COMITÉ DES DROITS DE L'HOMME
Soixante-dixième session
COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 1879 ème SÉANCE
tenue au Palais Wilson, à Genève,
le lundi 23 octobre 2000, à 15 heures
Présidente : Mme MEDINA QUIROGA
SOMMAIRE
EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L'ARTICLE 40 DU PACTE (suite)
Quatrième rapport périodique du Pérou
La séance est ouverte à 15 h 20.
EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L'ARTICLE 40 DU PACTE (point 4 de l'ordre du jour) (suite)
Quatrième rapport périodique du Pérou (CCPR/C/PER/98/4; CCPR/C/70/L/PER)
1. Sur l'invitation de la Présidente, M. Mosqueira Medina, M. Voto-Bernales, M. Quesada Inchaústegui, Mme Maraví, M. Lazo Piccardo, Mme Leciñana Falconí, M. Chávez Basagoitia et M. Figueroa (Pérou) prennent place à la table du Comité.
2. La PRÉSIDENTE invite les membres de la délégation péruvienne à présenter le quatrième rapport périodique du Pérou (CCPR/C/PER/98/4).
3. M. MOSQUEIRA MEDINA (Pérou) indique que, depuis la présentation du troisième rapport périodique de son pays en 1996, des progrès importants ont été enregistrés dans le domaine de la promotion et de la protection des droits de l'homme. L'utilité des mesures qui avaient été adoptées pour lutter contre le terrorisme avait à l'époque été contestée. À l'heure actuelle, compte tenu de la diminution considérable de la violence terroriste, les autorités péruviennes ont pu mener à bien un assouplissement progressif de la législation antiterroriste. C'est ainsi qu'ont été supprimés les tribunaux dits "sans visage", qu'a été mis sur pied un régime pénitentiaire moins rigide, qu'a été créée une commission des grâces et qu'a été levé l'état d'urgence dans les lieux où il était en vigueur. Se trouvant dans une situation plus propice à la mise en œuvre d'une politique globale de promotion et de protection des droits de l'homme, les autorités péruviennes mettent particulièrement l'accent sur la sensibilisation de la population et des fonctionnaires de l'État à l'importance que revêt le respect des droits de l'homme.
4. Dans le cadre de leur politique de promotion des droits de l'homme et de la réconciliation nationale, les autorités péruviennes ont pour première préoccupation les victimes de violations des droits de l'homme. Cherchant à mettre au point des mécanismes destinés à réparer les torts subis par les personnes dont les droits fondamentaux ont été lésés lors de la période de violence qu'a connue le Pérou au cours des 20 dernières années, l'État péruvien élabore actuellement un plan de dédommagement des personnes qui ont été jugées pour délit de terrorisme et innocentées par la suite. Ce programme devrait concerner également les familles des personnes disparues et comprendre un ensemble de prestations, principalement dans les domaines du logement, de la santé et de l'éducation.
5. Conformément aux engagements internationaux pris par le Pérou, la répression des crimes contre l'humanité, parmi lesquels le génocide, la disparition forcée et la torture, a été incorporée dans le Code pénal. Dans le cadre de la politique d'assouplissement de la législation antiterroriste, le Conseil national des droits de l'homme du Ministère de la justice est désormais chargé, à la place de la Commission spéciale créée en vertu de la loi No 26655, de recommander au Président de la République les politiques, actions et mesures en matière de remises de peines, de droit de grâce et de commutation de peines. À ce jour, 502 personnes ont bénéficié d'une remise de peine.
6. Il n'y a désormais plus au Pérou de zone déclarée en état d'urgence. En conséquence, le flagrant délit est le seul cas dans lequel une personne peut être détenue sans qu'une décision de justice ait été prononcée en ce sens.
7. La Constitution péruvienne reconnaît le caractère autonome et indépendant de la juridiction militaire et l'autorise à instruire et à juger les délits de trahison et de terrorisme, y compris lorsqu'ils sont commis par des civils. Toutes les dispositions promulguées en la matière ont été établies compte tenu de la situation d'urgence dans laquelle se trouvait le pays mais aussi de la nécessité de protéger les droits fondamentaux des individus. Ainsi, ces dispositions prévoient la possibilité de former un recours extraordinaire en révision de condamnations exécutoires. Dans ce domaine, il convient également de signaler que le délit de terrorisme aggravé, qui relevait à l'origine de la compétence des tribunaux militaires, a été remplacé par le délit de terrorisme spécial, qui relève désormais de la compétence des tribunaux ordinaires.
8. Dans le domaine de la promotion et de la protection des droits des femmes, l'État péruvien a créé, en 1996, le Ministère de la promotion de la femme et du développement humain, ainsi que d'autres mécanismes de protection de la femme, tels que le service du Défenseur spécialisé en droits de la femme au sein du service du Défenseur du peuple et la Commission de la femme et du développement humain du Congrès de la République. Dans le domaine éducatif, les efforts ont été axés sur la nécessité de promouvoir la fréquentation scolaire chez les filles et la rénovation des programmes scolaires, afin d'y aborder les thèmes de l'estime de soi, de la prévention de la violence, de la lutte contre la discrimination et de l'éducation sexuelle. On a en outre observé une diminution du taux d'analphabétisme chez les femmes, qui est passé de 18,3 % en 1993 à 7,8 % en 1999. Il convient aussi de signaler, dans le même ordre d'idées, l'adoption de la loi sur les quotas, en vertu de laquelle les listes électorales pour les élections législatives et municipales ne sont admises que si elles comptent au moins 25 % de femmes.
9. Dans le domaine du droit civil et familial, on a constaté une évolution positive de la législation en faveur de la reconnaissance pleine et entière des droits des femmes. Ainsi, l'union de fait a été reconnue comme une autre option que le mariage civil et la protection de la femme a été renforcée par l'adoption de diverses lois, dont la loi sur la protection contre la violence familiale, la loi No 26770 abrogeant la disposition qui absout l'auteur d'un viol si ce dernier épouse la victime, et la loi No 27055 portant modification du Code de procédure pénale en faveur des victimes de violences sexuelles et établissant le caractère facultatif de la déclaration préalable de la victime, sauf décision du juge ou demande du prévenu ou du ministère public. Il y a lieu de signaler en outre la loi No 27115 qui fait obligation au ministère public de mettre en mouvement l'action publique pour tout délit contre la liberté sexuelle et la loi No 27270 portant modification du Code pénal et sanctionnant toute discrimination fondée sur la race, l'appartenance ethnique, les convictions religieuses ou le sexe.
10. Comme on peut le constater, des progrès importants ont été réalisés même si la situation politique que connaît le Pérou reste difficile et requiert le concours de tous les secteurs de la société, afin de renforcer la démocratisation du pays et, de la sorte, de donner un nouvel élan au développement et à la reconnaissance des droits de l'homme.
11. La PRÉSIDENTE invite la délégation à répondre aux questions 1 à 19 de la liste des points à traiter (CCPR/C/70/L/PER), qui se lisent comme suit :
"Cadre constitutionnel et juridique de l'application du Pacte (art. 2) et du Protocole facultatif
1. Quelles mesures l'État partie a-t-il adoptées pour donner suite aux recommandations formulées par le Comité des droits de l'homme dans ses constatations au titre du Protocole facultatif, en particulier dans les affaires Ato del Avellanal c. Pérou (No 202/1986), Muñoz Hermoza c. Pérou (No 203/1986) et Polay Campos c. Pérou (No 577/1994) ? Indiquer les raisons pour lesquelles l'article 40 de la loi No 23506, qui visait à mettre en œuvre les décisions du Comité, n'a pas été appliqué.
2. Indiquer quelles mesures concrètes ont été prises pour donner effet au Pacte et pour donner suite concrètement aux observations finales du Comité (par. 9), en particulier en ce qui concerne les lois d'amnistie et l'absence de recours efficaces, notamment d'indemnisation des victimes de violations des droits de l'homme.
3. Quelles sont les attributions et les fonctions du Défenseur du peuple et des commissions spéciales ?
4. Indiquer quel type de lois, y compris de lois pénales, le pouvoir exécutif peut promulguer. Ces lois doivent-elles être ratifiées par le Congrès ? Dans quelles circonstances, sous quelle autorité et sous réserve de quelles garanties a-t-on interprété le délit de "terrorisme aggravé" sous l'angle des infractions de droit commun ?
États d'urgence (art. 4)
5. Comment les droits de l'homme ont-ils été protégés pendant les états d'urgence qui ont été proclamés durant la période visée ?
Égalité entre les hommes et les femmes et non-discrimination (art. 3, 24 et 26)
6. Quelles mesures ont été prises pour garantir aux femmes : a) l'égalité en matière de participation dans le domaine de l'éducation, du travail et de la vie politique, et b) la possibilité d'occuper davantage de postes de décision dans les domaines exécutif, judiciaire et législatif ?
7. Indiquer quelles mesures ont été prises pour abroger les dispositions du Code civil et du Code pénal qui sont discriminatoires à l'égard des femmes et pour éliminer toute discrimination contre les femmes (par. 14, 15 et 22 des observations finales), y compris les dispositions concernant l'avortement.
8. De quels pouvoirs disposent les institutions de l'État pour protéger efficacement les droits des femmes ?
9. Donner des renseignements sur l'ampleur du problème de la violence contre les femmes, indiquer le nombre de plaintes pour viol qui ont été déposées et le nombre d'actions en justice ayant conduit à une condamnation. Donner des exemples de l'application de la loi No 26763 relative à la protection contre la violence familiale (par. 30 du rapport).
10. Quelles mesures ont été prises pour protéger les femmes contre la stérilisation forcée et quels sont les recours existants pour obtenir réparation en cas de stérilisation forcée ?
Droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne, traitement des prisonniers et d'autres personnes privées de liberté (art. 6, 7, 9 et 10)
11. Donner des précisions sur la situation concernant la peine de mort, en particulier à la lumière de l'article 140 de la Constitution (par. 63 à 67) et sur son évolution depuis la présentation du troisième rapport périodique du Pérou.
12. Indiquer quelles sont les procédures d'enquête sur les plaintes pour tortures, disparitions, menaces de mort, exécutions extrajudiciaires et mauvais traitements en détention, et, le cas échéant, les procédures applicables en matière de sanctions disciplinaires ou de poursuite des responsables.
13. Quelles mesures ont été prises pour donner suite aux observations finales du Comité concernant la stricte limitation de la durée de la garde à vue (observations finales, par. 23 et 24) ? Quelle est l'autorité qui peut décider que le délai de 24 heures peut être prolongé avant que la personne arrêtée ne soit mise à la disposition de la justice, selon quels critères et pour quel type de délit présumé (par. 87) ?
14. Quelles sont les "zones d'urgence" et dans quelles circonstances un individu peut-il être arrêté sans mandat judiciaire ? Expliquer le fonctionnement du Registre national des personnes placées en détention provisoire et des personnes condamnées à une peine privative de liberté (par. 91).
15. Étant donné le grand nombre de personnes en détention provisoire, quelles mesures ont été prises pour remédier à la situation conformément à l'article 9 du Pacte ? Quelle est la durée de la détention provisoire ?
16. Indiquer dans quelle mesure le système pénitentiaire garantit aux détenus un traitement humain, respecte leur dignité et a pour objectif leur rééducation et leur réinsertion sociale. Fournir des renseignements sur la situation au pénitencier de Challapalca et dans les prisons de sécurité maximale.
Droit à un procès équitable et indépendance de la magistrature (art. 14)
17. Donner des renseignements sur la destitution des juges par le pouvoir exécutif ou par le Congrès, en particulier sur la destitution des juges Delia Revoredo Marsano de Mur, Manuel Aguirre Roca et Guillermo Rey Terry. Les magistrats concernés ont-ils été réintégrés dans leurs fonctions ? Quelles sont les garanties qui existent pour assurer l'indépendance du pouvoir judiciaire et l'inamovibilité des juges (observations finales, par. 14) ?
18. Les tribunaux militaires peuvent-ils être compétents pour juger des civils ?
19. Expliquer le système de révision des jugements rendus par les juridictions militaires. Combien de personnes innocentes ont été remises en liberté ? Combien de personnes ont été indemnisées conformément aux dispositions du paragraphe 5 de l'article 9 du Pacte ?"
12. M. CHAVEZ BASAGOITIA (Pérou) répondant à la première question, dit que, dans l'affaire Ato del Avellanal, le problème trouve son origine dans l'application d'une ancienne disposition de caractère discriminatoire qui a été abrogée dans le nouveau Code civil de 1984. En tout état de cause, la demanderesse peut engager une action pour erreur judiciaire, conformément aux dispositions de la Constitution et compte tenu du fait que les membres du corps judiciaire sont responsables civilement des dommages et préjudices qu'ils causent. S'agissant de l'affaire Polay Campos, il convient de signaler que Victor Polay peut former un recours extraordinaire en révision de condamnation mais que l'État ne peut, dans ce cas, agir d'office. Dans l'affaire Muñoz Hermoza, suite à la décision 203/1986 du Comité, la Cour suprême a déclaré fondé le recours en amparo qui avait été formé; en vertu de cette décision, la Direction générale de la police nationale a déclaré nulle la mise à la retraite de M. Muñoz Hermoza, l'a réintégré dans le service actif, a décidé la restitution des prestations dues et a ensuite prononcé sa mise à la retraite pour avoir atteint la limite d'âge.
13. En ce qui concerne le point 2, les dispositions relatives à l'amnistie adoptées par le Congrès sont le résultat d'une décision politique visant à promouvoir la réconciliation et la stabilité dans le pays. Cela étant, s'il est vrai que l'amnistie concerne un ensemble de faits punissables, il convient de souligner qu'il s'agit d'une mesure de grâce exceptionnelle destinée à résoudre d'une façon globale des faits commis durant l'une des époques les plus difficiles de l'histoire du Pérou, applicable, en outre, sans préjudice des réparations civiles. Il convient de signaler que cette décision a fait l'unanimité au sein des organismes concernés. S'agissant de l'indemnisation des victimes de violations des droits de l'homme, M. Chavez Basagoitia appelle l'attention des membres du Comité sur les informations données dans l'exposé introductif de la délégation péruvienne.
14. Pour ce qui est du Défenseur du peuple, qui fait l'objet de la question posée au point 3, il convient de noter qu'il s'agit d'un organisme autonome responsable de la défense des droits constitutionnels et fondamentaux de la personne et de la communauté et chargé de contrôler que l'Administration s'acquitte de ses devoirs et que les services publics sont assurés de façon adéquate. Le Défenseur du peuple jouit d'une indépendance totale puisqu'il n'a à répondre ni civilement ni pénalement des recommandations ou opinions qu'il émet, et de l'immunité, puisqu'il ne peut être détenu ou poursuivi sans l'autorisation du Congrès. Il est habilité à entreprendre, d'office ou à la demande des parties intéressées, toute enquête destinée à faire la lumière sur des actes ou décisions de l'Administration affectant les droits fondamentaux de la personne ou de la communauté. Il peut également former devant le tribunal constitutionnel, des recours en inconstitutionnalité visant des règles ayant rang de loi ainsi que des recours en habeas corpus, en amparo et en habeas data. Il peut engager des actions populaires et des actions en exécution, représenter des individus ou des groupes d'individus dans toute procédure administrative en vue de la défense des droits de la personne et de la communauté et peut exercer le droit d'initiative législative. Il peut enfin promouvoir la signature et la ratification des traités internationaux relatifs aux droits de l'homme, ainsi que l'adhésion à ces instruments et leur diffusion. Par ailleurs, dans le cadre de sa politique d'assouplissement de la législation antiterroriste, le Gouvernement péruvien avait créé une Commission spéciale chargée de proposer au Président de la République des remises de peine pour des personnes condamnées ou poursuivies pour crime de terrorisme ou de trahison sur la base de preuves insuffisantes. Pour remplir ses fonctions, la Commission spéciale avait accès à toutes les affaires examinées devant les tribunaux ordinaires ou militaires, à toute personne condamnée ou poursuivie, ainsi qu'à tout document public ou privé et avait le droit d'interroger toute personne ou administration dont elle estimait le témoignage nécessaire. Les attributions de cette Commission spéciale ont été transférées, en vertu de la loi No 27234, au Conseil national des droits de l'homme du Ministère de la justice.
15. Répondant sur le point 4, M. Chavez Basagoitia dit que, conformément à la Constitution, le pouvoir exécutif peut promulguer des décrets législatifs, en vertu d'une loi d'habilitation votée par le Congrès et précisant le champ d'application et la durée de ladite habilitation. Les décrets législatifs promulgués par le pouvoir exécutif ne doivent pas être ratifiés par le Congrès mais font l'objet d'un contrôle à posteriori par ce dernier. Le Congrès peut alors, dans le cadre des pouvoirs qui lui sont conférés par la Constitution, interpréter, modifier ou abroger la loi promulguée par le pouvoir exécutif. C'est dans ce contexte que le Congrès a adopté la loi No 27235, en vertu de laquelle le "terrorisme aggravé" a été remplacé par le "terrorisme spécial".
16. En ce qui concerne le point 5, s'il est vrai que la Constitution péruvienne prévoit que, pendant toute la durée de l'état d'urgence, l'exercice de certains droits constitutionnels peut être limité ou suspendu, elle prévoit aussi que l'exercice des recours en habeas corpus et en amparo ne peut être suspendu. En outre, lorsqu'un état d'exception était déclaré, le Défenseur du peuple avait la possibilité d'appeler l'attention des autorités administratives, judiciaires ou militaires sur les mesures qu'il estimait manifestement contraires à la Constitution ou qui, de son point de vue, portaient atteinte aux droits constitutionnels et fondamentaux de la personne ou de la communauté, pour en demander l'abrogation ou la modification. De même, les procureurs avaient la possibilité, dans les zones déclarées en état d'urgence, de se rendre dans les commissariats, les préfectures, les installations militaires et autres centres de détention pour vérifier la situation des personnes détenues. Enfin, les membres du corps judiciaire étaient habilités à former des recours en habeas corpus et en amparo en cas d'état d'exception.
17. S'agissant de l'égalité entre hommes et femmes, qui fait l'objet du point 6, M. Chavez Basagoitia appelle l'attention des membres du Comité sur les informations données dans l'exposé introductif de la délégation péruvienne et précise, en outre, que le nombre de femmes parlementaires a triplé entre 1990 et 2000, que le Bureau actuel du Congrès est composé exclusivement de femmes, que la présence féminine s'est aussi renforcée au sein du pouvoir exécutif et que la participation des femmes aux exécutifs locaux a doublé au cours de la même période, alors que le nombre de conseillères municipales a, dans le même temps, triplé.
18. M. QUESADA INCHAÚSTEGUI (Pérou), répondant sur le point 7, dit que, dans le domaine civil, il convient de signaler la reconnaissance de l'union de fait comme autre option que le mariage civil, l'abrogation des articles du Code civil en vertu desquels l'action en déclaration judiciaire de paternité était irrecevable dans les cas où la mère menait une vie notoirement instable au moment de la conception, l'abandon de la qualification d'enfant illégitime pour celle d'enfant conçu hors mariage et la loi de modernisation de la sécurité sociale, qui reconnaît le statut d'ayants droit aux conjoints ou concubins, aux enfants mineurs et aux enfants majeurs handicapés. Dans le domaine pénal, M. Quesada Inchaústegui renvoie aux informations données dans le cadre de l'exposé introductif.
19. S'agissant du point 8, il convient de noter que la Constitution péruvienne consacre le principe de l'égalité et stipule que nul ne peut être victime de discrimination pour des raisons fondées sur l'origine, la race, le sexe, la langue, la religion, l'opinion et le statut économique ou pour toute autre raison. L'État péruvien a la volonté de faire en sorte que tous les organismes publics soient en mesure de protéger effectivement les droits des femmes et d'éliminer tout vestige de discrimination à leur encontre. C'est dans ce contexte que divers ministères sont chargés de mettre au point des programmes de protection des droits des femmes, parmi lesquels le Ministère de l'intérieur, le Ministère de la justice, le Ministère de la promotion de la femme et du développement humain, le Ministère de la santé et le Ministère de l'éducation. C'est également dans ce contexte qu'a été créée, au sein du Congrès de la République, la Commission de la femme et du développement humain, chargée notamment de proposer l'abrogation des normes susceptibles de porter préjudice aux femmes. Dans le cadre du programme d'amélioration de l'accès à la justice, le pouvoir judiciaire a quant à lui pris des mesures dans le domaine de la formation, afin que les femmes puissent notamment mieux assumer les responsabilités de juges de paix. Par ailleurs, ce sont désormais les juges aux affaires familiales des provinces qui ont à connaître des affaires de violence familiale.
20. Comme l'indique le rapport (par. 49), il existe un service du Défenseur spécialisé en droits de la femme chargé de favoriser l'application effective des mécanismes de protection des droits des femmes et d'éviter en priorité la discrimination. Ce service contribue aussi à faire respecter par les institutions d'État et les services publics les normes constitutionnelles et les lois relatives aux droits de la femme. La Constitution de 1993, dans ses articles 23, 24 et 26, énonce de manière générale les droits au travail concernant tant l'homme que la femme : la travailleuse a droit à une rémunération équitable et suffisante pour procurer à sa famille bien-être matériel et moral. La délégation rappelle les autres garanties liées au travail et à l'égalité des chances sans discrimination, qui sont exposées de manière détaillée dans les paragraphes 25 à 27 du rapport.
21. En ce qui concerne la loi sur la violence familiale No 26763, qui a modifié la précédente (point 9 de la liste), elle est longuement traitée dans le rapport (par. 30 à 46). La délégation péruvienne ajoute que plusieurs ministères se sont regroupés pour créer le "module d'assistance contre la violence familiale", afin d'offrir aux femmes et aux enfants victimes de cette violence des services juridiques et médicaux spécialisés. Grâce à ce module, les Ministères de la justice, de l'intérieur, de la santé, le ministère public et le Ministère de la promotion de la femme et du développement humain (PROMUDEH), offrent en un lieu unique les services suivants : Comisaría des femmes, assistance juridique, médecine légale, expertise psychologique, procureur aux affaires familiales, orientation psychologique, services sociaux, conciliation ainsi qu'une ligne téléphonique d'urgence et un service de garde de jour pour les enfants. Le module est conçu de manière que les victimes puissent accéder à tous les services en une seule journée. Entre mars et décembre 1999, ce sont 9 292 cas qui ont été traités, et cette structure s'est maintenant étendue à plusieurs districts de Lima et de villes de l'intérieur du pays : en décembre 1999, le Département de Lima comptait 12 modules. Par ailleurs, les services du défenseur de l'enfant et de l'adolescent ont pour vocation de préserver les droits que la législation spécialisée protège en mettant en place des services d'orientation, d'information et d'assistance pour les victimes d'actes de violence et de mauvais traitements à enfant qui sont imputables à des tiers ou à des proches. De tels services peuvent se créer dans les administrations locales et dans les institutions publiques et privées : municipalités, écoles, paroisses, organisations non gouvernementales et organisations de base; il en existe 1 176 au niveau national, qui se sont occupées de 67 526 cas de violence et mauvais traitements.
22. Le Ministère de la justice assure la défense gratuite des personnes démunies en faisant appel aux services d'avocats commis d'office qui, au cours du premier trimestre 1998, ont donné 17 700 consultations et ont assuré la défense de 7 056 justiciables impliqués dans des affaires diverses. Il est prévu d'instituer des avocats commis d'office auprès du ministère public devant les juridictions pénales et des affaires familiales, entre autres, ainsi qu'à la Direction nationale contre le terrorisme. Le Conseil national des droits de l'homme du Ministère de la justice forme des défenseurs des droits de l'homme et des victimes de la violence familiale en coordination avec divers secteurs.
23. Le Ministère de la santé pour sa part offre un ensemble de services permettant de traiter les cas de violence familiale dans le cadre de divers programmes et bureaux placés sous sa tutelle : programme femme, santé et développement, programme de santé mentale, programme de santé génésique, programme de planification familiale, office général d'épidémiologie.
24. Le Ministère de l'éducation a des programmes de lutte contre la violence familiale dans le cadre de l'éducation sexuelle, de l'école des parents et de la prévention de la violence. Pour cela, il organise des ateliers de formation psychosociale à l'intention des élèves, de formation d'enseignants et d'animateurs de programmes. Il organise également des séminaires-ateliers de sensibilisation à l'intention des directeurs d'établissements d'enseignement et des enseignants sur des questions liées à la prévention de la violence et il a créé des groupes d'entraide. Le Ministère de la défense a, de son côté, des programmes institutionnels pour prévenir la violence familiale et s'occuper des victimes, qui s'adressent aux membres de ce ministère et à leur famille. Le Ministère de l'intérieur enfin a créé un système de registre des plaintes pour mauvais traitements dans la famille. Le Département de Lima a un registre des plaintes pour mauvais traitements dans la famille qui a permis de préciser l'ampleur de ce problème et d'élargir la couverture des services proposés. L'une des initiatives les plus intéressantes du Ministère de l'intérieur en matière de violence familiale est la mise en place obligatoire d'une section d'enquête sur les cas de violence familiale dans chacun des 150 commissariats existant dans la VIIème région de la police nationale du Pérou.
25. Le Ministère de l'intérieur a également des programmes, projets et activités concernant la promotion de la femme et l'égalité des sexes, parmi lesquels on peut citer le plan de prévention des fautes et délits attentatoires à l'intégrité de la femme dans le cadre de la violence familiale. Ce plan a pour principal objectif d'améliorer la qualité de l'accueil réservé par le personnel des commissariats, de mettre en place des mesures de protection de la femme afin de prévenir les cas de violence familiale dont celle-ci est victime, d'enquêter sur ces cas et de déposer plainte, ainsi que d'apporter une assistance psychologique, juridique et sociale à titre gratuit.
26. Le Ministère de la promotion de la femme (PROMUDEH) a plusieurs programmes de formation des cadres et du personnel subalterne de la police nationale qui interviennent dans la prévention et le traitement des cas de violence familiale, afin d'améliorer la qualité de ce service.
27. Le service du Défenseur spécialisé en droits de la femme, qui relève du Défenseur du peuple, agit lorsqu'il y a eu plainte déposée par une personne. Il s'agit d'un mécanisme qui se déclenche lorsqu'il est porté atteinte aux droits et aux garanties constitutionnels. On s'est du reste plaint de l'excès de formalisme dont font preuve les commissariats, ce qui retarde la procédure de dépôt et d'instruction des plaintes pour violence familiale en raison du traitement réservé à la victime de violences sexuelles dans le cabinet du médecin légiste. De même, des plaintes ont été déposées concernant les adolescentes exclues de leur établissement scolaire en raison de leur grossesse. En outre, le service du Défenseur spécialisé a organisé des cours et ateliers de formation destinés au personnel de la police afin d'expliquer les attributions de cette dernière dans le cadre de la loi sur la violence familiale : plus de 600 membres de la police métropolitaine et d'autres services ont reçu une formation.
28. Le ministère public a organisé la formation des procureurs dans le cadre de sa Direction des enquêtes (Instituto de Investigaciones). Pour ce qui est du pouvoir judiciaire, il a mis en place des modules de base ou de proximité, situés dans les quartiers périurbains, qui s'occupent des cas de violence familiale, ce qui permet aussi la décentralisation du service. En outre, deux juges des tutelles ont été institués dans le district judiciaire de Lima, ce qui a permis de regrouper l'instruction de la totalité des plaintes dans la province de Lima.
29. Le Ministère de la promotion de la femme et du développement humain (PROMUDEH) travaille dans le cadre d'un réseau national qui permet d'avoir une information immédiate sur les statistiques des cas de violence familiale, et en particulier de violence sexuelle. Grâce aux 29 centres d'urgence répartis de manière stratégique sur l'ensemble du territoire péruvien, il a été possible à ce jour de traiter près de 30 000 cas de violence familiale, en respectant les formes ou modalités prescrites par la loi. Entre les mois de mars et juin 2000, le Centre d'urgence-Femme de Lima s'est occupé de 1 713 affaires : dans 92,95 % d'entre elles, les victimes étaient des femmes et dans 32,66 % des cas, il s'agissait de viols.
30. En ce qui concerne le ministère public, la délégation péruvienne joint en annexe à son exposé un tableau statistique des plaintes déposées pour violences contre la femme devant les services du procureur chargé des affaires familiales; pour les années 1997 à 2000, qui indique le nombre de plaintes traitées, le nombre de plaintes classées, le nombre d'audiences de conciliation réalisées et le nombre de plaintes transmises par les services du procureur (le parquet) aux organes juridictionnels compétents.
31. D'après les informations du pouvoir judiciaire, 377 plaintes ont été enregistrées entre les mois de janvier et août 2000 pour violence familiale mais l'existence de cette violence a pu être confirmée dans 26 affaires seulement. Dans 96 % des cas, l'affaire a été transmise à la justice par le ministère public qui, conformément à la loi en vigueur, dépose plainte en tant que représentant des victimes devant le pouvoir judiciaire. On sait que le pourcentage des cas de violence familiale portés devant le pouvoir judiciaire n'est pas très élevé, étant donné que la grande majorité d'entre eux sont d'abord examinés et traités par le ministère public et que le pouvoir judiciaire est saisi seulement lorsque le problème n'a pas pu se régler à l'amiable faute de comparution du défendeur à l'audience de conciliation.
32. Conformément à la loi, les plaintes pour violence familiale, ne font pas l'objet de poursuites d'office, mais seulement s'il y a constitution de partie civile. Dans 40 % des cas, la partie intéressée n'engage pas de poursuites, ce qui fait qu'après un certain délai, l'affaire est classée. Enfin, les affaires de violence familiale qui arrivent devant la justice faute de conciliation devant le ministère public sont classées à titre provisoire dans 60 % des cas, vu que les parties abandonnent les poursuites, même si la plainte a été déclarée recevable.
33. En réponse à la question du point 10, M. LAZO PICCARDO (Pérou) dit que l'État péruvien a pris particulièrement au sérieux le problème des stérilisations pratiquées sans le consentement de la femme et a pris des mesures d'urgence à cet égard. En vertu de la décision administrative No 028-98-MP-CEMP de la Commission exécutive du ministère public, prise le 13 janvier 1998, une magistrate du parquet (16° Fiscalio provincial) spécialisée dans les affaires pénales de Lima a été chargée d'enquêter sur les stérilisations par ligature des trompes pratiquées sur des femmes sans leur consentement, à la suite de quoi des plaintes pénales ont été déposées pour délits contre la vie, le corps humain et la santé, plaintes actuellement instruites par la justice. Dans ce type de procédure, la magistrate agissant comme représentante du ministère public participe à l'instruction. En outre, des procédures judiciaires sont en cours dans plusieurs grandes villes de province, ce qui montre bien le souci du ministère public de défendre la légalité et les intérêts de la société dans l'exercice de l'action pénale.
34. À ce sujet, il faut préciser que, dans le cadre du Programme de planification familiale, le Ministère de la santé, n'a pas pour politique d'imposer l'usage d'une méthode anticonceptionnelle particulière. La stérilisation chirurgicale ne peut être que volontaire, comme le confirme le chapitre VII des normes du programme de planification familiale. Afin de protéger les droits de la femme, un système de surveillance et d'orientation de l'usager a été mis en place dans le cadre de ce programme, qui reconnaît aux personnes qui se considèrent lésées par une pratique inadéquate de la part des responsables du programme de planification familiale, le droit de déposer plainte et d'obtenir dédommagement.
35. Le service du Défenseur du peuple a fait une enquête sur l'application de la stérilisation chirurgicale volontaire au Pérou, qui a permis de dégager un ensemble de problèmes puis donné lieu à un rapport (résolution No 01-98) contenant des orientations, des propositions et des recommandations, lesquelles ont été étudiées par les instances compétentes et adoptées pour la plupart par le Ministère de la santé. Par la suite (décision No 03-DP-2000), on a observé que les plaintes avaient sensiblement diminué et que la majorité d'entre elles portaient sur des faits remontant à l'année 1997, c'est-à-dire avant l'introduction des modifications. Selon le service du Défenseur du peuple, des progrès ont été réalisés sur les points suivants : respect de l'identité culturelle, qualité de l'opération de stérilisation, délai de réflexion obligatoire, paiement par le programme de planification familiale en cas de complications, prise en charge par le programme des frais de contrôle prénatal et du nouveau-né dans les établissements du Ministère de la santé en cas de grossesse après échec de la stérilisation, élimination des retards dans la prestation de services, interdiction pour le personnel de santé, sous peine de sanction, d'exercer des pressions en faveur d'une méthode anticonceptionnelle particulière, formation du personnel chargé d'appliquer le programme de planification familiale dans le domaine des droits relatifs à la procréation et à la violence familiale.
36. S'agissant de la stérilisation volontaire, il convient de souligner que l'État a pris des mesures concernant l'affaire No 12191, qui avait été portée devant la Commission interaméricaine des droits de l'homme par la famille d'une personne décédée à la suite d'une négligence médicale. À ce sujet, le Ministère de la santé est en train de donner suite à diverses recommandations formulées par son Inspection générale, à savoir notamment l'ouverture de procédures administratives disciplinaires contre les personnes présumées responsables afin d'assurer la stricte observation des normes en vigueur concernant la stérilisation chirurgicale volontaire. À cela s'ajoute la possibilité de définir une réparation à accorder aux personnes lésées.
37. Sur le point 11 et le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne, la délégation péruvienne signale que les normes établies par l'article 140 de la Constitution de 1993 n'ont pas été modifiées (voir par. 63 à 77 du rapport - CCPR/C/PER/98/4) et que le Pérou réserve l'application de la peine capitale aux crimes exceptionnels, spécifiés dans la Constitution : trahison en temps de guerre et terrorisme. Il est à noter que, depuis l'entrée en vigueur de la Constitution de 1993 et de la législation antiterroriste, la peine de mort n'a jamais été prononcée par les tribunaux péruviens, restés fidèles aux considérations exposées dans les paragraphes 63 à 67 du rapport.
38. Le point 12 concerne les procédures d'enquête sur les plaintes déposées pour tortures, disparitions, menaces de mort, exécutions extrajudiciaires, etc., en détention. La loi No 26926 (21 février 1998) a inscrit dans le Code pénal les délits de génocide, disparition forcée et torture, pour lesquels l'enquête est menée par le juge compétent pour les délits de droit commun selon la procédure pénale ordinaire prévue dans le Code de procédure pénale : l'instruction est confiée à un juge spécialisé en matière pénale, puis la procédure orale de jugement se déroule dans une chambre spécialisée. Le ministère public, par des décisions du 11 septembre 2000, a décidé d'inclure dans la procédure médico-légale et l'examen médico-légal effectué pour détecter les lésions résultant de tortures ayant ou non entraîné la mort, le témoignage de la personne auscultée, et a approuvé les normes que doit appliquer le parquet (circulaire No 001-99-MP-CEMP) pendant le déroulement de l'enquête afin de garantir le respect des droits fondamentaux des personnes détenues dans les locaux de la police.
39. Depuis juin 1999, le Défenseur du peuple utilise la fiche unique de la personne détenue par la police, qui joue un rôle de prévention, en permettant de vérifier les conditions de détention dans les services de la police. Les plaintes pour violations présumées des droits de l'homme commises par des membres de la police nationale sont examinées selon une procédure établie qui prévoit une enquête administrative disciplinaire immédiate effectuée par les organes de contrôle de la police nationale péruvienne, conformément à la directive No 43-DG-PNP/IG de novembre 1996. Enfin, lorsque les services de police ont connaissance de plaintes pour violation des droits de l'homme, ils en informent leur hiérarchie, dans les délais stipulés, laquelle est également informée de l'enquête et de ses résultats.
40. En réponse aux questions du point 13 la délégation péruvienne dit que, conformément à la Constitution, la garde à vue n'est utilisée qu'en cas de flagrant délit (art. 2 de la Constitution, par. 87 du rapport), et son application est détaillée dans la loi organique de la police nationale du Pérou (loi No 27238). La garde à vue ne peut dépasser 24 heures, sauf dans les affaires de terrorisme, d'espionnage et de trafic de drogue, où elle peut durer 15 jours (par. 87 du rapport). Dans les affaires de terrorisme, le décret-loi No 25475 se borne à définir la compétence de la police en matière d'enquête sur le plan interne, sans que l'on puisse interpréter l'intervention sans restriction de la police comme pouvant empiéter sur les pouvoirs constitutionnels confiés au ministère public. À cet égard, la police doit veiller à protéger la légalité, à respecter les droits de l'homme et les traités internationaux, tandis que le représentant du ministère public pour sa part intervient pendant la phase de l'enquête policière. Cela signifie que la police nationale, conformément à l'article 159 de la Constitution, est tenue d'exécuter les mandats délivrés par le ministère public dans le cadre de sa compétence. D'autre part, à propos des traitements cruels présumés au cours des enquêtes sur les délits de trahison et de terrorisme, la délégation péruvienne affirme qu'il ne s'agit pas de pratiques généralisées. Tout abus commis par le personnel de la police nationale fait l'objet d'enquêtes et de sanctions administratives, ainsi que d'une plainte pénale déposée par l'institution devant la juridiction compétente. Il faut tenir compte du fait que, à côté des contrôles effectués par l'institution policière elle-même, le ministère public supervise et inspecte les lieux de détention de la police au niveau national, ce qui est aussi le cas du Défenseur du peuple depuis juin 1999. Comme cela est dit au paragraphe 87 du rapport, la personne détenue en garde à vue par la police doit être mise à la disposition du juge compétent dans un délai de 24 heures ou dans le délai imposé par l'éloignement.
41. Aux questions posées au point 14, la délégation péruvienne répond qu'il n'existe pas de "zone d'urgence" au Pérou (voir réponse à la question 5). Par conséquent, les seules circonstances dans lesquelles une personne peut être détenue sans mandat judiciaire est le cas du flagrant délit. En ce qui concerne le Registre national des personnes placées en détention provisoire et des personnes condamnées à une peine privative de liberté (par. 90 et 91 du rapport), il a été créé par la loi 26295 et relève de plusieurs services et institutions. Le ministère public est chargé d'organiser et d'administrer la banque de données qui contient des informations sur les détentions signalées par les forces armées et par la police nationale. Il assure également le suivi statistique de toutes les étapes de la collecte et de la transmission des données.
42. Au sujet de la détention provisoire (point 15 de la liste), la délégation péruvienne précise que le rapport entre le nombre des condamnés et celui des prévenus dans la population carcérale a beaucoup varié ces dernières années, comme en témoigne la baisse du pourcentage des prévenus en détention. On peut considérer cette variation comme positive vu que la population carcérale est restée stable durant l'année écoulée : en juillet 1999, il y avait au Pérou 27 393 détenus, dont 17 158 (62 %) étaient en attente de jugement et 10 235 (38 %) déjà condamnés. Un an plus tard, la population carcérale avait légèrement augmenté alors que la proportion des prévenus dans cette population avait sensiblement diminué : en juillet 2000, on comptait 27 604 détenus, 14 909 (54 %) étaient en attente de jugement et 12 695 (46 %) condamnés. Les facteurs pouvant expliquer cette évolution favorable sont les suivants : a) une politique de dépénalisation engagée par le pouvoir exécutif et appliquée par le Ministère de la justice, concrétisée par la création d'une commission de dépénalisation qui a pris une série de mesures visant à décongestionner les prisons; b) une politique systématique de remise de peine pour les détenus de droit commun, surtout en matière de délits contre les biens (1 800 remises de peine ont été accordées pendant l'année écoulée, soit l'équivalent du nombre accordé au cours des huit années précédentes); c) la réforme des conditions requises pour ordonner la mise en détention provisoire par mesure de précaution, qui réduit sensiblement les possibilités de le faire si ne sont pas réunies cumulativement les conditions énoncées à l'article 135 du Code de procédure pénale; d) une réforme du droit de grâce en ce qui concerne les détenus en attente de jugement, lorsque l'instruction du procès dure le double de la durée ordinaire de la détention provisoire compte tenu des prorogations; e) enfin, une meilleure prise de conscience dans le cadre du système pénal de l'inconvénient que présente le recours à la privation de liberté sans avoir épuisé les autres moyens moins pesants pour le prévenu ou le condamné et aussi pour le système pénitentiaire.
43. Au sujet du point 16 de la liste, la délégation explique que le Pérou traverse actuellement une période de changements notables dans sa politique et que le système pénitentiaire péruvien est en train de s'adapter aux dispositions et aux recommandations des Nations Unies concernant la prévention du crime et le traitement des délinquants, en respectant les droits des détenus : environnement adéquat, sur le plan individuel et collectif, traitement adapté à la catégorie, information concernant leurs droits, leurs obligations et les normes régissant la vie dans l'établissement pénitentiaire. L'administration pénitentiaire établit un ensemble de normes visant à organiser une cohabitation pacifique, et à améliorer la qualité de la vie du détenu, au moyen des mesures suivantes : améliorer la qualité nutritive de l'alimentation, améliorer le traitement des détenus qui pourront faire appel à des médecins, des psychologues, des assistantes sociales et des avocats notamment, possibilité de suivre un enseignement, dans le cadre de programmes d'alphabétisation, de formation professionnelle, d'enseignements primaire et secondaire ainsi que d'enseignement supérieur à distance, modules de travail et de formation professionnelle permettant aux prévenus de réduire leur peine grâce à leur travail et à des études, ateliers éducatifs de production permettant aux détenus de fabriquer manuellement des objets puis à les commercialiser (par. 101, 104 et 105 du rapport).
44. Les établissements dits de sécurité maximale selon le Décret suprême No 007-98-JUS sont les suivants : 1) établissement pénitentiaire en régime fermé ordinaire de Lurigancho (pavillon spécial de sécurité maximale); 2) établissement pénitentiaire en régime fermé de sécurité maximale "La Capilla" à Juliaca; 3) établissement pénitentiaire en régime fermé de sécurité maximale de Yanamayo (Puno); 4) établissement pénitentiaire en régime fermé spécial Miguel Castro Castro; 5) établissement pénitentiaire en régime fermé spécial de Challapalca (Puno). Ce dernier est situé dans le département de Tacna qui relève de la direction régionale de l'Altiplano-Puno et héberge 101 détenus de sexe masculin, condamnés et/ou attendant d'être jugés pour des délits de droit commun, et qui présentent des difficultés de réadaptation ou ont commis des actes de terrorisme. Ces détenus sont deux par cellule, ont des installations sanitaires individuelles, l'eau courante 24 heures sur 24, et la lumière électrique entre 17 heures et 5 heures, des services de repas, une cour par pavillon et une ration alimentaire dont le coût est supérieur à celui de tous les autres établissements pénitentiaires. L'établissement compte en outre un dispensaire qui offre des services de santé et auquel sont affectés un médecin et deux infirmiers de garde. Il faut y ajouter du personnel chargé d'apporter un soutien psychologique, une assistance sociale, une assistance juridique ainsi qu'un enseignement professionnel et scolaire, et l'assistance de médecins fournis par le Ministère de la santé, sur demande.
45. Le reclassement et la réadaptation des détenus font l'objet d'un traitement permanent et progressif, individualisé et collectif, qui vise à préserver la santé physique et mentale de la personne ainsi que ses contacts familiaux et sociaux et le respect de ses droits. Il y a tout d'abord l'évaluation du détenu par des comités de classification composés d'un avocat, d'un psychologue et d'une assistante sociale, qui classent le détenu dans une catégorie homogène et différenciée selon son âge, l'étape de la procédure et le type de délit et l'orientent vers l'établissement pénitentiaire adapté, dans lequel sera ensuite défini le traitement pénitentiaire qui lui sera appliqué. Après le classement du détenu, chaque professionnel intervient pour l'évaluation et l'élaboration d'un diagnostic afin de déterminer le programme spécifique qui lui sera appliqué et qui fera l'objet d'un suivi rigoureux au cours duquel le détenu réfléchira au délit qu'il a commis et participera à des activités éducatives ou de formation professionnelle offertes par chaque établissement. Cela lui permettra de mieux comprendre ce qu'il est, d'apprendre à subvenir à ses propres besoins et à ceux de sa famille par son travail et à collaborer à l'application du traitement choisi visant à l'aider à surmonter ses problèmes personnels et sociaux.
46. La réinsertion sociale complète la réadaptation et vise notamment à offrir une aide sociale au détenu à sa libération ainsi qu'à la victime du délit et à leurs familles respectives. La réinsertion sociale consiste aussi à surveiller la personne ayant bénéficié d'une libération conditionnelle et à demander la révocation de cette mesure en cas de non-respect des règles prévues; enfin, il s'agit de trouver un travail aux ex-détenus inscrits sur la liste des organes techniques de traitement en régime de semi-liberté et des comités d'aide post-pénitentiaire, de prononcer des peines de substitution à la prison, le tout étant coordonné par l'Institut national pénitentiaire (INPE) qui fait procéder à l'évaluation du condamné par une équipe pluridisciplinaire. Cet Institut supervise actuellement l'exécution de 1 725 peines de travail d'intérêt général (services à la collectivité), pratique qui se développe avec l'application de la loi sur la conversion des peines, en vertu de laquelle le juge convertit la peine inférieure à quatre ans d'emprisonnement en une prestation de services à la collectivité. Cette pratique est appelée à se développer encore davantage lorsque la Commission de commutation des peines créée par le Ministère de la justice entrera en fonction. À ce jour, l'INPE a retenu 1 250 détenus qui pourraient bénéficier d'une conversion de la peine d'emprisonnement inférieure à quatre ans qu'ils sont en train de purger en un travail d'intérêt général.
47. Au sujet du droit à un procès équitable et de l'indépendance de la magistrature (point 17), la délégation souligne qu'au Pérou, ni le pouvoir exécutif ni le Congrès ne participent à la nomination ou à la révocation des juges du pouvoir judiciaire, qui relèvent d'un organisme constitutionnel autonome, le Conseil national de la magistrature. Quant au tribunal constitutionnel, les articles 99 et 100 de la Constitution prévoient une procédure de mise en accusation de ses membres (impeachment ou antejuicio constitucional) "pour infraction à la Constitution et pour tout délit commis dans l'exercice de leurs fonctions". Cette procédure a été utilisée pour destituer Delia Revoredo Marsano de Mur, Manuel Aguirre Roca et Guillermo Rey Terry mentionnés dans les questions du point 17. Ces magistrats n'ont pas été rétablis dans leurs fonctions, même si la Commission interaméricaine des droits de l'homme, dans le cadre de sa procédure, a proposé une solution à l'amiable passant par la réintégration desdits magistrats et un remaniement ultérieur total du tribunal constitutionnel, ce qui a été rejeté par les magistrats en question.
48. Le Tribunal constitutionnel continue à connaître des procédures visant à protéger les droits de l'homme (amparo, habeas corpus) avec les quatre membres qui le constituent actuellement. Toutefois, il importe de rétablir l'exercice du contrôle de la constitutionnalité des mesures par le Tribunal constitutionnel qui ne peut se faire qu'avec la participation intégrale de tous les magistrats désignés. À cet égard, la recomposition du tribunal est l'un des sujets abordés par la "mesa de diálogo" (table de dialogue) constituée en application des mandats confiés par la dernière Assemblée générale de l'Organisation des États américains, réunie au Canada. Un groupe de travail a été constitué pour étudier cette question, lequel se compose de représentants du Gouvernement, des partis de l'opposition et de la société civile qui sont en train de mettre au point une solution comportant notamment la réintégration dans leur poste des ex-magistrats et une modification de la loi organique du Tribunal constitutionnel permettant d'en améliorer le fonctionnement. Il s'agirait de réduire le nombre de voix requis pour statuer sur un recours en inconstitutionnalité, de ne pas confirmer la constitutionnalité d'une loi en l'absence de décision expresse, de mettre en place des mécanismes pour rendre la décision (magistrats suppléants ou assesseurs venant de la Cour suprême, etc.), d'éviter l'incertitude liée à la pratique du "control difuso" par l'ensemble et chacun des magistrats dans les recours en inconstitutionnalité en empêchant l'exercice de ces contrôles en l'espèce.
49. La Constitution péruvienne et les traités internationaux auxquels le Pérou est partie prévoient toutes les garanties de l'administration de la justice visant à assurer l'indépendance des juges et leur inamovibilité. Au Pérou, actuellement, on met en cause l'indépendance des juges en raison de la quantité de magistrats titulaires qui occupent déjà à titre provisoire le poste qui leur est immédiatement supérieur. Ce problème est également débattu dans le cadre de la "mesa de diálogo" qui est parvenue à un consensus sur un projet de loi qui devrait être approuvé par le congrès et vise à éviter que les magistrats nommés provisoirement siègent dans les organes dirigeants du pouvoir judiciaire ou du ministère public ou soient leurs représentants dans d'autres organes constitutionnels comme la Commission électorale nationale ou le Conseil national de la magistrature. Il sera également question d'un projet permettant d'accélérer la nomination d'un magistrat titulaire aux postes qui sont actuellement occupés par des magistrats provisoires.
50. Répondant sur le point 18 de la liste, Mme MILAGROS MARAVI (Pérou) indique que l'article 173 de la Constitution péruvienne prévoit que les juridictions militaires ne sont compétentes pour juger des civils que dans le cas d'un délit de trahison ou de terrorisme, qui sont régis par des lois spéciales (décrets-lois No 25659 du 13 août 1992 et No 895 du 23 mai 1998). Le décret-loi No 895 a été modifié par la loi No 27235 du 20 décembre 1999, qui prévoit que le délit de terrorisme aggravé relève non plus de la justice militaire mais du droit commun. Par ailleurs, les civils qui sont employés au sein des forces armées ou de la police nationale sont considérés comme des réservistes qui ont été engagés dans les Forces d'active.
51. Par ailleurs, il convient de souligner que le Pacte ne prévoit pas l'interdiction des tribunaux d'exception. Cependant, comme leur nom l'indique, ces juridictions revêtent un caractère d'exception, et les tribunaux militaires péruviens qui jugent des civils dans des affaires de terrorisme ou de délinquance en bande avec usage d'armes de guerre n'ont cette compétence qu'en vertu de lois spéciales provisoires visant à répondre à des situations d'urgence mettant en danger la stabilité de l'État. L'application de ces lois spéciales est assortie de toutes les garanties de procédure pertinentes. En ce qui concerne la publicité donnée aux procédures militaires, il convient de rappeler que le Pacte lui-même prévoit au paragraphe 1 de son article 14 que le huis clos peut être prononcé pendant un procès lorsque la publicité nuirait aux intérêts de la justice.
52. Répondant aux questions du point 19 de la liste, Mme Milagros Maravi indique que le Code de justice militaire prévoit la possibilité d'exercer un recours (recours extraordinaire en révision des condamnations définitives) qui permet à une personne ayant été condamnée en dernier ressort par le Conseil suprême de justice militaire de demander la révision du procès en cas d'erreur de fait manifeste et dans d'autres cas. Ces dispositions s'appliquent en particulier quand la condamnation a été prononcée pour le décès d'une personne qui se révèle être toujours en vie, quand des verdicts contradictoires ont été rendus pour une même infraction, quand une décision judiciaire rendue après la condamnation a établi que les éléments de preuve fondant la condamnation étaient faux, quand un fait nouveau ou une pièce nouvelle, dont le juge n'avait pas connaissance, permet d'établir l'innocence de la personne condamnée et, dans le cas du délit de trahison, quand le jugement n'a pas pris en considération des éléments de preuve qui auraient entraîné l'acquittement. Mme Milagros Maravi ajoute que les recours en révision dans les cas de délit de trahison ont abouti au transfert de huit personnes devant une juridiction de droit commun, les faits ne relevant pas du délit de trahison mais pouvant être examinés au regard des dispositions réprimant les actes de terrorisme.
53. La PRÉSIDENTE remercie la délégation péruvienne et invite les membres du Comité à poser oralement leurs questions complémentaires.
54. M. SOLARI YRIGOYEN se félicite de l'examen du quatrième rapport périodique d'un État avec lequel son propre pays, l'Argentine, a une longue histoire commune, et saisit cette occasion pour rendre hommage au passé glorieux et à la civilisation admirable du Pérou. La présence d'une délégation de l'État partie de très haut niveau atteste que le Gouvernement péruvien entend coopérer pleinement avec le Comité pour améliorer la situation relative aux droits de l'homme. Qu'il soit assuré ici que cet esprit de coopération est tout à fait réciproque. En outre, le Comité est bien conscient des difficultés auxquelles le Pérou a dû faire face en raison du développement de la violence comme moyen d'action politique. L'éradication de cette violence, qui constitue incontestablement une atteinte à la dignité de la personne, a permis de pacifier le pays, et le premier acteur de la lutte contre la violence a été le peuple péruvien, qui mérite à ce titre une vive admiration.
55. Il y a lieu de rappeler que la violence qui a secoué le Pérou a deux origines : il y a eu, certes, la violence terroriste, qui a été particulièrement forte dans les années 1980 à 1993, mais la dissolution du Parlement par le Président Fujimori, en 1992, et l'abandon des institutions démocratiques ont constitué une autre source de violence à l'origine d'une crise institutionnelle grave ayant beaucoup affaibli l'État. Certains signes sont cependant encourageants, comme l'existence d'une "table de dialogue" et la perspective d'élections générales en 2001. En ce qui concerne ces dernières, il est capital que la campagne électorale se déroule dans des conditions égalitaires et que le scrutin ne soit pas entaché d'irrégularités, de façon que la situation qui a caractérisé le scrutin du printemps 2000 ne se reproduise pas. En particulier, les autorités péruviennes doivent veiller à ouvrir une page nouvelle de l'histoire de leur pays, en renonçant clairement au principe de l'impunité. En aucun cas elles ne sauraient adopter de nouvelles dispositions d'amnistie semblables à celles de 1995. L'impunité constitue une violation flagrante du Pacte et, en outre, ce principe va à l'encontre du renforcement des institutions démocratiques. M. Solari Yrigoyen a reçu de participants à la "table de dialogue" certaines informations préoccupantes selon lesquelles le pouvoir exécutif aurait élaboré un projet visant à encourager de nouvelles mesures d'amnistie qui s'appliqueraient encore plus largement que les précédentes. En particulier, elles viseraient les délits qui ont été commis dans le cadre de la lutte contre les stupéfiants. Une telle extension de l'amnistie serait très dangereuse, d'autant que les dispositions envisagées prévoiraient l'irresponsabilité des agents de l'État concernés en matière civile, pénale et administrative. Dans le cadre de ce projet, il serait aussi prévu d'établir une commission dite de la vérité, qui serait chargée d'enquêter sur les violations des droits de l'homme commises par les acteurs de la lutte contre la subversion. Il y a lieu de s'inquiéter quand on sait que les autorités péruviennes ont souvent justifié par la "lutte contre la subversion" des actes qui n'avaient rien à voir avec cela. En tout état de cause, il conviendrait de savoir si les allégations de violation des droits de l'homme dans ce cadre feront effectivement l'objet d'enquêtes, et quelle autorité en sera chargée. Par ailleurs, la commission de la vérité ne serait apparemment pas autorisée à divulguer l'identité des personnes qui seraient reconnues coupables de violation des droits protégés par le Pacte. Une telle situation constituerait une atteinte à la liberté d'information et, ce qui est plus grave encore, consoliderait le mur de l'impunité. L'État partie ne peut pas invoquer la lutte contre le terrorisme pour justifier les actes de terrorisme commis par ses agents. La délégation péruvienne a fait valoir la période difficile, les intérêts supérieurs de la nation et d'autres considérations. M. Solari Yrigoyen ne nie pas leur importance mais il souligne que, aussi graves que soient les circonstances, rien ne saurait autoriser à passer outre au respect des droits consacrés dans la Déclaration universelle des droits de l'homme, le Pacte et les autres instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme. Il veut croire que le Gouvernement péruvien renoncera à son projet d'amnistie des auteurs de violations des droits de l'homme. D'un autre côté, toutes les personnes innocentes qui ont été placées en détention doivent être mises en liberté et indemnisées. M Solari Yrigoyen fait observer en outre que quelque 5 000 avis de recherche ont été lancés contre des citoyens péruviens, situation qui pourrait compromettre les libertés fondamentales des personnes recherchées, et à laquelle les autorités devraient mettre fin rapidement.
56. En ce qui concerne l'application de l'article 14 du Pacte, le Comité avait exprimé un certain nombre de préoccupations dans ses observations finales concernant l'examen du troisième rapport périodique de l'État partie (CCPR/C/83/Add.1), et un grand nombre des recommandations qu'il avait formulées n'ont pas été suivies d'effet. M. Solari Yrigoyen rappelle que les autorités doivent assurer en particulier le respect du droit à un procès équitable consacré dans cet article, et qu'elles pourraient utilement s'appuyer à cet égard sur le texte de l'Observation générale No 13 du Comité (HRI/GEN/1/Rev.4). Cela étant, il voudrait savoir à quelle date les trois juges du Tribunal constitutionnel qui ont été destitués seront réintégrés dans leurs fonctions. S'agissant de ces magistrats, la réponse fournie par la délégation péruvienne au titre du point 17 de la liste est très décevante. En effet, l'explication selon laquelle ils auraient été démis de leurs fonctions pour infraction à la Constitution est inacceptable, et l'Organisation des États américains comme d'autres instances internationales ont d'ailleurs rejeté cet argument. Compte tenu de ce que la délégation péruvienne a dit sur cette affaire, on voit mal comment l'indépendance du pouvoir judiciaire est garantie au Pérou. La réponse de la délégation péruvienne au point 17 de la liste comportait encore d'autres lacunes. En particulier, la position que les trois magistrats destitués ont adoptée dans le cadre de l'examen de la constitutionnalité de la candidature du Président Fujimori aux dernières élections présidentielles est totalement passée sous silence. M. Solari Yrigoyen serait reconnaissant à la délégation péruvienne de bien vouloir fournir un complément d'information sur tous ces points, et de préciser notamment à quelle date l'État partie prévoit de reconnaître de nouveau la compétence de la Cour interaméricaine des droits de l'homme.
57. D'autres préoccupations demeurent, en particulier concernant les civils qui ont été condamnés par le Conseil suprême de justice militaire. M. Solari Yrigoyen voudrait savoir combien de personnes ont été ainsi condamnées à la prison à vie et combien l'ont été à des peines de 30, 25, 20 et 15 ans d'emprisonnement. Combien de civils sont actuellement jugés pour délit de terrorisme spécial ou pour trahison, et dans combien de cas l'acquittement ou le non-lieu a été prononcé ?
58. En ce qui concerne les conditions pénitentiaires, la situation doit aussi être améliorée. M. Solari Yrigoyen demande s'il est exact que la prison de Lurigancho, construite pour abriter 1 800 détenus, en abrite aujourd'hui plus de 6 000. Si tel est le cas, les autorités péruviennes ne considèrent-elles pas que les personnes détenues dans cet établissement sont soumises à un traitement inhumain et dégradant ? En ce qui concerne la torture, diverses sources indiquent que les personnes en détention seraient fréquemment soumises à cette pratique par les forces de police ou l'armée. Le rapport présenté par l'État partie ne fournit pas d'indications à ce sujet, et M. Solari Yrigoyen remercie par avance la délégation péruvienne de bien vouloir éclairer le Comité sur tous ces points.
59. Enfin, M. Solari Yrigoyen est préoccupé par plusieurs cas, notamment celui de M. Baruch Ivcher, propriétaire d'une chaîne de télévision qui aurait été saisie par les autorités. M. Baruch Ivcher aurait été également déchu de sa nationalité péruvienne. À quelle date les autorités entendent-elles lui restituer son bien et le réintégrer dans sa nationalité ? Qu'en est-il également de la situation de Genaro Delgado Parker, propriétaire, lui aussi, d'une chaîne de télévision qui aurait été saisie par décision judiciaire ? M. Solari Yrigoyen évoque encore le cas de Mme Margarita Chuquiure Silva, avocate qui, d'après certaines organisations de défense des droits de l'homme, serait victime d'une détention arbitraire. Les autorités envisagent-elles de la mettre en liberté et de lui accorder réparation ? Enfin, le Gouvernement péruvien envisagerait une mesure de grâce pour M. Vladimiro Montesinos, l'ancien chef des Services de renseignements, au titre des services importants qu'il aurait rendus à la patrie. Est-ce exact ? M. Solari Yrigoyen voudrait savoir quel rôle M. Montesinos a eu dans les tueries de La Cantuta et des Barrios Altos. Sera-t-il jugé à ce titre ?
60. M. YALDEN rappelle que, dans les observations finales qu'il avait adoptées à l'issue de l'examen du troisième rapport périodique du Pérou (CCPR/C/83/Add.1), le Comité avait regretté que, bien que le rapport et les renseignements supplémentaires apportés par écrit et oralement par la délégation péruvienne en réponse aux questions posées par le Comité aient renseigné sur la législation en vigueur dans le pays, l'état réel de la mise en œuvre du Pacte dans la pratique et les difficultés rencontrées pour en appliquer les dispositions n'aient, pour l'essentiel, pas été traités. Cette déclaration reste pleinement d'actualité aujourd'hui, le rapport à l'examen comme les réponses aux questions de la liste fournies par la délégation péruvienne présentant les mêmes lacunes. En particulier, si l'actuel Défenseur du peuple a la réputation d'un homme dynamique, faisant preuve d'une grande indépendance d'esprit, on ne sait toutefois rien ou presque de ses activités. Il est important de connaître notamment le nombre de plaintes dont il a été saisi récemment, la teneur des allégations, la suite qu'il a donnée à ces affaires et surtout les mesures prises en conséquence par les autorités. L'absence de réponses sur tous ces points prive le Comité de la possibilité d'évaluer l'efficacité de l'institution du Défenseur du peuple. M. Yalden voudrait savoir en outre si les autorités envisagent de mettre en place un mécanisme supplémentaire, qui ne serait pas judiciaire mais rendrait des décisions exécutoires, pour traiter les cas de violation des droits de l'homme.
61. En ce qui concerne la question de l'égalité entre hommes et femmes, M. Yalden relève qu'un certain nombre de textes législatifs et réglementaires ont été adoptés aux fins de l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes. Toutefois, le Comité ne dispose pas de statistiques sur la place des femmes dans la société civile, dans le secteur public comme dans le secteur privé, leur participation aux postes de direction dans la fonction publique, les questions relatives à l'égalité de rémunération, etc. Tous ces éléments devraient figurer dans le rapport de l'État partie de façon à permettre au Comité de savoir comment la question de la discrimination à l'égard des femmes est traitée par les autorités nationales, et quelles mesures sont prises ou envisagées pour assurer la pleine égalité entre les hommes et les femmes.
62. En ce qui concerne la situation dans les établissements de détention, M. Yalden salue les efforts déployés pour appliquer l'Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus, mais souhaiterait de plus amples informations sur les conditions de détention. À cet égard, il fait siennes les questions posées par M. Solari Yrigoyen.
63. M. KRETZMER regrette que, comme le rapport précédent, le rapport à l'examen contienne un certain nombre d'informations sur la législation mais ne dise pratiquement rien de la situation concrète. Cela étant, il convient de se féliciter d'un certain nombre de changements positifs au Pérou, en particulier la suppression de l'institution des "juges sans visage".
64. M. Kretzmer s'interroge sur le respect par les autorités péruviennes des obligations que leur fait le Pacte. En particulier, les dispositions relatives à la durée de la garde à vue, qui peut aller jusqu'à 15 jours dans les cas de terrorisme, d'espionnage et de trafic de stupéfiants, ne sont à l'évidence pas compatibles avec les dispositions du paragraphe 3 de l'article 9 du Pacte, lesquelles doivent s'appliquer en toute circonstance. Certes, lesdites dispositions du Pacte sont susceptibles de dérogation en cas d'état d'urgence, mais la délégation péruvienne a indiqué qu'aucune région ne se trouvait actuellement visée par un état d'urgence. Dans ces conditions, la situation au regard de la garde à vue au Pérou constitue une violation flagrante du Pacte, et M. Kretzmer souhaiterait entendre la délégation péruvienne sur ce point. En outre, aux termes du paragraphe 3 de l'article 9 du Pacte, la détention de personnes qui attendent de passer en jugement ne doit pas être de règle et demande comment l'État partie applique cette disposition. Dans quels cas les personnes en attente de jugement sont-elles incarcérées ? Quelles autres solutions – caution ou autre – sont prévues ? M. Kretzmer a par ailleurs été perturbé par la réponse très insuffisante apportée par la délégation à la question 17 de la liste des points à traiter. Il demande donc un complément d'information, ainsi que des statistiques quant au nombre de juges mutés ou destitués, les trois juges visés à la question 17 n'étant à l'évidence pas des cas isolés. Des statistiques seraient également les bienvenues pour compléter les informations d'ordre purement légal fournies s'agissant du système des juges provisoires et des procédures d'enquête sur les plaintes pour tortures, disparitions, menaces de mort, exécutions extrajudiciaires et mauvais traitements en détention. Tout en notant avec satisfaction que la pratique des tribunaux sans visage a cessé, il aimerait savoir combien de personnes condamnées par de tels tribunaux sont encore détenues à l'heure actuelle. Il demande en outre si les personnes impliquées dans les mises en détention et les interrogatoires des suspects sont habilitées à témoigner devant la justice. Enfin, une autre question sur laquelle il estime que la délégation a fourni des réponses insuffisantes est celle des conditions de détention et de la surpopulation carcérale. Il lui semble que la situation au pénitencier de Challapalca pose particulièrement problème. En effet, le fait que celui-ci soit situé en haute altitude et à distance considérable de toute ville est très dommageable aux détenus, tant sur le plan de leur santé que sur celui des visites qu'ils peuvent recevoir de leur famille ou de leur défenseur.
65. Mme EVATT s'associe aux questions posées par M. Solari Yrigoyen, en particulier s'agissant de l'impunité. Elle tient par ailleurs à insister sur la situation des femmes, qui reste, surtout dans les régions rurales, marquée par la discrimination, la pauvreté, le chômage et le manque d'éducation. La participation des femmes à la vie publique, si elle a progressé, est toujours très faible et ni l'égalité d'accès à l'emploi ni les droits des femmes enceintes ne sont garantis par la législation. S'agissant de l'avortement, les changements intervenus depuis l'examen du dernier rapport de l'État partie ne vont pas dans le bon sens. Les avortements illégaux pratiqués dans de mauvaises conditions ne font que contribuer au taux de mortalité maternelle. Mme Evatt s'inquiète particulièrement de la responsabilité pénale associée à l'avortement, et ce même dans les cas où la grossesse résulte d'un viol, et de l'obligation faite de dénoncer tout cas d'avortement, en violation du droit à la vie privée des patientes. Elle demande donc s'il est envisagé de réexaminer la loi relative à l'avortement.
66. Aucune donnée figurant dans le rapport ne donne à penser qu'un progrès a été enregistré dans le domaine de la violence familiale. Même si les liens du mariage n'effacent plus la responsabilité pénale en cas de viol, une pression s'exerce toujours sur les victimes de viol conjugal pour qu'elles retirent leur plainte en contrepartie d'un accord. Il semble en outre que les seules solutions proposées en cas de violence familiale soient l'éviction du coupable hors du foyer et la prise de sanction, et qu'aucune place ne soit laissée à la réconciliation.
67. Mme Evatt se félicite de ce que l'existence du problème de la stérilisation forcée ait été publiquement reconnue par le Défenseur du peuple mais constate que, concrètement, aucune mesure n'a été prise par la suite. Il serait plus que souhaitable que des enquêtes judiciaires soient menées sur les décès dont on suspecte qu'ils ont été causés par des stérilisations forcées.
68. Mme Evatt rappelle que selon la Commission interaméricaine des droits de l'homme, deux établissements pénitentiaires péruviens – celui de Yanamago et celui de Challapalca – devraient être fermés. Elle note par ailleurs que la délégation a fait mention du Conseil national de la magistrature mais a tu le fait, bien connu par le Comité, que ce Conseil était actuellement dans l'incapacité de fonctionner, suite à la destitution d'un certain nombre de juges. De même, le rapport fait état d'une réorganisation complète du pouvoir judiciaire, mais Mme Evatt estime que, tant que les juges auront un statut provisoire et seront à la merci d'une décision de transfert de l'exécutif, l'état de droit ne pourra pas prévaloir. S'il est bon que ce problème soit abordé dans des tables rondes, encore faudrait-il que des mesures concrètes suivent.
69. M. ANDO se dit lui aussi quelque peu déçu par les réponses apportées par l'État partie. Celui-ci semble ignorer, premièrement, que le Comité doit disposer de statistiques et de données concrètes pour évaluer la situation, et, deuxièmement, que lui-même ne peut pas invoquer la lutte contre le terrorisme et le trafic de drogue pour s'exempter de ses obligations internationales. M. Ando est préoccupé principalement par la division constitutionnelle des pouvoirs. Il a cru comprendre en effet que le Président et l'exécutif disposaient de certains pouvoirs législatifs et, en particulier, avaient la possibilité de promulguer des décrets, et il aimerait donc avoir davantage de détails sur cette division peu claire. Il semble en outre que le Congrès ait le pouvoir d'interpréter les lois, ce qui devrait normalement être une prérogative de l'appareil judiciaire. Un deuxième sujet de préoccupation est la dénonciation par le Pérou de la compétence de la Cour interaméricaine des droits de l'homme, et M. Ando souhaiterait connaître les raisons qui ont motivé cette dénonciation. Enfin, revenant à la question de la stérilisation, il se demande ce qu'il faut entendre par "consentement éclairé". Quelles informations, exactement donne-t-on aux femmes concernées avant qu'elles ne donnent ce consentement ? Leur explique-t-on bien, en particulier, que leur incapacité d'enfanter serait permanente et irréversible ?
70. M. HENKIN prend note des efforts réalisés pour améliorer la situation au Pérou, mais s'inquiète des violations flagrantes des droits de l'homme dont continuent de faire état les sources les plus diverses et les plus respectables. Si l'on peut se réjouir de la suppression du système des "juges sans visage", on ne peut que déplorer que quelque 75 %, selon certaines sources, des juges soient des juges provisoires et ne puissent donc par définition pas être indépendants. Les jugements par des instances militaires de civils ayant commis des infractions de droit commun ne laissent pas non plus de susciter des inquiétudes. Par ailleurs, alors qu'en vertu de l'article 4 du Pacte, seul l'état d'urgence peut entraîner des exceptions aux règles de détention, l'État partie, dans lequel l'état d'urgence n'est pas prononcé, se permet de déroger aux règles en matière de détention et de délai de détention pour les personnes suspectées de terrorisme et de trafic de drogue.
71. M. KLEIN est frappé par le nombre d'allégations de violations flagrantes des droits de l'homme au Pérou et se demande pourquoi il existe dans ce pays un tel écart entre la législation et la situation réelle. L'État a certainement sa part de responsabilité en la matière et il ne montre certainement pas l'exemple en s'arrogeant le droit de prononcer des amnisties à sa discrétion, en invoquant sa souveraineté et en faisant ainsi fi de ses obligations internationales. On peut, par ailleurs, se demander l'origine de la pratique des stérilisations constatées en particulier sur les femmes des zones rurales et des minorités autochtones et se demander si les allégations selon lesquelles un gouvernement aurait imposé des quotas de stérilisation ne sont pas fondées.
72. M. Klein s'associe aux autres membres du Comité pour déplorer la forte proportion de juges provisoires. C'est bien là l'un des plus grands problèmes qui ne se posent au Pérou, car tant que le pouvoir judiciaire ne sera pas indépendant, les nouveaux textes adoptés ne pourront pas être appliqués et resteront lettre morte. M. Klein aimerait à cet égard avoir des informations sur la juge Ellsa Greta Minaya Calle du 37ème tribunal pénal de Lima qui, après avoir été élue juge de l'année en 1986, a été accusée de terrorisme pour, semble-t-il, avoir demandé la libération d'une femme qui avait été incarcérée sans avoir été jugée. M. Klein ne peut que se féliciter de lire, au paragraphe 141 du rapport, que le Pérou a entrepris une réforme de son pouvoir judiciaire, car cette réforme est très manifestement nécessaire. Il souhaite toutefois qu'elle aille dans le bon sens.
73. La PRÉSIDENTE dit que la délégation péruvienne sera invitée à répondre aux questions supplémentaires des membres du Comité à la séance suivante.
La séance est levée à 18 heures.