n'a cité aucun exemple à l'appui.

36. M. SADI dit que, à en juger par le titre du Conseil pour les droits de l'homme, il doit s'agir d'un organe d'ordre "consultatif" et qui ne doit donc pas avoir la faculté de prendre des décisions contraignantes. Si tel est bien le cas, il y a là une lacune importante.

37. M. BENJELLOUN-TOUIMI (Maroc) dit que, jusqu'à présent, toutes les recommandations émises par ce Conseil ont été mises en œuvre. En raison de l'histoire récente du pays, et sous la pression de l'opinion publique, celui-ci s'est d'abord penché sur les questions les plus brûlantes, qui avaient trait davantage aux droits civils et politiques qu'aux droits économiques, sociaux et culturels. Ses fonctions sont cependant en train d'évoluer et il sera appelé à traiter d'un éventail de plus en plus large de questions. De plus amples renseignements seront communiqués aux membres du Comité ultérieurement.

38. M. RATTRAY croit comprendre que la Constitution marocaine interdit aux pouvoirs et au secteur publics de faire preuve de discrimination. Il demande si cette interdiction s'étend également au secteur privé.

39. Mme AYOUBI IDRISSI (Maroc) répond que l'article 8 de la Constitution marocaine consacre le principe de la non-discrimination. Ce principe, même s'il n'est pas toujours respecté dans les faits, est légalement tout aussi valable dans le secteur privé que dans le secteur public. Ainsi, dans un contrat de travail signé avec une entreprise privée, toute clause discriminatoire est considérée comme un vice de forme et entraîne la nullité du contrat.

40. M. BENJELLOUN-TOUIMI (Maroc) ajoute que depuis quelques années, le Maroc déploie de grands efforts pour remplir les obligations qu'il a contractées dans le domaine de compétence de l'OIT. La coopération avec cette institution est telle à présent qu'un certain nombre de pays ont signé des accords avec lui pour mener des projets pilotes afin d'étudier le modèle marocain en vue de le transposer ensuite.

Articles premier, 2 et 3 du Pacte

41. M. WIMER ZAMBRANO se félicite de l'évolution démocratique du Maroc depuis l'arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement. Il regrette toutefois le caractère évasif des réponses écrites de l'État partie sur la question sahraouie. L'opinion publique internationale estime que c'est en partie à cause du Maroc que cette question n'a pas encore trouvé de solution. La façon dont le nouveau gouvernement réussira à apporter une réponse à ce problème hérité du passé sera en quelque sorte son épreuve du feu.

42. M. TEXIER rappelle que dans les observations finales qu'il a adoptées à l'issue de l'examen du rapport initial du Maroc (E/1990/5/Add.13), le Comité avait noté avec préoccupation qu'au Sahara occidental, le droit à l'autodétermination n'avait pas été exercé en parfaite conformité avec les dispositions de l'article premier du Pacte ni selon les plans approuvés par le Conseil de sécurité. Il s'était déclaré préoccupé par les conséquences négatives sur la jouissance des droits de la population concernée de la politique menée par le Maroc au Sahara occidental. Comment les choses ont-elles évolué et quelle est notamment la position du nouveau gouvernement sur la question de savoir qui va participer au référendum ?

43. M. Texier demande par ailleurs comment et par quel organisme est reconnu le statut de réfugié et quelles sont les possibilités d'appel en cas de rejet de la demande. Il croit savoir que les réfugiés rencontrent au Maroc des difficultés pour faire valoir leur droit au travail, leur droit au regroupement familial et leur droit à la non-discrimination dans l'accès à la sécurité sociale.

44. Enfin, M. Texier constate que les femmes marocaines ne sont de fait pas les égales des hommes marocains pour ce qui est de l'accès à l'éducation, des niveaux de salaire et de l'accès aux fonctions à responsabilité. En quoi consiste concrètement le projet de plan d'action pour l'intégration de la femme au développement évoqué dans les réponses écrites et est-il envisagé de prendre des mesures législatives en faveur de la parité politique ?

45. M. RIEDEL fait observer qu'aucune réponse écrite n'a été apportée à la question No 5 de la liste des points à traiter. Il s'associe par ailleurs à ce qu'ont dit les orateurs précédents sur la situation au Sahara occidental. Selon l'avis consultatif de la Cour internationale de Justice émis en 1975, l'alternative est l'indépendance ou la réintégration territoriale. En vertu du droit international, les populations concernées ont le droit de choisir elles-mêmes la solution qui leur convient, mais le référendum maintes fois évoqué n'a jamais été organisé. M. Riedel demande donc, d'une part, quels sont les problèmes encore en suspens qui empêchent le Maroc de prendre une décision sur le référendum et, d'autre part, comment l'exercice des droits consacrés par le Pacte sont garantis à la population sahraouie. Cette dernière est-elle traitée sur un pied d'égalité avec les résidents de la partie principale du pays ?

46. M. HUNT croit savoir que le Maroc a mis en place un programme d'ajustement structurel conçu en association avec la Banque mondiale et le FMI. Il voudrait savoir si, lors de la formulation du programme, le Gouvernement a pris en compte les obligations qui sont les siennes en vertu du Pacte. De manière plus générale, lorsque l'État partie engage des négociations avec des acteurs puissants tels que la Banque mondiale, le FMI ou l'OMC, fait-il valoir ces obligations, notamment s'agissant de la protection sociale de base des groupes vulnérables ? Enfin, M. Hunt demande si le Maroc a adopté un plan d'action national en matière des droits de l'homme, comme prévu par la Déclaration et le Programme d'action de Vienne.

47. M. ATANGANA souscrit à ce qui a été dit à propos du Sahara occidental et fait, observer que, dans un souci de lisibilité, il aurait été bon de reprendre le libellé des questions dans les réponses écrites.

48. M. ANTANOVICH se demande, compte tenu des déclarations faites par la délégation marocaine sur l'égalité entre hommes et femmes au Maroc, pourquoi une commission thématique "Femmes et développement" aurait été créée s'il n'y avait aucun problème ? Il aimerait notamment avoir des données précises sur la situation professionnelle des femmes, particulièrement dans les zones rurales, et savoir si la question de l'emploi, à son avis prioritaire, est prise en compte par la Commission interministérielle et dans le plan d'action pour l'intégration de la femme au développement.

49. M. THAPALIA est lui aussi préoccupé par les inégalités entre hommes et femmes. Selon lui, celles-ci sont avant tout d'ordre culturel et nécessitent une évolution des mentalités plutôt que l'adoption de textes juridiques. Il aimerait avoir des informations sur les mesures spécifiques prises pour s'attaquer aux causes de la discrimination fondée sur le sexe.

50. M. MARCHAN ROMERO salue l'élaboration du projet de plan d'action pour l'intégration de la femme au développement, qu'il juge urgent d'adopter. Il met toutefois l'accent sur le fait que la discrimination dont sont victimes les femmes marocaines est profondément ancrée dans la culture du pays. Il demande donc quelles sont les mesures concrètes adoptées par le Gouvernement pour lutter contre cette discrimination de fait.

51. M. PILLAY se félicite lui aussi de la rédaction du projet de plan d'action pour l'intégration de la femme au développement, qui témoigne de la volonté du Gouvernement de mettre un terme à certaines pratiques discriminatoires à l'égard des femmes. Ce texte prévoit en effet d'interdire la polygamie, d'octroyer à l'épouse la moitié du patrimoine de son conjoint en cas de dissolution du mariage et de relever l'âge minimum du consentement au mariage de 14 à 18 ans. Mais tant que le texte ne sera pas adopté, les femmes continueront d'être victimes de discrimination et de supporter le poids de la tradition, des coutumes et des tabous. M. Pillay souligne que ce n'est pas la première fois que le Comité attire l'attention du Gouvernement marocain sur la nécessité d'introduire des réformes dans ce domaine. Dans les observations finales qu'il avait adressées au Maroc en 1994 à l'issue de l'examen du rapport initial de ce pays (E/1990/5/Add.13), le Comité avait recommandé à l'État partie de faire un effort particulier pour lutter contre la discrimination à l'égard des femmes et veiller à ce qu'elles jouissent effectivement des droits inscrits dans le Pacte. Lors de l'examen de ce rapport, le Comité avait également exprimé son inquiétude face au maintien, sur le territoire de l'État partie, d'une société à deux niveaux caractérisée par des disparités quant au degré de jouissance des droits économiques, sociaux et culturels, disparités qui touchent particulièrement les personnes qui vivent dans les zones rurales. À cet égard, la situation ne semble pas s'être améliorée : sur les 19 % de la population qui vit au-dessous du seuil de pauvreté, 93 % sont des ruraux.

52. Dans le domaine de l'éducation, les statistiques ne sont pas plus encourageantes : le taux de scolarisation est deux fois plus élevé dans les villes que dans les campagnes et le taux d'analphabétisme des femmes rurales est très inquiétant : neuf sur dix ne savent ni lire ni écrire (contre 50 % des femmes dans les zones urbaines). Le Maroc doit donc mener une campagne de sensibilisation du public au respect des droits économiques, sociaux et culturels consacrés par le Pacte. Il faudra non seulement mettre l'accent sur la nécessité de garantir la primauté du Pacte sur le droit interne mais aussi souligner que la législation nationale est en conflit avec les dispositions dudit Pacte.

53. M. BENJALLOUN-TOUIMI (Maroc), abordant la question du Sahara occidental, insiste sur le fait que son pays n'a jamais remis en cause le droit des Sahraouis à l'autodétermination. Le Maroc soutient au contraire les initiatives de la Mission des Nations Unies pour l'organisation d'un référendum au Sahara (MINURSO) entreprises dans le cadre du plan de règlement. Le Gouvernement est pourtant conscient que ce processus peut aboutir à l'autonomie du territoire. Si ce processus traîne en longueur, c'est que la Commission d'identification chargée de recenser les Sahraouis appelés à voter se heurte à un certain nombre d'obstacles, dont le refus, par le Front POLISARIO, de certains critères d'admissibilité à voter. Le Maroc, tient quant à lui, à ce que tous les Sahraouis puissent s'exprimer sur l'avenir du Sahara occidental c'est pourquoi, il procède à l'examen des dossiers des 100 000 personnes refusées sur les listes électorales qui ont fait appel. Il agit donc dans un souci d'équité et non dans le but de retarder le processus, comme on peut le lire dans une certaine presse tendancieuse. Sa volonté de débloquer la situation s'est d'ailleurs fait jour lors de la réunion de Berlin de septembre 2000, à l'occasion de laquelle il a accepté de discuter avec le Front POLISARIO de l'avenir du territoire.

54. S'agissant de l'exercice des droits économiques, sociaux et culturels sur ce dernier, M. Benjalloun-Touimi regrette qu'on qualifie de "colons" les Marocains qui vivent au Sahara occidental : ceux-ci y ont en effet été envoyés pour développer cette région qui est l'une des plus pauvres du pays et pour veiller à ce que les populations nomades du Sahara jouissent des mêmes droits que les Marocains.

55. M. Benjalloun-Touimi déclare que son pays applique les dispositions de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés à laquelle il a adhéré le 17 novembre 1956. Le Maroc procède actuellement à la modernisation de la législation pertinente en collaboration avec le HCR. Quant aux apatrides, ils jouissent en pratique des mêmes droits que les réfugiés, bien que le Maroc n'ait pas adhéré à la Convention de 1951 relative au statut des apatrides.

56. S'agissant de la discrimination à l'égard des femmes, M. Benjalloun-Touimi déclare que le Maroc procède actuellement à une réforme du Code de statut personnel. Il s'agit d'améliorer le statut juridique de la femme, en matière successorale notamment. Il convient de noter que le Gouvernement se heurte à une vive opposition de la part de l'opinion publique, ce qui explique qu'il lui soit difficile de mettre en œuvre les réformes proposées.

57. La PRÉSIDENTE, s'exprimant en son nom propre, remarque que dans son exposé introductif, M. Benjalloun-Touimi a donné à penser que les droits économiques, sociaux et culturels des femmes étaient pris en compte dans les politiques gouvernementales. Le Gouvernement marocain paraît toutefois rencontrer certaines difficultés dans la mise en œuvre des droits consacrés par le Pacte, dans l'adoption du Plan d'action pour l'intégration de la femme au développement par exemple. Elle aimerait savoir ce que le Gouvernement entend faire pour remédier à ce problème.

58. M. BENJALLOUN-TOUIMI (Maroc) explique que le Plan d'action a suscité un débat tellement passionné et une telle opposition que le Gouvernement a décidé de procéder différemment : pour sensibiliser l'opinion publique au respect des droits consacrés par le Pacte, il prend des mesures concrètes de manière ponctuelle. Il espère ainsi susciter un changement de mentalité propice à l'adoption des réformes nécessaires à la modernisation du Maroc.


La séance est levée à 13 heures.


©1996-2001
Office of the United Nations High Commissioner for Human Rights
Geneva, Switzerland