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Pacte international

relatif aux droits civils

et politiques

 

 

 

 

                                                                                                         Distr.

                                                                                                         GENERALE

 

                                                                                                         CCPR/C/SR.1429

                                                                                                         24 juillet 1995

 

                                                                                                         Original : FRANCAIS

 

 

 

 

COMITE DES DROITS DE L'HOMME

 

Cinquante-quatrième session

 

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 1429ème SEANCE

 

tenue au Palais des Nations, à Genève,

le mardi 18 juillet 1995, à 15 heures.

 

Président : M. AGUILAR URBINA

                              puis                               : M. BHAGWATI

 

 

SOMMAIRE

 

 

Examen des rapports présentés par les Etats parties conformément à l'article 40 du Pacte (suite)

 

          Fédération de Russie (suite)

 

 

 

 

 

 

__________

 

          Le présent compte rendu est sujet à rectifications.

 

          Les rectifications doivent être rédigées dans l'une des langues de travail. Elles doivent être présentées dans un mémorandum et être également portées sur un exemplaire du compte rendu. Il convient de les adresser, une semaine au plus tard à compter de la date du présent document, à la Section d'édition des documents officiels, bureau E.4108, Palais des Nations, Genève.

 

          Les rectifications aux comptes rendus des séances publiques de la présente session seront groupées dans un rectificatif unique qui sera publié peu après la clôture de la session.

 

 

GE.95-17627 (F)

La séance est ouverte à 15 h 5.

 

EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES CONFORMEMENT A L'ARTICLE 40 DU PACTE (point 4 de l'ordre du jour) (suite)

 

Quatrième rapport périodique de la Fédération de Russie (suite) (CCPR/C/84/Add.2 - M/CCPR/C/54/LST/RUS/3)

 

1.       Sur l'invitation du Président, la délégation de la Fédération de Russie reprend place à la table du Comité.

 

2.       Le PRESIDENT invite les membres du Comité qui ne l'ont pas encore fait à poser à la délégation russe des questions orales en complément des sections II et III de la Liste des points à traiter (M/CCPR/C/54/LST/RUS/3).

 

3.       Mme CHANET souhaiterait un complément d'informations au regard du nombre impressionnant de plaintes - 60 000, selon un rapport de 1993 de la Commission présidentielle des droits de l'homme - qui auraient été formées contre la durée de la détention provisoire. Toutes ces plaintes ont-elles été examinées, et combien ont abouti ?

 

4.       Mme Chanet évoque ensuite le rapport (E/CN.4/1995/34/Add.1) présenté par le Rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme de l'ONU, M. Rodley, auquel la délégation russe a également fait allusion au cours d'une séance précédente. M. Rodley dit avoir rencontré notamment dans la prison Matrosskaya Tichina, une personne qui se trouvait depuis sept ans en détention provisoire. A l'évidence, une telle situation n'est pas compatible avec les dispositions du paragraphe 3 de l'article 9 du Pacte, et Mme Chanet aimerait savoir quelles mesures les autorités entendent prendre pour mettre fin à de tels abus.

 

5.       En ce qui concerne les dispositions du paragraphe 4 de l'article 9 du Pacte, M. Valentin Kovalev a dit que l'actuelle réforme de la procédure pénale visait notamment à limiter la durée de la garde à vue. Cette réforme s'appliquera-t-elle également au décret présidentiel No 1226, relatif aux mesures de lutte contre la criminalité organisée, qui fixe à 30 jours la durée maximale de la garde à vue ? Mme Chanet fait observer qu'un tel délai est tout à fait excessif.

 

6.       La lecture du rapport de M. Rodley (E/CN.4/1995/34/Add.1) fait apparaître que le principal obstacle, pour ce qui est de mettre fin aux mauvais traitements dans les centres de détention et de garde à vue, est l'impunité dont jouissent les responsables de tels actes. M. Kovalev a affirmé que les mauvais traitements et la torture étaient passibles de sanctions pénales. Pour sa part, M. Rodley estimait que ces sanctions étaient inefficaces. Comment les autorités russes entendent-elles résoudre ce problème ? M. Rodley fait état d'une situation intolérable dans les prisons de la Fédération de Russie, en raison notamment du surpeuplement et de l'absence totale d'hygiène, et il ajoute qu'il faudrait "les dons poétiques d'un Dante ou les dons artistiques d'un Bosch pour décrire comme il convient les conditions infernales qu'il a trouvées" (par. 71). Il semble qu'en tout 200 000 détenus soient ainsi livrés à eux-mêmes, sans aucune occupation. Une des solutions pourrait consister à prononcer plus souvent des condamnations autres que des peines d'emprisonnement, en particulier dans le cas des petits délinquants. On sait que la prison ne constitue pas, tant s'en faut, un moyen de réhabiliter ces derniers et, quand ils sortent de prison, ils deviennent des sans-abri ou des grands délinquants. Mme Chanet souhaiterait entendre la délégation russe sur toutes ces questions.

 

7.       En ce qui concerne la liberté de circulation, Mme Chanet avait posé une question dans le cadre de la section I de la Liste des points à traiter (M/CCPR/C/54/LIST/RUS/3) mais, faute d'avoir reçu une réponse satisfaisante, elle répète sa question dans le cadre des sections II et III. Plus précisément, la délégation russe a indiqué que l'institution du passeport intérieur avait été supprimée, mais en va-t-il de même du système de la "propiska" (permis de résidence permettant d'obtenir certains droits) ?

 

8.       En ce qui concerne le projet de loi relatif aux secrets d'Etat qui semble avoir été adopté en première lecture par la Douma d'Etat, Mme Chanet croit comprendre que ce texte permet d'empêcher de sortir du territoire des citoyens se trouvant en possession de telles informations confidentielles. Elle voudrait savoir si la notion de secret d'Etat a été élargie ou restreinte par rapport à la législation antérieure. En outre, quelle est la définition exacte d'une "personne en possession d'un secret d'Etat" ? Quelle autorité est habilitée à refuser la délivrance d'un passeport conformément aux dispositions relatives aux secrets d'Etat ?

 

9.       M. KRETZMER, comme Mme Chanet, est préoccupé par les conditions de détention dans la Fédération de Russie. Il salue toutefois la franchise du rapport périodique (CCPR/C/84/Add.2) en ce qui concerne la gravité de la situation dans un très grand nombre d'établissements pénitentiaires. Cela étant dit, les raisons économiques invoquées par la délégation russe pour expliquer cette situation ne sauraient justifier l'absence de mesures visant à assurer, conformément aux dispositions du Pacte, le respect des droits fondamentaux des personnes détenues. Il semble par ailleurs que ce soit dans les centres de détention avant jugement que les conditions soient les pires. M. Kretzmer met l'accent sur l'obligation de respecter, notamment, les dispositions de l'article 10 du Pacte. Cette obligation prend un caractère d'autant plus impérieux quand il s'agit d'une détention provisoire. M. Kretzmer aimerait savoir si les autorités russes ont envisagé des mesures radicales pour réduire à la fois le nombre des personnes détenues avant jugement et la durée de ce type de détention. Il relève également que la détention semble être imposée dans le cas de délits tout à fait mineurs, par exemple le vol de trois bananes, ce qui est clairement inacceptable au regard du Pacte.

 

10.     M. Kretzmer évoque ensuite une question qui a été traitée dans le précédent rapport périodique (CCPR/C/52/Add.2), à savoir l'internement des personnes souffrant de troubles mentaux ou supposées telles. Le paragraphe 93 dudit rapport fait état de dispositions relatives aux conditions dans lesquelles ces personnes sont soumises à un traitement psychiatrique. M. Kretzmer aimerait savoir si, depuis l'établissement du document CCPR/C/52/Add.2, les dispositions régissant l'internement en établissement psychiatrique ont été révisées. En particulier, sachant que certaines personnes ont été internées du temps de l'URSS, les nouvelles autorités se sont-elles assurées que toutes les personnes placées en établissement psychiatrique l'étaient pour des raisons légitimes, à savoir qu'elles constitueraient un danger pour la société si elles étaient laissées en liberté ?

 

11.     M. ANDO souhaite tout d'abord compléter la question posée dans l'alinéa e) de la section II de la Liste (M/CCPR/C/54/LST/RUS/3). Il croit comprendre que le danger présenté par les installations nucléaires en Russie découle, en partie, des difficultés économiques auxquelles doit faire face le personnel chargé de ces installations. En particulier, il paraîtrait que certains employés vendent des matières et du matériel nucléaires subtilisés sur leur lieu de travail, ce qui constitue sûrement une violation de la législation russe dans ce domaine. M. Ando pense que les autorités devraient envisager des mesures visant à améliorer la situation économique du personnel des installations nucléaires, ce qui résoudrait peut-être en partie le problème. En tout état de cause, il souhaiterait des informations complémentaires de la délégation russe sur ce sujet.

 

12.     En ce qui concerne les médias, M. Ando croit comprendre que la loi de 1991 établit la responsabilité de ces derniers en cas de violation des droits de l'homme, en particulier si le contenu d'une information diffusée cause un préjudice aux citoyens. M. Ando se demande ce qu'il faut entendre par le terme "préjudice". Y a-t-il une jurisprudence dans ce domaine, et des critères précis ont-ils été établis ?

 

13.     M. BUERGENTHAL s'inquiète, lui aussi, des conditions dans lesquelles se déroule la détention avant jugement. Il constate, à la lecture du quatrième rapport périodique (CCPR/C/84/Add.2), qu'entre 200 et 300 000 personnes sont maintenues en détention sans avoir été jugées et dans des conditions que M. Rodley, le Rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme, estimait suffisamment graves pour appeler des mesures d'urgence de la part des autorités compétentes. M. Buergenthal aimerait savoir quelle suite le Gouvernement russe a donnée aux recommandations qui figurent dans le rapport de M. Rodley (E/CN.4/1995/34/Add.1), en particulier celles qui concourent à la remise en liberté des délinquants primaires, la libération sous caution, etc. A l'évidence la Fédération de Russie est confrontée là à une situation d'urgence, et il convient d'adopter sans retard des mesures appropriées.

 

14.     M. Buergenthal aimerait savoir également si les autorités ont pris, ou envisagent de prendre, des mesures de formation du personnel pénitentiaire visant à familiariser celui-ci avec la législation nationale et les obligations internationales contractées par la Fédération de Russie. Ces mesures contribueraient sans aucun doute à l'amélioration du traitement des détenus. M. Buergenthal note par ailleurs que certaines personnes aiment mieux être condamnées et envoyées dans des colonies pénitentiaires que rester dans un centre de détention provisoire, où paradoxalement les conditions sont beaucoup plus mauvaises.

 

15.     En ce qui concerne la Tchétchénie, M. Buergenthal croit savoir que le CICR n'a eu accès qu'à un seul camp de détention. Si tel est le cas, pour quelle raison n'a-t-il pas accès à l'ensemble de ces camps ? Cela pourrait permettre de rassurer à la fois le Gouvernement russe, partie au Pacte, et la communauté internationale sur le respect des droits de l'homme en Tchétchénie.

 

16.     Enfin, M. Buergenthal croit comprendre que le projet de loi relatif à l'objection de conscience a été adopté. Il voudrait connaître la procédure permettant d'obtenir le statut d'objecteur de conscience. M. Valentin Kovalev a indiqué que les objecteurs de conscience effectuaient un service de substitution d'une durée de 18 mois. Est-ce plus long que le service militaire ? Si tel est le cas, faut-il comprendre que les objecteurs de conscience sont ainsi pénalisés ? D'une façon générale, quelles dispositions légales précises régissent l'objection de conscience en Russie ?

 

17.     M. EL SHAFEI croit comprendre qu'il existe un Bureau présidentiel traitant des plaintes formées par des particuliers ou des organisations qui estiment que leurs droits fondamentaux ont été violés. Cet organisme constituerait une sorte de dernier recours pour les plaignants. M. El Shafei aimerait connaître les fondements juridiques de cette institution et ses fonctions exactes. A-t-elle publié des rapports ? Continue-t-elle de fonctionner à l'heure actuelle ?

 

18.     M. El Shafei s'associe en outre à la demande de M. Buergenthal concernant le droit du CICR à se rendre dans les camps de Tchétchénie. Par ailleurs, d'après un communiqué de presse publié par la mission permanente de la Fédération de Russie auprès de l'Office des Nations Unies à Genève, il paraîtrait que la Cour constitutionnelle a été saisie d'une affaire concernant la Tchétchénie. M. El Shafei souhaiterait de plus amples informations à ce propos.

 

19.     M. BÁN souscrit pleinement à l'affirmation de M. Kovalev selon laquelle le système relatif aux mesures d'arrestation et de détention ordonnées par le Procureur général ou d'autres procureurs n'est pas compatible avec les dispositions de l'article 9 du Pacte, car il considère que le procureur n'est pas une autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires au sens des dispositions du paragraphe 3 dudit article. D'une façon générale, M. Bán recommande aux autorités russes d'accélérer l'adoption d'une nouvelle législation relative à la procédure pénale, compte tenu également du fait que le Comité pourrait fort bien être saisi de communications émanant de particuliers.

 

20.     M. Kovalev a indiqué que les autorités russes envisageaient, sur le modèle du système anglo-saxon, de tenir compte d'un certain nombre de facteurs, en particulier de l'éloignement géographique, dans la réglementation des délais de présentation d'un suspect devant un juge. M. Bán invite les autorités russes à renoncer à leur idée, car on ne saurait subordonner les normes relatives aux droits de l'homme à des considérations géographiques ou autres de ce genre. Il rappelle en outre qu'en vertu du paragraphe 3 de l'article 9 du Pacte tout individu arrêté ou détenu du chef d'une infraction pénale doit être traduit dans le plus court délai devant un juge.

 

21.     Au sujet de la question du ministère public, M. Bán estime que dans la Fédération de Russie ce dernier cumule des pouvoirs difficilement compatibles. En effet, il représente l'accusation devant les tribunaux, autrement dit devant les autorités judiciaires, mais il dispose également de pouvoirs étendus sur le plan administratif. A l'évidence, le parquet russe exerce des compétences qui, dans d'autres Etats, relèvent des tribunaux. Pour supprimer ce qui lui apparaît comme une source de difficultés, M. Bán suggère non pas d'élargir davantage le champ de compétence du ministère public, mais de renforcer la juridiction administrative.

 

22.     En ce qui concerne les droits prévus au paragraphe 2 de l'article 23 de la Constitution (Protection des citoyens contre les immixtions dans leur correspondance, leurs communications téléphoniques, etc.), M. Bán rappelle que, sous le régime précédent, les écoutes téléphoniques et d'autres pratiques occultes étaient monnaie courante. Les autorités russes estiment-elles qu'une disposition générale figurant dans la Constitution constitue un instrument suffisant pour mettre fin à ce type de pratique ? M. Bán insiste sur la nécessité d'élaborer des règles juridiques précises dans ce domaine.

 

23.     M. Bhagwati prend la présidence.

 

24.     Mme EVATT se déclare vivement préoccupée par les conditions de détention dans les maisons d'arrêt, dénommées SIZO (établissements de détention avant jugement). Dans ces établissements surpeuplés et insalubres, il semble que, faute de place, les détenus soient parfois obligés de rester debout pendant de longues heures; en outre, l'hygiène y est déplorable et les détenus souffrent de diverses maladies parasitaires et infectieuses, dont la tuberculose. De surcroît, une des punitions infligées aux détenus consisterait à les priver de nourriture. Quant au régime appliqué aux condamnés à mort, il serait encore plus horrible : en particulier, ils n'auraient pas droit aux visites, ni à la correspondance. Mme Evatt mentionne le cas de 11 détenus qui seraient décédés la semaine précédente à Novokouznetsk, en Sibérie, en raison des conditions de détention déplorables. D'après certaines informations, les textes réglementant le fonctionnement des SIZO ne seraient pas accessibles, ni aux détenus ni au public. Mme Evatt aimerait savoir quelle autorité est habilitée à élaborer des dispositions régissant les conditions de la détention dans ces établissements, et sur quels fondements juridiques. Ces dispositions ont-elles été rendues publiques ? Si tel est le cas, l'ont-elles été dans le cadre du système évoqué au paragraphe 229 du quatrième rapport périodique (CCPR/C/84/Add.2), ou relèvent-elles du secret d'Etat ? Les détenus ont-ils connaissance des règles et des décisions qui s'appliquent à eux ? Les ONG peuvent-elles en prendre connaissance ? Enfin, la privation de nourriture est-elle effectivement utilisée comme punition ?

 

25.     Dans son rapport (E/CN.4/1995/34/Add.1), M. Rodley avait estimé que la pénurie de ressources matérielles et financières ne saurait dispenser les autorités russes de l'obligation de prendre sans retard des mesures afin de mettre un terme à la situation qui régnait dans les centres de détention. Mme Evatt aimerait savoir quelles mesures les autorités ont prises comme suite aux recommandations de M. Rodley. Elle souligne qu'une des mesures possibles consisterait non seulement à remettre en liberté un grand nombre de personnes actuellement détenues, mais aussi à utiliser plus efficacement des procédures telles que la libération sous caution. Si la législation russe en vigueur doit être modifiée pour améliorer la situation des détenus, il convient que les autorités la révisent dans les plus brefs délais.

 

26.     En ce qui concerne la question des secrets d'Etat, qui est évoquée notamment au paragraphe 4 de l'article 29 de la Constitution, Mme Evatt aimerait savoir si la loi fédérale dont il est question dans cette disposition a déjà été adoptée. Par ailleurs, le bien-fondé d'un refus de passeport peut-il être contesté devant une juridiction ? Un tribunal peut-il décider que telle ou telle activité d'un citoyen constitue un réel danger pour la sécurité nationale ? D'une façon générale, tous ces points paraissent soulever des questions au regard de l'application des articles 12, 14 et 19 du Pacte.

 

27.     M. BRUNI CELLI constate que la plupart des questions qu'il souhaitait poser à la délégation russe l'ont déjà été par d'autres membres du Comité. Il se bornera donc à poser des questions concernant l'application de l'article 7 du Pacte dans la Fédération de Russie. La torture constitue-t-elle un délit au sens de la législation russe ? Dans l'affirmative, quelles sanctions encourent ceux qui commettent des actes de torture ? Existe-t-il des statistiques sur le nombre des cas de torture et de mauvais traitements ? Des aveux obtenus sous la torture peuvent-ils être retenus par un tribunal ? M. Bruni Celli évoque à ce propos les paragraphes 156 et 167 du rapport périodique (CCPR/C/84/Add.2), dans lesquels il est question des conditions de détention (par. 156) et des mauvais traitements qui auraient été appliqués à 23 reprises dans des colonies de réinsertion par le travail (par. 167). Des enquêtes ont-elles été ouvertes à ce sujet ? M. Bruni Celli serait reconnaissant à la délégation russe de bien vouloir fournir des précisions sur tous ces points.

 

28.     M. KLEIN s'interroge sur l'application des articles 12 et 18 du Pacte dans la Fédération de Russie. A cet égard, il relève qu'en vertu du paragraphe 3 de l'article 55 de la Constitution russe, l'exercice des droits fondamentaux et des libertés civiles peut être restreint par des lois fédérales. Il aimerait savoir si cette disposition constitutionnelle est appliquée, et dans quels cas de figure. Il croit comprendre par ailleurs qu'à Moscou et Saint-Pétersbourg, notamment, les autorités régionales auraient adopté des dispositions restreignant l'exercice des droits et libertés prévus dans le Pacte. Le système de la "propiska" soulève également des questions au regard de l'article 12 du Pacte, et M. Klein aimerait savoir s'il est toujours en vigueur. La lecture du rapport périodique (CCPR/C/84/Add.2) fait apparaître que le gouvernement met, lui aussi, en doute la légalité d'une série de dispositions juridiques, mais aucune mesure concrète ne semble pourtant avoir été prise pour remédier à la situation. M. Klein s'étonne notamment qu'aucune procédure juridique n'ait été apparemment engagée contre les lois régionales restreignant l'exercice des droits fondamentaux et des libertés civiles, d'autant plus que les dispositions de la loi du 27 avril 1993 sur les procédures juridiques contre les actions et décisions portant atteinte aux droits et libertés civils, pourraient certainement être invoquées dans ce type de cas. M. Klein ajoute qu'il est préoccupé également par les restrictions légales concernant le droit de quitter le pays. D'une façon générale, il se demande si bon nombre des dispositions de la législation russe qui limitent les droits des citoyens sont conformes aux dispositions du Pacte. En particulier, M. Kovalev a indiqué que le droit de quitter le pays pouvait être soumis à des limitations dans le cas des jeunes garçons qui n'ont pas encore fait leur service militaire. M. Klein comprend mal pourquoi ces jeunes gens ne pourraient pas se rendre à l'étranger. Il souhaiterait des éclaircissements sur cette question.

 

29.     En ce qui concerne la loi relative aux secrets d'Etat, celle-ci paraît d'une portée particulièrement vaste, et contraire aux dispositions de l'article 12 du Pacte, dans lesquelles il est fait mention non pas des secrets d'Etat mais de la sécurité nationale. De l'avis de M. Klein, toute personne qui détient un secret d'Etat ne met pas nécessairement en danger la sécurité nationale en se rendant à l'étranger.

 

30.     En ce qui concerne la liberté de religion, on lit, au paragraphe 213 du rapport périodique (CCPR/C/84/Add.2), que certaines dispositions provisoires ont été confirmées en vue du transfert aux associations religieuses du patrimoine religieux appartenant à la Fédération. En outre, selon le rapport, "plus de 300 structures et édifices religieux ont été transférés à diverses associations religieuses". M. Klein aimerait savoir s'il est prévu d'adopter des dispositions définitives dans ce domaine; par ailleurs, il fait observer que le chiffre de 300 édifices qui auraient été transférés à des associations religieuses n'est pas très élevé, compte tenu à la fois de l'immensité du pays et du fait que les biens qui ont été confisqués à l'Eglise sous le régime communiste sont certainement considérables. Enfin, il paraîtrait que les églises et associations religieuses soient soumises à une procédure d'enregistrement. S'agit-il d'une procédure obligatoire ? Dans l'affirmative, quelles seraient les conséquences juridiques du refus de s'y soumettre ? Une association religieuse qui ne s'enregistrerait pas serait-elle désavantagée et, si tel est le cas, dans quels domaines ?

 

31.     M. PRADO VALLEJO se déclare convaincu que la législation s'est nettement améliorée et que la tendance est incontestablement à un respect plus effectif des droits de l'homme. Quand on se souvient de l'examen des rapports qui étaient présentés par l'URSS, on ne peut pas douter de ce progrès. Toutefois, il semble que la pratique, quant à elle, n'ait guère changé, et que la Fédération de Russie continue de fonctionner avec les mêmes hommes et les mêmes systèmes. Les rapports émanant d'organisations non gouvernementales et d'autres sources continuent de dénoncer, par exemple, la pratique généralisée de la torture dans les établissements pénitentiaires et la durée excessive de la garde à vue. M. Prado Vallejo souhaiterait donc savoir ce que les autorités comptent et peuvent faire pour que la situation change véritablement dans les faits, et que les citoyens constatent au quotidien une amélioration réelle.

 

32.     M. KOVALEV (Fédération de Russie) remercie les membres du Comité de leurs observations très utiles. Il s'efforcera de répondre aux questions avec l'aide des autres membres de la délégation, selon la spécialisation de chacun.

 

33.     M. CHERNIKOV (Fédération de Russie) répond aux questions concernant la peine capitale. Il est de fait que le Gouvernement de la Fédération et les autorités des Etats qui la composent estiment que, pour l'instant, la peine de mort doit être maintenue. Le Code pénal énonce dix crimes emportant cette peine, mais seules les personnes coupables de meurtre avec préméditation et de violences ayant entraîné des lésions corporelles graves peuvent être condamnées à la peine capitale dans la pratique. D'une façon générale, la peine de mort n'est pas prononcée dans les autres cas, et elle n'est maintenue que pour sa valeur dissuasive. Il est prévu de ramener à trois les crimes qui en sont passibles : terrorisme, génocide et meurtre prémédité avec circonstances aggravantes. S'il est vrai que 150 à 160 condamnations à mort ont été prononcées depuis 1993, le chiffre des exécutions est très loin d'être aussi élevé, puisque 3 condamnés ont été exécutés en 1993 et 13 en 1994.

 

34.     Pour ce qui est du délai qui s'écoule avant qu'une décision de commutation de peine ou d'octroi de la grâce ne soit prise, il serait évidemment souhaitable de l'écourter, mais il est aussi nécessaire d'éviter tout risque d'erreur judiciaire, ce qui explique les trois ou quatre mois pendant lesquels les condamnés doivent souvent attendre.

 

35.     Un membre du Comité s'est déclaré préoccupé par le nombre de suicides dans les forces armées russes, ce qui est malheureusement une réalité, encore que la tendance soit nettement à la baisse, probablement à la suite des mesures énergiques qui ont été prises pour améliorer la situation des militaires. Le problème est d'ordre moral et psychologique et non pas d'ordre législatif.

 

36.     En ce qui concerne la police, il faut bien voir que la majorité de ses éléments sont respectueux de l'ordre et de la discipline, et qu'ils appliquent toutes les règles militaires et civiles quand ils défendent la sécurité des citoyens. Deux millions d'infractions sont commises tous les ans, et dans 60 % des cas, c'est à la police que l'on doit la découverte du responsable. Tout élément de la police qui se rend coupable d'abus de pouvoir - et il existe des abus comme partout dans le monde - est sanctionné et démis de ses fonctions. Les cas dans lesquels les éléments des forces de l'ordre peuvent faire usage d'une arme à feu sont dûment prévus par la loi, et on peut dire que, d'une façon générale, les Principes de base de l'ONU sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois sont respectés. On ne peut nier que certains fassent un usage illégal des armes à feu, et les contrôles systématiques qui ont été faits ont permis de constater six cas d'utilisation abusive des armes à feu depuis le 1er janvier 1995. Tout citoyen qui s'estime victime d'un abus de pouvoir de la part d'un fonctionaire de police peut porter plainte auprès de l'autorité judiciaire.

 

37.     Mme ZAVADSKAYA (Fédération de Russie) répond aux questions qui relèvent du droit civil. Toute personne peut s'adresser aux tribunaux civils pour obtenir d'être rétablie dans ses droits. Aucune disposition du Code de procédure civile n'exclut qui que ce soit du bénéfice de cette faculté, et le principe de l'égalité des citoyens devant la loi et devant les tribunaux est garanti au civil comme au pénal. La Fédération de Russie étant, comme on l'a déjà souligné, un Etat plurinational, l'un des principes fondamentaux de l'administration de la justice est la possibilité d'utiliser sa propre langue; les juges parlent russe mais les services d'un interprète sont toujours assurés. Pour ce qui est des recours, il existe le recours en réformation, c'est-à-dire que le tribunal qui a rendu une décision peut revenir sur son jugement, et le pourvoi en cassation en cas de vice de forme.

 

38.     Pour ce qui est de la situation des femmes, il y a lieu de préciser qu'en 1994, 34 millions de femmes travaillaient dans l'agriculture, soit la moitié de la main-d'oeuvre dans ce secteur. Toujours en 1994, le nombre des femmes au chômage s'élevait à 567 000 environ, soit 77,9 % du total des chômeurs. La tendance est à une augmentation du chômage des femmes, situation très regrettable qui fait l'objet d'une attention particulière sur le plan national, y compris évidemment de la part des organisations féminines. Il faut bien voir qu'il s'agit d'un chômage structurel et que les femmes sont les premières touchées, surtout dans les professions de la santé, de l'éducation et de la comptabilité, où la main-d'oeuvre est à 70 % féminine. L'égalité des salaires n'est pas assurée et la discrimination à d'autres égards existe aussi, plus ou moins grave selon les secteurs. Les organisations non gouvernementales et l'Etat, bien conscients du problème, s'efforcent de trouver les moyens d'y remédier. Les violences à l'égard des femmes, en particulier au foyer, sont également un problème aigu, qui n'est pas occulté dans le pays et qui est au contraire souvent dénoncé dans la presse. Des lignes téléphoniques ont été ouvertes pour apporter une aide psychologique et administrative aux femmes victimes de violences, et des centres d'accueil pour femmes battues hébergent les victimes, seules ou accompagnées de leurs enfants, pendant quelques mois.

 

39.     M. KOVALEV (Fédération de Russie) confirme le chiffre de 60 000 plaintes formulées par des détenus qui dénonçaient la durée de la détention avant jugement, chiffre cité par l'un des membres du Comité. La tendance reste inchangée et les autorités de la Fédération de Russie cherchent à améliorer la situation dans les prisons en mettant en oeuvre divers plans et mesures qui découleront du nouveau code de procédure pénale en cours d'élaboration. Il sera tenu compte des observations du Comité quand le Bureau du procureur et le Parlement examineront la question des conditions de détention dans le cadre de l'adoption du nouveau code pénal, déjà approuvé en première lecture. La durée de la garde à vue fera également l'objet d'une révision puisqu'il s'agit d'un décret présidentiel et que le Président de la Fédération a déclaré que ses décrets visaient à combler des lacunes pendant la période de transition et cesseraient d'avoir effet dès que de nouvelles lois auraient été promulguées. Il est certain que la durée de la garde à vue et de la détention avant jugement est souvent excessive. La recommandation tendant à libérer sans formalités l'individu qui a passé un temps indu en détention provisoire est quasiment réalisée dans la Fédération de Russie, puisque récemment a été mis au point un système de libération sous caution et a été créé un organe chargé d'examiner les possibilités de commuer les peines privatives de liberté en d'autres peines, par exemple l'interdiction de quitter le pays. Ces deux mesures devraient sensiblement améliorer la situation.

 

40.     Le recours plus large à d'autres peines que l'emprisonnement est effectivement une solution souhaitable qui va dans le sens de la politique des autorités en matière pénale et qui est de plus en plus appliquée dans les faits. Dans le nouveau code pénal, il est prévu des peines substitutives qui pourront concerner jusqu'à 60 % des infractions.

 

41.     Mme ZAVADSKAYA (Fédération de Russie) évoque la question des personnes détentrices de secrets d'Etat. La loi sur les secrets d'Etat du 21 juillet 1993 énonce en son article 5 les motifs pour lesquels un individu peut être considéré comme étant en possession de secrets de cette nature ainsi que tous les faits qui ne sauraient constituer des secrets d'Etat. Quiconque se voit refuser un visa de sortie au motif qu'il est détenteur d'un secret d'Etat peut porter plainte devant les tribunaux. Il est vrai que, comme l'a dit un membre du Comité, l'on peut très bien avoir eu connaissance, dans le cadre de charges officielles, de secrets d'Etat, sans pour autant représenter un danger et devoir être interdit de sortie. Mme Zavadskaya ignore si un cas de refus du passeport pour ce motif s'est produit, mais elle ne l'exclut pas et ne manquera pas de faire les vérifications nécessaires. En tout état de cause, il existe une commission gouvernementale expressément chargée de connaître des affaires liées aux interdictions de sortie du territoire dans le cas des personnes détentrices de secrets d'Etat, commission qui est également saisie des plaintes pour refus de délivrance d'un passeport pour le même motif. En ce qui concerne le délai d'attente avant de pouvoir quitter le territoire, il faut préciser que le Parlement a été saisi d'un projet de loi qui régira les conditions de sortie. Toutes ces questions étant liées, il est probable que l'adoption définitive de cette deuxième loi entraînera un réexamen de la loi sur les secrets d'Etat elle-même.

 

42.     M. KOVALEV (Fédération de Russie) répond à la préoccupation exprimée par un membre du Comité au sujet des personnes internées en hôpital psychiatrique. Il faut savoir que tout individu qui présente un symptôme de maladie psychiatrique dangereuse pour la société fait l'objet d'un examen médical professionnel dans le cadre d'une procédure particulière qui vise aussi à protéger ses droits. Aucune personne atteinte de maladie mentale ne peut faire l'objet d'un traitement médical sans décision judiciaire, et cette règle ne souffre aucune dérogation. Pour ce qui est des personnes qui ont été placées en hôpital psychiatrique sous le régime communiste, les autorités ont entrepris une vérification générale, à la suite de laquelle un certain nombre de personnes arbitrairement internées ont été libérées. Maintenant, des contrôles sont effectués sur dénonciation spécifique. Rien n'indique qu'il y ait eu des obstacles et que quiconque ait cherché à entraver le cours de ces vérifications.

 

43.     En ce qui concerne la sécurité nucléaire, il est certain qu'aucune difficulté d'ordre économique et financier ne peut justifier le moindre relâchement de la sécurité dans les installations visées. Les autorités s'efforcent, dans la mesure de leurs ressources limitées, de renforcer la sécurité, et il faut savoir qu'alors que dans certains secteurs les travailleurs n'ont pas été payés depuis parfois des mois, le personnel des installations nucléaires n'a jamais cessé de percevoir ses salaires. C'est là le minimum que les autorités puissent faire du point de vue économique, mais d'autres mesures spécifiques relevant par exemple du Ministère de l'intérieur et de services techniques spéciaux sont également prises, notamment pour faire en sorte que les ingénieurs nucléaires ne soient pas tentés d'émigrer.

 

44.     Pour ce qui est de la publicité faite au Pacte, il est vrai que la population connaît relativement peu les instruments internationaux, raison pour laquelle le Président a pris un décret comportant des mesures visant à inculquer au public des rudiments de connaissances juridiques. Un membre du Comité s'est inquiété de la possibilité, pour les délégués du Comité international de la Croix-Rouge, de se rendre dans des lieux de détention, et a signalé des cas où ils en avaient été empêchés. M. Kovalev déclare qu'en tant que Ministre de la justice, il répond toujours personnellement aux demandes du CICR reçues par son Cabinet. Si les délégués du CICR rencontrent des difficultés pour se rendre dans tel ou tel lieu de détention, c'est en raison de problèmes logistiques, de difficultés de coordination, et non du fait d'entraves motivées par des considérations politiques.

 

45.     Mme ZAVADSKAYA (Fédération de Russie) déclare, en ce qui concerne la liberté de la presse, que le nouveau Code civil prévoit des garanties protégeant la réputation et l'honneur des citoyens, et que tout acte pouvant être qualifié de diffamatoire peut faire l'objet d'une procédure en justice. Les tribunaux déterminent le dommage matériel mais aussi le préjudice moral. Il existe à Moscou une étude d'avocats spécialisés dans les affaires de diffammation, qui traite d'affaires nombreuses. Le Président de la Fédération a pris un décret pour placer la télévision et les autres organes d'information sous le contrôle de la loi et renforcer ainsi la protection des citoyens.

 

46.     Répondant ensuite aux questions concernant la loi sur les objecteurs de conscience, Mme Zavadskaya précise que ce projet de loi complexe, qui est en cours d'élaboration depuis 1993, a été finalement adopté en première lecture par la Douma en 1994 seulement, et doit être adopté en deuxième puis en troisième lecture avant de produire ses effets. En ce qui concerne la durée du service civil qui est proposé en remplacement du service militaire, elle est inchangée, alors qu'il avait été envisagé de l'allonger.

 

47.     M. KOVALEV (Fédération de Russie) répond à une question de M. El Shafei concernant l'examen par le Président des plaintes émanant des citoyens. En 1994, le département qui s'occupe des plaintes écrites a été saisi de 40 000 plaintes émanant des citoyens. Après avoir examiné les communications individuellement, il les transmet au service concerné; au besoin, les plaintes sont soumises à des spécialistes. Si le département constate qu'une plainte fait apparaître une violation de la loi résultant d'actes accomplis par certains services ou leurs agents, cela nécessite une enquête, et la plainte est confiée à un groupe placé sous le contrôle du Président de la Fédération qui est chargé de mettre en cause le fonctionnaire dont la responsabilité est engagée.

 

48.     En ce qui concerne les événements de Tchétchénie, des mesures ont été prises pour que la responsabilité des auteurs de violations soit pleinement établie. Il ne s'agissait pas seulement des criminels qui avaient pu sévir après le début de l'opération fédérale engagée pour faire respecter la loi constitutionnelle en Tchétchénie, mais aussi des responsables fédéraux eux-mêmes qui avaient pu se rendre coupables de violations. Le Président de la Fédération a nommé une commission d'enquête composée de représentants du Président, du Parlement et de différents ministères, laquelle a examiné tous les éléments et a constaté que la responsabilité de fonctionnaires était engagée dans ces événements. Cette commission va présenter prochainement au Président un rapport spécial dans lequel elle exposera ses conclusions sur tous les aspects des événements de Tchétchénie et sur les responsabilités des personnes mises en cause.

 

49.     M. Kovalev répond ensuite à une observation de M. Bán, qui, évoquant la possibilité de traduire une personne très rapidement en justice, a cité en exemple certaines règles du droit anglo-saxon. Cette observation pourra certes être prise en compte au stade de l'élaboration des projets de loi pertinents, mais de nombreux députés et membres de la Douma sont d'un avis tout à fait contraire.

 

50.     Mme ZAVADSKAYA (Fédération de Russie), répondant à une question concernant les écoutes téléphoniques, rappelle qu'en vertu de l'article 23 de la Constitution, la nécessité de respecter le secret de la correspondance et des télécommunications ne souffre aucune dérogation, si ce n'est en vertu d'une décision judiciaire. En URSS, en revanche, ce droit faisait l'objet de nombreuses violations sur instructions officielles. Aujourd'hui, la Fédération de Russie s'est dotée d'une règle constitutionnelle qui garantit les droits des citoyens grâce à un mécanisme institué par la loi.

 

51.     M. KOVALEV (Fédération de Russie) répond aux questions de Mme Evatt sur les conditions qui règnent dans les prisons. Il précise que les règles concernant le traitement des détenus ne sont pas considérées comme une information confidentielle, contrairement à la pratique suivie sous le régime précédent. Tous les textes concernant cette question doivent d'ailleurs être publiés par les différentes composantes de la Fédération, ce qui signifie que la population dans son ensemble pourra en prendre connaissance.

 

52.     Le contrôle du respect des nouvelles règles relatives aux établissements pénitentiaires ne dépend pas du Ministère de l'intérieur, mais directement du Cabinet du Président de la Fédération de Russie. Si une violation est constatée, la justice de la Fédération peut être saisie. En ce qui concerne le rapport de M. Rodley, Rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme sur la torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants dans la Fédération de Russie (E/CN.4/1995/34/Add.1), il y a lieu de préciser que le problème des violences et des mesures à prendre à ce sujet est étudié dans le cadre plus général de l'application des lois dans son ensemble.

 

53.     En réponse à M. Bruni Celli, qui a demandé si la loi réprimait la torture pratiquée sur les prisonniers, la délégation russe déclare que le Code pénal n'emploie par le terme de "torture", mais réprime des cas concrets et précis de sévices physiques ou psychiques infligés aux détenus. Quant à la question de savoir si des témoignages ou des aveux obtenus sous la torture pourraient être utilisés comme éléments de preuve dans une procédure pénale, cela est tout à fait exclu par la loi.

 

54.     M. Klein a demandé pourquoi la loi abolissant le système des permis de résidence ou passeports intérieurs n'est pas appliquée à Moscou et à Saint-Pétersbourg. Il faut préciser que ladite loi a suscité une violente opposition dans les différentes républiques, en raison notamment de la montée de la criminalité, et qu'en conséquence sa mise en application n'est pas immédiate mais se fait progressivement. La délégation russe souligne en outre qu'aucun recours n'a été formé devant la Cour constitutionnelle à l'encontre des dispositions qui sont en vigueur à Moscou et Saint-Pétersbourg.

 

55.     Mme ZAVADSKAYA (Fédération de Russie) déclare, en réponse à une question de M. Klein, qu'effectivement, la loi en vigueur concernant le droit pour toute personne de quitter son pays prévoit une exception dans le cas de ceux qui n'ont pas accompli leurs obligations militaires; pour obtenir un passeport, ces personnes doivent avoir l'autorisation de leur commandant. Un projet de loi qui ne comporte pas cette restriction a déjà été adopté en première lecture.

 

56.     Les organisations religieuses ne font pas l'objet de restrictions, si ce n'est l'obligation d'être enregistrées. Ne peuvent être enregistrées les organisations de nature à causer un préjudice moral à la société en général ou à leurs membres, ni les organisations religieuses qui ne sont pas déjà enregistrées dans leur pays d'origine. Quant au problème que posent les biens des organisations religieuses, il revêt une ampleur considérable et il a été examiné par le Parlement. Il ne s'agit du reste pas seulement de restituer les édifices religieux mais aussi d'en construire de nouveaux.

 

57.     M. KOVALEV (Fédération de Russie) répond à M. Prado Vallejo, qui a demandé si les personnes ayant participé à la répression organisée sous l'ancien régime seraient poursuivies. C'est une possibilité qui n'est pas exclue, mais il faut pour cela disposer d'éléments concrets, procéder à des enquêtes difficiles et agir en respectant les restrictions prévues par la loi, notamment pour ce qui est des délais. On a fait remarquer que dans de trop nombreux cas les dirigeants des prisons avaient participé à la répression autrefois. A ce sujet, la délégation russe pense qu'il faut faire preuve d'une grande circonspection et que chaque cas doit être étudié individuellement.

 

58.     M. BRUNI CELLI rappelle la question qu'il a posée à propos de la torture, car la réponse de la délégation russe ne lui semble pas tout à fait correspondre aux cinq points qu'il a abordés. Premièrement, la torture est-elle qualifiée de délit dans la loi pénale de la Fédération de Russie ? Deuxièmement, si tel est le cas, quelles sont les peines applicables aux auteurs de ces actes ? Troisièmement, y a-t-il des statistiques sur le nombre de plaintes déposées pour torture ? Quatrièmement, quelle est la procédure à suivre pour les plaintes émanant des détenus ? Cinquièmement, les aveux obtenus sous la torture ont-ils une valeur juridique ?

 

59.     M. KOVALEV (Fédération de Russie) précise sa réponse en indiquant que la législation pénale russe ne connaît pas le terme de "torture" mais parle plutôt de violences, sévices ou mauvais traitements. La procédure à suivre pour les plaintes est en fait une procédure générale selon laquelle tout détenu peut adresser une plainte au procureur sans que l'administration de l'établissement pénitentiaire puisse l'en empêcher. Le procureur quant à lui est tenu d'examiner la plainte et doit prendre les mesures qui sont prévues en pareil cas. Le Code de procédure pénale de la Fédération de Russie, dans ses articles 108 à 113, oblige le procureur à entamer une procédure dans chaque cas de plainte pour torture. Enfin, les aveux extorqués sous la torture n'ont absolument aucune valeur juridique : cette règle figure bien dans la législation russe.

 

60.     M. Kovalev déclare que la délégation russe pense avoir répondu à toutes les questions qui ont été posées et qu'elle s'est efforcée de le faire de manière objective, sans rien occulter. De nombreux aspects du dialogue qui a eu lieu entre le Comité et la délégation lui paraissent très importants, notamment les problèmes liés à la Tchétchénie. Pour la délégation, les droits de l'homme, sur le territoire de la République de Tchétchénie, doivent être absolument respectés; d'ailleurs, la Commission de contrôle provisoire ainsi que d'autres organismes de la Fédération sont du même avis, à savoir que tous ceux qui ont violé les droits de l'homme devront répondre de ce fait, avec toutes les conséquences que cela implique, qu'il s'agisse de fonctionnaires de la Fédération de Russie ou d'éléments des groupes armés illégaux.

 

61.     Toutes les recommandations qui ont été faites par les membres du Comité seront examinées avec grand soin; elles seront regroupées et classées par rubrique, puis envoyées aux différents services ou organismes concernés.

Il serait certes téméraire d'affirmer que toutes ces recommandations seront suivies d'effet pratique, mais elles seront dûment prises en considération.

62. Le PRESIDENT invite les membres du Comité à présenter leurs observations individuelles sur le dialogue qui vient d'avoir lieu entre la délégation de la Fédération de Russie et le Comité.

 

63.     M. KRETZMER remercie la délégation russe des efforts réels qu'elle a faits pour répondre aux questions des membres du Comité, lesquels mesurent tout à fait l'ampleur des problèmes que pose à l'Etat partie cette période de transition.

 

64.     A son avis, la délégation a trop insisté sur la législation et les modifications apportées à cette législation, alors que le Comité s'intéresse davantage à ce qui est fait dans la pratique, c'est-à-dire à la manière dont la loi est appliquée. Il serait souhaitable que le prochain rapport périodique contienne davantage d'informations sur ce qui se fait concrètement.

 

65.     Deuxièmement, M. Kretzmer prend acte avec satisfaction de l'annonce selon laquelle des enquêtes approfondies seraient faites sur les actes commis en Tchétchénie et les responsables seraient traduits en justice. Le Comité s'attend à une enquête sérieuse sur toutes les allégations de violation des droits énoncés dans les articles 6, 7, 9 et 10 du Pacte, afin que les responsables soient poursuivis, quel que soit leur rang dans la hiérarchie, et que les victimes soient indemnisées.

 

66.     Troisièmement, les conditions qui règnent dans les prisons de la Fédération de Russie ne peuvent être tolérées plus longtemps. Puisque le Pacte prime sur la loi interne dans la Fédération de Russie, ce sont les dispositions de l'article 10 qui doivent servir de normes et, si ces normes ne peuvent être respectées, il faut que les détenus sortent de prison. Les facteurs économiques ne peuvent justifier des pratiques telles que le refus d'autoriser les visites des familles ou des exercices physiques limités à 10 minutes par mois.

 

67.     Quatrièmement, la délégation n'a pas fourni de réponse valable sur la question du traitement des jeunes recrues dans l'armée. On comprend mal qu'une organisation qui est fondée sur la discipline et la hiérarchie ne puisse résoudre de tels problèmes. Il faut une volonté ferme des dirigeants politiques pour mettre un terme aux pratiques actuelles, et les premiers sanctionnés doivent être les chefs d'état major. En conclusion, M. Kretzmer rappelle que les observations du Comité sont dictées par le souci d'améliorer la situation des droits de l'homme dans toute la Fédération de Russie.

 

68.     Mme MEDINA QUIROGA met l'accent pour sa part sur la situation des femmes, qui est loin d'être enviable dans la Fédération de Russie. Elle regrette que la question soit si brièvement traitée dans le rapport. Il est évident que, dans le contexte actuel de chômage structurel, les femmes seront les premières à perdre leur emploi si la législation les cantonne dans le rôle de gardiennes du foyer et d'éducatrices des enfants. Alors que la prostitution pose un problème grave dans le pays, la seule chose que l'on apprend en lisant le rapport (par. 113, CCPR/C/84/Add.2) est que "les prostituées peuvent être reconnues comme responsables administrativement en vertu du Code des délits administratifs". Par ailleurs, on sait que le viol et les violences domestiques sont loin d'être rares. Mme Zavadskaya s'en est du reste fait l'écho. On lit, au paragraphe 46 du rapport, que "la famille, les femmes et les enfants souffrent du retard pris par le développement du système juridique régissant les relations familiales" et, au paragraphe 47, que "l'élaboration d'une législation sur l'égalité des chances entre hommes et femmes et sur l'égalité devant l'emploi est actuellement à l'étude". Comment ne pas relever le contraste qui apparaît par rapport à l'importance qui est accordée aux problèmes des éléments des forces armées, par exemple, lesquels préoccupent et occupent beaucoup les autorités ? Mme Medina Quiroga souhaite qu'un effort sérieux soit entrepris dans la Fédération de Russie pour modifier les stéréotypes culturels concernant le rôle de l'homme et de la femme et pour modifier la législation afin que les femmes puissent réellement exercer leurs droits.

 

69.     Comme les autres membres du Comité, Mme Medina Quiroga est atterrée par les destructions subies par des zones civiles en Tchétchénie, d'autant plus que pour "justifier" cela, on a déclaré que le Gouvernement tchétchène avait violé les droits de l'homme. En revanche, elle a été réconfortée par les propos que vient de tenir M. Kovalev, et elle forme des voeux pour que la Fédération de Russie poursuive sa marche vers la démocratie. Même pour cela, précisément, elle engage vivement les autorités à procéder à des enquêtes approfondies sur les violations des droits de l'homme commises en Tchétchénie et à traduire en justice les personnes soupçonnées d'en être les auteurs.

 

70.     Mme CHANET souligne tout d'abord les aspects positifs de l'échange qui a eu lieu entre la délégation russe et le Comité, et à cet égard elle signale notamment les projets de loi en cours d'élaboration, en particulier le projet de loi contre le fascisme et la haine raciale, le projet de loi instaurant un système de service militaire de substitution, et la réforme du Code pénal et du Code de procédure pénale. Elle est heureuse d'apprendre que la garde à vue sera réglementée même en période d'urgence pour tenir compte de l'article 9 du Pacte, et que vont être prévues des peines se substituant à l'emprisonnement. Cependant, il ne s'agit encore que de projets, et il faut bien reconnaître que le décalage reste important entre la loi et la pratique.

 

71.     Beaucoup d'interrogations demeurent sur la base juridique de l'intervention russe en Tchétchénie. Toutes les réponses qui ont été données portent sur l'application de la Constitution dans une république qui, quelles qu'en soient les raisons, n'a pas approuvé cette Constitution par référendum. De même, la position de la Fédération russe sur la non-application du Protocole II additionnel aux Conventions de Genève a donné lieu à des explications peu cohérentes. D'autre part, en ce qui concerne les bombardements dirigés contre des bâtiments civils, il est difficile d'accepter la thèse selon laquelle des hôpitaux et des écoles ont été bombardés parce que des terroristes se trouvaient à l'intérieur.

 

72.     Les préoccupations de Mme Chanet concernent également l'article 4 du Pacte (aucune situation d'urgence ne doit échapper aux règles de cet article), l'article 7, au sujet duquel il faut rappeler que dans le cas de la Russie l'impunité demeure le problème majeur selon M. Rodley, Rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme, l'article 9 et le fait que le procureur détient des pouvoirs qui devraient revenir au juge, l'article 10 et les conditions dans les prisons et, enfin, l'article 12 et la législation sur les secrets d'Etat, qui paraît laisser trop de place à l'arbitraire. Mme Chanet souhaite que la Fédération de Russie prenne en considération les observations du Comité, et elle exprime l'espoir que le cinquième rapport périodique présentera une législation rénovée ainsi que des pratiques conformes à cette législation rénovée.

 

73.     M. EL SHAFEI déclare que l'échange de vues qui vient d'avoir lieu entre la délégation russe et le Comité est venu encore confirmer les difficultés qu'éprouve la Fédération de Russie, pendant cette période de transition, pour modifier sa législation et la mettre en conformité avec le Pacte, et aussi pour garantir dans la pratique la protection des droits énoncés dans le Pacte. De nombreuses préoccupations ont été exprimées, dont les plus graves concernent les conditions régnant dans les prisons, les brimades infligées aux recrues dans l'armée, les restrictions à la liberté de circulation, enfin la discrimination ethnique et sexuelle qui, en quelque sorte, se pratique officiellement.

 

74.     Du côté positif, il faut signaler que des élections libres et honnêtes se sont déroulées en décembre 1993 et ont permis d'adopter une nouvelle Constitution où figurent en bonne place les normes de la protection des droits de l'homme. Le Parlement a élaboré une loi portant création d'un ombudsman pour les droits de l'homme. D'autre part, la Commission des droits de l'homme créée par le Président de la Fédération en novembre 1993 a publié un premier rapport très critique sur la pratique du gouvernement en ce qui concerne ces droits fondamentaux.

 

75.     Malheureusement, pendant la même période, le Président de la Fédération a pris de nombreuses mesures qui enfreignent les libertés civiles, et cela au nom de la lutte contre la criminalité. Il a autorisé des perquisitions arbitraires et des mesures de détention d'une durée de 30 jours sans inculpation. Il a pris le contrôle direct des médias ainsi que de deux agences de presse. En 1992 et 1993, des éléments des forces armées russes ont attaqué des civils et commis des violations du droit de la guerre; mais ils n'ont toujours pas été identifiés ni sanctionnés. M. El Shafei espère que les nombreuses observations et recommandations formulées par les membres du Comité seront transmises aux autorités de la Fédération de Russie.

 

76.     M. BUERGENTHAL est heureux de constater que le Gouvernement russe a reconnu l'obligation qu'il avait de veiller à ce que les droits de l'homme soient respectés en Tchéchénie par les deux parties, et que le Comité international de la Croix-Rouge devait avoir accès sur ce territoire à toutes les zones du conflit, que celui-ci soit considéré comme interne ou non. La Fédération de Russie a manifestement hérité de nombreux problèmes graves qui ne peuvent être réglés instantanément, et il ne fait aucun doute que les autorités russes déploient tous leurs efforts pour les résoudre, ce en quoi elles méritent l'appui et les encouragements de la communauté internationale. Certes, beaucoup reste encore à faire et, à cet égard, M. Buergenthal se réfère en particulier à la situation dans les établissements pénitentiaires et aux agissements des forces de police, mais il faut espérer que les progrès se poursuivront sur la voie du renforcement de la démocratie et de l'instauration de la primauté du droit dans la Fédération de Russie.

 

77.     M. KLEIN est conscient de la tâche considérable à laquelle la Fédération de Russie est encore confrontée pour faire en sorte que les droits de l'homme soient pleinement respectés dans le pays, que les responsables des violations soient châtiés et que les victimes soient, si possible, indemnisées. D'énormes difficultés subsistent, notamment dans le domaine économique, mais elles ne doivent en aucune manière servir de prétexte à la persistance des violations des droits de l'homme. Le principal problème qui se pose tient apparemment au fait que, malgré les progrès déjà accomplis, la valeur de l'individu n'est toujours pas reconnue par les plus hautes autorités. En ce qui concerne la question de la Tchétchénie en particulier, le Comité n'a guère reçu de réponses satisfaisantes, les explications données ne correspondant pas généralement aux informations émanant de sources non gouvernementales. Il faut espérer que le gouvernement de l'Etat partie fera à l'avenir davantage d'efforts pour assurer la protection et la promotion des droits de l'homme, tenant compte en cela non seulement des dispositions du Pacte, mais aussi des recommandations faites par le Comité.

 

78.     M. PRADO VALLEJO se félicite de l'esprit de coopération dont a fait preuve la délégation russe et des réponses claires qu'elle a apportées aux questions des membres du Comité. Il reste néanmoins préoccupé par la situation en Tchétchénie et par l'usage immodéré de la force et de la violence dans le territoire, comportement de l'armée russe qui a naturellement entraîné de graves violations des droits de l'homme à l'encontre de la population.

 

79.     Il ne fait aucun doute que de grands progrès ont été réalisés dans la réforme des textes de loi, mais il semble que, dans la pratique, la situation n'ait malheureusement pas changé, que les tortures et les mauvais traitements soient toujours chose courante dans les centres de détention et que les mesures d'arrestation et de détention arbitraires soient tout aussi nombreuses que par le passé. C'est pourquoi il importe, pour susciter une amélioration de la situation dans la pratique, qu'entre autres choses les débats se poursuivent, dans les établissements d'enseignement et les universités, en ce qui concerne les principes énoncés dans le Pacte, de façon à encourager au maximum la mise en place de mécanismes propres à promouvoir la défense des droits de l'homme.

 

80.     M. ANDO remercie la délégation russe de s'être efforcée de répondre à toutes les questions posées par les membres du Comité. Il s'associe à toutes les suggestions concrètes formulées à l'intention du gouvernement de l'Etat partie, lesquelles seront dûment reflétées dans les observations finales qui seront adoptées par le Comité. Il convient, dans le cas de la Fédération de Russie, de tenir compte tout particulièrement de l'immensité du pays, ainsi que de la multiplicité des populations qui le composent, et de rappeler que toute hâte, dans la transition d'un régime à un autre, dans un tel contexte, risque d'entraîner, comme l'histoire l'a prouvé, la dictature et la suppression des valeurs démocratiques. Il faut donc espérer que la Fédération de Russie traversera la période de transition dans laquelle elle est engagée sans la précipitation qui risquerait de porter atteinte à la dignité et aux droits fondamentaux des individus. M. Ando se félicite à cet égard de ce que le niveau d'éducation, parmi la population russe, soit généralement élevé, ce qui est de bon augure pour la garantie des droits de l'homme dans le pays. Il espère que le cinquième rapport périodique de la Fédération de Russie fera aussi état de progrès dans ce domaine.

 

81.     M. BÁN rappelle que de profonds changements sont survenus dans la Fédération de Russie au cours des dernières années, ce qui a conduit à la mise en place d'un cadre politique, constitutionnel et juridique plus propice au respect des droits de l'homme et de la primauté du droit. En outre, le processus de démocratisation des institutions se poursuit, aspect positif qui sera souligné dans les observations finales du Comité. Toutefois, la liste des aspects négatifs est aussi relativement longue. Ainsi, il semble que les dispositions des nouvelles lois démocratiques adoptées ne soient pas encore traduites dans la réalité. Par exemple, il reste encore beaucoup à faire pour que le système judiciaire russe soit pleinement conforme aux dispositions des articles 9 et 14 du Pacte. Il est évident en outre que la Fédération de Russie doit se comporter différemment face aux conflits résultant du caractère multinational et pluriculturel du pays. En effet, même en cas de soulèvement illégal ou inconstitutionnel, aucun Etat partie au Pacte ne peut s'autoriser à employer des méthodes qui sont en contradiction évidente avec les dispositions du Pacte. Il faut espérer que les aspects positifs prévaudront désormais dans la Fédération de Russie et que le dialogue entrepris avec le Comité aura été utile à cet égard.

 

82.     M. FRANCIS relève en particulier, parmi les problèmes auxquels la Fédération de Russie doit encore faire face, celui du surpeuplement des prisons, situation qui lui paraît inacceptable. A son avis, des mesures radicales devraient être prises, compte tenu du fait que le surpeuplement est dû en partie au nombre considérable des personnes qui ont été incarcérées sous l'ancien régime communiste et dont certaines n'ont même pas encore été jugées. Ainsi, les autorités pourraient envisager des mesures d'amnistie, de grâce et de libération conditionnelle. Elles pourraient également envisager de relever l'âge de la responsabilité pénale, qui est actuellement de 14 ans, et d'offrir aux petits délinquants la possibilité d'une réinsertion sociale en milieu non carcéral.

 

83.     M. Francis espère que le prochain rapport périodique de la Fédération de Russie sera satisfaisant en tous points et qu'en attendant la délégation transmettra aux autorités russes toutes les suggestions faites par les membres du Comité.

 

84.     M. BRUNI CELLI se félicite des progrès accomplis dans la Fédération de Russie au cours de la période difficile du passage du régime communiste à la démocratie. Il constate que les lois et les institutions ont été largement modifiées mais il souligne qu'il importe également que les normes soient appliquées, ce qui suppose en particulier une volonté politique de la part du pouvoir et des membres du gouvernement. Par ailleurs, le passé autocratique de la Russie ne peut en aucune manière excuser les violations des droits de l'homme qui sont actuellement commises, notamment en Tchétchénie, et les difficultés économiques ne sauraient non plus expliquer à elles seules l'augmentation de la délinquance. Néanmoins, M. Bruni Celli remercie vivement la délégation russe de toutes les réponses qu'elle a apportées aux questions posées par les membres du Comité.

 

85.     M. BHAGWATI remercie la délégation russe d'avoir exposé de manière franche et directe la situation dans la Fédération de Russie. Ayant entendu les explications fournies, il recommande, tout d'abord, de renforcer les principes de base garantissant l'indépendance du pouvoir judiciaire et de ne pas laisser la nomination, la suspension ou la révocation des juges à la responsabilité d'une seule personne, aussi haut placée soit-elle. Deuxièmement, le gouvernement devrait remédier à la situation déplorable des établissements pénitentiaires, où les détenus sont apparemment soumis à toutes sortes de brutalités et de mauvais traitements de la part du personnel. En outre, il semble que nombre de détenus soient privés du droit de voir un avocat ou de bénéficier de l'aide judiciaire, ce qui est également inacceptable. Enfin, en ce qui concerne la peine capitale, M. Bhagwati se félicite de constater que, bien que le nombre de condamnations à mort soit d'environ 150 par an, les exécutions sont très rares. Il s'inquiète néanmoins du nombre considérable des personnes qui sont maintenues dans le quartier des condamnés à mort pendant de longues années; en effet, selon un rapport du Conseil de l'Europe, elles étaient plus de 500 en août 1993. A cet égard, il faudrait en particulier que les décisions concernant les commutations de peine soient prises au plus tard dans les trois mois qui suivent la condamnation.

 

86.     M. Bhagwati note, malgré les diverses préoccupations exprimées, que la Fédération de Russie a fait de grands progrès sur la voie de la démocratie et du respect de la primauté du droit, et il encourage le peuple russe dans la poursuite de ses efforts.

 

87.     Mme EVATT précise tout d'abord que les allégations de viols en Tchétchénie ont été faites lors d'un séminaire qui s'est tenu en mai 1995 à Saint-Pétersbourg et dont les conclusions lui ont été transmises par un groupe dénommé "Citizens Control". En ce qui concerne ensuite l'application de l'article 27 du Pacte, elle rappelle que les droits de toutes les minorités, linguistiques, culturelles ou religieuses, doivent être protégés, et non pas seulement les droits des minorités nationales. A propos des conditions de détention avant jugement, elle considère qu'il s'agit là de violations permanentes des droits énoncés dans le Pacte et que, si la libération est la seule solution, c'est cette solution qui doit intervenir. En ce qui concerne les problèmes des femmes, que le passage à la démocratie a fait apparaître au grand jour, il se peut qu'il soit nécessaire de créer un ministère de la condition féminine chargé de coordonner toutes les modifications qui devront être apportées à la législation et à la pratique.

 

88.     Toutefois, les mesures les plus urgentes à prendre consistent à enquêter sur le sort de toutes les personnes victimes du conflit en Tchétchénie, à rendre publics les rapports d'enquête et à faire cesser les violations répétées des droits de l'homme dans ce territoire. Il semble que, dans la Fédération de Russie, l'individu ne tienne encore guère de place dans la hiérarchie du pouvoir, et que de profonds changements d'attitude soient nécessaires, à partir du plus haut niveau du gouvernement. Il faut espérer que le dialogue entrepris avec le Comité contribuera à la création d'une culture des droits de l'homme dans le pays, et qu'à cette fin les résultats de ce dialogue seront largement diffusés parmi la population.

 

89.     M. POCAR déclare qu'il ne fait aucun doute qu'au cours des dernières années des progrès considérables ont été réalisés dans l'Etat partie sur la voie de la démocratie, en particulier dans le domaine de la législation. Il se félicite de l'annonce faite par la délégation selon laquelle la commission spéciale chargée d'enquêter sur les événements de Tchétchénie publiera bientôt les résultats de ses enquêtes, ce qui contribuera sans nul doute à lever l'un des obstacles les plus importants au rétablissement de la primauté du droit en Tchétchénie, à savoir le manque total de confiance de la population à l'égard des autorités chargées de la reconstruction de la République. A ce sujet, il serait peut-être utile d'introduire dans la commission spéciale une présence internationale, éventuellement par l'entremise du Centre pour les droits de l'homme, sans qu'il s'agisse d'une ingérence quelconque dans les affaires intérieures du pays. En effet, il incombe aux seules autorités russes, et non pas à la communauté internationale, d'enquêter sur les violations commises, de châtier les coupables et de dédommager les victimes, mais il semble qu'un pays comme la Fédération de Russie pourrait utilement tirer parti de l'aide internationale qui pourrait lui être apportée, renforçant ainsi ses institutions démocratiques.

 

90.     M. Pocar ne doute pas que les préoccupations exprimées par le Comité seront dûment prises en considération et que le prochain rapport périodique de la Fédération de Russie fera état de nouveaux progrès réalisés dans l'instauration d'un régime pleinement démocratique.

 

91.     Le PRESIDENT se félicite des changements intervenus dans la Fédération de Russie sur la voie de la démocratie et de la mise en place d'une économie de libre marché. Il s'inquiète néanmoins des restrictions directes et indirectes à l'exercice des droits individuels, limitations qui précisément, dans bien des cas, ont accompagné la mise en place de ce système d'économie de marché. A cet égard, il rappelle que les droits économiques et les droits civils sont indissociables et doivent être respectés globalement. A propos de l'article 16 de la loi sur le statut des membres des forces armées, il souhaiterait qu'il soit modifié pour signifier que l'armée n'est pas chargée de protéger uniquement la vie et la santé des forces armées, mais aussi celles de tous les civils.

 

92.     M. KOVALEV (Fédération de Russie) se félicite de l'excellente façon dont le quatrième rapport périodique de la Fédération de Russie a été examiné et du débat approfondi qui a eu lieu avec des experts de haut niveau, ce qui a permis à la délégation russe d'examiner les problèmes qui se posent sous un angle objectif en s'appuyant sur des opinions éclairées. Sans aucun doute, certaines divergences sont apparues, mais celles-ci doivent nécessairement se manifester pour faire apparaître la vérité. Même si les points de vue varient quelque peu, chacun est néanmoins convaincu de la nécessité de l'Etat de droit et du respect des droits de l'homme.

 

93.     La délégation russe a pris bonne note de toutes les observations faites par les membres du Comité. Les unes sont incontestablement fondées et la délégation les fait siennes, et les autres appellent une réflexion approfondie, sans conclusions hâtives. Toutes les observations et recommandations seront néanmoins dûment transmises aux plus hautes autorités de l'Etat, qui les analyseront avec toute l'attention qui s'impose.

 

94.     Le PRESIDENT déclare que le Comité a achevé l'examen du quatrième rapport périodique de la Fédération de Russie. Il remercie la délégation de sa coopération à un dialogue extrêmement fructueux. Il annonce que le cinquième rapport périodique de la Fédération de Russie est attendu pour le 4 novembre 1998.

 

95.     La délégation de la Fédération de Russie se retire.

 

La séance est levée à 18 h 10.

 

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