Distr.

GENERALE

CAT/C/SR.179
26 avril 1994


Original: FRANCAIS
Compte rendu analytique de la 179ème seance : Nepal. 26/04/94.
CAT/C/SR.179. (Summary Record)

Convention Abbreviation: CAT
 
COMITE CONTRE LA TORTURE

Douzième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 179ème SEANCE

tenue au Palais des Nations, à Genève,
le jeudi 21 avril 1994, à 10 heures.

Président : M. DIPANDA MOUELLE

SOMMAIRE

Examen des rapports présentés par les Etats parties en application de l'article 19 de la Convention
(suite)

Rapport initial du Népal

Questions diverses

La séance est ouverte à 10 h 10.

EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES EN APPLICATION DE L'ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (point 7 de l'ordre du jour) (suite)

Rapport initial du Népal (CAT/C/16/Add.3)

1. Sur l'invitation du Président, M. Babu Dhakal (Népal) prend place à la table du Comité.

2. M. BABU DHAKAL (Népal) félicite les membres du Comité pour leur récente élection et tient à faire part de la profonde gratitude de son gouvernement à l'égard des Etats parties à la Convention qui ont bien voulu élire M. Regmi comme membre du Comité, assurant ainsi la représentation de l'Asie en son sein. Le Népal est tout prêt à coopérer aux travaux de cet organe indépendant.

3. Présentant le rapport initial établi par son pays conformément à l'article 19 de la Convention, M. Babu Dhakal souligne que depuis la transformation politique opérée en 1990, le Népal s'emploie sans relâche à la protection et à la promotion des droits de l'homme. Le 14 mai 1991, le gouvernement royal a ratifié la Convention contre la torture, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et son Protocole facultatif ainsi que le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Le rapport initial du Népal n'a pu être soumis à temps en raison de ressources limitées et du manque d'expérience des services compétents en la matière; les autorités népalaises escomptent améliorer cette situation dans l'avenir.

4. Le rapport présenté au Comité sous la cote CAT/C/16/Add.3 étant fort succinct, M. Babu Dhakal tient à apporter les précisions suivantes. Tout d'abord, quoiqu'il n'existe pas de législation spécifique contre la torture au Népal, tout acte de torture y est considéré comme un crime et est par conséquent punissable en vertu de diverses dispositions constitutionnelles, législatives et administratives. Plusieurs instruments juridiques népalais reprennent les dispositions des articles de la Convention contre la torture. Le gouvernement ne se contente pas d'élaborer une législation, il veille aussi à ce que toutes les garanties sur le plan légal, judiciaire et administratif en matière de droits de l'homme, président à son application. C'est ainsi que des mesures concrètes ont été prises, notamment, pour proscrire la torture ou autres traitements ou châtiments cruels, inhumains ou dégradants en vertu de dispositions législatives mais aussi grâce à la jurisprudence de la Cour suprême.

5. S'agissant de la définition de la torture énoncée à l'article premier de la Convention, l'article 14.4 de la Constitution du Royaume du Népal dispose qu'aucun détenu ne peut être soumis à des tortures physiques ou mentales ni faire l'objet de traitements cruels, inhumains ou dégradants. Quiconque serait ainsi traité pourrait prétendre à une indemnisation conformément à la loi. Cette disposition constitue une importante protection contre la torture et autres méthodes d'enquête illégales. En outre, le projet de loi 2050 sur l'indemnisation pour actes de torture comporte une définition de la torture; ce projet, actuellement examiné par le Parlement, prévoit explicitement l'indemnisation des détenus qui auraient été victimes d'actes de torture.

6. Pour ce qui est des mesures d'ordre législatif, administratif et judiciaire prévues à l'article 2 de la Convention, les droits fondamentaux des citoyens népalais sont notamment protégés par le titre 3 de la Constitution, où sont consacrés l'égalité, la liberté, le droit de recourir à la justice pénale, le droit de ne pas être mis en détention préventive, le droit à la propriété, celui de choisir sa religion, sa culture et un type d'éducation, le droit de ne pas être exploité ni exilé, le droit à la vie privée, le droit à des voies de recours, etc. Nul ne peut être placé en détention préventive sans un motif suffisant ayant trait à l'existence d'une menace compromettant la souveraineté, la tranquillité et l'unité du pays ou la paix et l'ordre public. Quiconque a été détenu en violation de la loi ou de mauvaise foi peut prétendre à indemnisation. Même en période d'état d'urgence l'habeas corpus n'est pas suspendu. Nul, au cours d'une enquête ou d'un procès ou dans toute autre circonstance, ne peut être soumis à des tortures physiques ou mentales ni faire l'objet de traitements cruels, inhumains ou dégradants. Aucun tribunal ne peut condamner qui que ce soit plusieurs fois pour la même infraction, et aucun accusé ne peut être contraint de témoigner contre lui-même. Enfin, toute personne arrêtée et placée en détention doit être présentée à l'autorité judiciaire dans les 24 heures suivant son arrestation; nul ne peut être détenu au-delà de ce délai sinon sur ordre de cette autorité. Chacun a le droit de consulter un défenseur de son choix et d'être défendu par lui.

7. Se référant à l'article 3 de la Convention, M. Babu Dhakal dit que la loi népalaise sur l'extradition dispose que nul ne peut être extradé s'il y a des motifs sérieux de croire que l'intéressé risque d'être soumis à la torture. Toute allégation en ce sens doit faire l'objet d'une enquête avant l'extradition; l'enquête est diligentée par un tribunal sur demande du gouvernement. Lorsque le tribunal s'est prononcé, l'intéressé a le droit de faire appel de la décision. Nul ne peut être extradé tant que la décision définitive n'a pas été prise. Le Népal a, par ailleurs, donné asile à 100 000 réfugiés du Bhoutan qui risquaient peut-être d'être persécutés dans leur pays. Un dialogue s'est engagé avec les autorités bouthanaises à ce sujet et un comité ministériel a élaboré des critères pour identifier l'origine des réfugiés; on s'efforce actuellement, au niveau diplomatique, d'aboutir au rapatriement des réfugiés bhoutanais dans le respect et la dignité.

8. S'agissant des articles 4 à 8 de la Convention, la loi 2049 sur les affaires pénales (Public Cases Act) stipule que le détenu doit être informé, dès que possible, du délit pour lequel il a été placé en détention. Tout détenu doit être présenté au tribunal dans les 24 heures pour que celui-ci autorise son maintien en détention. Le Muluki Ain (ou droit du Royaume) interdit la détention illégale : si cette disposition n'est pas respectée, les coupables sont châtiés et les victimes indemnisées. Par ailleurs, la loi sur les prisons prévoit la détention séparée des hommes et des femmes, des prisonniers de moins de 21 ans et de plus de 21 ans et des personnes poursuivies au civil et au pénal. L'article 7 de ladite loi limite strictement l'imposition de menottes et de fers aux seuls détenus réincarcérés après s'être évadés ou avoir fait une tentative d'évasion. L'article 11 de cette même loi prévoit que les détenus ou prisonniers peuvent bénéficier des soins du médecin nommé par les autorités. Lorsqu'ils souhaitent être soignés à leur frais, ils sont libres de choisir leur propre praticien.

9. Nul ne saurait être privé de liberté au-delà de la période d'emprisonnement ou de détention fixée par décision du tribunal ou par la loi. Dès qu'elle reçoit l'ordre de libérer un prisonnier, l'administration pénitentiaire doit s'y conformer dans les 24 heures. Le président du tribunal ou un juge de la cour d'appel doit visiter les établissements pénitentiaires une fois par an; s'il constate qu'une personne est maintenue en prison au-delà de la date prévue, il ordonne sa libération qui doit être immédiate. Si sa décision n'est pas suivie d'effet, le juge fait rapport à la Cour suprême et au Ministère de l'intérieur. Le responsable du district inspecte également les prisons tous les six mois et chaque fois que nécessaire. Tout acte d'indiscipline et de désobéissance de la part de l'administration pénitentiaire ou de tout autre fonctionnaire sont des délits punissables d'une peine de prison pouvant aller jusqu'à deux mois ou d'une amende de 200 roupies, ou des deux.

10. La loi 2012 sur les libertés civiles assure le respect des droits consacrés au titre 3 de la Constitution en matière de justice pénale; cette loi réaffirme notamment les principes suivants : nul ne peut être poursuivi et condamné deux fois pour le même délit, nul ne peut être puni plus sévèrement que ce qui était prévu par la loi au moment où le délit a été commis et nul ne peut être contraint de témoigner contre lui-même. En outre, en vertu de cette loi, tout détenu doit être informé dès que possible de la nature du délit pour lequel il a été arrêté et a le droit de se faire assister par le conseil de son choix. Nul ne peut être maintenu en détention si l'autorité compétente n'a pas ordonné d'ouvrir une enquête, ordre qui doit être donné dans les 24 heures suivant l'arrestation; la personne détenue en vue de l'enquête doit être informée des présomptions qui pèsent sur elle et des dispositions pertinentes de la loi. Enfin, aucun document n'est recevable comme élément de preuve s'il a été obtenu sous la contrainte par une quelconque autorité. Le décès d'un détenu qui a été privé de nourriture et d'eau est un crime puni par la loi. Le projet de loi sur l'indemnisation comporte des dispositions pour les cas où des détenus auraient été maltraités et tués; les victimes de tortures peuvent engager des poursuites contre leurs tortionnaires, y compris s'il s'agit de fonctionnaires. L'indépendance du pouvoir judiciaire est assurée par la séparation des pouvoirs : les juges sont nommés par le Roi et ne sont donc pas des fonctionnaires; l'appareil judiciaire est régi par une législation distincte, si bien que l'exécutif ne peut empiéter sur son indépendance.

11. A propos de l'article 9 de la Convention, M. Babu Dhakal souligne que le Gouvernement népalais s'emploie activement à éliminer les actes de torture par tous moyens législatifs, judiciaires et administratifs; il envisage à cet égard de promulguer de nouvelles lois et de modifier l'ancienne législation dans le contexte de la récente évolution démocratique. Les dispositions de l'article 10 de la Convention relatives à la formation du personnel chargé de l'application des lois ont l'adhésion totale du Gouvernement népalais, attaché aux principes démocratiques. Les programmes de formation des policiers et des responsables de district comportent déjà ce type de formation et divers séminaires et ateliers ont été organisés ou sont prévus sur ces questions. Pour ce qui est des règles régissant la pratique et les méthodes d'interrogatoire, de la nécessité de diligenter des enquêtes impartiales, des dépositions forcées et du droit de porter plainte en cas de confessions obtenues sous la contrainte, ainsi que du droit à une indemnisation équitable et suffisante, visés aux articles 11 à 14 de la Convention, toutes les dispositions à ces effets ont été reprises dans la législation népalaise. L'article 9 de la loi 2031 sur la preuve ne reconnaît comme recevables que les aveux faits volontairement. Les interrogatoires doivent se dérouler sans violence, tortures ni menaces. C'est la police qui enquête sur les affaires criminelles dont le procureur saisit le tribunal; le cas échéant, l'accusé peut librement faire savoir au tribunal qu'il a subi des tortures ou d'autres traitements cruels, inhumains ou dégradants. Lorsqu'ils inspectent les prisons, les juges et les responsables de district peuvent quant à eux constater si de tels actes ont été commis. En cas de détention ou d'arrestation illégale, la Cour d'appel et la Cour suprême peuvent exiger que le détenu comparaisse immédiatement devant le tribunal. Nul ne peut être détenu par la police plus de 24 heures aux fins d'interrogatoire. Le détenu peut exiger, lorsqu'il est déféré au tribunal, de subir un examen médical. Enfin, le projet de loi sur l'indemnisation en cas de torture fixe le montant maximum de l'indemnisation à laquelle peut prétendre une victime à 50 000 roupies.

12. S'agissant de l'application de l'article 15 de la Convention, la loi 2031 sur la preuve déclare nulle toute confession forcée qui ne saurait pas même être présentée comme élément de preuve. A cet égard, la Cour suprême a rendu un certain nombre de décisions qui, en vertu de la Constitution, ont force de loi; c'est ainsi que nul ne peut être condamné sur la base d'une simple déclaration faite au cours de la garde à vue. Enfin, en ce qui concerne l'article 16 de la Convention, le gouvernement fera tout ce qui est en son pouvoir pour garantir aux citoyens népalais le respect et la protection des droits de l'homme qui sont consacrés par la Constitution du Royaume et les instruments internationaux de défense des droits de l'homme.

13. Enfin, M. Babu Dhakal tient à évoquer les difficultés rencontrées dans son pays pour faire respecter les droits de l'homme. Le Népal figure parmi les pays les moins avancés; s'étant doté d'un régime démocratique, il a néanmoins bien du mal à atteindre ses objectifs pour ce qui est de l'amélioration du niveau de vie en matière d'éducation et sur le plan de la prise de conscience. En effet, droits de l'homme et développement économique sont inséparables. Faute de ressources, il n'est pas possible de mener à bien les recherches et études qui s'imposeraient dans le domaine des droits de l'homme et l'on manque de centres de réadaptation pour les victimes de la torture. Enfin, le représentant du Népal fait savoir qu'il a communiqué au Comité un document d'information officieux qui vient compléter le rapport CAT/C/16/Add.3, et il énumère un certain nombre de textes législatifs en vigueur dans son pays qui ont un rapport avec l'application de la Convention contre la torture.

14. M. BURNS (Rapporteur pour le Népal) tient tout d'abord à féliciter le Népal, l'un des cinq pays d'Asie qui ont ratifié la Convention, témoignant par là de son attachement aux droits de l'homme; la Convention impose en effet aux pays qui la ratifient des obligations non négligeables. Certes, le rapport à l'examen est très succinct, mais il a été largement complété par les informations que vient d'apporter M. Babu Dhakal. Il y a également lieu de noter que ce rapport n'a été présenté qu'avec cinq mois de retard, ce qui place le Népal parmi le très petit groupe de pays qui respectent les dispositions de l'article 19 de la Convention.

15. M. Babu Dhakal a déjà en partie répondu à certaines des questions que se posait M. Burns qui étudiera ces données de plus près ultérieurement. Il constate tout d'abord que le rapport n'est pas conforme aux directives générales énoncées par le Comité dans le document CAT/C/4/Rev.2; nul doute que l'expérience aidant, le Népal en tiendra davantage compte lors de la rédaction de ses rapports périodiques. La première question que souhaite poser M. Burns est celle de savoir comment le droit international est incorporé au droit interne népalais. En second lieu, il souhaiterait connaître la teneur du projet de loi interdisant la torture actuellement en préparation au Népal et savoir quelles sanctions y sont prévues pour les tortionnaires. D'autre part, il serait utile d'avoir des précisions sur la façon dont sont organisées la police et l'armée népalaises. M. Babu Dhakal a fait allusion à la manière dont sont traitées les plaintes déposées contre la police, mais il n'a pas évoqué ce qui se passe en cas de plainte contre des membres des forces armées.

16. Il a été précisé que nul ne pouvait être placé en garde à vue plus de 24 heures avant d'être déféré à un magistrat : cela est-il vrai en toutes circonstances et l'Etat a-t-il le pouvoir de suspendre les droits des détenus lorsqu'il proclame l'état d'urgence ? Si tel est le cas, pendant combien de temps la détention peut-elle être prolongée ? Lorsque l'état d'urgence est en vigueur, y a-t-il des circonstances où des personnes peuvent être détenues au secret et l'habeas corpus peut-il être suspendu ?

17. M. Babu Dhakal a précisé que les juges étaient nommés par le Roi, ce qui assurait leur indépendance à l'égard du pouvoir exécutif. Il serait intéressant de savoir comment s'effectue leur sélection, car le souverain ne fait certainement qu'entériner des propositions qui lui sont présentées par d'autres instances. M. Burns constate par ailleurs que les juges ne peuvent être relevés de leurs fonctions que par un vote à la majorité des deux tiers du Parlement, ce qui semble suffisant pour garantir leur indépendance. Il serait utile aussi de savoir de quel ministère relève l'administration pénitentiaire et si les règlements des prisons sont revus à intervalles réguliers, publiés et portés à la connaissance des prisonniers. D'autre part, les châtiments corporels et la peine capitale sont-ils pratiqués au Népal ? Si tel est le cas, il serait bon d'avoir des précisions à ce sujet. M. Burns a entendu avec satisfaction que des confessions recueillies au cours de la garde à vue ne peuvent être invoquées comme éléments de preuve dans une procédure : il semble donc que l'article 15 de la Convention est effectivement bien appliqué au Népal.

18. Il serait souhaitable d'avoir des précisions sur les mesures prises en matière d'éducation des personnels de la police, de l'armée, du personnel pénitentiaire, etc., et tout particulièrement des membres des professions médicales. Il ressort de la documentation fournie par le secrétariat que la loi sur les infractions pénales de 1970 autorise la détention sans jugement pendant une période pouvant aller jusqu'à cinq mois : cette disposition est-elle toujours en vigueur ? Selon des renseignements émanant de diverses organisations non gouvernementales et notamment d'Amnesty International, ainsi que d'après les travaux du Rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme sur les questions se rapportant à la torture, des indices convergents attestent que des fonctionnaires de police se seraient rendus coupables de mauvais traitements dans diverses régions du pays et qu'ils auraient fait l'objet de mesures disciplinaires mais non de poursuites; M. Burns souhaiterait savoir s'il y a eu des cas de policiers poursuivis pour ce genre de pratiques.

19. La nouvelle législation sur l'indemnisation des victimes de tortures - et aussi, on peut le supposer, de traitements cruels ou inhumains - prévoit une indemnisation maximum de 50 000 roupies : quels sont les critères qui permettent aux victimes de prétendre à indemnisation et existe-t-il des restrictions à cet égard ? Est-ce un tribunal ordinaire ou une cour spéciale d'indemnisation qui statue sur ces cas ? Il serait utile au Comité de connaître la façon dont on donne suite aux plaintes pour brutalités policières; M. Babu Dhakal a indiqué que ce sont les services de police qui procèdent eux-mêmes à l'enquête et en réfèrent ensuite au procureur qui décide alors ou non de poursuivre. Est-ce là une procédure systématique et est-elle également applicable en cas de plainte pour mauvais traitements infligés dans les prisons ? Il ne semble pas exister de commission indépendante appelée à connaître de ce type de plainte, le ministère public étant à cet égard la seule instance compétente. M. Burns souhaiterait savoir comment sont nommés les procureurs. Par ailleurs, la législation interne népalaise concernant la torture est-elle appliquée universellement au Népal - c'est-à-dire également pour des infractions commises à l'étranger ?

20. Le Népal se trouve dans une situation géographique très particulière qui lui pose des problèmes spécifiques en matière de droit d'asile et d'accueil des réfugiés et rend peut-être difficile à l'administration centrale l'exercice de son autorité. A cet égard, le Comité a été informé de certains incidents au cours desquels des Tibétains et des Chinois sans papiers auraient été reconduits de force à la frontière sino-népalaise. Le Comité a en outre eu connaissance d'allégations émanant de demandeurs d'asile tibétains qui auraient été attaqués par des villageois et des policiers alors qu'ils se trouvaient en territoire népalais. En particulier, des événements graves se seraient produits en 1993, à l'occasion desquels un groupe d'une soixantaine de personnes, y compris des femmes, des enfants et des vieillards, auraient été la cible de tirs de la part de la police : un jeune moine tibétain aurait été tué et trois autres demandeurs d'asile blessés. Les résultats de l'enquête officielle ouverte à la suite de cet incident n'auraient pas été rendus publics. Eu égard à la gravité de ces allégations, quelles mesures le Gouvernement népalais a-t-il prises pour faire la lumière sur ces incidents et pour empêcher qu'ils ne se reproduisent, alors que de graves problèmes se posent aux frontières et que de nombreuses personnes en quête d'asile tentent de les franchir ?

21. M. EL IBRASHI (Corapporteur pour le Népal) remercie à son tour le représentant du Népal de son exposé oral et du document présentant des informations générales qu'il a soumis au Comité. La présence d'un représentant du Népal devant le Comité contre la torture est en soi un signe du sérieux et de la bonne volonté avec lesquels le Népal envisage ses obligations au regard de la Convention. Cela dit, il conviendrait que le prochain rapport du Népal soit plus complet; peut-être les autorités népalaises pourraient-elles demander l'assistance du Centre pour les droits de l'homme pour l'établissement du prochain rapport.

22. D'après les informations données, M. El Ibrashi a l'impression que la définition de la torture et des mauvais traitements en droit népalais est plus étroite que la définition établie par l'article premier de la Convention contre la torture et que, notamment, elle exclut les souffrances mentales et les actes d'intimidation ou de pression; il aimerait avoir des précisions sur ce point. Il aimerait également avoir des éclaircissements sur la relation entre la Convention et la Constitution népalaise : dans le document présentant des informations générales sur le Népal, il est dit, d'une part, qu'en cas de conflit entre le droit népalais et une convention internationale à laquelle le Royaume est partie, la disposition de la Convention s'applique pour ce qui concerne le sujet en litige et, d'autre part, plus loin, qu'en vertu de l'article premier de la Constitution, la Constitution est la Loi fondamentale du pays et que toutes les lois qui lui sont contraires sont nulles et non avenues pour ce qui concerne le sujet en litige. Si l'on admet que la Convention fait partie du droit interne, faut-il en déduire que la Constitution l'emporte sur la Convention ? Prolongeant une question déjà posée par M. Burns à propos de l'indemnisation des victimes de tortures, M. El Ibrashi soulève celle des conditions d'octroi de cette indemnisation; les victimes de tortures détenues au secret sont-elles en mesure de solliciter cette indemnisation dans les délais voulus ? Reconnaissant que le Népal connaît une situation politique difficile, M. El Ibrashi demande en quoi l'adoption de mesures d'exception affecte, ou affecterait, l'application de la Convention contre la torture.

23. Il constate par ailleurs que rien n'a été dit, ni dans le rapport, ni dans l'exposé oral, sur l'application des articles 3, 4, 5, 6 et 7 de la Convention. Seul le paragraphe 6 du rapport mentionne que le Népal a accordé l'asile à 100 000 réfugiés originaires du Bhoutan et à quelque 15 000 réfugiés tibétains. On peut penser que l'accueil par le Népal d'un aussi grand nombre de réfugiés du Bhoutan et du Tibet se situe dans un contexte politique. Mais qu'en est-il de l'attitude du pays vis-à-vis de réfugiés d'autres pays qui risquent d'être exposés à des actes de torture ou à de mauvais traitements ? Les articles 4, 5, 6 et 7 de la Convention sont fondamentaux et il serait utile de savoir comment les autorités népalaises les ont incorporés dans le droit interne. M. El Ibrashi souhaite que le Gouvernement népalais donne des informations détaillées sur ce sujet dans un prochain rapport.

24. M. SORENSEN se félicite, considérant ce qu'a été l'histoire du Népal, de la courageuse fermeté qu'ont manifestée les autorités népalaises en ratifiant la Convention contre la torture. Il tient à insister sur l'importance de l'éducation en matière de droits de l'homme. Peut-être le Népal pourrait-il tirer parti de ce que sa démocratie n'en est qu'à ses premiers balbutiements pour mettre en place dès à présent un enseignement des droits de l'homme, y compris au niveau scolaire puisque la formation donnée aux enfants a plus de poids et de portée que celle dispensée aux adultes. L'enseignement en matière de droits de l'homme doit bien sûr inclure la prévention contre la torture. M. Sorensen relève, à ce sujet, que, d'après le paragraphe 7 du rapport, le Népal ne semble pas dispenser une formation concernant la torture au personnel médical, comme l'exige l'article 10 de la Convention. Médecin lui-même, il ne peut que regretter, mais se doit de constater, que de nombreux médecins ont activement pris part à des tortures ou s'en sont rendus complices. Si la formation de l'éducation des médecins aux valeurs des droits de l'homme est capitale, celle de toutes les catégories de personnel médical et soignant est également importante, notamment car ils peuvent tous avoir à faire aux réfugiés.

25. M. Sorensen signale au représentant du Népal qu'il existe dans son pays un centre de réadaptation des victimes de tortures et que le médecin responsable serait naturellement tout à fait disposé à apporter son aide aux autorités népalaises, que ce soit pour le traitement de ces victimes ou l'élaboration de matériels d'information à l'usage des médecins, par exemple. Bien que soucieux de conserver son indépendance, ce centre apprécierait sans doute de recevoir une aide financière du gouvernement. M. Sorensen précise, à l'intention du représentant du Népal, que le Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour les victimes de la torture a un immense besoin d'argent. Le Népal n'a certes pas les moyens de verser une contribution importante au Fonds, mais il serait bon qu'il fasse un don, même symbolique, en signe de reconnaissance et de respect à l'égard des survivants de la torture et en guise de réparation morale.

26. M. LORENZO s'associe largement aux déclarations et remarques des précédents orateurs. Il aimerait en savoir plus sur l'application de la loi relative à l'indemnisation des victimes de tortures et en particulier ce que représente un montant de 50 000 roupies. Il aimerait également savoir comment les autorités népalaises entendent traiter les problèmes soulevés par Amnesty International dans un rapport publié au mois de mars 1994.

27. M. BEN AMMAR, constatant que le Népal vit depuis 1990 une phase de transition démocratique, pense que ce pays a deux grandes priorités : l'organisation de l'état de droit et le développement économique (le PIB par habitant est de 170 dollars par an à peine). Pour réussir cette transition vers la démocratie, il est indispensable que soit assuré le respect des droits de l'homme considérés dans leur conception globale, c'est-à-dire aussi bien les droits économiques, sociaux et culturels que les droits civils et politiques. Il est donc nécessaire que le Népal mette en oeuvre une stratégie à long terme de diffusion de la culture des droits de l'homme. Celle-ci devra mobiliser l'école, les médias et les organismes de défense des droits de l'homme. M. Ben Ammar demande à ce sujet s'il existe une institution nationale de promotion et de protection des droits de l'homme. Quel est le rôle joué par les associations de la société civile et existe-t-il une ligue des droits de l'homme ?

28. L'action d'éducation doit aller de pair avec une pratique respectueuse des droits de l'homme de la part du pouvoir politique et de l'administration. A cet égard, les autorités doivent veiller à élaborer une législation appropriée, à prendre des mesures efficaces pour empêcher, conformément à l'article 2 de la Convention, que ces actes de torture ne soient commis, et à exercer, conformément à l'article 11 de la Convention, une surveillance systématique en ce qui concerne la garde et le traitement des personnes privées de liberté. L'on sait que la torture continue de se pratiquer au Népal. Dans ces cas-là est-il procédé rapidement à des enquêtes ? Des poursuites sont-elles effectivement engagées ? Des sanctions sont-elles prises contre les auteurs de torture et, ce qui est très important, ces sanctions sont-elles rendues publiques ? Le message des droits de l'homme et du respect de l'intégrité physique et psychique de l'individu doit trouver un écho dans les actes des instances juridiques et administratives et dans les médias.

29. M. Ben Ammar note avec satisfaction que le Népal a adopté le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques dès le mois de mai 1991. Il aimerait savoir s'il envisage maintenant de faire la déclaration au titre des articles 20 et 22 de la Convention contre la torture qui relève du même esprit que ce Protocole facultatif.

30. Mme ILIOPOULOS-STRANGAS a relevé dans l'exposé oral du représentant du Népal que l'application de l'article 16 de la Convention est garantie à tous les citoyens népalais; en est-il de même pour les ressortissants d'autres pays résidant au Népal ? Par ailleurs, elle aimerait connaître les garanties dont bénéficient les juges.

31. Le PRESIDENT reprend à son compte cette dernière question et regrette que le rapport du Népal soit par trop schématique et non conforme aux directives de présentation établies par le Comité. Il invite le représentant du Népal à répondre aux questions des membres du Comité à la séance de l'après-midi.

32. La séance est suspendue à 11 h 30 et reprend à 12 h 5.

QUESTIONS DIVERSES

33. M. BENOMAR (Service des services consultatifs, de l'assistance technique et de la formation du Centre pour les droit de l'homme), avant d'aborder la question plus spécifique de l'assistance qui peut être apportée aux Etats parties pour l'élaboration de leurs rapports, fait le point des programmes existant au titre de l'assistance technique. Celle-ci vise avant tout à aider les gouvernements à mettre en place des garanties permettant de mieux assurer le respect des droits de l'homme et des institutions de défense de ces droits. Au fil des années, divers projets ont été mis à exécution qui consistaient en une assistance pour la rédaction de nouvelles constitutions, en une assistance électorale, en une assistance en vue d'une réforme législative ou par le développement et le renforcement des institutions ou encore pour l'amélioration de l'administration de la justice. Depuis peu, un nouveau mandat a été confié à ce service : il concerne les droits de l'homme et la solution des conflits, mais c'est là un domaine où le Service en est à ses tout débuts.

34. En ce qui concerne la rédaction de rapports à l'intention des organes créés en vertu de traités, divers programmes thématiques organisés par le Centre pour les droits de l'homme peuvent présenter un intérêt concernant les droits de l'homme et les médias, notamment, ceux concernant l'aide à la société civile et aux organisations de défense des droits de l'homme, et la documentation en matière de droits de l'homme. Il existe aussi des programmes par pays, dans lesquels on retrouve ces divers éléments dans des proportions variables. D'année en année, les demandes d'aide adressées par les gouvernements au Service de l'assistance technique se multiplient; celui-ci s'efforce toujours de travailler en collaboration directe avec eux ainsi qu'en faisant appel à la participation active de la société civile, pour que l'assistance fournie corresponde réellement aux besoins du pays.

35. En ce qui concerne plus précisément la rédaction des rapports devant être présentés en application d'une convention, le Service prévoit pour l'année en cours deux activités principales. Tout d'abord, ayant constaté le nombre de demandes émanant de pays francophones d'Afrique, il a décidé d'organiser au mois de juin à Abidjan un séminaire auquel seront conviés 16 pays de l'Afrique francophone. Il s'agira de donner aux participants l'aptitude à rédiger les rapports devant être présentés en application d'une convention. Une session particulière sera d'ailleurs consacrée aux travaux du Comité contre la torture.

36. Autre activité prévue pour l'année en cours : un stage, organisé tous les ans, et dont le programme sera, cette année, axé sur la préparation technique des rapports. Ce stage aura lieu au mois de novembre et accueillera 40 participants. Il durera quatre semaines, dont trois semaines à l'Institut de formation du Bureau international du Travail à Turin et une semaine à Genève, cette quatrième semaine devant permettre aux participants de se familiariser avec le système onusien des droits de l'homme. Dans ce contexte, le Service prévoit d'élaborer du matériel pédagogique pour aider les participants, une fois rentrés chez eux, à transmettre les connaissances qu'ils auront acquises lors de leur stage pour que d'autres puissent en bénéficier. On espère ainsi, grâce à cet effet multiplicateur, éviter la déperdition maintes fois constatée quand un stagiaire est appelé par la suite à exercer des fonctions tout à fait différentes de celles pour lesquelles il a été formé.

37. M. Benomar précise par ailleurs que le Service des services consultatifs est ouvert à des demandes d'assistance spécifique dans des circonstances particulières. Les activités du Service sont financées, d'une part, au titre du budget ordinaire, d'autre part, au titre d'un fonds de contributions volontaires pour les services consultatifs et l'assistance technique, qui examine des demandes spécifiques d'aide, mais dont les ressources sont hélas fort limitées. En ce qui concerne les deux pays pour lesquels une aide spécifique a été demandée, à savoir l'Ouganda et la Croatie, M. Benomar indique que l'assistance dont ils vont bénéficier consiste en premier lieu en l'inscription de deux stagiaires de chacun de ces deux pays au stage prévu pour le mois de novembre. Une invitation a déjà été envoyée aux gouvernements respectifs pour qu'ils proposent des candidats. C'est le Centre pour les droits de l'homme qui choisira parmi les candidats proposés. Priorité sera donnée aux candidats susceptibles de diffuser au mieux les connaissances acquises lors du stage une fois rentrés chez eux.

38. M. Benomar ouvre une parenthèse, faisant valoir que le Centre pour les droits de l'homme a, par le passé, pu organiser une formation spécifique dans certains pays - il cite le cas de la Roumanie - qui s'est avérée fort efficace. Le rapport présenté ultérieurement par la Roumanie a en effet été qualifié d'exemplaire. Dans ce contexte, ajoute M. Benomar, il n'est pas impossible que le Centre pour les droits de l'homme demande un jour à un ou plusieurs membres du Comité contre la torture de participer à l'une de ses activités de formation.

39. Le PRESIDENT remercie M. Benomar de son exposé fort instructif et invite les membres du Comité à poser des questions.

40. M. EL IBRASHI, à propos de la demande d'aide de l'Ouganda et de la Croatie, demande si, en plus du stage dont il vient d'être question et dont il se félicite, il serait envisageable d'envoyer en mission dans les pays concernés un membre du Comité contre la torture, accompagné éventuellement d'un membre du Centre pour les droits de l'homme ou d'un membre du secrétariat. Cette mission permettrait d'apporter concrètement une aide pour l'élaboration du rapport, mais aussi de familiariser le gouvernement avec les travaux du Comité contre la torture ce qui serait du plus grand intérêt pour les deux pays concernés.

41. Mme ILIOPOULOS-STRANGAS se dit favorable à la proposition de M. El Ibrashi, ajoutant que la visite d'un membre du Comité, outre qu'elle permettrait d'aider directement les pays concernés à établir leurs rapports périodiques, servirait aussi à leur expliquer plus concrètement quels sont les objectifs de la Convention contre la torture.

42. Le PRESIDENT fait siennes les observations de Mme Iliopoulos-Strangas.

43. M. BENOMAR rappelle que le Centre pour les droits de l'homme ne dispose que d'un budget limité qui ne permettra pas de répondre à toutes les demandes d'assistance. Concevant toutefois fort bien tout l'intérêt d'une visite sur le terrain, en particulier dans le cas de l'Ouganda dont le rapport initial aurait dû être présenté en 1988, il transmettra cette suggestion au Conseil d'administration.

44. M. EL IBRASHI dit que, bien que n'ignorant pas les impératifs financiers, le Comité a la responsabilité de superviser la mise en oeuvre de la Convention et donc d'aider les pays pour ce faire. Il serait fort dommage de ne pouvoir aider l'Ouganda à s'acquitter de ses obligations en vertu de la Convention et à mieux comprendre les objectifs du Comité.

45. M. BEN AMMAR dit que l'assistance aux gouvernements peut se faire à trois niveaux. Tout d'abord, il s'agit de sensibiliser les Etats parties aux buts de la Convention pour qu'ils s'acquittent de leurs obligations. Deuxièmement, les pays peuvent bénéficier d'une assistance technique dans l'établissement de leur rapport; il convient de rappeler à cet égard que 22 pays n'ont pas encore présenté de rapport initial. Aussi, M. Ben Ammar suggère-t-il que le secrétariat du Comité organise à Genève une ou plusieurs journées d'information destinées aux représentations des pays établies dans cette ville. Enfin, les pays peuvent demander à être aidés dans l'élaboration de mesures administratives, juridiques et législatives de nature à prévenir les actes de torture ou dans la formulation des programmes de formation des différents personnels.

46. M. SORENSEN exprime son intérêt pour la suggestion de M. El Ibrashi et propose que les membres du Comité qui se rendent, à titre divers, dans des pays ayant fait une demande d'assistance soient investis d'une mission de la part du Comité. Pourquoi ne pas profiter également de la présence de certains collègues dans des pays qui pourraient bénéficier d'une assistance technique ? La proposition de M. Ben Ammar relative à une formation, à Genève, des personnels nationaux lui paraît par ailleurs très intéressante.

47. Le PRESIDENT remercie M. Benomar de sa présentation.
La séance est levée à 12 h 50.
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