Distr.

GENERALE

CERD/C/SR.1298
27 octobre 1998


Original: FRANCAIS
Compte rendu analytique de la 1298e séance : Democratic Republic of the Congo, Jordan, Rwanda, Tonga. 27/10/98.
CERD/C/SR.1298. (Summary Record)

Convention Abbreviation: CERD
COMITÉ POUR L'ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE


Cinquante-troisième session


COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 1298e SÉANCE

tenue au Palais des Nations, à Genève,
le mardi 18 août 1998, à 15 heures

Président: M. ABOUL-NASR

puis: M. YUTZIS



SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS, OBSERVATIONS ET RENSEIGNEMENTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L'ARTICLE 9 DE LA CONVENTION (suite)

- Onzième, douzième et treizième rapports périodiques des Tonga

- Projet de conclusions du Comité concernant les neuvième à douzième rapports périodiques de la Jordanie

PRÉVENTION DE LA DISCRIMINATION RACIALE, MESURES D'ALERTE RAPIDE ET PROCÉDURES D'ACTION URGENTE (suite)

- Examen de la situation au Rwanda

- Projet de décision du Comité concernant la République démocratique du Congo


La séance est ouverte à 15 h 25.

EXAMEN DES RAPPORTS, OBSERVATIONS ET RENSEIGNEMENTS PRESENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L'ARTICLE 9 DE LA CONVENTION (point 4 de l'ordre du jour) (suite)

Onzième, douzième et treizième rapports périodiques des Tonga (CERD/C/319/Add.3)

1. Le PRÉSIDENT déclare qu'en l'absence de la délégation, le Comité procédera néanmoins à l'examen du rapport des Tonga.

2. M. LECHUGA HEVIA (Rapporteur pour les Tonga) déclare qu'une fois de plus le rapport des Tonga ne contient pas suffisamment de renseignements sur l'application des dispositions de la Convention dans le pays et n'est pas conforme aux directives du Comité concernant la présentation des rapports. Le Gouvernement du Royaume des Tonga affirme qu'il n'a aucune politique explicite relative à l'élimination de la discrimination raciale (par. 5 du rapport), d'où peut-être l'insuffisance des renseignements communiqués. Cela dit, il convient de noter la régularité avec laquelle l'État partie présente ses rapports. M. Lechuga Hevia aurait préféré qu'un représentant des Tonga réponde oralement aux questions du Comité mais il comprend les difficultés que cela peut causer aux Tonga du fait de leur éloignement et de leurs ressources limitées. Il rappelle que le Gouvernement des Tonga peut recourir aux services de consultation du Haut-Commissariat aux droits de l'homme pour préparer son rapport.

3. En réponse à une question posée précédemment par le Comité au sujet de la composition démographique du Royaume, le Gouvernement indique que ses ressortissants sont tongans ou partiellement tongans. Ces derniers comprennent notamment des Européens, des Indiens et d'autres insulaires du Pacifique. M. Lechuga Hevia se demande ce que signifie alors l'affirmation, au paragraphe 6 du rapport, selon laquelle les caractéristiques ethniques du pays sont homogènes.

4. Par ailleurs, M. Lechuga Hevia se félicite du fait que, d'après le rapport, tous les groupes raciaux peuvent prendre part avec les Tongans aux activités quotidiennes normales dans le domaine de l'éducation, des affaires, de la religion ainsi qu'aux activités culturelles et autres de la vie publique (par. 9). Il souhaite que le prochain rapport décrive de façon détaillée le cadre politique, social et économique des Tonga. Il demande également de plus amples renseignements sur l'exercice du droit de vote. En ce qui concerne la question syndicale, M. Lechuga Hevia demande pour quelles raisons les agriculteurs et les infirmiers semblent être les seuls à s'être regroupés en syndicat.

5. D'après le rapport, la Convention n'a pas encore été incorporée dans la législation des Tonga pour en faire partie intégrante mais, toujours selon le rapport, la loi constitutionnelle des Tonga garantit et protège expressément les droits fondamentaux de la personne. La Constitution instituerait un cadre juridique qui décourage et prohibe expressément toute forme de discrimination raciale. Au paragraphe 15 du rapport, on précise que toute personne, quelle que soit son origine raciale, peut porter plainte pour discrimination raciale devant l'autorité judiciaire. Pourtant, depuis le dernier rapport, il n'y aurait eu aucune décision de justice concernant une éventuelle affaire de discrimination raciale. M. Lechuga Hevia souhaite obtenir davantage de précisions en ce qui concerne les dispositions législatives relatives à la discrimination raciale.

6. Il est indiqué au rapport que les services publics de la presse et de la radio donnent régulièrement des informations sur les questions relatives aux droits de l'homme et sur les problèmes d'actualité relatifs à la discrimination raciale (par. 23). M. Lechuga Hevia s'en félicite et recommande aux autorités des Tonga de faire de même dans le domaine de l'éducation et de la culture. Enfin, il constate que le rapport ne contient aucun renseignement sur les religions qui sont pratiquées aux Tonga et souhaite que cette lacune soit corrigée dans le prochain rapport.

7. M. Yutzis prend la présidence.

8. M. VALENCIA RODRÍGUEZ se félicite de ce que la loi constitutionnelle interdit expressément toute pratique de discrimination raciale mais il est préoccupé par le fait que les Tonga n'ont aucune politique explicite relative à l'élimination de la discrimination raciale. Il recommande au Gouvernement de se montrer vigilant et de faire en sorte que l'Assemblée législative incorpore les dispositions de la Convention dans la législation interne afin qu'elles puissent être invoquées devant les tribunaux.

9. M. Valencia Rodríguez demande de plus amples renseignements au sujet des mesures, évoquées au paragraphe 8 e) du rapport, pour favoriser les organisations intégrationnistes multiraciales. Il demande également davantage de renseignements au sujet de l'application des articles 4 et 5 de la Convention.

10. En ce qui concerne l'article 7 de la Convention, M. Valencia Rodríguez aurait souhaité en savoir davantage sur les mesures qui sont prises aux Tonga afin de promouvoir la tolérance, l'harmonie et le respect entre les différents groupes ethniques.

11. M. DIACONU demande si les réserves formulées par les Tonga au sujet de la Convention sont toujours nécessaires. S'agissant de la réserve relative à l'article 4, M. Diaconu fait observer que le Comité doit pouvoir examiner les lois applicables aux Tonga afin de déterminer si elles satisfont aux objectifs de cet article. Il convient donc de demander aux Tonga, encore une fois, de fournir au Comité tous les renseignements nécessaires à ce sujet.

12. M. Diaconu note que les Tonga ont retiré leur réserve au sujet de l'article 5 sauf en ce qui concerne la vente de terres par les personnes natives des Tonga. Quelles sont les dispositions en vigueur aux Tonga dans ce domaine ? Par ailleurs, il semble que les autorités des Tonga ne comprennent pas le sens de l'obligation prévue à l'alinéa c) de l'article 5. Il est indiqué au paragraphe 14 du rapport que ce droit est réservé aux ressortissants tongans. Or, l'article 5 concerne la discrimination raciale parmi les ressortissants. Les Tonga pourraient peut-être apporter des précisions au Comité à ce sujet.

13. M. de GOUTTES se félicite de ce que les Tonga, qui n'ont pas les moyens dont disposent d'autres États parties, ont présenté un rapport moins de cinq ans après le précédent rapport. Cependant, comme certains de ses collègues, M. de Gouttes estime que ce rapport est insuffisant et attribue cette carence à l'allégation selon laquelle il n'y a aucune discrimination raciale aux Tonga.

14. M. de Gouttes déplore que les Tonga n'ont toujours pas incorporé les dispositions de l'article 4 de la Convention en droit interne. Il regrette également qu'aucune affaire de discrimination raciale ne soit signalée, que les chiffres officiels relatifs à la composition démographique n'aient pas été mis à jour depuis 1986 et qu'il n'y ait pas de document de base.

15. Mme ZOU croit comprendre que les enfants d'étrangers vivant aux Tonga doivent quitter les Tonga après avoir atteint l'âge de 21 ans. Elle souhaite savoir si tel est bien le cas.

16. M. SHERIFIS tient à souligner la régularité observée par les Tonga dans la présentation de leurs rapports au Comité. Le mérite est d'autant plus grand qu'il s'agit d'un petit pays et les autorités ont tenu compte des directives révisées et des recommandations précédemment formulées par le Comité. M. Sherifis déplore cependant qu'aucune décision judiciaire concernant une éventuelle affaire de discrimination raciale n'ait été prise depuis le dernier rapport (par. 17 du rapport), ajoutant que le Comité est toujours très sceptique devant de ce genre d'affirmation. Enfin, il recommande vivement aux autorités des Tonga d'élaborer dans les meilleurs délais un document de base, de ratifier l'amendement du paragraphe 6 de l'article 8 de la Convention et de faire la déclaration en vertu de l'article 14.

17. Le PRÉSIDENT conclut provisoirement l'examen des onzième à treizième rapports périodiques des Tonga.

Projet de conclusions du Comité concernant les neuvième à douzième rapports périodiques de la Jordanie (CERD/C/318/Add.1; HRI/CORE/1/Add.18/Rev.1)

18. Le PRÉSIDENT invite le Comité à examiner le projet de conclusions concernant les neuvième à douzième rapports périodiques de la Jordanie.

Paragraphes 1 à 4

19. Les paragraphes 1 à 4 sont adoptés.

Paragraphe 5

20. Le PRÉSIDENT, intervenant en tant que membre du Comité, demande s'il n'y aurait pas lieu de mieux qualifier le Centre des droits de l'homme dont la création est saluée par le Comité.

21. M. BANTON propose de préciser "the national Center for Human Rights" (le Centre national des droits de l'homme).

22. Le paragraphe 5, ainsi modifié, est adopté.

Paragraphe 6

23. Après un échange de vues auquel participent MM. GARVALOV, BANTON, WOLFRUM, DIACONU et SHERIFIS, qui porte notamment sur la question de savoir si les députés issus de minorités représentent la seule minorité dont ils sont issus ou une population plus générale, le PRÉSIDENT propose de lire le paragraphe 6 comme suit: "It is noted with satisfaction that there are a more than proportionate number of seats in the Jordanian House of Representatives which are held by persons with origins in the minorities." (Le Comité note avec satisfaction que la Chambre des représentants de Jordanie compte un nombre plus que proportionnel de députés issus de minorités).

24. Le paragraphe 6, ainsi modifié, est adopté.

Paragraphe 7

25. Le paragraphe 7 est adopté.

Paragraphes 8 et 9

26. Les paragraphes 8 et 9 sont supprimés.

Paragraphes 10, 11, 12 et 13

27. Les paragraphes 10, 11, 12 et 13 sont adoptés.

28. M. BANTON souhaiterait ajouter un nouveau paragraphe faisant référence au paragraphe 6 de l'article 8 de la Convention.

29. Il en est ainsi décidé.

30. L'ensemble du projet de conclusions du Comité concernant les neuvième à douzième rapports périodiques de la Jordanie, tel qu'il a été modifié oralement, est adopté.

PRÉVENTION DE LA DISCRIMINATION RACIALE, MESURES D'ALERTE RAPIDE ET PROCÉDURES D'ACTION URGENTE (point 3 de l'ordre du jour) (suite)

Examen de la situation au Rwanda

31. Mme McDOUGALL (Rapporteur pour le Rwanda) dit que la situation au Rwanda rend aujourd'hui indispensable une discussion, au sein du Comité, sur les recommandations concrètes qui peuvent être adressées au Gouvernement rwandais et au secrétariat de l'ONU, et notamment sur les mesures à prendre pour éviter une nouvelle escalade des violences ethniques et combler le fossé diplomatique qui s'est creusé entre le Gouvernement rwandais et les mécanismes de protection des droits de l'homme de l'ONU.

32. Commençant par un bref historique du conflit rwandais, elle indique que l'origine des tensions entre Hutus et Tutsis remonte à 1962, date à laquelle le pays a acquis son indépendance. Dans les années qui ont suivi, l'élite tutsie n'a pas réussi à conserver les pleins pouvoirs politiques du pays et, en 1973, Juvenal Habyarimana, chef d'état-major hutu, a pris les commandes du pays à la faveur d'un coup d'État. En 1975, le Rwanda était devenu un État contrôlé par un parti unique, qui avait institutionnalisé la domination hutue et les sentiments antitutsis.

33. Le Rwanda, pays le plus peuplé d'Afrique, est également un des pays les plus pauvres, et la rareté des ressources naturelles y est une source permanente de conflit potentiel, facilement exploitée par ceux qui cherchent à créer un climat propice au génocide.

34. En 1990, 4 000 Tutsis environ, qui avaient fui le Rwanda et s'étaient réfugiés, pour la plupart en Ouganda, ont formé le Front patriotique rwandais et ont commencé à attaquer des positions militaires au Rwanda. Leur campagne a considérablement accru les conflits ethniques entre Tutsis et Hutus dans tout le pays. Entre octobre 1990 et janvier 1993, plus de 2 000 Tutsis et Hutus (opposants au Gouvernement) ont été tués. Parallèlement, des milices hutues ont commencé à s'organiser en groupes paramilitaires, prétendument indépendants du Gouvernement de Juvenal Habyarimana, dans le but d'intensifier la campagne de violence dirigée à la fois contre la population civile tutsie et les Hutus qui s'opposaient au Gouvernement rwandais.

35. En 1993, une série de négociations diplomatiques s'est ouverte entre les deux groupes. Les Accords de paix d'Arusha visaient à instaurer un partage des pouvoirs entre le Front patriotique rwandais et le Gouvernement à dominante hutue. Les dispositions de ces accords n'ont jamais été totalement acceptées par le Gouvernement de Kigali. Lorsque, le 6 avril 1994, l'avion qui transportait le Président du Rwanda et le Président du Burundi a été abattu, la réponse des Hutus progouvernementaux ne s'est pas fait attendre et une vague d'assassinats politiques et de massacres génocidaires dirigés contre la population tutsie a dévasté le pays. Le 21 avril 1994, le Conseil de sécurité a décidé de rappeler la plupart des troupes de la mission des Nations Unies pour l'assistance au Rwanda (UNAMIR), ce qui a autorisé les Hutus, partisans de la ligne dure, à conclure à juste titre que la communauté internationale ne ferait rien pour empêcher un génocide lors duquel - comme on le sait - ont péri 500 000 à 1 million de Rwandais.

36. En juillet 1994, le Front patriotique rwandais, à dominante tutsie, qui avait lancé une guerre civile totale pour tenter de mettre fin au génocide, a pris le contrôle du Gouvernement et de la majorité du pays. Le Gouvernement hutu de Kigali a fui devant l'avancée du Front patriotique rwandais, emmenant avec lui les réserves financières du pays, cependant que les Hutus quittaient en masse la région nord-ouest du Rwanda pour se réfugier au Zaïre. A la suite de violents affrontements ethniques en République démocratique du Congo (ex-Zaïre), de nombreux Hutus sont aujourd'hui revenus au Rwanda. Le Gouvernement à dominante tutsie contrôle l'ensemble du pays, avec le soutien de l'armée patriotique rwandaise, mais les attaques de milices hutues dans la région nord-ouest du Rwanda sont monnaie courante.

37. Malgré le découragement d'un certain nombre de groupes de défense des droits de l'homme devant la poursuite des violences ethniques au Rwanda, le Gouvernement rwandais se montre optimiste et a adopté un certain nombre de mesures pour sensibiliser les institutions nationales et locales, ainsi que le grand public, aux questions de droits de l'homme. Ainsi, il a créé une Commission nationale des droits de l'homme chargée d'enquêter sur toutes les violations commises sur le territoire rwandais. Le Comité se doit de soutenir cette initiative et d'appeler le Gouvernement rwandais à nommer sans délai des membres qualifiés aux postes de direction de la Commission nationale pour qu'elle puisse se mettre au travail. Le Comité doit également mettre à la disposition des membres de la Commission ses compétences techniques et consultatives à l'occasion des journées d'études qui seraient organisées en coopération avec le Haut-Commissariat aux droits de l'homme pour favoriser un dialogue constructif sur le rôle, le mandat et le statut juridique de la Commission.

38. Le Gouvernement rwandais a également annoncé le lancement d'un vaste programme d'éducation nationale dans le domaine des droits de l'homme, qui doit bénéficier du soutien sans faille de la communauté internationale, et le Comité doit encourager la volonté exprimée par le Gouvernement de collaborer avec la Haut-Commissaire aux droits de l'homme et avec le Représentant spécial de la Commission des droits de l'homme lors de l'élaboration de ce programme éducatif.

39. En 1997, le Gouvernement rwandais a pris un certain nombre de mesures pour lutter contre l'impunité et accélérer le processus de jugement des responsables du génocide. Les membres de l'armée patriotique rwandaise coupables de graves violations des droits de l'homme font également l'objet de jugements en Cour martiale. Enfin, le Gouvernement a lancé une série de réunions hebdomadaires - auxquelles participent le Président, le Vice-Président, le Premier Ministre, des responsables gouvernementaux ainsi que des représentants de la justice et de la société civile - qui vise à favoriser l'unité nationale et la réconciliation, à construire la démocratie et la justice économique et sociale et à promouvoir la sécurité dans le pays.

40. Malgré ces signes encourageants, la situation au Rwanda reste préoccupante à plus d'un titre. Le Gouvernement cherche à étouffer tout débat public sur les divisions ethniques et cette attitude, si on peut la comprendre, risque de nuire à sa crédibilité car les tensions ethniques sont une réalité pour tous les citoyens du pays.

41. La Constitution rwandaise garantit à tous les citoyens l'égalité devant la loi, sans distinction basée sur la race, la couleur, l'origine, l'origine ethnique, le clan, le sexe, l'opinion, la religion ou la position sociale. Les Accords de paix d'Arusha (1993) constituent la base des structures gouvernementales actuelles et réaffirment les principes d'égalité et de non-discrimination. Ces accords font obligation au Gouvernement rwandais d'instaurer un système offrant, à tous les citoyens, l'égalité d'accès aux établissements d'éducation et au recrutement dans la fonction publique. Malheureusement, rares sont encore les mesures qui ont été prises dans ce sens.

42. Comme c'est le cas pour beaucoup d'autres pays, le manque d'informations démographiques récentes empêche le Comité d'analyser le degré de mise en oeuvre de la Convention. Avant le génocide de 1994, on estimait que 85 % des citoyens rwandais étaient hutus, 14 % tutsis et 1 % batwas. Conformément aux Accords d'Arusha, toute référence à l'origine ethnique est aujourd'hui interdite sur les documents officiels, par exemple sur les cartes d'identité nationales. Pourtant, les Rwandais sont très conscients des questions ethniques, ce qui rend l'attitude du Gouvernement tout à fait artificielle. En l'absence de données officielles, le Comité doit donc se contenter d'estimations approximatives, qui révèlent que les Hutus, numériquement majoritaires dans le pays, sont sous-représentés dans les structures dirigeantes du pays.

43. Les "camps de rééducation" créés au Rwanda à la suite des rapatriements massifs de réfugiés en 1996 et 1997 constituent un autre sujet d'inquiétude potentielle. Même si la participation à un ou deux de ces camps, destinés à favoriser l'unité ethnique et la réconciliation nationale, était annoncée comme facultative pour les rapatriés hutus, ceux qui n'y ont pas participé se verraient bel et bien refuser l'accès à l'enseignement supérieur et aux emplois dans le Gouvernement ou dans les organisations d'aide internationale.

44. Le grand nombre de rapatriements et la crise du logement dans le pays ne sont pas sans poser problème. De nombreux Hutus, de retour des camps de réfugiés en République démocratique du Congo, n'ont pas pu reprendre possession des terres et des logements qu'ils avaient fui en 1994, les occupants actuels refusant de quitter les lieux. Cette crise du logement a encore intensifié les luttes ethniques dans le pays.

45. Passant ensuite aux questions relatives à l'impunité et aux procédures judiciaires engagées, Mme McDougall rappelle qu'à sa réunion de mars le Comité a exprimé sa préoccupation quant aux conditions dans lesquelles étaient détenues les personnes accusées d'avoir participé au génocide de 1994. Ces conditions inhumaines ont été relevées dans la quasi-totalité des rapports de l'ONU sur le Rwanda et des rapports établis par les ONG sur les droits de l'homme dans le pays. L'Opération sur le terrain pour les droits de l'homme au Rwanda a estimé qu'au 31 mars 1998 la population carcérale au Rwanda était de 125 763 personnes. Les détenus souffrent de la surpopulation carcérale et du manque d'hygiène, de nourriture et de soins de santé, et font parfois l'objet de traitements cruels. Ainsi, 860 détenus seraient décédés en 1997. Les efforts mis en oeuvre par le Gouvernement pour accélérer les procédures d'enquête et de jugement, et donc réduire la surpopulation carcérale, n'ont permis de libérer qu'un petit nombre de suspects contre lesquels les charges étaient insuffisantes.

46. Lorsque les représentants du Rwanda se sont présentés devant le Comité en mars 1997, le Comité a fait état de son inquiétude concernant l'incapacité du Gouvernement rwandais à identifier et à poursuivre les responsables des assassinats ethniques. En mars 1998, il a réaffirmé sa préoccupation quant au climat d'impunité régnant dans le pays. Ce problème est étroitement lié aux carences matérielles, administratives, financières et humaines dont souffre le système judiciaire, comme l'a constaté le Rapporteur spécial sur l'indépendance des juges et des avocats.

47. Le Tribunal pénal international pour le Rwanda, qui a été profondément réorganisé en 1997, semble avoir amélioré son fonctionnement et devrait rendre prochainement ses premières décisions; celles-ci devraient surtout frapper des personnalités importantes - ministres, officiers militaires et hommes d'affaires - de l'ancien gouvernement rwandais, qui auraient joué un rôle clef dans le génocide de 1994. Pour accélérer encore les travaux du Tribunal, le Conseil de sécurité a autorisé récemment l'augmentation du nombre de ses juges et la création d'une troisième chambre.

48. Mme McDougall souligne fortement que l'exécution publique de 22 personnes qui n'avaient pas bénéficié d'un procès équitable, ordonnée par le Gouvernement rwandais, représente une violation flagrante du droit à la vie garanti par le droit rwandais et l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et que de tels actes sont de nature, au surplus, à compromettre les possibilités de réconciliation au Rwanda.

49. Le conflit armé qui vient d'éclater sur le territoire de la République démocratique du Congo voisine prend une tournure ethnique et l'appui fourni en sous-main aux rebelles par l'Armée patriotique rwandaise, qui est fortement soupçonnée d'avoir commis de graves violations du droit humanitaire, notamment des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité, lors du conflit de 1997 dans l'ex-Zaïre, laissent craindre de nouvelles violences entre les ethnies tutsie et hutue dans la région. Face à cette situation des plus inquiétantes, le Comité devrait exhorter toutes les parties, notamment le Gouvernement rwandais, à respecter à tout le moins les dispositions du droit international et du droit humanitaire au cours du conflit. Il devrait inviter en particulier le Gouvernement rwandais à veiller à ce que ses troupes ne participent ni n'apportent leur appui à des massacres ethniques qui pourraient être commis au Congo par des rebelles majoritairement tutsis.

50. À l'intérieur du Rwanda, la sécurité des populations est de plus en plus menacée par la montée des violences ethniques dans le nord-ouest majoritairement hutu et les régions du centre. Selon les statistiques du Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR), le nombre des victimes est passé de 1 575 en 1997 à 5 952 en 1998, dont 3 000 personnes tuées par des agents de l'État, 1 536 par des groupes armés et 87 au cours d'actes de "justice" populaire. Aux violences ethniques commises dans le nord contre des civils par les membres des anciennes Forces armées rwandaises (FAR) et par les milices interahamwe hutues répondent celles des troupes gouvernementales qui donnent lieu à de nombreuses arrestations de civils suivies de disparitions en détention.

51. Selon Amnesty International, quelque 5 000 à 8 000 civils non armés auraient été massacrés en 1997 par les forces gouvernementales dans la préfecture de Gisenyi et les forces de sécurité rwandaises auraient tué davantage de civils encore que les groupes armés d'opposition.

52. Plus nombreux encore sont les civils qui, contraints de fuir les violences dans le nord-est, deviennent des personnes déplacées, soumises aux harcèlements et aux brutalités des forces de sécurité rwandaises et de la population locale. Les contrôles des cartes d'identité donnent lieu à de nouvelles violences, notamment à des arrestations conduisant à des "disparitions" de civils en détention. Comme les réfugiés du nord-ouest sont très majoritairement hutus, il apparaît que le Gouvernement rwandais manque de façon flagrante, en l'espèce, à ses obligations découlant de la Convention.

53. Lors d'une visite au Rwanda en décembre 1997, la Haut-Commissaire pour les réfugiés a été frappée par les carences de la communauté internationale d'une part, et par la multiplication terrifiante des exécutions arbitraires commises par les extrémistes hutus et les sympathisants de l'APR, d'autre part. De son côté, le Gouvernement rwandais considère le nord-ouest comme "un bastion déstabilisant de forces génocidaires".

54. Depuis le génocide de 1994, les relations entre le Gouvernement rwandais et l'ONU sont difficiles. Des fonctionnaires de l'ONU recrutés localement ont été arrêtés par des agents du Gouvernement rwandais et cinq fonctionnaires locaux du HCR ont été tués en 1997. L'ONU n'est plus en mesure de suivre la situation des droits de l'homme au Rwanda, faute d'être parvenue à un accord avec le Gouvernement rwandais concernant le renouvellement du mandat de l'Opération sur le terrain pour les droits de l'homme au Rwanda et du Représentant spécial de la Commission des droits de l'homme au Rwanda. Le Gouvernement rwandais refuse ainsi de l'autoriser à continuer de s'acquitter de sa mission et compte transférer ce rôle à la toute nouvelle Commission nationale des droits de l'homme du Rwanda dont on a des raisons de craindre qu'elle ne soit pas en mesure de préserver son impartialité et son indépendance face au Gouvernement rwandais.

55. Le PRÉSIDENT tient à ce qu'il soit pris note du fait que le secrétariat du Haut-Commissariat aux droits de l'homme a adressé au Gouvernement rwandais une note verbale lui notifiant la date à laquelle serait examinée la situation dans son pays, mais que cette note est restée sans suite ainsi que les différents appels téléphoniques du secrétariat.

56. M. de GOUTTES remercie Mme McDougall de l'analyse particulièrement précise et complète qu'elle a faite de la situation fort préoccupante au Rwanda. Il rappelle que depuis son septième rapport périodique présenté en 1989, le Gouvernement rwandais n'a soumis au Comité aucune information sur la situation dans son pays en dépit de la demande qui lui en a été formulée expressément en mars 1997 en présence d'une délégation rwandaise.

57. Vu les informations à la disposition du Comité, M. de Gouttes fait ressortir quatre points particulièrement préoccupants. Il s'inquiète tout d'abord du sort de l'Opération sur le terrain pour les droits de l'homme au Rwanda qui a été mise en place par le HCR au lendemain du génocide de 1994, en vertu d'un accord conclu entre le Gouvernement rwandais et l'ONU, pour enquêter sur les violations des droits de l'homme et du droit humanitaire au Rwanda et mettre en oeuvre un programme d'assistance technique à l'appareil judiciaire et reconstruire les institutions de la société civile. À cet égard, les informations fournies par Mme McDougall selon lesquelles les tâches de surveillance seraient prochainement confiées à des organisations locales, notamment à une commission nationale des droits de l'homme, sont inquiétantes en raison des doutes que l'on peut avoir à l'égard de l'impartialité dont ladite commission pourra faire preuve face aux pressions locales.

58. Il appelle ensuite l'attention sur le rôle néfaste des médias, qui continuent de décrire la situation au Rwanda de façon particulièrement tendancieuse, relatant largement les agressions commises par les groupes armés d'opposition mais passant sous silence les exécutions de civils perpétrés par les soldats de l'APR.

59. Par ailleurs, il fait observer la prolifération constante des armes légères équipant l'APR et les milices armées et dit qu'il serait bon à cet égard de se reporter au rapport établi en 1996 par la commission des Nations Unies chargée d'enquêter sur les transferts d'armes et de matériel destinés aux forces de l'ancien Gouvernement rwandais, dont les recommandations tendant à empêcher les transferts en question semblent avoir été perdues de vue.

60. Enfin, un très grand nombre de personnes sont détenues dans des conditions inhumaines entraînant de nombreux décès. Selon le rapport d'Amnesty International, 1998, il y aurait dans les prisons rwandaises quelque 130 000 détenus soupçonnés d'avoir participé au génocide de 1994.

61. M. de Gouttes conclut qu'il serait utile d'obtenir des informations complémentaires sur la coopération de l'État partie avec le Tribunal pénal international pour le Rwanda.

62. M. van BOVEN remercie Mme McDougall de son analyse approfondie, claire et bien structurée de la situation alarmante au Rwanda sur laquelle le Comité pourra fonder ses recommandations. Il regrette l'absence d'un représentant du Gouvernement rwandais devant le Comité mais fait ressortir que l'Organisation des Nations Unies connaît une crise de confiance à l'égard du Rwanda en raison de son échec face au génocide de 1994 auquel elle a assisté en spectateur alors qu'il avait été annoncé par ses propres observateurs. Même si cet échec grave et historique doit inciter l'ONU à une certaine humilité à l'égard du Rwanda, l'Organisation ne doit pas pour autant abandonner de nouveau ce pays et sa population à un moment où les sujets d'inquiétude vont grandissant.

63. Il faut regretter par exemple que les activités de surveillance de la situation des droits de l'homme dont était chargée l'Opération sur le terrain pour les droits de l'homme au Rwanda aient été suspendues faute d'un accord de renouvellement avec le Gouvernement rwandais, sachant que le transfert de cette mission de surveillance à une commission locale des droits de l'homme suscite de vives inquiétudes compte tenu des pressions auxquelles elle sera inévitablement soumise. En la matière, il conviendrait que le Comité insiste sur la nécessité de maintenir au Rwanda des activités de surveillance sous une forme ou une autre et de fournir une formation appropriée conformément aux recommandations formulées par le Représentant spécial de la Commission des droits de l'homme et par Mme McDougall à l'intention de la Commission. Le Comité devrait en outre s'efforcer de sensibiliser tous les organismes ou représentants du système des Nations Unies travaillant dans la région aux aspects du conflit rwandais relevant de ses préoccupations et de sa mission, notamment à leurs dimensions ethniques, en se fondant sur les propositions formulées dans le rapport de Mme McDougall.

64. Le PRÉSIDENT, parlant en tant que membre du Comité, dit qu'il existe une situation extrêmement difficile et compliquée au Rwanda face à laquelle le Comité ne dispose que de moyens réduits. Plusieurs facteurs invitent le Comité à envisager son rôle et à formuler des recommandations avec réalisme et modestie, notamment l'échec d'opérations encore récentes de maintien de la paix des Nations Unies menées dans des situations analogues, la crise de confiance entre le Gouvernement rwandais et l'ONU, la susceptibilité des États parties en général, qui ont tendance à ressentir toute intervention internationale comme une ingérence insupportable, et la prolifération des armes dans la région. Face à ces données du problème au Rwanda, le Comité devrait s'abstenir de prendre toute position susceptible d'apparaître au Gouvernement rwandais comme une agression ou encore comme une menace, laquelle n'aurait forcément aucune suite sur le terrain.

65. En revanche, le Comité devrait s'attacher à formuler des recommandations concises visant des objectifs réalisables et portant sur des problèmes relevant de son mandat, dans l'esprit de consultation et de dialogue qui convient à ses relations avec les États parties. Il devrait d'autre part inviter les États voisins à s'abstenir d'attiser le conflit au Rwanda en évitant scrupuleusement d'apporter un quelconque soutien (financier, militaire ou autre) aux différentes parties.

66. Parlant ensuite dans l'exercice de ses fonctions, le Président propose que le Comité suspende l'examen de la situation au Rwanda au titre du point 3 de l'ordre du jour.

67. Il en est ainsi décidé.

68. Projet de décision du Comité concernant la République démocratique du Congo (CERD/C/53/MISC.37, document présenté en séance, en anglais seulement).

69. Le PRÉSIDENT invite le Comité à examiner les trois derniers paragraphes du projet de décision.

70. Après un échange de vues auquel participent Mme McDougall, M. Wolfrum, M. Diaconu, M. van Boven, M. Yutzis et M. Sherifis, portant notamment sur le refus de "conditions préalables" qui ressemblerait trop à un ultimatum, le Président propose de lire le paragraphe 10 comme suit, sous réserve d'une éventuelle mise au point rédactionnelle: "Further urges the Government of the Democratic Republic of the Congo to allow the Special Rapporteur to resume his functions according to his mandate and to investigate the allegations made in the report of the Secretary General's Investigative Team." (Prie en outre instamment le Gouvernement de la République démocratique du Congo de permettre au Rapporteur spécial de reprendre ses fonctions conformément à son mandat et d'enquêter sur les allégations dont il est fait état dans le rapport de la mission d'enquête du Secrétaire général).

71. Le paragraphe, ainsi modifié, est adopté sous réserve d'une éventuelle mise au point rédactionnelle.

Paragraphes 11 et 12

72. Les paragraphes 11 et 12 sont adoptés.

73. L'ensemble du projet de décision du Comité concernant la République démocratique du Congo, tel qu'il a été modifié oralement, est adopté.

74. Le PRÉSIDENT fait savoir que si le projet de décision avait été mis aux voix, il se serait abstenu, pour les raisons qu'il a précédemment citées.


La séance est levée à 17 h 50.

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