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Pacte international

relatif aux droits civils

et politiques

 

 

 

 

Comment                                                                                                    Distr.

                                                                                                   GENERALE

 

                                                                                                   CCPR/C/SR.1360

                                                                                                   24 octobre 1994

 

                                                                                                   Original : FRANCAIS

 

 

 

 

COMITE DES DROITS DE L'HOMME

 

Cinquante-deuxième session

 

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 1360ème SEANCE

 

tenue au Palais des Nations, à Genève,

le mardi 18 octobre 1994, à 10 heures.

 

Président : M. ANDO

 

 

SOMMAIRE

 

Examen des rapports présentés par les Etats parties conformément à l'article 40 du Pacte (suite)

 

          Tunisie

 

 

 

 

 

 

 

 

__________

 

          Le présent compte rendu est sujet à rectifications.

 

          Les rectifications doivent être rédigées dans l'une des langues de travail. Elles doivent être présentées dans un mémorandum et être également portées sur un exemplaire du compte rendu. Il convient de les adresser, une semaine au plus tard à compter de la date du présent document, à la Section d'édition des documents officiels, bureau E.4108, Palais des Nations, Genève.

 

          Les rectifications aux comptes rendus des séances publiques de la présente session seront groupées dans un rectificatif unique qui sera publié peu après la clôture de la session.

 

GE.94-19514 (F)

La séance est ouverte à 10 h 20.

 

EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES CONFORMEMENT A L'ARTICLE 40 DU PACTE (point 4 de l'ordre du jour) (suite)

 

Quatrième rapport périodique de la Tunisie (CCPR/C/84/Add.1; HRI/CORE/1/Add.46)

 

1.       MM. Ennaceur, Hetira, Kotrane, Cherif, Neji et Baati (Tunisie) prennent place à la table du Comité.

 

2.       Le PRESIDENT souhaite la bienvenue à la délégation tunisienne. Il se félicite du haut niveau de la délégation et remercie le Gouvernement tunisien de la constance exemplaire avec laquelle il poursuit le dialogue avec le Comité. Il invite le chef de la délégation tunisienne à présenter le quatrième rapport périodique de la Tunisie (CCPR/C/84/Add.1).

 

3.       M. ENNACEUR (Tunisie) remercie le Président et les membres du Comité de leur chaleureux accueil. Il leur donne l'assurance que la délégation tunisienne se tiendra entièrement à leur disposition pour répondre à toutes les questions qui lui seront posées.

 

4.       Présentant le quatrième rapport périodique de la Tunisie, M. Ennaceur déclare que celui-ci a été établi conformément aux directives générales du Comité et qu'il devrait permettre aux membres du Comité de mesurer l'ampleur des efforts accomplis dans son pays pour mettre en oeuvre les droits énoncés dans le Pacte. Le rapport contient un rappel des fondements du système politique et juridique tunisien mis en place depuis la promulgation de la Constitution du 1er juin 1959, mais l'accent a été placé surtout sur les mesures adoptées depuis le 7 novembre 1987, sous la direction du Président Ben Ali, pour promouvoir les droits de l'homme, consolider l'état de droit et renforcer la démocratie. Il convient de rappeler que la Tunisie a ratifié le Pacte en novembre 1968, qu'elle a fait, le 23 juin 1993, la déclaration prévue à l'article 41 de cet instrument et que l'article 32 de la Constitution tunisienne consacre la suprématie des instruments internationaux sur la législation nationale.

 

5.       Parmi les mesures prises par le Gouvernement tunisien après le 7 novembre 1987, il y a lieu de citer la loi du 22 novembre 1993 portant modification du Code de procédure pénale dans le sens de la réduction de la durée de la détention provisoire pour les crimes et les délits, l'amendement apporté le 27 décembre 1993 au Code électoral, modification qui instituait un nouveau mode de scrutin garantissant le pluralisme politique, l'amendement apporté le 23 juillet 1993 au Code de la presse, les modifications concernant la réduction du nombre des infractions et l'exigence de la preuve du fait diffamatoire, la réforme du Code du statut personnel visant à renforcer l'égalité des droits des hommes et des femmes, et la modification des dispositions du Code pénal visant à renforcer les peines imposées aux époux reconnus coupables de violences et de voies de fait à l'égard l'un de l'autre. En outre, divers mécanismes juridiques et administratifs tendant à renforcer l'état de droit ont été créés, notamment le Conseil constitutionnel chargé d'examiner la conformité des projets de loi avec la Constitution, le Comité supérieur des droits de l'homme et des libertés fondamentales chargé d'examiner les plaintes déposées par les personnes ou les familles de personnes qui se déclarent victimes de violations des droits de l'homme, la fonction de conseiller principal auprès du Président de la République, chargé des droits de l'homme, les Services des droits de l'homme mis en place au sein des Ministères de la justice, des affaires étrangères, de l'intérieur et des affaires sociales, et le cabinet du Médiateur administratif chargé de recevoir les requêtes et les doléances de personnes physiques concernant leurs relations avec les services publics. Par ailleurs, en 1988, l'ensemble des partis politiques et des organisations nationales ont adopté le Pacte national consacrant les valeurs et les fondements d'une société tunisienne tolérante, démocratique et tournée vers l'avenir. De plus, en 1988, un cadre juridique spécifique aux partis politiques, inspiré des principes du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, a été mis en place.

 

6.       L'intérêt que porte le Gouvernement tunisien au renforcement du respect des droits de l'homme s'est traduit aussi par la diffusion de la culture des droits de l'homme, à la fois dans les écoles primaires et dans les établissements d'enseignement secondaire et supérieur, action qui a été renforcée en 1991 par une réforme du système d'enseignement qui visait à éliminer toutes les formes d'extrémisme et de fanatisme. Dans ce cadre également, une coopération étroite a été instaurée entre le Gouvernement tunisien et diverses organisations non gouvernementales internationales de défense des droits de l'homme telles que Amnesty International, Green Peace, El-Taller et le Comité africain pour le droit et le développement.

 

7.       Preuve de son attachement à la promotion des droits de l'homme et à la protection de l'intégrité physique des individus, le Gouvernement tunisien a ratifié, le 23 septembre 1988, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, sans émettre de réserve quelconque quant aux articles 20 et 21 de cet instrument. Outre les textes de lois sanctionnant les actes de torture sous toutes leurs formes, le Gouvernement tunisien a adopté des mesures visant particulièrement à faciliter l'application concrète des dispositions de la législation. Ainsi, un enseignement des droits de l'homme est dispensé dans les établissements d'enseignement secondaire et supérieur et, notamment, une formation dans ce domaine est donnée aux responsables de l'application des lois, en vue d'éliminer la violence sous toutes ses formes. Depuis juin 1988, la réglementation relative au traitement des détenus a été modifiée afin de garantir le respect de l'intégrité physique des détenus, en application des dispositions de la Constitution tunisienne et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Par ailleurs, la législation tunisienne prévoit, conformément à l'article 14 du Pacte, une série de garanties relatives à l'administration de la justice, qui permettront de veiller plus étroitement à l'impartialité et à l'indépendance du pouvoir judiciaire et au respect des droits de la défense.

 

8.       Le PRESIDENT remercie M. Ennaceur de la présentation qu'il a faite du quatrième rapport périodique de la Tunisie. Il invite la délégation tunisienne à répondre aux questions posées dans la section I de la Liste des points à traiter à l'occasion de l'examen du quatrième rapport périodique de la Tunisie, qui se lit comme suit :

 

          "I.       Cadre constitutionnel et juridique de l'application du Pacte, état d'urgence, non-discrimination et égalité entre les hommes et les femmes (art. 2, 3, 4 et 26)

 

                     a)       Etant donné les larges mandats des différents organes chargés de promouvoir les droits de l'homme qui sont mentionnés au paragraphe 13 du rapport, veuillez préciser leur relation avec les tribunaux ordinaires, ainsi que les mesures prises pour éviter tout chevauchement entre leurs activités, et indiquer dans quelle mesure ces activités ont été jusqu'à présent efficaces.

 

                     b)       Les commissions établies aux fins de la révision du Code pénal, du Code de procédure pénale, du Code de procédure civile et commerciale et du Code du statut personnel ont-elles achevé leurs travaux ? Si tel est le cas, donner des précisions sur les réformes envisagées dans la mesure où elles concernent l'application du Pacte (voir par. 40 du rapport).

 

                     c)        Veuillez préciser le sens du terme "réconciliation" utilisé au paragraphe 16 du rapport. Quel lien a-t-il avec les mesures prises contre les mouvements qui visent "à abolir le régime républicain et à lui substituer un Etat théocratique" et quelle est l'incidence de ces mesures sur l'exercice des droits garantis par le Pacte ? (voir par. 92 et 208 du rapport).

 

                     d)       Le rapport mentionne au paragraphe 92 une "période exceptionnelle"; veuillez indiquer si un état d'urgence a été proclamé et si tel a été le cas, pourquoi il n'a pas été notifié au Secrétaire général conformément au paragraphe 3 de l'article 4 du Pacte, et préciser les garanties et les recours effectifs ouverts aux personnes durant cette période.

 

                     e)       Le public et, en particulier, les représentants des organisations non gouvernementales mentionnées au paragraphe 103 du document principal, ont-ils été informés de l'examen du rapport par le Comité des droits de l'homme ?

 

                     f)        A-t-on pris des dispositions depuis l'examen du troisième rapport périodique en vue de la ratification du premier Protocole facultatif ou de l'adhésion à cet instrument ?"

 

9.       M. ENNACEUR (Tunisie), répondant aux questions posées dans la section I de la Liste des points, indique à nouveau que le Gouvernement tunisien a pris une série de mesures pour assurer la promotion et la sauvegarde des droits de l'homme dans le pays et a notamment mis en place à cet effet diverses institutions telles que le Conseil constitutionnel, le Comité supérieur des droits de l'homme, le bureau du Médiateur administratif et des Directions des droits de l'homme au sein de divers ministères. Ainsi, le Conseil constitutionnel est chargé de se prononcer sur la conformité des projets de loi avec la Constitution et, éventuellement, de proposer des modifications de ces projets avant qu'ils ne soient soumis au Parlement pour approbation. Le Comité supérieur des droits de l'homme est chargé de formuler des propositions en ce qui concerne l'amélioration de la situation des droits de l'homme dans la législation et dans la pratique. Il rédige tous les ans un rapport sur l'état des droits de l'homme en Tunisie, qu'il transmet au Président de la République. Il peut se rendre dans les établissements pénitentiaires pour vérifier les conditions de détention et il examine régulièrement les plaintes déposées par les citoyens qui se considèrent victimes de violations de leurs droits. Le Médiateur administratif a, pour sa part, des fonctions beaucoup plus étendues, car il est habilité à recevoir toutes les doléances des citoyens en ce qui concerne leurs relations avec les services publics, et à intervenir auprès des services administratifs pour s'efforcer de régler les problèmes relevant du respect des droits de l'homme dans tous les domaines. Depuis son entrée en fonctions, le Médiateur a reçu plus de 12 000 requêtes et il a pu, dans 44 % des cas, amener l'administration à reconsidérer sa position vis-à-vis des citoyens concernés. Les Services des droits de l'homme qui existent au sein des Ministères de la justice, des affaires étrangères, de l'intérieur et des affaires sociales sont chargés de formuler des propositions en vue d'un respect plus strict des droits de l'homme, et traitent aussi des doléances émanant de citoyens, du Comité supérieur des droits de l'homme ou d'organisations non gouvernementales. Il n'existe pas de chevauchement entre les activités des divers organes chargés de promouvoir les droits de l'homme. Au contraire, ces organes coopèrent étroitement entre eux, ce qui favorise le règlement rapide des questions qui leur sont soumises et, en tout état de cause, l'indépendance du pouvoir judiciaire est strictement respectée.

 

10.     Au sujet des commissions établies aux fins de la révision du Code pénal, du Code de procédure pénale, du Code de procédure civile et commerciale et du Code du statut personnel, M. Ennaceur précise que celles-ci ont été créées pour réformer les différents codes en vigueur, mais qu'elles ont été par la suite chargées en permanence de réformer progressivement la législation nationale et de l'adapter aux exigences de la société tunisienne. Ainsi, de nouvelles dispositions ont été ajoutées au Code pénal, prévoyant la création de centres d'observation pour les mineurs, l'assistance apportée aux mineurs devant les tribunaux par des experts psychologues, l'aggravation des peines imposées pour violences entre conjoints et la réduction de la durée de la détention provisoire. Le Code du statut personnel a également été modifié dans le sens du renforcement des droits des femmes et de l'égalité des hommes et des femmes dans la conduite des affaires de la famille. La procédure de divorce a également été modifiée, de sorte que, lorsque l'intérêt de l'enfant est en jeu, la loi exige désormais trois séances de conciliation avant que le jugement de divorce puisse être prononcé.

 

11.     A propos de la "réconciliation nationale", dont il est question au paragraphe 16 du rapport, M. Ennaceur déclare que le Pacte national est en réalité non pas une loi mais plutôt une sorte de code d'honneur selon lequel les partis politiques et les organisations nationales ont reconnu l'existence d'un fonds commun de valeurs propres à la société tunisienne qui régissent le fonctionnement de la démocratie dans le pays. Les valeurs consacrées dans ce Pacte sont celles de la souveraineté nationale, du régime républicain, du pluralisme politique, du respect des droits de l'homme, du refus de la violence sous toutes ses formes et de la préférence accordée au dialogue et à la concertation. Certes, la Tunisie appartient traditionnellement à la culture arabe et la religion dominante du pays est l'islam, mais le Pacte national proclame néanmoins l'ouverture sur le progrès et l'attachement à la tolérance et à l'élimination de toute discrimination envers les minorités quelles qu'elles soient. La "réconciliation nationale" a dû être opérée à la suite de la crise sociale et politique généralisée qui a sévi en 1986 et 1987. C'est ainsi que, dans sa déclaration historique du 7 novembre 1987, le Président Ben Ali a mis l'accent sur la nécessité, d'une part, de réconcilier les Tunisiens entre eux et de bannir tout recours à la violence et, d'autre part, de faire appel à toutes les forces du pays pour qu'elles participent collectivement à la gestion des affaires de la nation. Dans cet esprit et conformément à cette volonté de réconciliation nationale, le Président de la République a alors prononcé l'amnistie générale de tous les prisonniers politiques, y compris des dirigeants du mouvement islamiste qui avaient auparavant mené des actions illégales, mais qui ont néanmoins été invités à participer à l'élaboration du Pacte national. Toutefois, ce mouvement ayant peu à peu révélé par ses actions que son intention était de renverser le système et de s'emparer du pouvoir pour instaurer un régime totalitaire théocratique, le gouvernement a été contraint de sanctionner, conformément à la loi, les responsables des délits commis par ses membres, sans toutefois avoir eu à recourir à de quelconques mesures d'urgence ou à faire appel à des juridictions d'exception.

 

12.     Pour ce qui est de la "période exceptionnelle" mentionnée au paragraphe 92 du rapport, M. Ennaceur précise que, là encore, aucune mesure d'exception n'a été prise, bien que le gouvernement y ait été autorisé en vertu de la Constitution. En 1991 et 1992, il s'est produit, notamment dans les universités, un mouvement d'agitation qui a dégénéré en manifestations violentes, et il y a eu plusieurs morts. Un mouvement insurrectionnel a tenté d'infiltrer l'appareil de l'Etat et de renverser le régime en place. Les autorités ont procédé à des arrestations et des procès ont eu lieu. Le Président de la République a créé une commission indépendante d'enquête qui a conclu que des excès avait été commis et qui a pu désigner les responsables. Les tribunaux ont ensuite sanctionné, conformément à la loi, les auteurs de certains actes qui avaient porté atteinte à la sécurité du pays et à l'intégrité physique de citoyens.

 

13.     M. Ennaceur répond ensuite à la question de savoir si le public, ainsi que les représentants des organisations non gouvernementales mentionnées au paragraphe 103 du document de base (HRI/CORE/1/Add.46), ont été informés de l'examen du rapport par le Comité des droits de l'homme. Il précise à ce sujet que les organisations non gouvernementales dont il s'agit sont indépendantes, suivent les travaux des différents organismes internationaux et coopèrent notamment avec le Centre pour les droits de l'homme, et que certaines ont des experts qui siègent dans des comités créés en vertu d'instruments relatifs aux droits de l'homme. Ces organisations sont donc informées de ce qui se fait dans les ministères, et en particulier du rapport présenté par la Tunisie, ainsi d'ailleurs que des communications adressées aux organes s'occupant des droits de l'homme.

 

14.     Enfin, en réponse à la dernière question, M. Ennaceur précise que la Tunisie n'a pas pris de dispositions en vue de signer ou de ratifier le premier Protocole facultatif.

 

15.     Le PRESIDENT invite les membres du Comité à poser oralement les questions que leur ont inspiré les réponses de la délégation tunisienne à la liste des points concernant le quatrième rapport périodique de la Tunisie (M/CCPR/LST/52/TUN/3).

 

16.     M. EL SHAFEI souligne que l'Etat partie s'est fait représenter par une délégation de haut niveau, ce qui atteste le grand intérêt qu'il accorde au dialogue avec le Comité. La Tunisie doit également être félicitée de la promptitude avec laquelle elle a présenté son rapport (CCPR/C/84/Add.1), qui était attendu en février 1994 et a été reçu en mars de la même année, exemple qui pourrait être suivi par d'autres pays. Lors de l'examen du troisième rapport périodique de la Tunisie, le Comité avait fait l'éloge des nombreuses réformes qui, à partir du mois de novembre 1987, étaient menées dans le domaine de la législation, parallèlement aux réformes économiques, en vue d'assurer le plus grand nombre de garanties possible.

 

17.     La lecture du quatrième rapport périodique de la Tunisie (CCPR/C/84/Add.1), établi conformément aux directives du Comité, confirme que les réformes se poursuivent par la mise en place de diverses structures et mécanismes juridiques et administratifs (par. 13 du rapport). M. El Shafei mentionne en particulier le Comité supérieur des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les Services des droits de l'homme créés au sein de divers ministères, le Médiateur administratif, les équipes du "citoyen superviseur" (par. 13 f) du rapport), le Comité supérieur du Pacte national (par. 16), la mise en place d'un cadre juridique spécifique aux partis politiques, destiné à renforcer la participation populaire (par. 17 a)) et enfin les révisions du Code électoral et du Code de la presse (par. 19).

 

18.     En dépit de toutes ces réformes, il faut constater que plusieurs rapports d'organisations non gouvernementales font état d'abus qui seraient commis dans le domaine des droits de l'homme en Tunisie. Selon ces rapports, de nombreuses réformes ne seraient pas encore appliquées, les mesures d'arrestation abusives se poursuivraient, des détenus seraient soumis à des tortures ou à des traitements inhumains, la garde à vue dépasserait le délai de dix jours autorisé par la loi, et certains procès ne seraient pas menés au grand jour. Compte tenu de tous ces éléments, M. El Shafei est heureux que le Comité puisse engager un dialogue avec la délégation tunisienne afin de dissiper tout malentendu et de faire la lumière sur la situation réelle.

 

19.     Les questions concrètes que M. El Shafei souhaite adresser à la délégation tunisienne concernent, premièrement, le projet de réforme du Code du statut personnel (par. 49 du rapport) dans le sens d'une plus grande égalité entre l'homme et la femme : dans quels domaines veut-on agir et cette réforme tient-elle compte de la volonté populaire ? Deuxièmement, au sujet des paragraphes 73 et 74 du rapport et des dérogations prévues à l'article 4 du Pacte, M. El Shafei estime que l'article 46 de la Constitution tunisienne n'est pas compatible avec l'article 4.

 

20.     Troisièmement, notant que la Constitution tunisienne a été élaborée dans des circonstances très différentes des conditions que connaît actuellement la Tunisie, M. El Shafei se demande si le législateur ne va pas se trouver lié par une constitution qui rendra difficile la mise en oeuvre de toutes les garanties.

 

21.     Pour M. MAVROMMATIS, la Tunisie est probablement le pays d'Afrique du Nord qui, pour ainsi dire, a les meilleurs états de service dans le domaine des droits de l'homme; elle présente de surcroît un rapport excellent où sont exposées en détail les mesures qui ont été prises et dont un bon nombre visent à développer le respect des droits de l'homme (médiateurs, équipes du "citoyen superviseur", etc.).

 

22.     Il semblerait en revanche y avoir une certaine régression dans le domaine de la sécurité, et le Gouvernement tunisien devrait s'interroger à ce sujet. Certes, la délégation tunisienne a exposé la situation difficile que son pays a connue récemment. Cependant, il faut rappeler que les mesures prises pour combattre le fanatisme ne doivent pas l'être au détriment des obligations contractées par ailleurs. Est-ce que, par exemple, lorsqu'une personne est arrêtée, elle est inscrite au registre d'écrou immédiatement ? C'est en effet de cette inscription que dépendent les garanties dont bénéficieront les détenus. La meilleure preuve que pourrait apporter la Tunisie de son attachement au Pacte serait de devenir partie au premier Protocole facultatif et de reconnaître ainsi au Comité compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers relevant de sa juridiction qui prétendent être victimes d'une violation d'un des droits énoncés par le Pacte.

 

23.     Les autres questions précises que se pose M. Mavrommatis concernent tout d'abord la discrimination à l'égard des femmes, évoquée au paragraphe 49 du rapport à propos de la réforme du Code du statut personnel. A son avis, cette réforme aurait dû intervenir après l'examen du troisième rapport périodique. Il est inadmissible, par exemple, que la loi en vigueur réserve au père et à défaut, au membre de la famille de sexe masculin désigné par la loi, le privilège de consentir au mariage de la fille mineure (par. 49). Des progrès ont certes été faits, puisque la polygamie a été supprimée par le Code du statut personnel et devient un délit punissable par la loi pénale (par. 54). En revanche, l'article 23 du Code du statut personnel, qui stipule que la femme doit respecter les prérogatives du mari en tant que chef de famille et, dans cette mesure, lui doit obéissance, est rétrograde.

 

24.     Au nombre des conditions d'éligibilité relatives aux élections présidentielles (par. 234 c)), M. Mavrommatis relève qu'il faut être musulman. Or le Pacte protège le droit d'être agnostique, et on se demande pourquoi un non-croyant ne pourrait pas diriger le pays. M. Mavrommatis relève aussi, parmi les conditions exigées pour se présenter aux élections présidentielles, la limite d'âge fixée à 70 ans maximum; il s'agit probablement d'éviter le phénomène de la présidence à vie qu'a connu la Tunisie auparavant, mais on peut douter de l'efficacité de cette mesure.

 

25.     M. SADI constate d'abord que les membres de la délégation tunisienne occupent des fonctions qui ont un lien avec les droits de l'homme, ce qui fait d'eux des interlocuteurs tout désignés pour répondre avec compétence aux questions du Comité. Pour sa part, il est préoccupé par l'application concrète du Pacte en Tunisie, pays au sujet duquel lui parviennent des signaux contradictoires. Il y a, premièrement, ceux qui donnent une image positive du pays, celle que reflète la création de nombreux mécanismes dans le domaine des droits de l'homme (médiateurs, conseil constitutionnel, représentation dans différents organes créés en vertu d'instruments internationaux). Mais il y a aussi une autre image de la Tunisie, celle qui se dégage notamment des rapports émanant d'organisations non gouvernementales, et plus particulièrement du rapport d'Amnesty International sur la Tunisie, au sujet duquel M. Sadi souhaiterait que la délégation tunisienne mette les choses au point. En effet, dans son allocution liminaire, la délégation a exposé un certain nombre de problèmes dont M. Sadi voudrait savoir s'ils existent encore.

 

26.     Pour se faire une idée de l'application du Pacte dans la pratique, M. Sadi demande si le Pacte peut être invoqué devant les tribunaux tunisiens, s'il l'a été effectivement, et dans quelle mesure les Tunisiens ont conscience des droits qui leur sont reconnus dans le Pacte. Il voudrait savoir aussi dans quelle mesure la religion a empêché les autorités tunisiennes de s'acquitter de toutes les obligations qui leur incombent en vertu du Pacte, par exemple dans le domaine de la législation sur l'héritage et de l'égalité entre les sexes.

 

27.     M. AGUILAR URBINA relève lui aussi les qualités du rapport de la Tunisie, le nombre et la diversité des organes qui ont été créés pour la protection des droits de l'homme, et la participation active de la Tunisie aux organes internationaux qui s'occupent de droits de l'homme. Comme MM. Sadi et Mavrommatis, il note l'écart qui semble exister en Tunisie entre la pratique et la législation, et dont se font l'écho divers ouvrages, notamment celui qu'a publié Amnesty International sous le titre "La rhétorique contre la réalité ou l'échec de la démocratie des droits de l'homme" (Rhetorics versus Reality; the Failure of Human Rights Democracy).

 

28.     M. Aguilar Urbina constate que la femme fait toujours l'objet d'une certaine discrimination en Tunisie; les auteurs du rapport de ce pays (CCPR/C/84/Add.1) précisent que certaines inégalités sont plutôt inhérentes au rôle respectif de l'homme et de la femme au sein du foyer qu'à une conception rétrograde, et soulignent les progrès réalisés sur le plan de la législation. Pour sa part, M. Aguilar Urbina reste préoccupé par les nombreux cas de discrimination, notamment en ce qui concerne la transmission de la nationalité de la femme à ses enfants, le consentement au mariage des mineurs et la tutelle. Il relève que l'article 23 du Code du statut personnel dit que la femme doit respecter les prérogatives du mari en tant que chef de famille et aussi, au sujet de l'application de l'article 6 du Pacte concernant le droit à la vie, que le mari ayant surpris son épouse en flagrant délit d'adultère bénéficie de circonstances atténuantes en cas d'homicide, alors que la réciproque n'existe pas.

 

29.     M. Aguilar Urbina s'associe aux remarques de M. Mavrommatis au sujet des conditions requises pour être candidat aux élections (par. 234 c)), et note que, selon les termes du rapport, la condition de religion, c'est-à-dire être musulman, s'explique, d'une part par la composition démographique de la Tunisie, la presque totalité des Tunisiens étant musulmans, et d'autre part, par l'article premier de la Constitution, qui fait de l'islam la religion d'Etat. On peut effectivement voir là une discrimination à l'encontre des non-musulmans pour ce qui est d'exercer les fonctions de Président de la République tunisienne.

 

30.     Au sujet des nombreux organes qui ont été créés pour la protection des droits de l'homme, M. Aguilar Urbina constate qu'il y a des liens étroits entre le Président de la République et les organes en question en ce qui concerne les nominations et les attributions des titulaires de ces fonctions. Or, si les organes en question n'étaient pas véritablement indépendants, on pourrait craindre que des violations des droits de l'homme ne restent impunies. Au sujet du Médiateur administratif chargé de recevoir les requêtes individuelles concernant des affaires administratives intéressant des particuliers (par. 13 e)), M. Aguilar Urbina voudrait connaître ses autres attributions; il faudrait aussi savoir si le titulaire a compétence pour contraindre un fonctionnaire public à rectifier la situation qui a donné lieu à la requête, et si ce fonctionnaire peut être sanctionné au cas où il ne donnerait pas suite à une demande du Médiateur.

 

31.     Enfin, M. Aguilar Urbina souhaiterait un complément d'information sur le processus de réconciliation qu'a exposé la délégation tunisienne, afin de savoir sur quelles bases il se construit. Il semblerait en effet que la discrimination persiste à l'encontre du mouvement islamiste, ce qui est peut-être dû à la situation qui règne dans l'Algérie voisine.

 

32.     Revenant aux nombreux organes chargés d'assurer la défense des droits de l'homme qui ont été créés en Tunisie, M. Aguilar Urbina précise en citant en exemple ce qu'il a dit précédemment des liens étroits qui existent entre ces organes et le pouvoir exécutif. On peut en effet imaginer que telle ou telle personne coupable de violations des droits de l'homme échappe de ce fait à une enquête, à la justice et à la sanction. Ainsi, il serait bon de préciser quel est le degré d'indépendance du Médiateur administratif puisque celui-ci est rattaché à la présidence de la République.

 

33.     Enfin, des détails sur le processus de réconciliation entrepris seraient d'autant plus appréciés qu'il semble que les persécutions à l'encontre d'un mouvement fondamentaliste islamique n'ont pas cessé, situation qui, sans être acceptable, est compréhensible eu égard à la crise meurtrière qui secoue un pays voisin. Il serait utile de connaître les bases sur lesquelles repose cette réconciliation.

 

34.     Mme EVATT souligne la grande utilité du quatrième rapport périodique (CCPR/C/84/Add.1) pour elle qui n'était pas membre du Comité au moment de l'examen du rapport précédent (CCPR/C/52/Add.5); en effet, le quatrième rapport reprend quasiment toutes les informations contenues dans le précédent, encore qu'il soit assez difficile de faire la part de ce qui est nouveau. Par ailleurs, on peut regretter que les observations du Comité des droits de l'homme n'aient pas servi de point de départ à la rédaction du quatrième rapport périodique, et que les facteurs pouvant entraver la mise en oeuvre du Pacte ne soient pas évoqués. Il est en effet particulièrement important que les gouvernements reconnaissent que des problèmes se posent, de façon à pouvoir chercher avec le Comité un début de solution. En matière de droits de l'homme, c'est le sort de la population qui compte, et par conséquent l'application concrète l'emporte sur toute autre considération. Il ne suffit pas d'affirmer, comme il est fait au paragraphe 22, qu'il ne se produit jamais de violations systématiques des droits de l'homme commises avec l'aval des autorités.

 

35.     La création des organismes de défense des droits de l'homme cités dans le rapport périodique est certes une excellente chose mais, si leur rôle en matière administrative est évident, il n'en va pas de même de leur rôle de défenseur des citoyens. Par exemple, il faudrait savoir si les travaux de la Commission Driss ont abouti à l'inculpation de responsables de violations et si ses recommandations sont connues du public.

 

36.     Lors de l'examen du troisième rapport périodique, la délégation tunisienne avait insisté sur l'indépendance de la Ligue de défense des droits de l'homme; or le Comité a appris que les activités de cette organisation avaient été suspendues en 1992 et 1993 et que son dirigeant avait été arrêté. Force est donc de se demander si les organisations non gouvernementales ne sont bien acceptées en Tunisie qu'à condition de ne pas être critiques à l'égard du gouvernement.

 

37.     S'il faut se féliciter des nombreuses modifications apportées au Code de la famille, on ne peut manquer de relever toutefois la faible participation des femmes à la vie publique. Interrogé sur l'éventualité de réformer la législation en matière de succession, qui est discriminatoire à l'égard des femmes, le représentant du Gouvernement tunisien avait répondu lors de l'examen du rapport précédent que le climat social ne se prêtait pas à de tels changements. Mme Evatt se demande si le gouvernement est aujourd'hui prêt à engager lui-même les réformes nécessaires, comme il l'a fait dans de nombreux autres domaines. Enfin, elle voudrait savoir si le Code du travail a été modifié de façon à prévoir le congé de maternité dans le secteur privé, et si la situation a évolué dans le sens de l'égalité de rémunération entre hommes et femmes.

 

38.     Mme HIGGINS souligne l'engagement de la Tunisie dans l'action internationale en faveur de la promotion des droits de l'homme, attesté notamment par le respect des délais constaté pour la présentation des rapports et par la teneur du rapport lui-même. Certes, les facteurs pouvant entraver la mise en oeuvre du Pacte ne sont pas décrits, mais le Comité dispose d'une bonne mise à jour des informations, comme il le demande dans ses directives générales. L'introduction orale faite par la délégation tunisienne est venue compléter utilement le rapport. Le Comité n'ignore pas tous les problèmes qui assaillent la Tunisie et l'ensemble de la région, et il faut espérer qu'il n'y aura pas de régression dans le respect des droits de l'homme par la Tunisie. Le meilleur moyen de traduire dans les faits un engagement en faveur des droits fondamentaux de la personne humaine est de fournir aux citoyens la possibilité de recourir à une juridiction extérieure. Or la Tunisie n'a pas ratifié le Protocole facultatif se rapportant au Pacte et son représentant n'a avancé aucune raison. Mme Higgins demande instamment au Gouvernement tunisien de faire cette démarche particulièrement utile.

 

39.     En ce qui concerne la Ligue de défense des droits de l'homme, même si les accusations de critique à l'égard du pouvoir judiciaire portées contre cette organisation sont fondées, elles ne justifient en aucun cas la mesure de suspension de ses activités. La question est importante, car il semble qu'un climat de peur règne actuellement en Tunisie et que les militants des droits de l'homme hésitent à dénoncer des violations aux organes nationaux et internationaux de défense des droits fondamentaux. Mme Higgins souhaiterait entendre les observations de la délégation à ce sujet.

 

40.     Il existe en Tunisie une loi récente qui permettrait d'engager des poursuites à l'encontre de nationaux tunisiens ayant commis à l'étranger des actes contraires à la législation, actes qui pourraient être, par exemple, l'organisation de réunions privées; Mme Higgins souhaiterait des précisions à propos de ces dispositions, dont elle ne comprend pas le fondement juridique ni les motifs et la portée.

 

41.     En ce qui concerne la question de la tolérance, Mme Higgins voudrait savoir s'il est vrai qu'en Tunisie, comme dans d'autres pays, la tendance actuelle est à l'interdiction du port du foulard islamique dans les lieux publics ou au travail. Elle souhaiterait connaître la position du Gouvernement tunisien à ce sujet.

 

42.     Les renseignements donnés dans le rapport (par. 92) sur les travaux de la Commission Driss ne permettent pas de connaître exactement les résultats de ces travaux, les peines éventuellement prononcées ou les mesures disciplinaires prises, lacunes que la délégation tunisienne est invitée à combler. Comme celle de beaucoup d'autres pays, la législation tunisienne prévoit la perte du droit de vote dans le cas d'une condamnation pénale. Mme Higgins souhaiterait que lui soit expliqué en quoi "il est normal que de telles personnes soient privées du droit de vote" en raison de "leur comportement antisocial" (par. 233); elle n'a en effet jamais compris la justification d'une telle mesure, considérant que l'exécution de la peine prononcée par le tribunal est une mesure suffisante.

 

43.     M. WENNERGREN déclare que la situation des droits de l'homme en Tunisie n'est pas aussi satisfaisante que les apparences le laissent penser. On déplore notamment des atteintes à la liberté de la personne et à la liberté d'opinion et d'expression. Les mauvais traitements sont courants aussi, alors qu'au cours de l'examen du troisième rapport périodique, la délégation tunisienne avait donné à M. Wennergren l'assurance que toutes les mesures possibles étaient prises pour empêcher les tortures et les mauvais traitements. Cette délégation avait communiqué au Comité le texte d'un grand nombre d'instructions administratives rédigées notamment à l'intention du personnel pénitentiaire. Force est de constater que la situation ne s'est pas améliorée, probablement faute d'une réelle volonté politique pour ce qui est d'éliminer la pratique de la torture.

 

44.     M. Wennergren, qui a lui-même occupé les fonctions de médiateur dans son pays, se félicite de la création d'une institution analogue en Tunisie, et il voudrait connaître en détail les compétences et les pouvoirs de ce médiateur. D'après Amnesty International, en Tunisie, le médiateur n'a pas de véritable pouvoir et n'est pas habilité à intervenir en faveur des citoyens, alors que tel devrait être son rôle.

 

45.     Les nombreux organes créés en Tunisie pour assurer le respect des droits de l'homme ne semblent pas travailler dans la transparence. Par exemple, la Commission Driss s'est limitée dans son rapport à indiquer le nombre de fonctionnaires mis en cause, sans préciser les noms ni les faits. Il est impératif que des organes de cette nature fonctionnent au grand jour et que la population soit tenue informée de leurs activités comme de tout ce qui se passe dans le pays, car c'est de la confiance envers le gouvernement, qui peut être suscitée par une telle transparence, que naît en général la promotion des droits de l'homme.

 

46.     M. BAN se félicite de ce que le quatrième rapport périodique reprenne les informations données dans le précédent, car il n'était pas encore membre du Comité lors de l'examen de celui-ci. Il relève avec satisfaction le nombre considérable des réformes législatives adoptées depuis la présentation du dernier rapport ainsi que la création d'un grand nombre d'institutions visant à sauvegarder les droits de l'homme. Il lui semble toutefois que ces institutions sont trop centralisées.

 

47.     Le rôle des organisations non gouvernementales dans la défense des droits de l'homme n'est plus à démontrer, et la réaction du Gouvernement tunisien à l'égard de rapports d'Amnesty International (par. 22) n'est pas de nature à favoriser la coopération dans le domaine des droits fondamentaux.

 

48.     Les allégations de violations graves des droits de l'homme faites par des sources diverses contredisent les affirmations par trop générales qui figurent dans le rapport de la Tunisie, et M. Ban, qui ne doute pas que le Gouvernement tunisien a connaissance de ces allégations, voudrait savoir comment elles sont accueillies. Certaines pourraient être aisément réfutées ou ramenées à de justes proportions; à ce propos, il faut rappeler que la procédure établie en vertu du premier Protocole facultatif donne aux Etats parties une excellente occasion de réfuter les accusations portées contre eux. Le Gouvernement tunisien trouverait donc avantage à ratifier ce Protocole.

 

49.     M. FRANCIS revient sur l'application de l'article 3 du Pacte. Il lit au paragraphe 69 du rapport (CCPR/C/84/Add.1) que l'article 11 de la loi portant statut des fonctionnaires affirme qu'aucune distinction n'est faite entre les deux sexes, mais que le même article 11 laisse toutefois entrevoir la possibilité de prévoir certaines exceptions qui seraient commandées par la nature de la fonction. M. Francis comprend mal la justification de telles exceptions, et il demande si les autorités tunisiennes envisagent de supprimer cette disposition, qui peut être considérée comme une anomalie compte tenu, en particulier, de l'importance accrue que prennent aujourd'hui les femmes dans les affaires publiques.

 

50.     M. POCAR appelle l'attention sur deux aspects qui lui paraissent faire difficulté. Le premier a trait à la discrimination. A l'époque de l'examen du troisième rapport périodique de la Tunisie (CCPR/C/52/Add.5), le Comité s'était déclaré préoccupé de ce que, pour être éligible à la Chambre des députés, il fallait, entre autres conditions, être né de père tunisien. Autrement dit, la loi ne prévoyait pas qu'une personne dont seule la mère aurait la nationalité tunisienne soit éligible. La délégation tunisienne avait alors répondu que cette condition n'était pas appliquée dans les faits. Or, force est de constater aujourd'hui que non seulement le Code électoral mais aussi la Constitution, dans son nouvel article 21, prévoient que, pour être éligible, un électeur doit être né de père tunisien. M. Pocar aimerait savoir quelle est, dans la pratique, la situation à cet égard et si le fait que de nouvelles dispositions entérinent la condition susmentionnée indique que la situation s'est modifiée dans ce domaine depuis quelques années.

 

51.     Enfin, M. Pocar voudrait savoir pour quelles raisons la Tunisie n'a pas encore adhéré au premier Protocole facultatif se rapportant au Pacte. Lors de l'examen du troisième rapport périodique (CCPR/C/52/Add.5), la délégation tunisienne avait déclaré que rien ne s'opposait a priori à ce que son pays adhère à cet instrument, et que la question était à l'étude. La situation ne semble guère avoir évolué depuis, et M. Pocar serait reconnaissant à la délégation tunisienne de bien vouloir l'éclairer sur ce point.

 

52.     M. BRUNI CELLI fait observer qu'il y a de nombreuses raisons d'être optimiste quant à la situation des droits de l'homme en Tunisie. Tout d'abord, les autorités de ce pays ont dépêché une délégation de haut niveau, ce qui montre qu'elles reconnaissent l'importance qui s'attache au Pacte et aux travaux du Comité. Ensuite, le quatrième rapport périodique (CCPR/C/84/Add.1) a été établi selon les critères énoncés par le Comité pour l'établissement de ce type de document. Enfin, la Tunisie a adhéré à un grand nombre d'instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme et a mis en place une série d'institutions de promotion de ces droits, comme il ressort du paragraphe 13 du rapport (CCPR/C/84/Add.1).

 

53.     La situation au regard des droits de l'homme ne comporte toutefois pas seulement des aspects positifs, ce que d'autres membres du Comité ont déjà fait observer. M. Bruni Celli se contentera de revenir sur la question de l'adhésion au premier Protocole facultatif. Il insiste sur l'importance de cette adhésion. Dans les pays européens ou américains, les citoyens ont la possibilité de porter plainte devant des commissions spécialisées s'ils s'estiment victimes d'une violation de leurs droits fondamentaux. Or il n'existe pas de structure analogue dans la région d'Afrique, et les citoyens sont ainsi privés de l'exercice de l'un des droits les plus importants qui soient reconnus par les institutions internationales de protection des droits de l'homme. En ce qui concerne la situation en Tunisie, il est dit dans le paragraphe 22 du rapport (CCPR/C/84/Add.1) que le gouvernement ne nie pas que certains abus ont été commis par des individus exerçant des fonctions officielles. Dans ces conditions, on est amené à se demander si un particulier qui considère être victime d'un abus de ce genre aura la possibilité de porter plainte devant un organe supranational. Les autorités tunisiennes n'ont, semble-t-il, pas l'intention d'adhérer au premier Protocole facultatif dans un avenir proche, et ce fait préoccupe le Comité. M. Bruni Celli aimerait recevoir de plus amples informations quant à la position du Gouvernement tunisien sur cette question.

 

54.     Par ailleurs, si l'éventail des institutions nationales nouvelles visant à promouvoir les droits de l'homme constitue certes un progrès, le gouvernement devrait également favoriser la création et le développement de structures non étatiques dans ce domaine. Or on sait que la Ligue tunisienne des droits de l'homme, par exemple, rencontre un certain nombre de difficultés pour accomplir sa mission, et a dû notamment suspendre ses activités pendant un temps. Il est à noter par ailleurs que cette organisation est considérée comme l'une des institutions de promotion des droits de l'homme les plus développées de la région, et constitue un exemple dont se sont inspirées les organisations d'autres pays. M. Bruni Celli aimerait donc savoir si les autorités tunisiennes prennent, ou entendent prendre, des mesures visant à favoriser le développement des organismes de défense des droits de l'homme autres que ceux qui sont mis en place par l'Etat.

 

55.     M. PRADO VALLEJO salue tout d'abord les grands progrès réalisés par les autorités tunisiennes au cours des dernières années pour mettre en place des structures visant à protéger les droits de l'homme. En outre, la Tunisie a adhéré à la plupart des instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme, ce qui est un point de satisfaction. Quant à l'adhésion au premier Protocole facultatif, M. Prado Vallejo estime qu'elle ne devrait pas présenter de difficultés; au contraire, ce geste confirmerait la volonté des autorités tunisiennes de promouvoir les droits de l'homme dans leur pays.

 

56.     Cela étant dit, un certain nombre de problèmes subsistent. Tout d'abord, en ce qui concerne la question de l'acquisition de la nationalité tunisienne, il semble que le principe de droit international selon lequel tout enfant a droit à une nationalité ne soit pas pleinement appliqué en Tunisie, et il conviendrait de remédier à cette situation. En outre, le fait qu'une femme étrangère mariée à un Tunisien doit résider au moins deux ans en Tunisie pour obtenir la nationalité tunisienne, alors que cette condition n'existe pas si c'est le mari qui est étranger, constitue une discrimination à l'égard des femmes et, là encore, il conviendrait de remédier à cette situation.

 

57.     Par ailleurs, la lecture du paragraphe 218 du rapport (CCPR/C/84/Add.1) fait apparaître que certaines catégories de citoyens ne peuvent pas se marier librement, mais sont soumis à une autorisation administrative. Il s'agit des militaires et des diplomates. M Prado Vallejo s'étonne de cette restriction du droit au mariage, et il aimerait en connaître les raisons.

 

58.     Enfin, diverses sources d'information font état de violations des droits de l'homme en Tunisie. Des cas de discrimination fondée sur l'opinion politique ou religieuse ont été signalés : des intégristes auraient été victimes de mesures de répression, certaines publications critiques à l'égard du gouvernement auraient été interdites, y compris des organes de la presse internationale, des journalistes étrangers auraient été expulsés et certains opposants politiques tunisiens auraient perdu leur emploi en raison de leurs opinions. Plusieurs sources font état des difficultés que rencontrent les organisations de défense des droits de l'homme pour accomplir leur mission. Leurs membres sont victimes de mesures d'intimidation ou de menaces, et les avocats qui défendent des militants des droits de l'homme sont eux-mêmes soumis à des restrictions dans l'exercice de leur profession ou leurs déplacements. Face à la détérioration de la situation des droits de l'homme en Tunisie, M. Prado Vallejo aimerait recevoir des éclaircissements de la délégation tunisienne. En particulier, le gouvernement entend-il prendre des mesures pour veiller au plein respect des dispositions du Pacte ? M. Prado Vallejo demande enfin à la délégation tunisienne de transmettre à son gouvernement les préoccupations du Comité sur les points qu'il a évoqués.

 

59.     Le PRESIDENT annonce que l'examen du quatrième rapport périodique de la Tunisie (CCPR/C/84/Add.1) se poursuivra lors d'une prochaine séance.

 

La séance est levée à 12 h 55.

 

 

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