Distr.

GENERALE

CERD/C/SR.1110
14 août 1995


Original: FRANCAIS
Compte rendu analytique de la 1110ème seance : Nicaragua. 14/08/95.
CERD/C/SR.1110. (Summary Record)

Convention Abbreviation: CERD
COMITE POUR L'ELIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE


Quarante-septième session


COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 1110ème SEANCE


tenue au Palais des Nations, à Genève,
le lundi 7 août 1995, à 15 heures


Président : M. GARVALOV


SOMMAIRE

Examen des rapports, observations et renseignements présentés par les Etats parties conformément à l'article 9 de la Convention (suite)

Cinquième, sixième, septième, huitième et neuvième rapports périodiques du Nicaragua


La séance est ouverte à 15 h 15.

EXAMEN DES RAPPORTS, OBSERVATIONS ET RENSEIGNEMENTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES CONFORMEMENT A L'ARTICLE 9 DE LA CONVENTION (point 4 de l'ordre du jour) (suite)

Cinquième, sixième, septième, huitième et neuvième rapports périodiques du Nicaragua (CERD/C/277/Add.1)

1. Sur l'invitation du Président, la délégation nicaraguayenne prend place à la table du Comité.

2. Le PRESIDENT souhaite la bienvenue à la délégation nicaraguayenne et l'invite à présenter le rapport du Nicaragua.

3. M. MEJIA SOLIS (Nicaragua) remercie le Comité de son accueil et se réjouit de pouvoir dialoguer avec lui. Il va s'efforcer d'apporter tous les éclaircissements voulus à propos du rapport présenté, et de rendre compte des progrès accomplis en ce qui concerne la protection des droits de l'homme des communautés autochtones du pays.

4. Evoquant le contexte politique général de son pays, M. Mejia Solis rappelle que le Nicaragua n'a pratiquement jamais cessé d'être le théâtre de luttes politiques qui ont engendré guerres civiles, tyrannies, régimes corrompus et mauvais gouvernements. La famille Somoza a, durant 50 années de dictature, appauvri les couches les plus vulnérables de la population et mis à sac les ressources naturelles du pays. C'est donc avec l'appui unanime de la population et la sympathie de la communauté internationale que la révolution populaire sandiniste a renversé ce régime. Malheureusement, le gouvernement révolutionnaire a appliqué une politique de contrôle de l'Etat sur le commerce intérieur et extérieur qui a découragé le secteur productif par des confiscations et expropriations, porté atteinte à la liberté d'expression et réduit les libertés politiques individuelles consacrées par la Constitution. La désillusion a été grande, et cette situation a été utilisée pour imposer un blocus financier et un embargo commercial au Nicaragua et pour financer des mouvements armés tels que les "contras". La société nicaraguayenne s'est trouvée divisée, polarisée et confrontée à la guerre civile et a assisté à la destruction de son économie et à la disparition des valeurs morales, spirituelles et éthiques.

5. Le 25 février 1990, Mme Barrios de Chamorro, candidate d'une coalition de 14 partis, a été élue à la Présidence de la République. Le nouveau gouvernement s'est engagé dans un difficile processus de transition, mobilisant toutes ses énergies et ses ressources pour surmonter les graves problèmes hérités du passé et créer les conditions d'une reconstruction économique et sociale et d'un renforcement de la démocratie dans le pays. La société nicaraguayenne s'emploie désormais à passer d'un modèle totalitaire à un système démocratique, du centralisme économique à une économie de marché et d'une situation de conflit armé à la réconciliation nationale. L'immensité et la complexité de la tâche a été reconnue par l'Assemblée générale des Nations Unies, qui a demandé à la communauté internationale, c'est-à-dire aux Etats et aux institutions financières et aux organismes de coopération, d'accorder au Nicaragua un traitement exceptionnel.

6. Le 4 juillet 1995, la nouvelle Constitution de la République est entrée en vigueur; elle résultait d'une réforme partielle de la Constitution de 1987, qui est celle qui a servi de base à l'établissement du rapport à l'examen (CERD/C/277/Add.1). En vertu de la Constitution actuelle, l'Etat est divisé en quatre pouvoirs (exécutif, législatif, judiciaire et électoral). L'exécutif se compose du Président et du Vice-Président, ainsi que du gouvernement, constitué des différents ministères et d'entités autonomes. Le pouvoir législatif est exercé par l'Assemblée nationale composée de 92 députés élus au suffrage universel; le pouvoir judiciaire est exercé par 12 magistrats élus par l'Assemblée nationale en accord avec l'exécutif; enfin, le pouvoir électoral est constitué de cinq magistrats élus par l'Assemblée nationale, également en accord avec l'exécutif.

7. Les tribunaux forment un système homogène dont l'organe supérieur est la Cour suprême de justice. L'article 159 de la Constitution actuelle dispose que le pouvoir judiciaire ne peut en aucun cas recevoir moins de 4 % du budget général de la République. La Cour suprême se compose d'une chambre civile, d'une chambre pénale, d'une chambre constitutionnelle et d'une chambre s'occupant des affaires contentieuses et administratives. La Cour siégeant en réunion plénière est saisie des recours en inconstitutionnalité des lois et des conflits de compétence et de constitutionnalité entre les différents pouvoirs de l'Etat. Les juges des différents tribunaux sont désignés par la Cour suprême.

8. Sur le plan administratif, le territoire national est divisé en départements, régions autonomes de la côte Atlantique et municipalités. Aux prochaines élections, les maires, adjoints aux maires et conseillers municipaux seront élus au suffrage universel direct, au scrutin secret.

9. L'article 5 de la Constitution consacre, entre autres principes, celui du pluralisme politique, social et ethnique; il précise expressément que l'Etat reconnaît l'existence des populations autochtones qui jouissent des droits et des garanties énoncés dans la Constitution mais ont en particulier le droit de préserver et développer leur identité et leur culture, de se doter de leurs propres formes d'organisation sociale et d'administrer les affaires locales, ainsi que de maintenir les formes communautaires de propriété, de jouissance et d'exploitation des terres. De même, l'article 121 de la Constitution dispose que les populations autochtones et les communautés ethniques de la côte Atlantique ont droit, dans leur région, à une éducation pluriculturelle dispensée dans leur langue maternelle. Il faut savoir que les ethnies les plus nombreuses du Nicaragua se trouvent dans les régions nord et sud de la côte Atlantique; les principaux groupes sont les métis, les Miskitos, les créoles, les Sumus et les Ramas. Les régions de la côte Atlantique comptent 370 000 habitants pour une superficie de 61 230 km2, soit 47 % du territoire national; la structure sociale de ces populations est forte et s'appuie sur une pluralité culturelle, linguistique et ethnique, chaque groupe ayant son identité propre, sa langue, son système de propriété foncière, ses modèles de peuplement et ses modes de production. Les habitants de ces deux régions autonomes représentent approximativement 10 % de la population nationale, si bien qu'il s'agit de la zone la moins peuplée du pays (4 habitants/km2); la population des deux régions est urbaine ou plutôt semi-urbaine à 35 % et rurale à 40 %, cependant que le reste (25 %) vit en habitat dispersé. Les pôles de développement sont Puerto Cabezas pour la région nord et Bluefields pour la région sud. Ce sont là que se trouvent la quasi-totalité des services administratifs et productifs. Les établissements autochtones les plus représentatifs se trouvent sur les rives du Wanki pour les Miskitos et dans la zone minière pour les Sumus.

10. Lorsqu'elle a pris ses fonctions, Mme Barrios de Chamorro a hérité d'un pays ravagé par 50 ans de dictature suivis d'une guerre civile. L'économie était affaiblie par les restrictions apportées à la liberté politique et économique et l'embargo économique et financier décidé par la communauté internationale; la société était profondément divisée et totalement démobilisée. Dans le but d'élever le niveau matériel mais aussi spirituel et moral de la nation, le gouvernement a engagé un processus de transformation politique, économique et sociale. Mais malgré tous les efforts consentis, le Nicaragua reste l'un des pays les moins développés d'Amérique latine, caractérisé par un fort taux de chômage, des services délabrés que l'on s'efforce de relever et une croissance démographique de 3,5 % par an, de telle sorte que la moitié de la population a moins de 16 ans. Le PIB par habitant, qui avait atteint 735 dollars E.-U. en 1982 et était descendu à 430,6 dollars en 1990, s'est stabilisé à 426,3 dollars en 1994. On voit que le gouvernement n'a guère les moyens de satisfaire aux immenses besoins de la population.

11. La situation du pays à la fin des années 80 était donc la suivante : une baisse du PIB de 3 % par an entre 1984 et 1990; un PIB par habitant égal à celui de l'année 1945; une hyperinflation; un déficit budgétaire écrasant; le taux d'endettement extérieur le plus élevé du monde; un taux de natalité de 3,7 %; 25 % des biens confisqués; une société profondément divisée; une absence de motivation et des distorsions de l'activité productive. Les tâches du gouvernement étaient dès lors les suivantes : permettre la réconciliation nationale par l'instauration d'une paix durable; renforcer l'état de droit et hâter la mise en place d'une société plus démocratique; accélérer la transition vers une économie dynamique permettant de créer des emplois; réduire la pauvreté et favoriser l'épanouissement des individus, condition indispensable pour renforcer la démocratie, la cohésion sociale, la participation des citoyens et la réconciliation nationale; mettre un terme à la dégradation de l'environnement et favoriser la mise en valeur rationnelle des ressources naturelles; moderniser les institutions de façon à améliorer l'administration et, partant, la qualité de la vie et le développement humain. Aujourd'hui, le bilan de ces efforts est le suivant : le Nicaragua est passé de la guerre à la paix, de la dictature à la démocratie, du conflit à la réconciliation nationale, d'une économie étatique à une économie plus stable et plus dynamique, participative et axée vers l'exportation. La société civile joue un rôle de plus en plus important. Le programme d'ajustement structurel est en passe d'atteindre ses objectifs puisqu'en 1994, le taux d'inflation n'a été que de 12 % et ne devrait pas dépasser 9 % en 1995 et que la croissance économique a été de 3,2 %, soit le taux le plus élevé de ces 10 dernières années. On espère atteindre une croissance de 5 % en 1995 et faire mieux encore en 1996. De plus, les exportations ont augmenté de 32 % et l'on s'attend à une progression de 37 % en 1995 par rapport à 1994. Enfin, les exportations de produits non traditionnels ont augmenté de 49 %, et le PIB de 3,2 %, en 1994.

12. S'agissant des aspects sociaux de la politique gouvernementale, la Présidente de la République a décrit avec précision, en janvier 1993, la façon dont son gouvernement entendait améliorer les conditions de vie de tous les Nicaraguayens grâce à une "nouvelle solidarité" dont l'objectif était de faire en sorte que tous les agents de la croissance économique y contribuent et en retirent des avantages. Dans cette perspective les institutions gouvernementales et la société civile coordonnent leur action grâce à un "programme d'action sociale" destiné à encourager la participation et le développement communautaires. D'importants progrès ont été enregistrés dans le secteur social : en 1978, les dépenses sociales représentaient 20,3 % du budget national; de 1981 à 1989, le taux a été de 24 %, puis de 38,7 % entre 1991 et 1993. En 1994, il a atteint 43,3 %.

13. Dans ce contexte, la lutte contre la pauvreté est un objectif essentiel de la politique de développement durable engagée par le gouvernement. La stratégie de cette lutte est organisée autour de trois grands axes : tout d'abord, un programme d'urgence a été lancé en direction des groupes et zones géographiques prioritaires. L'instrument clé de ce programme est le fond d'investissement social d'urgence qui finance de petits projets répondant à la demande des communautés et des collectivités locales, qui sont mis en oeuvre avec la participation effective des intéressés. Le second axe stratégique consiste à lancer des politiques économiques et sociales cohérentes destinées à : consolider les bases macro-économiques; réorienter les dépenses publiques vers les secteurs et programmes ayant les effets les plus sensibles sur la réduction de la pauvreté (instruction primaire, soins préventifs et soins de santé primaires, sécurité alimentaire); mettre en oeuvre des programmes exclusivement destinés aux groupes les plus vulnérables et dont les indicateurs de morbidité, de mortalité et de malnutrition sont les plus préoccupants, tel le couple mère-enfant; mettre en place les services les plus nécessaires aux couches les plus pauvres de la population. De plus, pour lutter contre la pauvreté, on entend réorienter les dépenses publiques vers les communes où les indices de pauvreté sont les plus inquiétants, de façon à y créer des emplois productifs et à y encourager toutes mesures propres à favoriser la création de micro-entreprises, et de petites et moyennes entreprises. En la matière, le gouvernement veille au respect des lois et du droit du travail.

14. Le troisième axe de la stratégie de lutte contre la pauvreté consiste à entreprendre des réformes institutionnelles dans certains secteurs clés, dans le but d'améliorer l'efficacité des programmes et la capacité d'exécution. Il s'agit notamment de prendre des mesures de décentralisation administrative destinées à transférer progressivement le pouvoir de décision, la gestion des ressources et des services aux collectivités locales; de renforcer la structure administrative, technique et financière des administrations locales; et enfin de rendre plus efficaces et de décentraliser les services d'appui horizontal du gouvernement central.

15. Présentant ensuite le document soumis au Comité qui regroupe les rapports qui devaient être présentés en 1987, 1989, 1991, 1993 et 1995, M. Mejia Solis dit qu'on a tenté d'y analyser le dispositif juridique mis en place par les autorités depuis 1986 pour protéger les minorités ethniques conformément aux dispositions de la Convention. Ce rapport se fonde sur la constitution promulguée en janvier 1987, qui pour la première fois dans l'histoire du pays a affirmé le caractère pluriethnique de la population nicaraguayenne, reconnaissant à tous, sans distinction, l'égalité devant la loi. Peu de temps après, en octobre 1987, la loi No 28 sur le statut d'autonomie des régions de la côte Atlantique du Nicaragua a été promulguée. Cette loi, qui constitue la pierre angulaire des droits et des devoirs des ethnies vivant sur la côte Atlantique, portait création de deux régions autonomes; elle tend à renforcer l'identité ethnique des communautés qui y vivent en respectant leur spécificité culturelle et a permis de préserver l'histoire de ces communautés, de reconnaître leur droit de propriété sur les terres communales et leur droit à la liberté de religion et leur a donné la faculté de légiférer en matière fiscale et foncière et de prendre l'initiative de lois en matière de ressources naturelles. Le gouvernement des régions autonomes se compose : d'un Conseil régional formé de 45 membres élus au suffrage populaire et des représentants de la région à l'Assemblée nationale; du Coordonnateur régional élu par le Conseil régional, qui exerce le pouvoir exécutif; et enfin, des autorités municipales et communales. Le Conseil régional et le Coordonnateur régional sont les autorités supérieures dans leur région respective.

16. Le Nicaragua a toujours condamné toutes les formes de ségrégation raciale et l'apartheid. Par ailleurs, l'Etat y reconnaît le droit de réunion, de manifestation et de rassemblement publics, le droit pour chacun d'exprimer ses opinions en public ou en privé : pour autant que ces droits soient exercés à des fins licites, ils bénéficient de la protection constitutionnelle.

17. Les garanties prévues à l'article 5 de la Convention concernant l'égalité de traitement devant les tribunaux et les droits des prévenus sont consacrés par les articles 33, 34 et 36 de la Constitution de 1987 dont les dispositions pertinentes sont énoncées aux paragraphes 42 et 43 du rapport. De même, l'article 40 de la Constitution dispose que nul ne peut être tenu en servitude et que l'esclavage et la traite des êtres humains sont interdits sous toutes leurs formes. S'agissant des droits civils consacrés par l'article 6 de la Convention, l'article 45 de la Constitution dispose que les personnes dont les droits constitutionnels ont été violés ou sont menacés de l'être peuvent former un recours en représentation de personne ou en amparo. La loi promulguée en application de l'article 45 de la Constitution établit l'amparo en matière constitutionnelle, administrative et pénale. M. Mejia Solis rappelle aussi les articles de la Constitution garantissant le droit au travail, qui sont cités au paragraphe 56 du rapport, ainsi que les dispositions relatives à la promotion et à la préservation des traditions culturelles et ethniques et de la langue des populations autochtones qui sont exposées en détail aux paragraphes 60 et 61 du rapport.

18. En ce qui concerne les mesures récentes, le représentant du Nicaragua indique que les populations autochtones bénéficiant de la réforme constitutionnelle de juillet 1995 qui a pour but de renforcer les garanties et les droits dont jouissent tous les citoyens nicaraguayens en général et d'améliorer encore la protection des minorités en particulier. M. Mejía Solis met notamment en lumière les nouvelles dispositions l'article 5 de la Constitution tendant à assurer le respect du pluralisme ethnique et du droit des peuples à l'autodétermination ainsi que d'autres droits, notamment celui d'avoir des formes d'organisation sociale qui leur sont propres et de maintenir leur culture et leur identité et des formes communautaires de propriété des terres. Ces dispositions traduisent la ferme volonté du Nicaragua de créer les conditions nécessaires pour accroître la sécurité des autochtones sur les plans juridique, économique et social et dans les secteurs de l'éducation et de la culture. Selon le nouvel article 105, l'Etat se reconnaît l'obligation de garantir à tous l'exercice des droits à l'éducation, à la santé et à la sécurité sociale, sans distinction, les services de santé étant alloués gratuitement aux secteurs vulnérables de la population. D'autre part, l'article 106 garantit la propriété des terres aux paysans qui sont les bénéficiaires de la réforme agraire et élimine toute forme d'exploitation des paysans et des communautés autochtones. Enfin, l'article 181 de la Constitution révisée prévoit que l'Etat réglemente par une loi le régime d'autonomie existant des peuples autochtones et des communautés ethniques de la côte Atlantique et qu'il doit obtenir l'approbation du Conseil régional des régions autonomes pour tout ce qui a trait à l'exploitation des ressources naturelles de ces régions.

19. En conclusion, les ressources financières extrêmement limitées dont dispose l'Etat nicaraguayen ne permettent pas, tant s'en faut, au gouvernement de lancer des programmes destinés exclusivement aux communautés autochtones de la côte Atlantique, région qui a toujours été la plus défavorisée et la moins développée. Toutefois, ayant à coeur de poursuivre son action en faveur des populations autochtones, le Nicaragua prend en compte leurs revendications et les aide à s'organiser et à se structurer en prenant des mesures administratives et juridiques favorables à leur développement. Il s'efforce notamment d'accroître la participation des autochtones à la vie nationale.

20. Sur un plan plus général, le Nicaragua a entrepris récemment une série d'activités concernant spécifiquement les autochtones. Compte tenu de l'acceptation croissante du caractère pluriethnique de la population, le Nicaragua a accueilli, dans le cadre de la Décennie internationale des populations autochtones, le onzième Congrès interaméricain des populations autochtones, les deux premières réunions préparatoires de la Décennie internationale en Amérique centrale et la première Réunion des communautés autochtones du Pacifique Centre et Nord. Ces événements ont permis de sensibiliser davantage la population aux questions autochtones. Le gouvernement a créé le Comité national pour la Décennie internationale (CONADIPI) et la Commission des affaires autochtones de l'Assemblée nationale a constitué un groupe de travail chargé de renforcer et d'intensifier les activités liées à la Décennie.

21. M. van BOVEN (Corapporteur pour le pays) remercie l'ambassadeur du Nicaragua qui a présenté des généralités historiques et politiques concernant son pays, développé certains aspects du rapport du Nicaragua et apporté des précisions sur l'évolution récente de la situation au Nicaragua. Il rappelle que le rapport précédent du Nicaragua a été examiné en août 1988 à la lumière des faits nouveaux intervenus dans ce pays, en particulier l'institution d'un statut d'autonomie pour les régions de la côte Atlantique. Il est heureux de la reprise du dialogue entre le Nicaragua et le Comité, et espère que la présentation et l'examen des rapports du Nicaragua se feront désormais à un rythme plus régulier.

22. La vie politique au Nicaragua a été longtemps polarisée et ce pays est devenu à un moment donné un champ de bataille politique, idéologique et militaire soumis à l'intervention étrangère. Les violations des droits de l'homme, principalement liées au conflit armé qui a sévi longtemps dans le pays ont sensiblement diminué, mais certaines subsistent encore (exécutions extrajudiciaires, assassinats politiques, cas d'impunité). D'autre part, dans ses observations finales du 8 décembre 1993 relatives au Nicaragua, comme l'a relevé le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, les mesures d'ajustement structurel et la privatisation de biens de l'Etat ont eu des conséquences négatives sur la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels du peuple nicaraguayen et, en particulier, sur le niveau de vie des secteurs les plus vulnérables. La délégation nicaraguayenne a annoncé que le Gouvernement nicaraguayen compte mettre en oeuvre des réformes dans ce domaine, notamment sur le plan agraire; c'est une décision positive sur laquelle il serait utile que le gouvernement fournisse au Comité des renseignements complémentaires dans son prochain rapport.

23. Les minorités ethniques et les groupes autochtones vivent surtout sur la côte de la mer des Caraïbes alors que l'activité politique et économique du pays est concentrée sur la côte opposée. La situation de ces communautés, déjà évoquée en 1988 dans le quatrième Rapport du Nicaragua et examinée en détail dans son neuvième rapport périodique, ne suscite, semble-t-il, plus autant d'intérêt de la part des médias et des organisations non gouvernementales. Cela tient en partie à l'apaisement des luttes idéologiques et politiques au Nicaragua et peut-être aux effets positifs du statut d'autonomie accordé en 1987 aux régions de la côte Atlantique. En effet, historiquement, les gouvernements successifs du Nicaragua négligeaient les régions de la côte Atlantique et ne les associaient pas aux décisions les concernant. A son arrivée au pouvoir, en 1979, le gouvernement sandiniste a mis en application un plan de réincorporation de la côte Atlantique qui a, de façon inattendue, mécontenté la plupart des autochtones. Certains, tels les Miskitos, ont été manipulés par des forces extérieures à des fins politiques, stratégiques ou militaires. Le gouvernement a alors décidé de décentraliser les organes de décision et a promulgué la loi de 1987 sur l'autonomie des régions de la côte Atlantique où vivent des populations autochtones.

24. Le rapport dont le Comité est saisi est riche en informations intéressantes, notamment sur le statut des communautés autochtones de la côte Atlantique et sur la composition ethnique de la population des régions autonomes. Mais il s'agit surtout de renseignements sur les dispositions juridiques les concernant, pas de renseignements concrets. D'autre part, les informations fournies au titre des articles de la Convention ne correspondent pas toujours à l'objet de ces articles. M. van Boven note que, dans la première partie qui donne un aperçu de la situation générale, on cite l'article 46 de la Constitution qui fait explicitement référence aux instruments internationaux relatifs à la protection des droits de l'homme (par. 5) ainsi que les articles 549 et 550 du Code pénal (par. 8) qui sont basés sur la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. Au paragraphe 11, il est fait mention de l'Institut nicaraguayen de développement des régions autonomes (INDERRA). M. van Boven demande à la délégation nicaraguayenne des renseignements complémentaires sur les tâches et les activités de cet Institut. Il aimerait savoir comment sont nommés ses administrateurs, qui sont des autochtones des deux régions autonomes, si ces fonctions leur sont spécialement réservées et s'ils ont une position privilégiée selon une méthode démocratique visant à donner des responsabilités régionales ou nationales aux membres des communautés autochtones ou des minorités ethniques.

25. Passant à la deuxième partie du rapport qui traite des articles 2 à 7 de la Convention, M. van Boven fait observer que la section consacrée à l'application de l'article 2 contient des renseignements importants sur les mesures spéciales et concrètes qui ont été prises pour protéger les intérêts des communautés de la côte Atlantique. Ainsi, les articles 89 et 91 de la Constitution mettent l'accent sur le principe de la non-discrimination et des mesures spéciales sont prévues par le Statut d'autonomie promulgué en 1987, pour protéger l'existence et l'identité des autochtones et promouvoir leur développement. Il est indiqué au paragraphe 23 que d'importantes fonctions sont confiées au Conseil régional, notamment en ce qui concerne l'élaboration d'un projet de loi sur la conservation des ressources naturelles régionales et leur exploitation rationnelle. Cependant, compte tenu des informations publiées dans un rapport récent du Département d'Etat des Etats-Unis d'Amérique et dans le rapport pour 1994-1995 de l'organisation International Work Group for Indigenous Affairs (IWGIA), selon lesquelles le gouvernement central prend ses décisions en la matière sans consulter les communautés directement concernées, M. van Boven se demande si les conseils régionaux sont efficaces, notamment pour ce qui est de l'utilisation des ressources naturelles des communautés autochtones et de la redistribution des bénéfices provenant de l'exploitation de ces ressources. En outre, le rapport porte exclusivement sur les communautés autochtones des régions de la côte Atlantique. Qu'en est-il des petits groupes autochtones vivant dans d'autres régions, notamment celles de la côte Pacifique, dont la situation préoccupe l'IWGIA ?

26. S'agissant de l'article 3, M. van Boven relève que, depuis l'abolition de l'apartheid, les renseignements donnés par les Etats parties sur son application donnent l'impression que les dispositions de cet article sont tombées en désuétude et seraient quasiment sans objet. Il rappelle que les Etats parties y sont tenus, en vertu de l'article 3, de combattre non seulement la discrimination raciale et l'apartheid, mais aussi toute pratique de cette nature. L'article 3 conserve donc toute son utilité et sa pertinence, étant donné qu'il existe actuellement dans différentes parties du monde des pratiques tout aussi néfastes que l'apartheid.

27. M. van Boven avoue que la lecture des paragraphes du rapport relatifs à l'article 4 le laisse perplexe. Les informations qui y sont fournies sur le droit à la liberté de l'information et le droit d'association, par exemple, ne correspondent pas à l'objet de l'article 4 qui est de décourager toute incitation à la discrimination raciale. Il était fait mention, par contre, dans le rapport précédent du Nicaragua, de l'article 22 de la loi sur les droits et les garanties des Nicaraguayens selon lequel toute propagande contre la paix et en faveur de la haine nationale, raciale ou religieuse est interdite au Nicaragua. M. van Boven aimerait savoir si cette loi, qui au demeurant était insuffisante compte tenu de la recommandation XV du Comité relative à l'article 5, est encore en vigueur au Nicaragua.

28. L'information concernant l'application de l'article 5 de la Convention est intéressante mais, encore une fois, elle concerne davantage les textes que les actes. M. van Boven aimerait en savoir davantage sur les mesures prises pour assurer la jouissance des droits énoncés aux alinéas b) et e) de cet article. Quant à l'information donnée sur le système électoral aux paragraphes 50 à 53, elle aurait dû entrer dans la partie consacrée àl'application de l'article 2 de la Convention. S'agissant de l'application de l'article 6, l'information donnée sur la possibilité de former un recours en amparo et sur le droit au travail est intéressante, mais d'une part, telle qu'elle est présentée, elle n'intéresse pas directement le Comité, d'autre part, elle aurait été plus à sa place dans le cadre de l'application de l'article 5. En revanche, les renseignements donnés dans la dernière phrase du paragraphe 53 sont bien du domaine de l'article 6. Ils devraient être étoffés par des précisions sur les mesures à long terme en faveur des autochtones qui avaient fui les hostilités.

29. Cette remarque vaut pour l'application de l'article 7; l'information donnée, pertinente en elle-même, aurait dû figurer dans la partie consacrée au paragraphe 2 de l'article 2 de la Convention. En effet, l'idée qui sous-tend l'article 7 est que l'éducation et la culture sont utiles, non seulement en elles-mêmes, mais dans la lutte contre les préjugés conduisant à la discrimination raciale et pour la tolérance entre groupes raciaux ou ethniques. A cet égard, M. van Boven est en plein accord avec le contenu du paragraphe 60 du rapport sur le fait que "la culture d'un peuple va au-delà de l'expression qu'elle trouve dans les arts et la littérature" et englobe les relations entre les individus ainsi que les valeurs du groupe en tant que tel. La Constitution du Nicaragua est exemplaire à cet égard en ses articles 89, 90 et 91. A propos des langues autochtones, par lesquelles, justement, s'expriment ces cultures, M. van Boven voudrait savoir quels sont "les cas déterminés par la loi" dans lesquels, selon l'article 11 de la Constitution, "les langues des communautés de la côte Atlantique peuvent être d'usage officiel". Un autre élément capital de la culture des populations autochtones est leur rapport à la terre. Ce point est traité dans les paragraphes 67, 68 et 69, et M. van Boven retient en particulier que les terres communales sont inaliénables. Il demande quelle superficie ces terres représentent, en pourcentage de la superficie totale des régions de la côte Atlantique. Il voudrait aussi savoir ce qu'il en est des ressources minières gisant dans le sous-sol de ces terres communales, et de l'exploitation, dans le cadre de concessions ou autrement, de ces ressources.

30. Pour conclure, après s'être encore une fois félicité du nouveau départ pris par les relations entre le Comité et le Nicaragua et de l'intérêt que présente l'information donnée dans le rapport, notamment sur le régime d'autonomie des populations de la côte Atlantique, M. van Boven réitère que le rapport comporte certaines lacunes. En particulier, il conviendrait de développer la partie consacrée à l'application de l'article 4, notamment par le biais de l'éducation. A cet égard, le Nicaragua gagnerait à étudier les Recommandations générales XV, XIII et XVII du Comité.

31. Notant que le Nicaragua a déjà accepté la procédure prévue dans le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, M. van Boven pense qu'il pourrait aussi envisager de faire la déclaration prévue à l'article 14 de la Convention. Ce faisant, il se conformerait aussi aux dispositions du paragraphe 90 du Programme d'action adopté par la Conférence de Vienne sur les droits de l'homme. Enfin, il recommande au Nicaragua d'accepter aussi l'amendement proposé au paragraphe 6 de l'article 8, car celui-ci n'entrera en vigueur que si les deux tiers des Etats membres l'acceptent.

32. M. FERRERO COSTA (Corapporteur pour le pays), réitère la satisfaction du Comité devant la reprise du dialogue avec le Nicaragua et remercie le représentant de ce pays d'avoir actualisé l'information donnée dans le rapport. Il souligne que pour que ce dialogue soit réellement fructueux, le Nicaragua doit s'astreindre à présenter son rapport tous les deux ans, comme prévu par la Convention, malgré les difficultés - très réelles, nul ne le niera - que le pays connaît depuis ces dernières décennies.

33. Pour que le Comité se fasse une idée exacte de la situation de ce pays, il ne suffit pas qu'il en connaisse la Constitution. Il est bon aussi qu'il sache que la démocratisation du Nicaragua paraît avoir bien démarré, que des accords importants ont été conclus au début de l'année en cours entre le gouvernement et les forces politiques à l'oeuvre dans le pays et que des amendements à la Constitution ont été approuvés aux termes de ces accords. Par ailleurs, le Comité ne doit pas oublier que le Nicaragua connaît depuis de nombreuses années une grave crise économique, que les indices officiels montrent que le niveau de vie de la population a considérablement baissé, et que 60 % des Nicaraguayens vivent au-dessous du seuil de pauvreté. Cet état de fait ne justifie pas que le pays tarde à présenter ses rapports, mais le Comité doit en être conscient s'il veut examiner valablement ces rapports.

34. Pour l'essentiel, celui dont le Comité est saisi est un exposé des dispositions pertinentes de la Constitution de 1987 et du Statut d'autonomie des régions de la côte atlantique. Le représentant du Nicaragua a ajouté à ces renseignements des informations sur les amendements apportés récemment à la Constitution. Malheureusement, tant le rapport écrit que l'exposé oral font peu référence aux politiques adoptées et aux mesures concrètes prises par le gouvernement pour améliorer, sur le terrain, la situation des populations autochtones et s'acquitter ainsi de ses obligations conventionnelles. Ces informations pratiques n'ayant pas été données, le rapport n'est que partiellement conforme aux principes directeurs du Comité. En outre, le Nicaragua n'a pas encore envoyé le document de base qui doit permettre à tous les organes de protection des droits de l'homme de l'ONU de connaître son cadre juridique et sa situation économique et sociale. Il conviendrait que le prochain rapport soit plus complet, plus conforme aux directives et contienne, en particulier, des données sur la composition démographique de la population - dont près de 10 % vit dans les deux régions autonomes de la côte atlantique, c'est-à-dire sur environ 50 % du territoire du pays. Ces régions possèdent des ressources naturelles, mais leur population a été marginalisée et souffre de discrimination. Dans les années 80, des textes importants ont été adoptés en faveur de ces populations; le Comité doit aussi pouvoir disposer, grâce à une information actualisée, d'un tableau concret de leur situation. Il lui faut des chiffres fiables, car ceux qui sont donnés au paragraphe 9 et dans le tableau qui figure à la fin du rapport diffèrent, et des informations actualisées sur la composition de ces populations, leur implantation et leur situation économique et sociale, non seulement sur la côte atlantique mais aussi sur tout le territoire du Nicaragua.

35. La Constitution de 1987 représente certes un pas de géant dans le domaine des normes relatives aux droits de l'homme, en particulier son article 47 comme l'a dit M. van Boven. Reste à savoir quelle est la position et le degré hiérarchique des instruments internationaux non mentionnés dans cet article, Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, par exemple. Reste aussi à savoir quel est le système d'incorporation des instruments internationaux dans le droit interne nicaraguayen.

36. Le fait que la Constitution reconnaît pour la première fois la pluriethnicité de la population est capital. M. Ferrero Costa relève en particulier le paragraphe 3 de l'article 5 de la Constitution modifiée en 1995, qui énonce la nécessité de maintenir la culture, l'identité, l'organisation sociale des populations autochtones, et de leur confier l'administration des affaires locales. L'article 10 de cette Constitution, qui prévoit d'inscrire l'autonomie des régions de la côte atlantique dans le cadre d'une loi spéciale a également retenu son attention. Cette loi a pour but de renforcer la gestion des régions autonomes et doit être élaborée en consultation avec les populations autochtones intéressées. M. Ferrero Costa compte bien que le prochain rapport éclairera le Comité sur cette loi et sur son application. En outre, comme le Statut de 1987, lui-même très novateur, doit rester en vigueur tant que les nouvelles normes ne seront pas arrêtées, les renseignements devront aussi porter sur les mesures prises par les Conseils des deux régions autonomes qui bénéficient de ce Statut, sur le fonctionnement de ces conseils et sur la façon - discriminatoire ou non - dont ils s'appliquent à répondre aux besoins de développement de la population. A cet égard, il conviendrait que le rapport contienne des renseignements sur les points suivants : degré d'autonomie politique et administrative des régions autonomes par rapport au gouvernement central et relations actuelles entre les autorités régionales et le pouvoir central; pouvoir législatif des Conseils régionaux; appartenance ethnique des coordonnateurs régionaux et composition ethnique des conseils régionaux; état d'avancement de l'avant-projet de délimitation et d'organisation municipale mentionné au paragraphe 25 du rapport; situation en ce qui concerne le Fonds spécial de développement et de promotion sociale prévu pour ces régions, dont il est question au paragraphe 28 du rapport; mesures prises par les organes directeurs des régions autonomes, conformément à leur Statut, pour promouvoir des projets économiques et sociaux en faveur de ces régions et pour étudier et promouvoir les cultures des communautés autochtones qui y vivent.

37. Abordant la question des mesures concrètes prises par le Gouvernement de Managua en faveur des régions autonomes et notamment la question des ressources financières affectées chaque année au budget de fonctionnement des gouvernements autonomes, M. Ferrero Costa demande si ces ressources ont effectivement été transférées aux régions autonomes ces dernières années et quel est leur montant. Quels sont les programmes d'action sociale des régions autonomes mentionnés au paragraphe 52 du rapport ? Il serait également intéressant d'avoir des informations sur les fonctions et les activités de l'Institut nicaraguayen de développement des régions autonomes (INDERA) créé en 1990.

38. Comme l'a déjà signalé M. van Boven, l'International Work Group for Indigenous Affairs a indiqué dans son rapport pour 1994/1995 que le gouvernement central n'accorde pas une grande priorité à l'autonomie des régions de l'Atlantique et qu'il est à craindre que les ressources économiques les plus riches du pays (minières et forestières) échappent au contrôle de ces régions. En 1994 ces ressources représentaient près de 36 % du PNB or les régions n'avaient reçu que 0,5 % du budget national. En outre, les autorités autonomes demandent à avoir une part plus équitable des bénéfices tirés des ressources exploitées dans leurs régions. Il serait bon de savoir si ces affirmations sont justes ou erronées et d'avoir des précisions sur les mesures que le gouvernement central envisage de prendre pour protéger les intérêts des populations de la côte atlantique dans le respect du mandat établi en vertu de la Constitution et de la loi sur le statut d'autonomie. Il serait également utile de savoir si les normes constitutionnelles et les dispositions favorables aux régions de la côte atlantique mentionnées aux paragraphes 23, 24, 67 et 69 du rapport sont réellement appliquées. L'avant-projet de loi relatif à l'utilisation rationnelle et à la conservation des ressources naturelles de la région a-t-il été élaboré ? En vertu de l'article 181 de la Constitution révisée de 1995, les concessions et les contrats d'exploitation des ressources octroyés par l'Etat dans les régions autonomes de la côte atlantique doivent être approuvés par le Conseil régional autonome concerné. Ces contrats sont-ils révisés en fonction des nouvelles dispositions de la Constitution ? Quels contrats sont attribués aux particuliers ? Il serait souhaitable, d'avoir des détails sur les éventuels accords conclus entre le gouvernement régional et le gouvernement central.

39. M. Ferrero Costa demande également des renseignements sur le pourcentage de terres agricoles des régions autonomes appartenant aux différents groupes ethniques et notamment aux Miskitos, Créoles et Sumus. Il aimerait aussi avoir des précisions sur le régime juridique particulier qui régit la propriété des terres appartenant à ces groupes et sur la différence entre la notion d'usufruit traditionnel et celle de propriété très ancienne des terres dont il est question au paragraphe 67 du rapport. Il serait utile que le prochain rapport périodique du Nicaragua contienne des informations plus détaillées sur les résultats de la réforme agraire et sur la loi spéciale relative aux terres appartenant aux communautés autochtones.

40. D'autre part, M. Ferrero Costa aimerait savoir quelles sont les activités concrètes exécutées par le Gouvernement nicaraguayen dans le cadre du programme de rapatriement, d'aide alimentaire, de mise à disposition de logements et de moyens de transport pour les groupes de miskitos, créoles et sumus ? Quels sont le nombre et la situation exacte de ces groupes qui avaient fui le Nicaragua pour se réfugier au Honduras et au Costa Rica ? M. Ferrero Costa demande aussi des éclaircissements sur les projets entrepris par le gouvernement dans les réserves forestières de Bosawa où vivent encore 10 000 Sumus (soit 60 % de la population mayanga). Par ailleurs, comme M. van Boven, il souhaiterait avoir des informations sur les populations autochtones du Pacifique, originaires des diverses tribus nahuatl.

41. M. Ferrero Costa passe ensuite à un examen rapide des renseignements relatifs à l'application par le Nicaragua des articles de la Convention. En ce qui concerne l'article 4, il prend note avec intérêt des articles 53, 54, 30 et 49 de la Constitution mentionnés aux paragraphes 31 et 32 du rapport, qui consacrent certains droits civils et politiques, mais il fait observer que ces normes devraient s'accompagner de dispositions pénales. En tant qu'Etat partie à la Convention, le Nicaragua a l'obligation de promulguer de telles lois.

42. S'agissant de l'application de l'article 5, qui fait l'objet des paragraphes 38 à 53 du rapport, M. Ferrero Costa aimerait savoir quelles mesures ont été adoptées dans la pratique pour que l'exercice des droits politiques, économiques, sociaux et culturels s'effectue sans discrimination aucune. Il serait opportun que le prochain rapport périodique du Nicaragua contienne de tels renseignements et fasse état des mesures prises pour assurer l'égalité de tous les Nicaraguayens devant la loi et leur participation effective aux niveaux national et local, qui sont garantis aux articles 48 et 50 de la Constitution respectivement.

43. A propos de l'article 6, M. Ferrero Costa se dit très préoccupé par l'affirmation selon laquelle "les membres des communautés autochtones sont jugés dans le contexte d'une culture dominante, imposée par le biais de l'enseignement officiel". Quelles mesures le Gouvernement nicaraguayen a-t-il prises ou envisage-t-il de prendre pour remédier à cette situation ? Le prochain rapport périodique devrait également contenir des informations sur les divers organes judiciaires établis dans les départements du pays et les régions autonomes, et sur les voies de recours juridiques dont dispose la population en cas de discrimination raciale. Par ailleurs, il importe de savoir si la loi portant création du poste de défenseur des droits de l'homme (Procurador de los derechos humanos) a été promulguée et de connaître les attributions du défenseur.

44. Enfin, les dispositions mentionnées au titre de l'application de l'article 7 sont très positives, qu'il s'agisse de la Constitution ou de la loi sur le statut d'autonomie des populations autochtones de la côte atlantique, comme l'a déjà dit M. van Boven. Toutefois, il serait intéressant que le prochain rapport donne des informations sur les mesures prises pour donner effet aux articles 90, 91 et 11 de la Constitution, cités au paragraphe 60 du rapport.

45. Concluant, M. Ferrero Costa dit qu'il faut se féliciter tout d'abord que le Nicaragua ait renoué un dialogue constructif avec le Comité, puis qu'il ait adopté des lois très importantes et novatrices sur des sujets liés à la lutte contre la discrimination raciale, en particulier dans les deux régions autonomes de la côte atlantique. Le Comité reconnaît la volonté politique manifeste du Nicaragua et comprend également la situation de crise économique qu'a traversée ce pays. Toutefois, le Nicaragua doit donner effet dans la pratique aux dispositions énoncées tant dans la Constitution que dans la loi sur le statut d'autonomie. M. Ferrero Costa espère que dans son prochain rapport, le Nicaragua exposera les mesures concrètes prises à la suite de la réforme constitutionnelle en cours. Enfin, il souligne l'importance de l'éducation et des commissions nationales de défense des droits de l'homme et encourage le Nicaragua a tenir compte des recommandations formulées par M. van Boven à cet égard.

46. M. VALENCIA-RODRIGUEZ, après avoir remercié MM. van Boven et Ferrero Costa pour leur analyse du rapport du Nicaragua, dit que celui-ci contient un certain nombre d'informations très intéressantes. Il se félicite tout d'abord que la Constitution de 1987 reprenne toutes les dispositions des instruments internationaux relatifs à la protection des droits de l'homme et que la loi No 28 consacre un régime d'autonomie pour les populations et communautés de la côte caraïbe du Nicaragua. Les articles 27, 46, 3 et 5 de la Constitution cités dans le rapport consacrent en particulier divers droits de l'homme fondamentaux. Toutefois, M. Valencia-Rodriguez souhaiterait connaître les mesures prises par le gouvernement pour assurer l'application des principes qui y sont énoncés. Comme l'ont signalé les deux corapporteurs, la politique actuelle du Nicaragua à l'égard des populations autochtones et des communautés ethniques de la côte atlantique constitue un pas important dans la lutte contre la discrimination raciale. M. Valencia-Rodriguez aimerait donc savoir quels en ont été les effets positifs concrets dans les domaines de l'emploi, du logement, de la sécurité sociale et de l'éducation pour ces communautés.

47. A propos de l'application de l'article 4 de la Convention, M. Valencia-Rodriguez dit que les diverses dispositions constitutionnelles mentionnées au paragraphe 31 du rapport sont très pertinentes mais que plus important encore est l'article 91 de la Constitution qui dispose que "l'Etat a l'obligation de promulguer des lois énonçant des mesures propres à garantir qu'aucun Nicaraguayen ne fera l'objet d'une discrimination pour des raisons de langue, de culture ou d'origine". Il note aussi avec intérêt que le paragraphe 10 de l'article 34 de la Constitution établit le principe fondamental selon lequel nul ne peut être jugé ou condamné pour des actions qui n'étaient pas expressément et clairement qualifiées de délits par la loi au moment où elles ont été commises. Il constate cependant que sauf dans le cas du génocide mentionné aux articles 549 et 550 du Code pénal, il n'est pas donné d'indications sur les actes expressément et clairement qualifiés de délits punissables par la loi, comme le prévoit l'article 4 de la Convention, et sur les sanctions applicables à leurs auteurs. M. Valencia-Rodriguez recommande donc au Gouvernement nicaraguayen d'analyser de plus près les obligations qui lui incombent en vertu de l'article 4.

48. Pour ce qui est de l'application de l'article 6 de la Convention, M. Valencia-Rodriguez se félicite de la promulgation de l'article 45 de la Constitution et de la loi sur l'amparo. Il souhaite toutefois préciser que la portée de l'article 6 va au-delà de celle de ces dispositions et il convient donc que le Nicaragua réexamine sa législation interne pour s'acquitter des obligations qui lui incombent au titre de l'article 6. Dans le même ordre d'idées, il serait intéressant de savoir dans quelle mesure les communautés autochtones de la côte atlantique bénéficient des garanties énoncées à l'article 45 de la Constitution et dans loi sur l'amparo.

49. Dans l'ensemble M. Valencia-Rodriguez est satisfait des renseignements fournis au titre de l'article 7 de la Convention et il demande au Nicaragua de continuer à fournir au Comité des renseignements mis à jour sur les mesures prises pour protéger les populations autochtones. Il se félicite également des programmes culturels et éducatifs en langues miskito et anglaise qui s'adressent à la population autochtone. En conclusion, M. Valencia-Rodriguez espère que le Gouvernement nicaraguayen poursuivra tous les efforts en cours pour respecter les articles de la Convention.


La séance est levée à 18 heures.

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