Distr.

GENERALE

CAT/C/SR.194
22 novembre 1994


Original: FRANCAIS
Compte rendu analytique de la 194ème séance : Peru. 22/11/94.
CAT/C/SR.194. (Summary Record)

Convention Abbreviation: CAT
COMITE CONTRE LA TORTURE

Treizième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA PREMIERE PARTIE (PUBLIQUE)*
DE LA 194ème SEANCE

tenue au Palais des Nations, à Genève,
le mercredi 9 novembre 1994, à 15 heures


Président: M. DIPANDA MOUELLE

SOMMAIRE

Examen des rapports présentés par les Etats parties en application de l'article 19 de la Convention (suite)
Rapport initial du Pérou (suite)


* Le compte rendu analytique de la deuxième partie (privée) de la séance est publié sous la cote CAT/C/SR.194/Add.1 et le compte rendu analytique de la troisième partie (publique) de la séance sous la cote CAT/C/SR.194/Add.2.



Le présent compte rendu est sujet à rectifications.

Les rectifications doivent être rédigées dans une des langues de travail. Elles doivent être présentées dans un mémorandum et être également portées sur un exemplaire du compte rendu. Il convient de les adresser, une semaine au plus tard à compter de la date du présent document, à la Section d'édition des documents officiels, bureau E.4108, Palais des Nations, Genève.

Les rectifications éventuelles aux comptes rendus des séances publiques de la présente session seront groupées dans un rectificatif unique, qui sera publié peu après la clôture de la session.


La séance est ouverte à 15 h 10.

EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES EN APPLICATION DE L'ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (point 4 de l'ordre du jour) (suite)

Rapport initial du Pérou (CAT/C/7/Add.16) (suite)

1. Sur l'invitation du Président, la délégation péruvienne, dirigée par M. Vega Santa-Gadea, Ministre de la justice, prend place à la table du Comité.

2. M. VEGA SANTA-GADEA (Pérou), Ministre de la justice, rappelle qu'à la suite des efforts déployés par le Gouvernement péruvien pour appeler l'attention de la communauté internationale sur l'ampleur prise par le fléau du terrorisme, diverses résolutions ont été adoptées à ce sujet, ces dernières années, à l'échelon mondial (ONU) comme à l'échelon régional (Organisation des Etats américains). Le terrorisme est d'autant plus préoccupant qu'il a des liens avec le trafic des stupéfiants et est lourd de conséquences pour les droits de l'homme. Au Pérou, ce sont en effet les terroristes qui, les premiers, ont violé les droits de l'homme. Pour évaluer les dispositions législatives et réglementaires adoptées à partir de 1990, il faut tenir compte du contexte politique et social de l'époque : les progrès du terrorisme semblaient devoir priver le pays de tout avenir. Aujourd'hui, les problèmes semblent surmontés ou en voie de l'être, comme l'atteste la présence du Ministre péruvien de la justice à la séance du Comité.

3. M. Vega Santa-Gadea tient à répondre en personne à deux questions posées par des membres du Comité. En ce qui concerne les relations entre le Comité international de la Croix-Rouge et les autorités péruviennes, elles sont aujourd'hui excellentes. Les représentants du Comité peuvent se rendre dans tous les centres de détention du pays sans aucune restriction, ils peuvent présenter des observations et des suggestions. Certes, un an et demi plus tôt, suite à une ingérence dans quelques aspects de la politique pénitentiaire péruvienne, cette autorisation de se rendre dans les prisons leur avait été supprimée, mais en février 1993, les problèmes ont été résolus.

4. En ce qui concerne l'infrastructure pénitentiaire, celle du Pérou est aujourd'hui l'une des meilleures de la région, pour ce qui touche aux conditions de vie des détenus, aux possibilités d'éducation et de travail qui leur sont données, et à leur santé. Les détenus condamnés pour actes de terrorisme sont hébergés dans des quartiers distincts. Le Pérou a invité une commission d'experts de l'ONU à venir visiter son infrastructure pénitentiaire et serait heureux de recevoir aussi la visite de membres du Comité.

5. M. SAN MARTIN-CASTRO (Pérou) se propose de regrouper ses réponses aux questions posées par les membres du Comité sous deux grandes rubriques : le cadre juridique général du Pérou et la législation antiterroriste.

6. La nouvelle Constitution adoptée en 1993 reprend les droits fondamentaux qui figuraient déjà dans la Constitution de 1979 mais en énonce aussi de nouveaux. Dans le domaine politique, elle inclut des mécanismes de démocratie directe, tels que le droit de révocation et le référendum. Ces mécanismes sont régis par une loi organique qui a déjà été appliquée. Incidemment, la nouvelle Constitution elle-même a été adoptée par référendum organisé à l'échelle nationale. Elle dispose (art. 2, par. 6) que les services informatiques, publics ou privés, ne peuvent fournir d'informations touchant à la vie privée, personnelle ou familiale, et une garantie constitutionnelle spéciale permet aux citoyens de se défendre, par une procédure urgente, contre les atteintes que cette technologie nouvelle pourrait porter à leurs droits fondamentaux. Elle consacre notamment le droit de l'environnement, le droit au respect du secret professionnel, et le droit de légitime défense. Les mesures législatives correspondantes sont en cours d'adoption.

7. Profondément démocratique, la Constitution de 1993 assure un équilibre raisonnable entre les pouvoirs. Le pouvoir exécutif peut, en cas d'urgence, adopter des "décrets d'urgence", mais exclusivement dans les domaines financier et économique et avec l'accord du Conseil des ministres. Le Congrès, qui en est ensuite saisi, peut les modifier ou les abroger, ce qu'il n'a encore jamais fait.

8. La Constitution de 1979 comportait une disposition interdisant "l'auto-incrimination". La Constitution de 1993 ne reprend pas cette disposition, mais garantit, au paragraphe 3 de son article 139, le respect d'une procédure régulière et la protection juridictionnelle. On peut considérer que cette règle générique inclut nécessairement l'interdiction de "l'auto-incrimination". Telle est l'opinion de la Commission spéciale composée de représentants de l'ordre des avocats de Lima et des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire qui a été chargée de réviser le Code de procédure pénale. D'ailleurs, l'un des principes fondamentaux, en matière de procédure pénale, est que l'aveu ne constitue pas une preuve suffisante : il doit être corroboré par d'autres éléments de preuve. La protection contre le risque d'aveux obtenus par la torture est donc assurée.

9. D'après l'article 140 de la Constitution, la peine de mort ne peut être prononcée que pour trahison de la patrie en cas de guerre ou de terrorisme, conformément aux lois et aux traités auxquels le Pérou est partie. Or, le Pérou a ratifié la Convention américaine relative aux droits de l'homme, qui interdit expressément d'étendre les cas d'application de la peine de mort. En l'absence de toute modification de ce traité, le Pérou ne peut donc pas adopter de loi étendant l'application de la peine de mort - et n'en a d'ailleurs pas l'intention. La justice militaire peut infliger la peine de mort, mais la condamnation peut alors faire l'objet d'un recours en cassation devant la Cour suprême de justice. La tradition veut en outre que la peine de mort ne soit prononcée qu'à l'unanimité. Les garanties excluant l'"erreur judiciaire" sont donc suffisantes.

10. Le Conseil national de la magistrature est un organe autonome, indépendant, créé par la Constitution (art. 150) et chargé de choisir et de nommer les juges et les procureurs (art. 154). Il peut aussi prononcer la sanction la plus grave, la destitution d'un juge. Les membres de ce Conseil ne sont pas nommés par le pouvoir exécutif mais élus par leurs pairs. La porte est ainsi fermée à la politisation de la magistrature. Les juges sont nommés sur concours, sous réserve de confirmation. Le Conseil national de la magistrature confirme les juges dans leurs fonctions quand ces derniers satisfont à des critères d'évaluation qui sont strictement professionnels et non politiques.

11. La Commission de la justice du Congrès vient d'approuver des projets de loi relatifs au Conseil national de la magistrature, à la Cour constitutionnelle et à l'Office du défenseur du peuple. Ce dernier devra veiller au respect des droits des personnes, en particulier des détenus, en collaboration avec le ministère public. D'ici à la fin de l'année 1994 ou au début de 1995, ces trois lois fondamentales devraient être en vigueur.

12. A titre transitoire, une loi constitutionnelle a créé un Conseil d'honneur de la magistrature, dont les membres sont des personnalités choisies par le Congrès à la majorité des trois quarts de ses membres. Le Conseil d'honneur a désigné sans aucune intervention du pouvoir politique les nouveaux magistrats de la Cour suprême, tous les membres de la Cour d'appel de Lima, tous les juges de première instance de Lima, et va aussi désigner tous les procureurs de première instance. La normalisation de la structure du ministère public et du pouvoir judiciaire est donc en cours.

13. Le ministère public est, lui aussi, parfaitement autonome. Les procureurs sont nommés de la même façon que les juges. Une loi organique de 1981 avait créé le Conseil des procureurs généraux que la nouvelle Constitution n'a pas modifié. Tous les procureurs généraux font partie de ce conseil et ils sont actuellement au nombre de quatre. Ce sont eux qui élisent en toute indépendance le Procureur de la Nation. De même, le Président de la Cour suprême est élu par les juges de la cour sans intervention aucune du pouvoir exécutif.

14. Depuis le 23 août 1994, le Ministère de la justice est doté d'un Conseil national des droits de l'homme, où siègent des représentants du Ministère des affaires étrangères, du Ministère de l'intérieur, du ministère public, de l'Eglise catholique notamment. Ce conseil est aujourd'hui chargé de promouvoir, coordonner, diffuser et fournir des avis au pouvoir exécutif pour la protection et le respect des droits fondamentaux de la personne. Il assure la coordination et la médiation nécessaires pour que toute la lumière soit faite sur les plaintes faisant état de violations de droits de l'homme émanant de personnes physiques ou morales, nationales ou étrangères. C'est ce conseil qui sera chargé désormais d'élaborer les rapports destinés aux organes conventionnels comme le Comité. Il coordonne en outre tout ce qui se fait en matière d'éducation relative aux droits de l'homme. Les forces armées l'ont aidé dans cette dernière tâche en diffusant les manuels et directives générales élaborés par lui auprès de tous les militaires. Ce conseil est chargé par ailleurs de réaliser des études et des enquêtes pour la Commission permanente des droits de la femme et de l'enfant. Il est habilité à créer des commissions ou des groupes de travail en vue de tâches ponctuelles. Il a entrepris d'élaborer un manuel et un programme de formation à l'intention des défenseurs des droits de l'homme.

15. Le Comité a posé une question concernant l'abus de pouvoir. L'article 173 de la Constitution péruvienne dispose qu'en cas d'abus de pouvoir les membres des forces armées et de la police nationale sont traduits devant leurs juridictions respectives et relèvent du Code de justice militaire. Il doit s'agir de fonctionnaires en activité et les actes qui leur sont reprochés doivent correspondre à des délits définis dans la loi pénale ou une loi spéciale, être propres à leur fonction, liés à leur fonction ou commis dans l'exercice de leur fonction. La notion d'abus de pouvoir est liée à la notion de service. Dans les affaires dont elle a eu à connaître, la Cour suprême a insisté sur la doctrine de la causalité : si l'infraction n'est pas liée au service, les policiers ou les militaires sont traduits devant la justice ordinaire. En cas de conflit de compétence entre tribunaux civils et tribunaux militaires, c'est encore la Cour suprême, juridiction civile, qui règle le conflit. Sur la question centrale de savoir si le tribunal militaire est un tribunal à compétence matérielle (fuero real) ou à compétence personnelle (fuero personal), la Cour suprême s'est prononcée en faveur de la compétence matérielle.

16. Les compétences de la justice militaire sont expressément reconnues à l'article 139 de la Constitution qui dispose en particulier qu'il n'existe pas et qu'il n'est pas possible d'établir de juridictions indépendantes à l'exception des juridictions militaires et des juridictions arbitrales. Les tribunaux militaires comprennent trois niveaux de jugement (première instance, deuxième instance et Cour suprême de justice militaire) et sont totalement indépendants. Il n'est pas possible de faire appel d'un jugement militaire devant les tribunaux de droit commun. Il faut constater une tendance à la professionnalisation de cette justice militaire.

17. Répondant à une question sur l'état d'urgence, M. San Martín-Castro se réfère à l'article 137 de la Constitution selon lequel le Président de la République peut décréter, pour un délai déterminé, sur l'ensemble du territoire national ou sur une partie de celui-ci, un état d'exception qui peut être soit l'état d'urgence en cas de troubles de l'ordre public ou de catastrophes perturbant la vie de la nation, soit l'état de siège en cas d'invasion ou de guerre civile. L'état de siège n'a jamais été décrété au Pérou. Seul l'état d'urgence l'a été, le plus souvent sur une partie seulement du territoire national. Il est à signaler que la superficie du territoire national soumis à l'état d'urgence est en train de se contracter. Sous le régime de l'état d'urgence, certains droits et libertés de la personne, tels l'inviolabilité du domicile ou la liberté de réunion, peuvent être restreints ou suspendus, mais les droits de la défense demeurent intacts. La période d'état d'urgence ne peut pas excéder 60 jours et toute prolongation éventuelle doit faire l'objet d'un nouveau décret. Sous le régime de l'état d'urgence, le Président de la République peut décider de faire appel au concours des forces armées, mais cela n'est pas obligatoire. Les forces armées assurent donc en cas de besoin une mission d'ordre public consistant à lutter contre les causes de l'état d'urgence dans les régions les plus troublées. C'est ainsi qu'elles sont présentes dans les régions où sont à l'oeuvre les narcotrafiquants et les terroristes, les premiers fournissant des armes aux seconds.

18. La police, qui relève du Ministère de l'intérieur et a une structure propre, est mise à la disposition des forces armées en cas de besoin, s'il faut renforcer les actions menées pour rétablir l'ordre public ainsi que la lutte antiterroriste. Le rôle de la police nationale est défini à l'article 166 de la Constitution.

19. Pour ce qui est de la relation entre les traités et l'ordre juridique interne, il convient de se référer à l'article 55 de la Constitution qui stipule que les traités conclus par l'Etat et en vigueur font partie du droit interne. La doctrine péruvienne de la hiérarchie des normes est inspirée de la doctrine espagnole, à savoir que les droits et libertés reconnus dans la Constitution s'interprètent conformément aux traités internationaux pertinents ratifiés par le Pérou. En cas de conflit de normes, les traités internationaux prennent le pas sur les normes internes, et une loi ne peut pas modifier un traité.

20. Des questions ont été posées par des membres du Comité sur la façon dont la loi sanctionne les crimes terroristes et les crimes de trahison de la patrie et sur les procédures appliquées à la lutte antiterroriste. Il faut savoir que ne sont considérés comme terroristes que les actes commis par une personne entretenant des liens avec un groupe armé terroriste ou subversif. Si le lien avec une activité subversive n'est pas établi, il n'y aura pas de poursuites au titre de crimes terroristes. Il s'ensuit que les dirigeants syndicaux, par exemple, ne peuvent pas être poursuivis du chef de crimes terroristes ni de crimes de trahison. Cela dit, il est souvent difficile d'établir si l'acte commis est ou non lié à l'action subversive.

21. Fondamentalement, le crime de trahison correspond à un acte de terrorisme aggravé. Cette nouvelle définition a été déduite des dispositions concernant les "conduites particulièrement graves" prévues à l'article 3 du décret-loi No 25 475. S'il s'agit d'un acte de terrorisme simple, il est régi par le décret-loi No 25 475 et relève des tribunaux de droit commun; si l'acte est considéré comme aggravé et comme correspondant au crime de trahison de la patrie, il relève de la justice militaire. Les deux définitions ne se recoupent pas. Les condamnations pour crime de trahison ne se sont pas multipliées et ne sont pas systématiques; le crime en question n'est retenu que contre les auteurs d'actes de terrorisme très graves comme les attentats à la voiture piégée, qui causent beaucoup de victimes dans la population.

22. Pour bien montrer que le système judiciaire péruvien n'est pas une machine à condamner sans discrimination, M. San Martín-Castro fait savoir qu'entre le mois de juillet 1993 et le mois de juillet 1994, ce sont 81 personnes qui ont été condamnées à la réclusion perpétuelle, 21 à une peine d'emprisonnement de 30 ans et 14 à une peine d'emprisonnement de 25 ans. Ce sont 149 personnes que les tribunaux militaires ont condamnées pour crime de trahison de la patrie. Le nombre de personnes acquittées a été de 62 en 1992, de 354 en 1993 et de 192 dans les sept premiers mois de 1994.

23. En ce qui concerne les règles de la détention, il est prévu que les organes de police peuvent maintenir un suspect en détention pendant 15 jours, toujours sous le contrôle du ministère public. Celui-ci, ainsi que les avocats, ont toujours accès au détenu. A ce sujet, il convient de rappeler que le ministère public est totalement indépendant. L'Institut de médecine légale est rattaché au ministère public et n'a de comptes à rendre ni à la police ni au Ministère de l'intérieur. La détention au secret fait l'objet d'un contrôle fondé sur le principe du caractère raisonnable, principe qui vient du droit argentin. Les droits de la défense qui avaient été restreints dans le passé ont été rétablis par la loi dite de flexibilisation. Il ne faut pas oublier que certaines circonstances graves avaient amené les autorités péruviennes à limiter l'intervention des avocats auprès des inculpés, notamment lorsqu'il avait été prouvé que l'organisation dite "Asociación de abogados democráticos" avait en fait partie liée avec les groupes terroristes et que certains de ses membres étaient même membres du bureau de l'organisation Socorro Popular, qui est rattachée au Parti communiste du Pérou, portant le nom de "Sentier lumineux". Aujourd'hui, il n'y a plus aucune restriction aux droits de la défense et à l'action des avocats. Le recours en habeas corpus n'a, quant à lui, jamais été suspendu.

24. Les membres du Comité souhaitent savoir quel est le rôle social de l'armée : l'article 171 de la Constitution prévoit que les forces armées et la police nationale participent au développement économique et social du pays. L'armée se voit confier des actions de défense nationale sur ordre du Président de la République. Le Pérou a connu des heures dramatiques où tous les systèmes de communication avaient été détruits par le Sentier lumineux. Le gouvernement a alors chargé l'armée de se rendre dans les régions les plus reculées du pays pour y mener une action civique et apporter une aide sociale aux populations.

25. La question a également été posée de savoir quel est le statut des membres de l'armée lorsqu'ils sont nommés ministres d'Etat. Il va de soi que les ministres, même si ce sont d'anciens membres des forces armées, ne sont plus assujettis au commandement de l'armée ni aux ordres du Ministère de la défense. Lorsqu'ils quittent leurs fonctions ministérielles, c'est au Président de la République qu'il incombe de décider s'ils doivent réintégrer leur corps d'origine.

26. M. San Martín-Castro fait à présent le point des principes présidant à l'organisation du pouvoir judiciaire, en précisant que, s'il existe bien une hiérarchie dans l'administration interne du pouvoir judiciaire, les juges jouissent d'une totale indépendance. C'est le Conseil national de la magistrature qui veille au maintien des garanties fondamentales de l'indépendance du pouvoir judiciaire.

27. Les traités internationaux sont incorporés directement dans le droit péruvien et prennent le pas sur la législation péruvienne. Il est déjà arrivé que les tribunaux appliquent directement un traité international. En particulier, le Gouvernement péruvien s'engage à intégrer le crime de torture dans la législation nationale selon une définition qui tiendra compte de celle qui figure à l'article premier de la Convention.

28. En ce qui concerne le Code de procédure pénale promulgué en 1991, il faut savoir que ce Code énumère tous les droits dont jouissent les détenus et qu'il stipule aussi quelles sont les règles à respecter au moment de l'arrestation d'un suspect.

29. La délégation péruvienne reconnaît qu'il existe des lacunes au niveau des poursuites et des sanctions dont font l'objet les auteurs de violations des droits de l'homme mais rappelle qu'il existe désormais des mécanismes juridiques sur lesquels il est possible de s'appuyer. Il appartient par ailleurs à la Cour suprême de déterminer, pour chaque délit, s'il relève de la justice civile ou de la justice militaire. Les autorités ont l'intention de travailler à préciser à cet égard la compétence de la Cour suprême.

30. La Constitution prévoit qu'il peut y avoir, dans les tribunaux de première instance, des juges élus. Elle reconnaît également aux communautés autochtones et paysannes la faculté d'exercer, avec l'appui des milices paysannes, un rôle juridictionnel pour l'application de leur droit coutumier. Ces communautés bénéficient d'un important soutien d'ordre social.

31. La question a été posée de savoir jusqu'à quel point un militaire est tenu d'obéir à son supérieur hiérarchique : le Code militaire indique clairement qu'un militaire qui exécute un ordre notoirement illicite n'est pas exonéré de sanctions pénales. Des mécanismes juridiques sont d'ailleurs prévus pour poursuivre le militaire qui se serait rendu coupable d'actes de torture et aurait invoqué pour sa défense l'ordre émanant d'un supérieur hiérarchique.

32. En réponse à une autre question du Comité, M. San Martín-Castro indique que les victimes d'actes de torture ou de mauvais traitements ont le choix entre intenter une action civile et intenter une action pénale. Le Pérou dispose d'un Code civil qui permet à chacun d'entamer des poursuites civiles contre un particulier ou contre l'Etat ou encore, le cas échéant, contre les deux à la fois. Les autorités péruviennes veillent du mieux possible à ce que les victimes de tortures puissent obtenir réparation.

33. Les situations d'exception sont réglementées par la loi No 24 150, qui développe le texte de la Constitution et précise les attributions politiques du Commandement militaire. Quand l'objectif assigné à ce dernier est de lutter contre le terrorisme, il est essentiel que toutes les forces nationales lui apportent leur soutien.

34. Des questions ont également été posées sur l'institution des "juges sans visage". M. San Martín-Castro rappelle à cet égard qu'un certain nombre de juges ont été, dans le passé, assassinés par des membres du Sentier lumineux. L'institution était destinée à répondre à la grave crise institutionnelle qu'a traversée le pays et à pallier la faiblesse du pouvoir judiciaire. Il convient toutefois de souligner que les juges de la Cour suprême sont, eux, toujours identifiés.

35. En ce qui concerne les cas de mauvais traitements et de torture présumés qui sont imputés au personnel de la police nationale, M. San Martín-Castro renvoie le Comité à l'appendice au rapport du Pérou (CAT/C/7/Add.16) où sont analysés plusieurs de ces cas et fait savoir que le Gouvernement péruvien est disposé à enquêter sur les violations dénoncées par Amnesty International. La délégation péruvienne envisage aussi de présenter un nouvel additif au rapport.

36. M. BEN AMMAR dit qu'il fait siennes les questions posées par le rapporteur et le rapporteur adjoint. Comme le Gouvernement péruvien s'est fait représenter devant le Comité par une délégation de haut niveau, il n'est pas permis de douter de sa volonté politique de respecter dûment ses engagements internationaux. Toutefois, la pratique de la torture persiste au Pérou. Pour éradiquer ce fléau, il faudrait, dans un premier temps, châtier réellement les coupables et, systématiquement, annoncer publiquement les sentences prononcées. Il faudrait aussi mettre en oeuvre dans le pays un programme national d'éducation relative aux droits de l'homme qui serait destiné à tous les degrés de l'enseignement ainsi qu'aux fonctionnaires de justice et de police et au personnel des établissements pénitentiaires sans oublier les journalistes. Ce programme devrait porter sur les droits de l'homme absolument fondamentaux que sont le droit à la vie, à l'intégrité physique et morale, à la liberté et à un procès équitable. Il faudrait enfin que le Gouvernement péruvien apporte son soutien au projet de protocole facultatif établi par le Comité et qui prévoit l'organisation de visites sur les lieux de détention.

37. M. SORENSEN rappelle le paragraphe premier de l'article 10 de la Convention contre la torture qui stipule que "tout Etat partie veille à ce que l'enseignement et l'information concernant l'interdiction de la torture fassent partie intégrante de la formation du personnel civil ou militaire chargé de l'application des lois, du personnel médical, des agents de la fonction publique et des autres personnes qui peuvent intervenir dans la garde, l'interrogatoire ou le traitement de tout individu arrêté, détenu ou emprisonné...". Comment ce type de formation est-il organisé au Pérou ? Le rapport (CAT/C/7/Add.16, par. 65 à 68), en rend insuffisamment compte.

38. Par ailleurs, l'article 14 de la Convention dispose que "tout Etat partie garantit, dans son système juridique, à la victime d'un acte de torture le droit d'obtenir réparation et d'être indemnisée équitablement et de manière adéquate, y compris les moyens nécessaires à sa réadaptation la plus complète possible". Dans un pays comme le Pérou, l'aspect médical de la réadaptation est très important. Il est également indispensable d'apporter une aide solide aux familles des victimes. Sur tous ces points, l'ONU met à la disposition des pays des programmes d'assistance spéciale. Par ailleurs, M. Sorensen engage les autorités péruviennes à verser, si elles ne le font pas déjà, une somme au Fonds de contributions volontaires pour les victimes de la torture. Outre le geste financier, ce serait là aussi un précieux geste symbolique aux yeux de la communauté internationale.

39. Mme ILIOPOULOS, constatant que la Constitution péruvienne met à l'occasion en cause la responsabilité de l'Etat, demande s'il s'agit de la responsabilité de tous les organes de l'Etat, y compris celle du pouvoir judiciaire, ou seulement de celle du pouvoir exécutif. Mme Iliopoulos demande également si le Gouvernement péruvien envisage de supprimer l'institution des "juges sans visage", dont on peut douter qu'elle soit bien compatible avec les droits de l'homme.

40. M. REGMI demande combien de fonctionnaires de l'Etat ont été sanctionnés pour s'être rendus coupables d'actes de torture.

41. M. YAKOVLEV rappelle les paragraphes 178 et 179 du document de base (HRI/CORE/1/Add.43) qui définissent avec précision les diverses catégories dans lesquelles sont classés les actes relevant du terrorisme. Pourquoi est-il fait une distinction entre l'appartenance à un groupe terroriste et la participation à des actions concrètes ? Punit-on des mêmes peines les auteurs d'actes terroristes, leurs complices et les instigateurs du crime ? Y a-t-il des degrés de gravité dans la participation à un acte terroriste ?
42. Le PRESIDENT se demande, comme Mme Iliopoulos, si l'existence des "juges sans visage" est bien compatible avec le principe d'une justice équitable et d'un Etat démocratique. Reprenant également à son compte une question posée par M. Burns, il voudrait savoir si, lorsqu'une personne condamnée en première instance par des "juges sans visage" fait appel, la juridiction d'appel est, elle aussi, composée de "juges sans visage".

43. M. SAN MARTIN-CASTRO (Pérou) s'arrête d'abord sur l'idée de mettre en oeuvre un programme national d'éducation relative aux droits de l'homme : le Pérou est tout acquis à cette idée; il s'efforce déjà de développer une action dans ce domaine, ainsi du reste que le prévoit la Constitution, en direction des citoyens en général et des forces armées en particulier. Le Gouvernement péruvien se préoccupe aussi du sort des victimes et tiendra le plus grand compte des suggestions qui ont été faites en ce qui concerne l'aide financière à verser au Fonds de contributions volontaires pour les victimes de la torture, l'assistance aux personnes déplacées et à toutes les victimes d'atteintes aux droits de l'homme.

44. A la question posée sur la responsabilité du pouvoir judiciaire, M. San Martín-Castro répond qu'en vertu de l'article 139, paragraphe 2 de la Constitution, les juges sont, eux aussi, responsables de leurs actes et doivent répondre de leur comportement tant sur le plan pénal que sur le plan disciplinaire et civil. Il ne faut pas oublier que les "juges sans visage" sont une institution éminemment transitoire et que l'ordre des avocats a proposé, ainsi qu'il y est habilité, un nouveau dispositif antiterroriste ne faisant appel ni à la justice sans visage ni à la justice militaire. Cette proposition est actuellement étudiée par la Commission judiciaire du Congrès; le système actuellement en vigueur étant provisoire et lié à l'état d'urgence, de nouveaux mécanismes plus souples seront mis en place dès que possible pour permettre au Gouvernement péruvien de contrôler la situation tout en éliminant des pratiques telles que la torture.

45. Le crime de terrorisme a été défini tant par la doctrine que par la pratique institutionnelle. Des notions précises telles que celle de participation à l'acte ou de complicité sont dûment incorporées au Code pénal, qui prévoit des sanctions spécifiques dans chaque cas. Une législation spéciale réprime aussi l'association illicite à des fins terroristes, l'incitation publique au terrorisme et l'apologie de la violence terroriste, de même que divers comportements attestant qu'un individu a des liens directs avec des mouvements terroristes. La répression des atteintes à l'ordre public et à la sécurité existe d'ailleurs dans de nombreux systèmes juridiques.

46. La loi définit différents degrés de participation au terrorisme en s'inspirant de la législation espagnole. En matière de terrorisme, la collaboration correspond à une participation rigoureusement volontaire ayant pour but de renforcer et d'appuyer le terrorisme. Il s'agit donc de mettre en cause, non pas des populations entières, mais seulement des individus ayant soutenu directement et délibérément des mouvements terroristes. Ne sont pas visés les personnes ayant fait l'objet de pressions ni les membres de la famille des terroristes. Les directives données à la police vont d'ailleurs dans le sens d'une répression sélective, dirigée uniquement contre les personnes directement impliquées dans l'action terroriste. M. San Martín-Castro insiste sur le fait que toutes les mesures encore appliquées ont un caractère transitoire et que le gouvernement s'emploie à les assouplir et à mettre un terme au plus vite à l'état d'urgence.

47. La délégation péruvienne a pris note avec le plus grand soin et avec l'esprit le plus ouvert des conseils et critiques formulés par le Comité. Le Gouvernement péruvien étudiera de très près toutes les questions qui ont été posées et les suggestions qui ont été faites.

48. La délégation péruvienne se retire.
La séance publique est levée à 17 h 40.

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