Distr.
GENERALE
CCPR/C/SR.1159
30 octobre 1992
FRANCAIS
Original : ANGLAIS
COMITE DES DROITS DE L'HOMME
Quarante-cinquième session
COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 1159ème SEANCE
tenue au Palais des Nations, à Genève,
le lundi 20 juillet 1992, à 15 heures.
Président : M. POCAR
SOMMAIRE
Examen des rapports présentés par les Etats parties conformément à
l'article 40 du Pacte (suite)
Deuxième rapport périodique du Pérou (suite)
Le présent compte rendu est sujet à rectifications.
Les rectifications doivent être rédigées dans l'une des langues de
travail. Elles doivent être présentées dans un mémorandum et être également
portées sur un exemplaire du compte rendu. Il convient de les adresser, une
semaine au plus tard à compter de la date du présent document, à la Section
d'édition des documents officiels, bureau E.4108, Palais des Nations, Genève.
Les rectifications aux comptes rendus des séances publiques de la
présente session seront groupées dans un rectificatif unique qui sera publié
peu après la clôture de la session.
GE.92-16508/8666C (F)
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La séance est ouverte à 15 h 15.
EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES CONFORMEMENT A
L'ARTICLE 40 DU PACTE (point 4 de l'ordre du jour) (suite)
Deuxième rapport périodique du Pérou (CCPR/C/51/Add.4, 5 et 6) (suite)
1. Le PRESIDENT invite le Comité à poursuivre l'examen des deux additifs
(CCPR/C/51/Add.5 et 6) au deuxième rapport périodique du Pérou
(CCPR/C/51/Add.4).
2. Mme HIGGINS sait gré à la délégation péruvienne d'être présente à la
séance en cours et remercie le Gouvernement péruvien d'avoir présenté des
rapports complémentaires et d'avoir bien voulu poursuivre le dialogue avec le
Comité. Il est toutefois essentiel que le débat soit constructif et que ce ne
soit pas, comme on peut le craindre, un dialogue de sourds. En présentant un
film vidéo lors de la réunion précédente, la délégation péruvienne avait de
toute évidence l'intention de sensibiliser les membres du Comité à la
situation réelle; or aucun de ceux-ci n'ignore cette réalité depuis la
session précédente. Les membres du Comité sont consternés par la terreur qui
règne à l'intérieur du pays et par les atrocités commises, en particulier du
fait du Sentier lumineux. La question qui se pose est de savoir comment
s'attaquer à cette réalité dans le cadre de la loi, y compris en utilisant les
dérogations que permet le Pacte, car nul ne nie que la situation est
suffisamment grave pour justifier quelques dérogations. Cependant, la
réaction ne doit pas aller jusqu'à exacerber le mépris du droit. Dans les
deux nouveaux rapports (CCPR/C/51/Add.5 et 6) il n'y a absolument rien qui
reflète le dialogue engagé lors de la session précédente du Comité ni les
événements du 5 avril. En fait, le Comité a bien reçu un exemplaire
du Manifeste à la Nation du 5 avril et un exemplaire du décret-loi No 25418,
mais il n'est indiqué dans aucun de ces deux documents quels droits ont été
suspendus. Il semblerait, d'après des remarques que la presse a attribuées au
Président péruvien, que tous les articles de la Constitution n'aient pas été
annulés mais, comme l'a fait observer M. Aguilar Urbina, le Comité ignore
l'ampleur des dérogations aux articles du Pacte. Ce sont là des questions que
les membres du Comité pouvaient raisonnablement espérer voir abordées dans les
rapports complémentaires. La lettre que l'ambassadeur du Pérou a adressée au
Secrétaire général le 12 juin 1992 offrait une autre occasion d'éclaircir la
situation. Certes, les dérogations aux articles 9, 12, 17 et 21 du Pacte
y sont mentionnées. Cependant, ces dérogations sont sans rapport avec les
événements d'avril 1992 puisqu'elles concernent une période antérieure, qui
s'étend du 26 août 1990 au 28 mars 1992. Il faut espérer que cette situation
pourra être redressée sans tarder. Pour ce qui est de la Commission des
droits de l'homme tant attendue, Mme Higgins voudrait être certaine d'avoir
bien compris que, selon Mme Linarès, il avait été décidé que feraient partie
de cette commission des représentants du parquet et du Ministère de la
défense. S'il en est ainsi, Mme Higgins souhaiterait un complément
d'informations sur les raisons justifiant une composition qui ne manquera pas
d'influer sur la nature de la commission.
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3. Mme Higgins saisit cette occasion pour rappeler à la délégation
péruvienne qu'à sa session de printemps le Comité avait demandé au
Gouvernement péruvien des renseignements sur les communications Nos 203 et 209
de 1986, qui ne lui sont toujours pas parvenus.
4. M. AGUILAR URBINA remercie la délégation péruvienne de s'être présentée
devant le Comité et sait gré au Gouvernement péruvien d'avoir soumis
deux rapports complémentaires. Malheureusement, le premier de ces rapports
(CCPR/C/51/Add.5) ne répond pratiquement à aucune des questions que le Comité
a posées à la session précédente; quant au second (CCPR/C/51/Add.6), lui aussi
extrêmement laconique, il ne contribue en rien à dissiper les appréhensions du
Comité concernant les événements du 5 avril 1992. Il est extrêmement
regrettable que rien n'ait été entrepris pour répondre à une demande aussi
simple que de faire rapport sur les articles du Pacte qui ont été suspendus ou
auxquels il a été dérogé avec le décret No 25418. Le deuxième rapport
complémentaire est un maigre document de huit pages, dont les deux premières
se contentent de reproduire le décret-loi No 25557 ainsi qu'une liste où
figurent les noms du président et de divers ministres. Les pages 3 à 5 sont
tout entières occupées par une introduction qui tient plus du manifeste
politique que d'autre chose. Comme M. Myüllerson l'a fait remarquer, l'effet
obtenu risque d'être l'inverse de celui qui est recherché. Il semblerait que
l'on cherche à camoufler la réalité derrière un écran de mots comme
"démocratie", "nation", "chaos", "terrorisme", "droits de l'homme", etc. Ce
n'est que deux pages et demie avant la fin que l'on s'efforce de répondre aux
questions du Comité. Mais même là, une grande partie des informations sont
inutiles, comme par exemple celles qui concernent l'abolition de l'esclavage,
ou le rappel du principe selon lequel nul ne peut être emprisonné pour
dettes. Paragraphe après paragraphe, on évoque les instruments internationaux
en matière de droits de l'homme qui protègent divers droits mais il n'est
nulle part dit au Comité comment l'exercice de ces droits peut avoir été
entravé par les décrets récents. C'est là un point très grave. Si le Comité
avait eu besoin d'une liste d'instruments, il aurait pu en obtenir une plus
complète auprès du secrétariat.
5. Abordant des points spécifiques, M. Aguilar Urbina constate que le
paragraphe 11 du document laisse entendre que certains articles de la
Constitution restent en vigueur, alors que la situation réelle semble prouver
exactement le contraire. Comme M. Prado Vallejo l'a fait remarquer, la seule
façon de qualifier ce qui s'est passé au Pérou le 5 avril est de parler de
coup d'Etat. En fait, c'est pratiquement ce que reconnaît ce paragraphe.
En prenant le décret-loi No 25418, l'exécutif s'est arrogé des pouvoirs que
lui refusait la Constitution, ce qui revenait à rompre un ordre
constitutionnel que le Président s'était personnellement engagé à maintenir
lors de la réunion des ministres des affaires étrangères de l'Organisation des
Etats américains (OEA) qui s'est tenue à Nassau le 18 mai. Il est affligeant
d'assister au renversement d'une démocratie qui faisait l'orgueil de
l'Amérique latine et qui avait été la première à émerger après les régimes
dictatoriaux des années 60 et 70. Il est dit au paragraphe 11 que le peuple
péruvien a appuyé à un très fort pourcentage les mesures adoptées par le
gouvernement, mais aucune justification n'en est donnée. La démocratie doit
fonctionner selon des règles très claires et, lorsque celles-ci sont violées,
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elle n'existe plus. Les objectifs du Gouvernement péruvien, tels qu'ils
ressortent du décret-loi, sont tout à fait dignes de louanges; encore
doivent-ils être atteints par des méthodes démocratiques. Les actes
terroristes perpétrés au Pérou sont détestables, et M. Aguilar Urbina les a
dénoncés à maintes reprises lors de la session précédente; il faut réprimer le
terrorisme, mais dans un cadre démocratique. Nul n'ignore les objectifs et
les actes du Mouvement Tupac Amaru et du Sentier lumineux, qui équivalent à un
génocide, mais, comme on l'a constaté maintes fois en Amérique latine, ce
n'est pas la terreur d'Etat qui peut vaincre le terrorisme de la révolte, et
si la corruption, ce fléau de l'Amérique latine, doit être combattue sur tous
les fronts, ce n'est pas en assumant un pouvoir absolu, lui-même source de
corruption. C'est là une vérité dont le peuple péruvien a pu se convaincre
lors des années 70. Ce qui est difficile à accepter, c'est le tableau de
corruption généralisée qui est donné dans l'introduction au deuxième rapport
complémentaire (CCPR/C/51/Add.6), où il est dit que tous les secteurs de
l'Etat sont atteints, sauf l'exécutif. Il est difficile aussi d'admettre que
l'on puisse à bon droit déplorer, comme au paragraphe 3, que le Congrès
national a limité les attributions du Président de la République. C'est en
fait là un élément du processus démocratique - ce que l'on appelle en anglais
un système de "checks and balances" - qui fonctionne de façon satisfaisante
dans le cadre de la Constitution des Etats-Unis d'Amérique depuis plus de
200 ans mais qui n'existe plus au Pérou. Il est également curieux de noter
qu'au paragraphe 12 du document CCPR/C/51/Add.6, en même temps que l'on
soutient que la presse jouit au Pérou d'une entière liberté, on affirme que
cette liberté permet heureusement de connaître les opinions des dirigeants de
l'opposition - cette opposition même que l'on qualifie par ailleurs de
corrompue ! S'il est intéressant d'écouter les points de vue de l'opposition,
pourquoi a-t-il fallu faire un coup d'Etat ? Pour M. Aguilar Urbina, il y a
aussi une contradiction entre le souci affiché d'encourager une économie de
marché dans une société stable et sûre - ce qui est, évidemment, un objectif à
long terme - et les assurances que le Président péruvien a données à Nassau
que les mesures prises par son gouvernement n'étaient que temporaires.
6. Ce qui préoccupe le plus M. Aguilar Urbina, c'est que le Gouvernement
péruvien, en admettant, comme il le fait au paragraphe 11, qu'il a usurpé le
pouvoir, se met dans une situation où, aux termes de ce même article 82 de la
Constitution invoqué dans ce paragraphe, il doit accepter que toutes les
décisions prises depuis le 5 avril, y compris la présentation du rapport,
émanent d'une autorité d'usurpation et sont donc nulles et non avenues. Les
conséquences en sont effroyables : les forces armées perdent leur légitimité
et ne sont plus qu'une milice privée, aussi illégitime que ces mêmes bandes de
terroristes qu'elles ont pour mission de combattre. Le judiciaire est lui
aussi dépouillé de ses fonctions légitimes, et M. Aguilar Urbina fait observer
à cet égard que nombre de juges destitués par l'autorité usurpatrice ont
déposé des recours en amparo, au motif que leur destitution n'est pas légale.
Bref, le Pérou qui, lors de la session de printemps du Comité, était encore un
Etat de droit, est devenu depuis le 5 avril un Etat sans droit.
7. En ce qui concerne la mutinerie à la prison Castro Castro évoquée au
paragraphe 9 du document, et dont il était aussi question dans le film vidéo
projeté par la délégation péruvienne, il est difficile d'admettre que les
détenus aient pu s'entraîner et défiler dans la prison comme le montre le
film, ou qu'ils aient pu imprimer les tracts qu'on les voit distribuer. Ce qui
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est également troublant dans cette affaire, c'est le nombre de victimes, qui
semblerait se situer entre 40 et 50. Quelle que soit la gravité des délits
qu'ils peuvent avoir commis, les détenus ont aussi des droits. Les images
d'organisations paysannes passant leur temps à fabriquer des armes alors
qu'elles auraient pu l'utiliser à construire des écoles et des hôpitaux sont
également attristantes.
8. M. Aguilar Urbina serait reconnaissant à Mme Linares d'apporter des
éclaircissements sur certains points qu'elle a mentionnés. Elle a évoqué la
création d'une commission de paix et le décret législatif No 695, qui prévoit
que les procureurs feront des visites d'inspection dans les établissements de
sécurité. On peut se demander à quoi servent pareilles visites quand il n'est
plus fait de distinction entre les procureurs et les forces armées.
M. Aguilar Urbina souhaiterait aussi des éclaircissements sur ce que
Mme Linares a dit concernant l'aide qu'ont apportée les Etats-Unis pour
constituer un registre national des détenus; il avait en effet cru comprendre
que le Gouvernement américain avait suspendu cette aide en raison du coup
d'Etat. Selon lui, ce que le Comité souhaite avant tout ce sont des
informations précises sur le fonctionnement du système péruvien. Le Comité
désire être utile, mais il ne peut guère y parvenir si son aide ne semble pas
souhaitée.
9. M. LALLAH sait gré à la délégation péruvienne de s'être présentée devant
le Comité et espère qu'elle sera en mesure de donner des informations qui,
selon lui, auraient dû figurer dans les rapports complémentaires. Il semble
bien qu'à la session de printemps le Pérou ait été prié de soumettre un
rapport spécial, conformément à l'article 4 du Pacte. Apparemment, ce n'est
pas du tout ce que le Comité a reçu. La situation au Pérou ne correspond pas à
ce qui est aux yeux de M. Lallah une situation d'urgence, c'est-à-dire une
situation soudaine et non pas une situation qui mûrit avec le temps et qui
amène finalement l'Etat à changer de nature. A en croire le rapport, la
démocratie aurait été une comédie, qui a pris fin avec le message présidentiel
du 5 avril (par. 7 du document CCPR/C/51/Add.6). Cela ne semble pas
correspondre à la description de la situation d'urgence telle qu'elle est
envisagée à l'article 4 du Pacte, et décrit plutôt un processus amenant le
chef de l'Etat à prendre une décision pour modifier le mode de gouvernement.
10. L'introduction du document CCPR/C/51/Add.6 laisse à penser que
d'importants organes du gouvernement, non contents de ne pas s'acquitter
de leurs fonctions, sapaient l'institution même de la démocratie.
Au paragraphe 34 du rapport périodique (CCPR/C/51/Add.4), il est dit
cependant, en ce qui concerne l'article 4 du Pacte, que les causes des états
d'urgence au Pérou ont été essentiellement les activités de mouvements
subversifs dans certaines zones du pays, qui mettaient en danger
l'infrastructure de nombreux services publics, ainsi que des grèves qui
compromettaient la situation économique et sociale déjà délicate du pays; au
paragraphe 35, il est signalé que, dans la majorité des cas d'arrêt de
travail, des solutions avaient été trouvées en appliquant les procédures
légales ordinaires. Il s'agit évidemment du passé, mais il en ressort, aux
yeux de M. Lallah, que, de deux choses l'une : ou bien le rapport principal ne
correspond pas à la réalité ou bien des changements radicaux ont eu lieu
depuis sa présentation. Pourtant, dans les rapports complémentaires
(CCPR/C/51/Add.5 et 6), rien n'indique que pareil changement ait eu lieu.
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Comme l'a dit Mme Higgins, il n'apparaît pas qu'il y ait sur cette question un
débat constructif mais plutôt un dialogue de sourds. Les rapports n'informent
en rien le Comité de la situation réelle au Pérou, se contentant de présenter
des textes juridiques. M. Lallah espère que, lorsqu'elle s'efforcera de
répondre aux nombreuses questions du Comité, la délégation péruvienne
n'oubliera pas qu'il faut apporter des éclaircissements sur cette situation
confuse.
11. Mme LINARES ARENAZA (Pérou) dit que, depuis le 5 avril 1992, le
Gouvernement péruvien, soucieux de montrer combien il tenait à restaurer le
plus vite possible un système caractérisé par une démocratie authentique
reposant sur des institutions représentatives, s'est volontairement placé sous
la juridiction de l'OEA pour mettre en place des mécanismes électoraux. La
situation actuelle est considérée comme exceptionnelle et temporaire, et rien
n'est négligé pour y mettre fin.
12. L'état d'urgence proclamé conformément à l'article 231 de la Constitution
n'a entraîné aucune dérogation aux articles 6, 7, 8 1) et 2), 11, 15, 16 ou 18
du Pacte.
13. Le Ministère de la justice a entrepris une réorganisation du judiciaire,
avec l'aide de l'ONU, et des discussions doivent avoir lieu les 23 et
24 juillet à Bogota. En attendant, même s'il a effectivement connu une brève
suspension de ses activités après les mesures du 5 avril, le judiciaire
fonctionne normalement à tous les niveaux; en dépit de la poursuite des actes
de terrorisme, le parquet serait même plutôt plus actif qu'avant dans la
défense des droits de l'homme.
14. En ce qui concerne les événements de la prison Castro Castro, Mme Linares
rappelle qu'une mutinerie avait éclaté à la suite de mesures humanitaires
prises pour transférer, en présence de représentants du ministère public, des
prisonnières dans un autre lieu de détention. Deux policiers non armés qui
sont entrés dans la prison ont été sauvagement assassinés; les combats entre
les prisonniers et les policiers ont ensuite fait 40 morts et autant de
blessés. Les policiers n'avaient aucune intention de se livrer à la violence
ou d'exterminer quiconque, leur seul objectif étant de restaurer l'ordre.
Mme Linares nie catégoriquement une quelconque participation des forces
armées. Non seulement le gouvernement cherche à restaurer et à maintenir
l'ordre dans les lieux de détention mais il étudie d'autres mesures pour
réduire les tensions. Le décret-loi No 25499 fixe les conditions de remise de
peine dans les cas d'actes de terrorisme; le décret-loi No 25582 prévoit
l'exonération de peines au bénéfice des personnes qui fournissent des
renseignements utiles pendant les enquêtes. De façon plus large, il
conviendrait aussi de mentionner certaines autres mesures de redressement que
le gouvernement a prises, notamment en constituant un fonds de compensation et
de développement, des projets d'éducation et de formation, un programme
alimentaire national et un plan quinquennal d'action en faveur des enfants.
Une attention particulière est accordée aux besoins des populations urbaines
défavorisées.
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15. Pour ce qui est des disparitions forcées, les fonctionnaires reconnus
coupables de pareils actes seront punis conformément au décret-loi No 25592.
Un réseau national de registres de détenus, qui seront déposés dans tous les
commissariats du pays, est en voie d'élaboration; il facilitera la diffusion
des renseignements auprès des parquets et des organismes chargés des droits de
l'homme (notamment auprès du Conseil national des droits de l'homme qui
devrait être reconstitué sous peu sur la base d'une représentativité élargie)
et permettra d'enquêter rapidement en cas d'allégations de disparitions.
16. Si la délégation péruvienne a jugé bon de montrer un film vidéo, ce n'est
pas pour frapper les imaginations en présentant une réalité déjà familière aux
membres du Comité, mais pour illustrer le degré atteint ces derniers mois par
les activités terroristes. Mme Linares ajoute que certains des documents
émanaient de sources pas particulièrement favorables au gouvernement.
Certainement, des excès ont été commis dans la lutte contre le terrorisme,
mais il convient de signaler que, dans ce cas, les coupables ne jouissent pas
d'une impunité permanente.
17. Pour conclure, Mme Linares souligne que l'atmosphère de violence
politique extrême dans le pays n'a pas réussi à saper la détermination des
responsables, soucieux d'assurer progressivement un retour à la normale sous
la juridiction de l'OEA, de prendre davantage de responsabilités dans le
domaine des droits de l'homme et d'assurer la poursuite d'un dialogue
fructueux entre les partis politiques et d'autres organismes et institutions
représentatifs des masses en vue de préparer des élections dignes de ce nom.
Mme Linares prie instamment le Comité de voir la situation actuelle, telle
qu'elle ressort des dernières informations reçues, dans un contexte plus large.
18. M. AGUILAR URBINA dit que, parmi les nombreuses questions restées sans
réponse, il en est une qui exige une réponse sans équivoque, à savoir : la
Constitution péruvienne est-elle encore en vigueur ?
19. Il semblerait qu'en évoquant par deux fois la "juridiction" de l'OEA, la
représentante du Pérou n'a pas été très précise. Le Président péruvien s'est
effectivement adressé à l'Organisation et a pris certains engagements d'ordre
général, mais ce n'est pas la même chose. De plus, ce qui intéresse le Comité,
dont la plupart des membres ne sont pas originaires de pays de l'OEA, c'est de
savoir dans quelle mesure le Gouvernement péruvien s'acquitte de ses
responsabilités aux termes du Pacte.
20. Ce n'est pas la première fois que M. Aguilar Urbina constate, à sa grande
consternation, que des informations faisant état d'un engrenage terroriste
effrayant et indéniable ont pour effet d'estomper des données précises sur les
problèmes réels et sur les moyens employés pour les régler. De toute évidence,
le judiciaire est profondément touché, mais on ne sait pas exactement comment,
ni ce qui est fait pour remédier à la situation; M. Aguilar Urbina rappelle sa
remarque précédente concernant les juges qui avaient eux-mêmes déposé un
recours en amparo. Dans les circonstances actuelles, l'indépendance du
judiciaire et en l'occurrence, celle du parquet est-elle assurée ?
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21. En dépit de son attachement personnel au Pérou et à son peuple, dont il
se sent solidaire dans la situation difficile actuelle, et bien que cela lui
soit douloureux de le dire, M. Aguilar Urbina tient néanmoins à faire savoir
que les questions du Comité sont restées sans réponse et que le dialogue tant
attendu n'a pas eu lieu. Voilà qui augure mal du "dialogue national" annoncé
au paragraphe 15 du dernier rapport (CCPR/C/51/Add.6).
22. M. PRADO VALLEJO, après avoir félicité la représentante du Pérou d'avoir
apporté une contribution digne quoique inévitablement restreinte au débat,
fait observer que ce qui ne peut être qualifié que de coup d'Etat et de mise
en place d'une dictature a aggravé les difficultés causées par l'irrésolution
d'un gouvernement qui s'était montré incapable de prévenir les exactions des
forces armées nationales et de faire respecter les droits de l'homme.
23. Soucieux toutefois de comprendre la situation actuelle plus clairement,
M. Prado Vallejo souhaiterait savoir, s'agissant de la période qui s'est
écoulée depuis le 5 avril 1992, combien on compte de prisonniers politiques,
s'ils peuvent encore invoquer l'habeas corpus, si les disparitions ont été
plus nombreuses ou moins nombreuses, quelle autorité prévaut dans les zones
dites "d'urgence", si ces zones sont plus nombreuses ou moins nombreuses, si
le registre de détenus annoncé prend en compte les personnes détenues par les
forces armées, lesquelles, c'est bien connu, tardent à fournir des
renseignements, et combien d'enquêtes judiciaires ont été engagées à la suite
d'allégations de violations des droits de l'homme ou de disparitions dans le
cas d'affaires confiées à des tribunaux militaires.
24. Enfin, tout en reconnaissant que l'OEA s'est efforcée de contribuer à
l'instauration d'un dialogue national, M. Prado Vallejo craint que
l'entreprise n'ait été condamnée à l'échec, puisque tout ce que l'OEA a obtenu
c'est sans doute l'abandon du moindre mal que constitue un plébiscite pour une
promesse d'élections. Quant au reste, il semble que, pratiquement, rien n'ait
changé dans la situation du Pérou depuis la session précédente du Comité.
25. M. MYULLERSON, après avoir dit qu'il compatissait avec la représentante
du Pérou, dont le pays se trouve dans une situation certes difficile, ajoute
qu'il aimerait pourtant des éclaircissements sur les dispositions
constitutionnelles aux termes desquelles le Parlement a été dissous et le
fonctionnement du judiciaire suspendu. Quelle est la base juridique de ce qui
semble à M. Myullerson une dérogation aux dispositions des articles 9, 12
et 17 du Pacte ? Enfin, comment, en l'absence de lois spécifiques,
la délégation péruvienne peut-elle soutenir que l'article 8 du
décret-loi No 25418 doit être interprété en un sens restrictif, quand cet
article prévoit la suspension de tous les articles de la Constitution et des
autres lois qui ne sont pas conformes au décret-loi ?
26. Mme LINARES ARENAZA (Pérou) tient à ce qu'il soit bien clair que le
dialogue national annoncé au paragraphe 15 du dernier rapport aura lieu entre
le Président et tous les partis politiques ainsi que les organisations et
organismes représentatifs du peuple péruvien, et pas seulement avec
des groupes particulièrement favorables aux vues du Président.
Mme Linares Arenaza ne voit pas pourquoi ce dialogue ne serait pas fructueux
ni pourquoi l'élection du Congrès constituant démocratique ne devrait pas
avoir lieu comme prévu.
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27. En réponse à d'autres questions, elle dit qu'il n'y a actuellement pas de
prisonniers politiques au Pérou et que la liberté d'expression est pleinement
respectée et exercée; l'habeas corpus est maintenu dans son intégralité; aux
termes de l'article 231 de la Constitution, les forces armées péruviennes font
respecter l'ordre dans les zones d'urgence; quant aux tribunaux militaires,
ils ne se prononcent que dans des affaires intéressant des membres des forces
armées et de la police. En dépit des circonstances qui prévalent
actuellement, on n'a pas constaté récemment une augmentation des disparitions
déclarées et, à ce propos, Mme Linares Arenaza renvoit le Comité aux remarques
qu'elle a faites précédemment concernant l'élaboration d'un registre national
des détenus et les enquêtes à la suite d'allégations de disparition.
28. La délégation péruvienne désire sincèrement poursuivre un dialogue
fructueux avec le Comité et pense que toutes les voies possibles doivent
rester ouvertes. De plus, le Comité lui-même est en mesure d'apporter une
aide réelle en veillant à mieux faire respecter les droits de l'homme
au Pérou; aussi Mme Linares Arenaza prie-t-elle instamment les membres du
Comité d'utiliser cette possibilité par tous les moyens dont ils disposent.
29. M. HERNDL dit que les renseignements complémentaires fournis par la
délégation péruvienne ne répondent pas à la décision du Comité en date
du 10 avril 1992 ni à sa demande spécifique d'informations sur les événements
postérieurs à la suspension de l'ordre constitutionnel au Pérou. Le Comité
reste encore en grande partie dans l'ignorance quant aux conséquences
juridiques des événéments du 5 avril et quant à leur effet sur le
fonctionnement des institutions démocratiques.
30. Pour sa part, M. Herndl se préoccupe particulièrement des conséquences de
ces événements du point de vue des dispositions de l'article 6 du Pacte et du
droit à la vie. Bien que rien n'ait été négligé pour faire comprendre au
Comité la réalité péruvienne et la situation difficile du gouvernement tant à
la session en cours qu'à la session précédente, les membres du Comité estiment
d'un commun accord que la lutte contre le terrorisme ne peut excuser le
non-respect des dispositions du Pacte, en particulier celles auxquelles il
n'est pas permis de déroger. Les bruits de disparitions, de tortures et
d'exécutions extrajudiciaires commises par les forces de sécurité depuis
le 5 avril sont donc particulièrement alarmants, et ce n'est certainement pas
le passage laconique du paragraphe 23 du document CCPR/C/51/Add.6, selon
lequel le droit à la vie est proclamé dans la Constitution et respecté "dès la
conception", qui les démentira.
31. La formation de la police et des forces armées en matière de droits de
l'homme est aussi une question importante. Il est dit dans le deuxième rapport
périodique que les forces de police font l'objet d'une formation en ce qui
concerne les normes nationales et internationales du droit à la vie et à
l'intégrité physique de toutes les personnes détenues (CCPR/C/51/Add.4,
par. 38); il ressort d'autre part des renseignements complémentaires que le
Pérou a fournis que, selon le décret législatif No 752, des programmes de
formation seraient mis au point pour que "les membres des forces armées soient
qualifiés pour préserver la sécurité nationale, assurer la défense des droits
de l'homme et contribuer au développement national" (CCPR/C/51/Add.5,
par. 11). Quand le décret législatif No 752 a-t-il été adopté ? Toujours selon
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ce même rapport (par. 12), le Ministère de la défense mettrait en place des
services de formation en matière de droits de l'homme dans toutes les régions
militaires pour les officiers et sous-officiers. M. Herndl aimerait en savoir
davantage sur ces programmes de formation. De plus, il semble que ce soient
les nouveaux services de formation en matière de droits de l'homme que l'on
ait chargés d'examiner les allégations de violation des droits de l'homme par
les forces armées et d'engager des poursuites contre les auteurs présumés de
ces violations. Cela veut sans doute dire que ces services constituent un
nouveau moyen de recours en cas d'allégations de violations des droits de
l'homme. M. Herndl voudrait donc savoir de quel droit les services de
formation en matière de droits de l'homme sont habilités à procéder à des
enquêtes et à des inculpations, et si les procès des inculpés se déroulent
conformément au Code pénal et au Code de procédure pénale. Les militaires
accusés de violations des droits de l'homme ne relèvent-ils plus du système de
justice militaire ?
32. La question suivante porte sur la responsabilité pénale des mineurs.
Selon le rapport initial du Pérou (CCPR/C/6/Add.9) et un des addififs au
deuxième rapport périodique (CCPR/C/51/Add.5, par. 19), les personnes âgées de
moins de 18 ans ne sont pas pénalement responsables et ne sont pas passibles
de peines. Cependant, le paragraphe 4 c) du même additif mentionne des
tribunaux pour mineurs. Quelles sont les charges des tribunaux pour mineurs,
et quels sont les inculpés qui y comparaissent ?
33. La dernière question de M. Herndl a trait à l'article 27 du Pacte,
c'est-à-dire aux droits des minorités. A la session précédente, il avait noté
avec plaisir que le Gouvernement péruvien s'évertuait à garantir l'autonomie
des communautés autochtones. Cependant, les nouveaux renseignements fournis au
Comité lors de la session en cours font état "d'organisations paysannes", qui
n'ont sûrement rien à voir avec les droits des minorités. Le gouvernement a
déclaré que les objectifs de ces organisations étaient la défense des terres
et la coopération avec les autorités en cas de situations illégales
(CCPR/C/51/Add.5, par. 28). Aux yeux de M. Herndl, il s'agit là d'une
évolution extrêmement dangereuse. Aussi aimerait-il en savoir davantage sur
les activités des organisations en question et sur la façon dont le
gouvernement les contrôle.
34. M. AGUILAR URBINA dit qu'il n'a toujours pas reçu de réponse à ses
questions sur le statut actuel de la Constitution péruvienne et sur l'autorité
fondant l'action du gouvernement actuel. On a cité de nombreux droits garantis
par la Constitution, notamment le droit à la vie (CCPR/C/51/Add.6, par. 23),
mais ces garanties sont sans valeur si la Constitution n'est pas en vigueur.
Certains droits prévus par la Constitution ont-ils été suspendus et, dans
ce cas, lesquels ? Les renseignements que M. Aguilar Urbina a obtenus
d'organisations non gouvernementales font état d'une campagne d'attaques, de
sabotages et d'exécutions de la part des groupes d'opposition armée comme
le Sentier lumineux et le Mouvement révolutionnaire Tupac Amaru, mais aussi
d'exécutions extrajudiciaires par les forces de sécurité. M. Aguilar Urbina a
aussi entendu parler d'une directive de juin 1991 autorisant les forces armées
à tuer les gens et à se débarrasser des corps sous le prétexte "qu'un bon
insurgé est un insurgé mort". Il faut vraiment que le Comité soit mieux
informé de la situation.
CCPR/C/SR.1159
page 11
35. Les groupes de légitime défense comme les organisations paysannes sont
répandus dans toute l'Amérique latine, mais il n'est pas fréquent que l'Etat
agrée leurs activités (voir CCPR/C/51/Add.5, par. 28). Cela signifie-t-il que
les organisations paysannes sont instituées par l'Etat et que c'est ce dernier
qui doit répondre des abus et atrocités dont elles se seraient rendus
coupables ? Probablement, leur but n'est pas de mettre fin aux "situations
illégales" mais d'en punir les responsables. D'après le film vidéo que le
Comité a vu à la réunion précédente, il semble que les organisations paysannes
s'occupent en particulier de fabriquer des armes.
36. Mlle CHANET constate que la représentante du Pérou n'a jamais répondu aux
questions du Comité sur le statut actuel de la Constitution et la base
juridique des décrets-lois qui font l'objet du débat en cours. Le Comité a
donc été réduit aux déductions suivantes : le Congrès national a été dissous
donc il semblerait que certains au moins des articles de la Constitution ont
été suspendus; d'autre part, la délégation péruvienne s'est présentée devant
le Comité, ce qui signifie probablement que le Pérou se considère toujours
comme partie au Pacte. Mlle Chanet ne comprend pas que la délégation
péruvienne n'explique pas exactement quelle est la situation.
37. S'agissant de l'article 6 du Pacte (sur le droit à la vie), Mlle Chanet
demande ce qu'il est advenu des huit personnes que les militaires ont arrêtées
le 27 avril 1992 et qui ont depuis disparu sans laisser de trace. Cette
affaire a-t-elle fait l'objet d'une enquête ? Les familles ont voulu présenter
des recours en habeas corpus mais on leur a dit que c'était impossible, le
judiciaire ayant été temporairement suspendu après les événements du 5 avril.
Cependant, la représentante du Pérou a dit que l'habeas corpus est toujours
resté en vigueur. Etait-il en vigueur le 27 avril ou non ? Selon le
décret-loi No 22592, les "forces de l'ordre" ne peuvent plus impunément faire
disparaître les gens et une peine de "privation de liberté" peut être imposée.
Lesdites "forces de l'ordre" comprennent-elles aussi les militaires, et en
quoi consiste exatement la "privation de liberté" ?
38. Selon la représentante du Pérou, il n'y a pas de prisonniers politiques
au Pérou. Cependant, lors des événements du 5 avril et immédiatement après,
une cinquantaine de personnes, dont des journalistes et d'anciens ministres du
gouvernement de M. Alan García Pérez, ont été arrêtées, même s'il est vrai
qu'elles ont ensuite été relâchées. Sur quelle base juridique ont-elles été
détenues ?
39. Mme HIGGINS dit que le Comité doit être informé de toute suspension de
l'habeas corpus, même temporaire. Aux termes du Pacte, il ne saurait être
dérogé à l'habeas corpus, qui ne peut être suspendu en aucun cas.
40. En relation avec l'article 25 du Pacte, Mme Higgins demande si tous les
partis politiques pourront participer aux élections au Congrès constituant
démocratique qui doit se réunir le 22 novembre 1992. Il semble à Mme Higgins
que, le 5 avril, l'un des objectifs principaux du Président était de gêner les
activités de partis d'opposition comme l'aile politique du Sentier lumineux et
l'Alliance populaire révolutionnaire américaine (APRA), le parti de l'ancien
président García.
CCPR/C/SR.1159
page 12
41. M. PRADO VALLEJO souhaite savoir si M. García Perez, qui a demandé asile
à Bogota (Colombie), sera autorisé a revenir pour participer aux élections.
Il ressort en effet du dernier rapport péruvien (CCPR/C/51/Add.6, par. 28)
qu'"est nul et punissable tout acte visant à empêcher ou à limiter la
participation d'un citoyen à la vie politique de la nation". Sans doute les
mesures prises par le Président le 5 avril pour suspendre les activités du
Congrès national et du Parlement entrent-elles dans cette catégorie.
42. M. AGUILAR URBINA note qu'il est dit dans ce même rapport (par. 11) que
nul n'est persécuté pour ses opinions politiques au Pérou. Cependant, le
gouvernement a reconnu que des membres de partis d'opposition avaient été
assignés à résidence ou détenus sur leurs lieux de travail. Il y a donc à
l'évidence contradiction entre ces déclarations. Il ressort aussi du rapport
que tous ceux qui ont quitté le Pérou l'ont fait de leur propre gré. Pourtant,
il était difficile d'imaginer, en voyant les images de M. García Perez
arrivant à Bogota sous escorte militaire colombienne, qu'il exerçait librement
son droit de quitter son pays. Selon une chaîne de télévision péruvienne, les
forces de sécurité sont entrées chez M. García en tirant des rafales, qui ont
laissé des traces de balles dans le mur. Elles avaient de toute évidence
l'intention d'aller plus loin que de l'arrêter, et on se demande pourquoi
elles ont décidé de l'arrêter au juste. Si ces hommes n'agissaient sur ordre
du Président, quel était le fondement juridique de leurs actes ?
43. Dans le fil de la question de Mme Higgins sur l'habeas corpus,
M. Aguilar Urbina s'interroge une fois de plus sur les recours en amparo que
les juges ont déposés après les événements du 5 avril mais que l'exécutif
a rejetés. Il est précisé dans le dernier rapport (CCPR/C/51/Add.6, par. 28)
que les citoyens ont le droit de prendre part à la vie politique. Cependant,
en prenant le pouvoir le 5 avril et en invoquant pour se justifier la
corruption dans les partis d'opposition et les manoeuvres visant à ruiner
l'économie, le président Fujimori a en fait cherché à entraver les activités
de l'opposition. M. Aguilar Urbina voudrait en savoir davantage sur la
situation actuelle des partis d'opposition et sur le Congrès constituant
démocratique annoncé. Ce congrès garantira-t-il le droit des citoyens à
prendre part à la direction des affaires publiques conformément à l'article 25
du Pacte ? M. García Perez aura-t-il le droit de participer aux élections au
Congrès sur un pied d'égalité avec les autres candidats ?
44. Mme LINARES ARENAZA (Pérou), répondant à la question de M. Herndl sur la
formation de la police et des forces armées en matière de droits de l'homme,
dit que la loi pertinente (décret-loi No 752) a été promulguée par l'exécutif
en vertu des pouvoirs que lui a confiés le Congrès. La procédure judiciaire
suivie par le Ministère de la défense et les services de formation en matière
de droits de l'homme (voir document CCPR/C/51/Add.5, par. 12) est une
procédure d'enquête interne où le parquet a son mot à dire.
45. Les organisations paysannes sont des associations pacifiques placées sous
la supervision des pouvoirs publics. L'armée ne leur fournit pas d'armes;
ce sont elles qui fabriquent leurs propres armes, bien que cela prenne un
temps que les paysans préféreraient consacrer aux travaux de la terre.
Malheureusement, l'existence de ces organisations est indispensable à l'heure
actuelle.
CCPR/C/SR.1159
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46. M. Herndl a également posé des questions sur les tribunaux pour mineurs.
Les délinquants de moins de 18 ans ne sont pas incarcérés, mais envoyés dans
des établissements spécialisés où ils sont encadrés plutôt que punis.
Il n'y a donc pas de tribunaux pour mineurs.
47. En réponse aux observations de M. Aguilar Urbina, Mme Linares Arenaza
peut seulement dire qu'en vertu du décret-loi No 25418, le Gouvernement
péruvien est tenu de s'acquitter de toutes ses obligations aux termes des
traités internationaux, y compris du Pacte. La directive autorisant l'armée
à tuer, à laquelle M. Aguilar Urbina a fait référence, n'a jamais eu un
caractère officiel, mais est l'ouvrage d'un officier isolé, sanctionné depuis.
48. Les membres du Comité ont demandé quel était le statut actuel de la
Constitution. Selon le décret-loi No 25418, la Constitution reste en vigueur,
bien que certaines de ses dispositions aient été suspendues à titre
provisoire. Toutefois, cette suspension ne touche aucune des dispositions
relatives à des articles du Pacte auxquels les rapports complémentaires se
réfèrent.
49. Mlle Chanet a fait état du décret-loi No 25592 relatif aux sanctions
encourues par les fonctionnaires responsables de disparitions. La peine
maximale pour ces délits est de 15 ans de prison. Sur l'initiative du
gouvernement, un registre national a été constitué pour accélérer les
poursuites engagées contre les responsables de disparitions.
50. Mlle Chanet a aussi évoqué le recours en habeas corpus. L'habeas corpus
a toujours été en vigueur, en dépit de la suspension du judiciaire. Aussi, la
seule possibilité que conçoive Mme Linares Arenaza est que les personnes
mentionnées par Mlle Chanet n'aient pu présenter un recours en habeas corpus
dans les délais prescrits ou qu'elles se soient heurtées à un autre problème
technique.
51. Tous les partis politiques et toutes les institutions ou organisations
représentatives du Pérou qui le souhaitent pourront participer au dialogue qui
débouchera sur les élections au nouveau Congrès constituant démocratique.
En ce qui concerne la question de savoir si l'ancien président péruvien,
M. García, pourra revenir au Pérou quand il le voudra, conformément au droit
qui est le sien en vertu du Pacte, la réponse est affirmative. M. García n'a
pas été obligé à quitter le pays, mais s'est exilé de son plein gré.
Contrairement à ce qui a été dit sur son arrivée sous bonne garde, dans un
autre pays, c'est muni de toutes les garanties qu'il a quitté le Pérou
accompagné de son avocat, lequel a pu, lui aussi, sortir du pays sans entrave
et peut y retourner à tout moment. L'ancien Président pourra revenir dans le
pays quand il le souhaitera et participer au dialogue sur la tenue des
élections au même titre que tout autre citoyen appartenant à n'importe quel
autre parti politique.
52. En dehors du dialogue engagé en vue des élections au Congrès constituant
démocratique, une commission de haut niveau étudie, à l'heure actuelle,
diverses propositions d'amélioration de la Constitution. Quand le Congrès
constituant démocratique aura été élu, il aura pleins pouvoirs pour enquêter
sur les mesures prises par le gouvernement depuis le 5 avril 1992. Voilà qui
illustre bien comment le gouvernement a l'intention de s'acquitter de ses
engagements auprès de l'OEA.
CCPR/C/SR.1159
page 14
53. En réponse à la question sur l'assignation à résidence,
Mme Linares Arenaza dit qu'il faut y voir une mesure de sécurité dont
l'objectif immédiat était d'empêcher le Sentier lumineux ou le Mouvement
Tupac Amaru de profiter de la situation en suscitant des affrontements qui
auraient pu dégénérer en agitation incontrôlable.
54. Mme Linares Arenaza répète que le gouvernement entend revenir promptement
à la constitutionnalité par le biais du Congrès constituant démocratique, qui
sera doté de pouvoirs législatifs et qui sera aussi habilité à enquêter sur
les activités du gouvernement national actuel depuis le 5 avril 1992.
55. M. AGUILAR URBINA constate qu'il a été dit au Comité que la Constitution
était toujours en vigueur, mais que, à titre exceptionnel, certaines
dispositions en avaient été temporairement suspendues. Il aimerait savoir de
quelles dispositions il s'agit. Le fait qu'une commission de haut niveau a
été constituée pour étudier les amendements proposés à la Constitution est
intéressant. Cette commission n'est pas mentionnée dans l'additif au rapport,
et M. Aguilar Urbina serait curieux de savoir qui l'a nommée et quels sont ses
pouvoirs. Il semblerait que la tâche de réformer la Constitution revienne au
législatif. M. Aguilar Urbina demande si le décret-loi No 25592 a été
promulgué avant le 5 avril, en vertu de pouvoirs délégués par le Congrès
national. Il souhaite aussi savoir si les procédures applicables aux forces
armées sont d'ordre administratif ou juridique, ou si c'est un hybride
des deux.
56. Les renseignements fournis sur les assignations à domicile et détentions
qui ont été prononcées après le 5 avril semblent correspondre à ce qui est dit
au paragraphe 10 de l'additif au deuxième rapport périodique
(CCPR/C/51/Add.6). Ce paragraphe, qui concerne les mesures de sécurité
transitoires prises en vertu de l'état d'urgence afin d'éviter des troubles
graves et une situation dont pourraient profiter le Sentier lumineux et le
Mouvement révolutionnaire Tupac Amaru, laisse entendre qu'il y avait un lien
entre les groupes terroristes et des dirigeants politiques occupant des
charges importantes dans les organes législatifs et judiciaires, ce qui serait
très grave. La représentante du Pérou a dit aussi que l'habeas corpus n'avait
jamais été suspendu, mais qu'il était possible qu'à certaines occasions des
personnes n'aient pu l'invoquer. M. Aguilar Urbina n'ignore pas que l'ancien
président García, par exemple, a essayé de recourir à ce droit. Aussi
aimerait-il savoir quelle différence il y a entre la suspension de
l'habeas corpus et l'impossibilité d'y recourir.
57. M. MYULLERSON remarque que le Comité a entendu dire, en réponse à ses
questions, que la liberté des personnes assignées à résidence ou détenues dans
des locaux militaires ou des commissariats avait été restreinte en raison des
risques d'actions du Mouvement Tupac Amaru ou du Sentier lumineux. Toutefois,
le Comité a aussi appris que, parmi les détenus, il se trouvait des
parlementaires, des juristes, des syndicalistes, des journalistes et un juge
de la Cour suprême. M. Myullerson est surpris du lien qui est établi entre
l'assignation à résidence et la détention de ces personnes et le risque
d'actions terroristes.
CCPR/C/SR.1159
page 15
58. Mlle CHANET s'associe à la question posée par M. Aguilar Urbina. Il est
important que le Comité sache à quelle date le décret législatif relatif au
registre des plaintes concernant des disparitions a été promulgué et quelles
sanctions ont été prononcées contre les fonctionnaires responsables de ces
disparitions. Le numéro du décret indique qu'il suivait la dissolution du
Congrès national. Il est donc difficile de comprendre comment le Congrès
aurait pu l'autoriser. La peine proposée de 15 ans de prison s'applique,
dit-on, aux membres des forces de sécurité, mais on ne sait pas exactement si
les militaires sont également passibles de cette sanction.
59. M. PRADO VALLEJO dit que, selon un rapport dont il dispose, c'est
l'ensemble du système judiciaire, les tribunaux et le parquet qui ont cessé de
fonctionner avec les événements du 5 avril 1992. Le 23 janvier 1992, le Pérou
et les Etats-Unis avaient signé un accord aux termes duquel les Etats-Unis
s'engageaient à financer l'élaboration d'un registre des détenus, le
gouvernement s'engageant à réclamer aux forces armées des renseignements sur
les personnes détenues dans les casernes et autres lieux. Toutefois, les
Etats-Unis ont retiré leur offre d'assistance après le coup d'état, l'accord
n'est pas entré en vigueur et l'établissement du registre n'a plus été à
l'ordre du jour. La situation est donc devenue très grave pour les familles
des disparus. M. Prado Vallejo demande comment, depuis, le gouvernement a
compensé le retrait de l'aide américaine et comment il a réagi au rapport du
Groupe de travail de l'ONU sur les disparitions forcées ou involontaires, qui
laisse entendre que l'impunité virtuelle dont jouissent les forces de sécurité
en matière de droits de l'homme pourrait être grandement réduite si l'on
disposait d'un judiciaire efficace et indépendant, capable d'enquêter
rapidement en cas de plaintes et de protéger les droits de l'homme. Le Groupe
de travail a rappelé que les tribunaux militaires ne devaient connaître que
des délits commis par les forces de sécurité, à l'exclusion des violations
graves des droits de l'homme comme les disparitions forcées.
60. Mme LINARES ARENAZA (Pérou) dit qu'en vertu du décret-loi No 25592, un
registre des plaintes en matière de disparitions a été mis sur pied. Il ne
faut pas le confondre avec le registre des détenus, qui est tenu par le
parquet. Ce dernier registre ne bénéficie pas à l'heure actuelle d'une
assistance financière américaine mais il fonctionne encore sur des fonds
inscrits au budget de l'exécutif. Dans ce cadre, une liaison radio est
établie entre les parquets de tout le pays.
61. Mme Linarès Arenaza répète que les tribunaux militaires ne jugent pas les
civils. Il y a eu des excès dans un nombre limité de cas, mais le Président a
assuré le pays, dans un discours récent qu'il a tenu à Ayacucho, que pareils
incidents ne se reproduiraient plus.
62. Il semble qu'il y ait quelque confusion au sein du Comité en ce qui
concerne l'assignation à domicile de membres de partis politiques. Ces
mesures ont été prises pour des raisons de sécurité, non pas parce que les
intéressés pouvaient appartenir à des groupes terroristes mais parce que ces
groupes risquaient de profiter de la situation pour susciter des troubles
incontrôlables. La commission de haut niveau dont Mme Linarès Arenaza a fait
état sera chargée de recevoir les propositions d'amendement à la Constitution
émanant de partis politiques et de groupes indépendants. Son rôle principal
CCPR/C/SR.1159
page 16
sera de recevoir et d'évaluer ces propositions avant de les transmettre au
nouveau Congrès constituant. Les procédures suivies dans les bureaux du
Ministère de la défense sont des étapes administratives, qui aboutissent à un
jugement prononcé par un judiciaire.
63. Mme SILVA Y SILVA (Pérou) dit que pour que les forces armées ne soient
pas exemptes des poursuites évoquées par M. Prado Vallejo, le gouvernement a
fait de la responsabilité en cas de disparitions forcées un délit, pour lequel
des poursuites peuvent être engagées non seulement contre des fonctionnaires
mais aussi contre des membres des services de sécurité. Au Pérou, les
services de sécurité comprennent les forces armées et la police. Ce délit
peut entraîner une peine maximale d'emprisonnement de 15 ans. Cette mesure
a été prise après la dissolution du Congrès national aux termes du
décret-loi No 25592 en date du 26 juin 1992.
64. M. AGUILAR URBINA pense qu'il est clair que la combinaison du registre
des disparitions établi par le décret-loi adopté très récemment et du registre
des détenus qui devait être financé avec l'aide américaine ne fonctionne pas
encore efficacement. Il se félicite que l'on ait admis que les tribunaux
militaires avaient commis des excès et que des garanties aient été données
pour que cela ne se reproduise plus. A ses yeux, les deux explications
données pour justifier l'assignation à domicile de parlementaires ne sont
guère convaincantes. Il aimerait davantage de renseignements sur la
commission de haut niveau qui sera constituée pour étudier les propositions
d'amendements à la Constitution. Les renseignements dont on dispose sur les
activités du Ministère de la défense semblent indiquer qu'en fait des
personnes y sont détenues.
65. Mme HIGGINS dit qu'elle possède un exemplaire du décret-loi No 25592 et
qu'elle croit savoir que c'est le même que celui de la délégation péruvienne.
Le nouveau code pénal approuvé en avril 1991 a introduit le délit qui consiste
à causer une disparition. Cette disposition a été renforcée par le décret-loi
de l'exécutif et a été étendue à toute personne coupable de tels délits,
y compris au personnel militaire; une peine pouvant aller jusqu'à 15 ans
d'emprisonnement a été prévue. Le décret-loi en question contient aussi des
dispositions sur l'obligation de fournir des renseignements et sur
l'enregistrement de plaintes intéressant le registre.
66. Mme LINARES ARENAZA (Pérou) dit que la Commission de haut niveau a été
nommée par le Président et qu'elle sera chargée de recevoir et évaluer les
propositions d'amélioration de la Constitution émanant non seulement de partis
politiques mais aussi de tous les organismes et institutions représentatifs du
pays. Ces suggestions seront soumises au nouveau Congrès constituant
démocratique, et c'est ce dernier, et non pas la Commission, qui statuera.
67. Les dispositions relatives au registre des plaintes en matière de
disparitions prévoient notamment une peine d'emprisonnement jsuqu'à 15 ans
pour les fonctionnaires coupables d'actes facilitant la disparition de
personnes. La raison d'être du registre des détenus est, d'autre part,
d'accélérer l'enquête publique en cas de plaintes relatives à des
disparitions. Un des articles du nouveau décret-loi offre une nouvelle
garantie d'enquête publique à la suite de plaintes relatives à des
disparitions : les fonctionnaires sont tenus de fournir des informations
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au procureur régional, lequel les transmet au parquet, qui est à son tour prié
d'établir un rapport mensuel sur toutes les disparitions dans les différents
distritos fiscales du pays pour examen par le Conseil national des droits de
l'homme près le Ministère de la justice.
68. Le PRESIDENT rappelle aux membres du Comité que leurs observations de
conclusion, qu'ils doivent faire à la séance suivante, doivent avoir trait non
seulement aux rapports complémentaires du Pérou (CCPR/C/51/Add.5 et 6), mais
aussi au deuxième rapport périodique principal (CCPR/C/51/Add.4) examiné à la
session de printemps du Comité.
La séance est levée à l8 h 5.
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