CCPR

NATIONS

UNIES

#unlogo.gif

Pacte international

relatif aux droits civils

et politiques

 

 

 

 

Comment                                                                                                    Distr.

                                                                                                   GENERALE

 

                                                                                                   CCPR/C/SR.1362

                                                                                                   26 octobre 1994

 

                                                                                                   Original : FRANCAIS

 

 

 

 

 

COMITE DES DROITS DE L'HOMME

 

Cinquante-deuxième session

 

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 1362ème SEANCE

 

tenue au Palais des Nations, à Genève,

le mercredi 19 octobre 1994, à 10 heures.

 

Président : M. ANDO

 

 

SOMMAIRE

 

Examen des rapports présentés par les Etats parties conformément à l'article 40 du Pacte (suite)

 

          -         Tunisie (suite)

 

 

__________

 

          Le présent compte rendu est sujet à rectifications.

 

          Les rectifications doivent être rédigées dans l'une des langues de travail. Elles doivent être présentées dans un mémorandum et être également portées sur un exemplaire du compte rendu. Il convient de les adresser, une semaine au plus tard à compter de la date du présent document, à la Section d'édition des documents officiels, bureau E.4108, Palais des Nations, Genève.

 

          Les rectifications aux comptes rendus des séances publiques de la présente session seront groupées dans un rectificatif unique qui sera publié peu après la clôture de la session.

 

 

 

GE.94-19519 (F)

La séance est ouverte à 10 h 20.

 

EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES CONFORMEMENT A L'ARTICLE 40 DU PACTE (point 4 de l'ordre du jour) (suite)

 

Quatrième rapport périodique de la Tunisie (suite)

(CCPR/C/84/Add.1; HRI/CORE/1/Add.46)

 

1.       MM. Ennaceur, Hetira, Kotrane, Cherif, Neji et Baati (Tunisie) prennent place à la table du Comité.

 

2.       Le PRESIDENT invite la délégation tunisienne à répondre aux questions de la section III de la liste des points à traiter, qui se lit comme suit :

 

     "III.           Liberté de circulation, droit à la vie privée, liberté de religion, d'opinion et d'expression, liberté d'association et de réunion et protection de la famille et des enfants (art. 12, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23 et 24)

 

                     a)       Quelle est la procédure prescrite pour l'enregistrement officiel par les autorités des sectes religieuses ou religions autres que l'islam ?

 

                     b)       Veuillez donner, le cas échéant, des précisions sur tout cas de saisie d'un numéro d'un périodique national ou d'interdiction d'un périodique étranger par le Ministère de l'intérieur durant la période considérée (voir par. 179 du rapport). Le projet de loi organique du 4 novembre 1992 modifiant le Code de la presse a-t-il été adopté et, dans l'affirmative, veuillez commenter les principaux changements qui en ont résulté (voir par. 189 du rapport).

 

                     c)        Y a-t-il eu, durant la période considérée, des cas de dissolution d'un parti politique en vertu de la loi organique No 2 du 2 mai 1988 et, dans l'affirmative, quelles en ont été les raisons ? (voir par. 205 du rapport).

 

                     d)       Veuillez donner des précisions sur les mesures prises pour prévenir l'emploi illégal des mineurs et sur les types d'activités que les mineurs âgés de moins de 15 ans sont autorisés à exercer (voir par. 229 du rapport)."

 

3.       M. ENNACEUR (Tunisie), répondant à la question a), souligne qu'il n'existe pas en Tunisie de système d'enregistrement des religions puisque, en effet, le libre exercice du culte est garanti par l'article 5 de la Constitution. De plus le Pacte national signé le 7 novembre 1988 par l'ensemble des mouvements politiques du pays confirme cette orientation tendant à l'absence totale de contraintes à l'égard des religions. La loi du 11 juillet 1958 garantit la protection des biens des associations israélites, et en particulier de ceux des écoles, dans les divers gouvernorats. Pour ce qui est de la religion catholique, un accord a été conclu le 27 juin 1964 entre le Gouvernement tunisien et le Saint-Siège, lequel désigne un prélat pour représenter l'Eglise en Tunisie. Diverses autres communautés (protestante et orthodoxe par exemple) professent elles aussi librement leur foi. Il faut préciser qu'en vertu du Code pénal, quiconque entrave l'exercice d'un culte ou l'organisation de cérémonies religieuses encourt une peine d'emprisonnement de six mois et une amende.

 

4.       En ce qui concerne la liberté de la presse, qui fait l'objet de la question b), il faut rappeler que 550 publications étrangères sont vendues en Tunisie. Les deux journaux français qui ont été interdits de vente ont été frappés par cette mesure pour propagation de fausses nouvelles et pour avoir refusé au gouvernement d'exercer son droit de réponse. En vertu d'une disposition légale récente, la décision de suspendre un journal ne peut émaner que de l'autorité judiciaire et ne peut dépasser six mois. La publication, l'introduction et la diffusion de périodiques étrangers ne sont soumises à aucune autorisation préalable. Il faut rappeler que l'Etat accorde des avantages de toutes sortes destinés à venir en aide aux entreprises de presse. Le Code de la presse a été modifié récemment dans le sens d'un renforcement de la liberté de la presse. Ainsi le nouvel article 52 marque un progrès en ce que désormais la diffamation n'est sanctionnée que dans le cas où elle est absolument dépourvue de fondement. Le nouvel article 54 fixe à six mois la durée maximale de suspension de parution d'un journal.

 

5.       Pour ce qui est des partis politiques (question c)), il faut préciser qu'il en existe sept en Tunisie. En mars 1994, pour la première fois, des élections législatives ont été organisées, et désormais cinq partis politiques se trouvent représentés au Parlement, ce qui est une nouveauté absolue. Depuis l'élaboration du dernier rapport périodique, aucun parti politique n'a été frappé d'une mesure de dissolution.

 

6.       Enfin, au sujet de l'emploi des personnes mineures (question d)), le Code du travail est parfaitement conforme aux dispositions internationales en la matière, puisque l'âge minimum d'admission à l'emploi est fixé à 15 ans. La Tunisie a ratifié les conventions de l'OIT concernant l'âge minimum dans les travaux maritimes (No 58), dans l'industrie (No 59), dans la pêche (No 112) et dans les travaux souterrains (No 123). Les enfants de moins de 15 ans peuvent travailler dans des établissements où seuls sont occupés les membres de leur famille sous l'autorité du père, de la mère ou du tuteur. D'autre part, l'âge minimum est abaissé à 13 ans dans l'agriculture ainsi que pour certaines activités industrielles, à condition que ce soit pour des travaux non nuisibles à la santé, à la moralité et au développement des enfants. Etant donné qu'en Tunisie la scolarité obligatoire commence à six ans et dure neuf ans, d'une façon générale les enfants ne travaillent pas avant l'âge de 15 ans.

 

7.       M. WENNERGREN demande tout d'abord si la situation des Baha'is s'est améliorée et si ceux-ci jouissent maintenant d'une plus grande liberté. Les Baha'is connaissent en effet des difficultés dans les pays musulmans en général.

 

8.       M. Wennergren s'attache ensuite à la question de la liberté de la presse. L'article 19 du Pacte prévoit certes quelques restrictions, mais celles-ci doivent être expressément fixées par la loi et être nécessaires "à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l'ordre public, de la santé ou de la moralité publiques". Or il est indiqué dans le paragraphe 180 d) du rapport que le Code réprime les crimes et délits commis par voie de presse tels que la diffamation ou l'injure et que les peines sont plus sévères lorsque les infractions sont dirigées contre "l'armée ou l'administration". D'après Amnesty International, il est quasiment impossible, depuis 1991, de trouver dans la presse tunisienne un article critique, ne serait-ce que légèrement, à l'égard du gouvernement. Il apparaît que toute critique est qualifiée de diffamation ou de fausse information et tombe par conséquent sous le coup de la loi; or la démocratie repose en grande partie sur la possibilité d'émettre des critiques à l'égard du gouvernement.

 

9.       En ce qui concerne les partis politiques, M. Wennergren relève au paragraphe 208 du rapport que, selon la loi sur les partis politiques, "aucun parti ne peut se réclamer d'une race, d'une religion ou d'une ethnie" et que cette loi est parfaitement "conforme au Pacte international relatif aux droits civils et politiques". Il lui semble que cette dernière affirmation peut être contestée et il voudrait savoir sur quoi le Gouvernement tunisien se fonde pour déclarer qu'une telle disposition est tout à fait conforme au Pacte.

 

10.     Mme HIGGINS, insistant sur la remarquable tolérance dont la Tunisie fait preuve en matière religieuse, souhaiterait elle aussi avoir des renseignements sur la situation actuelle des Baha'is. Il lui semble que le traitement réservé à ces derniers, même dans un pays aussi tolérant que la Tunisie, tient au fait que les autorités ne considèrent pas le baha'isme comme une religion mais comme une déviation par rapport à l'islam. Or ce n'est pas à l'Etat qu'il appartient de déterminer si telle ou telle croyance constitue une religion mais aux croyants eux-mêmes, et la position du Gouvernement tunisien à ce sujet devrait être précisée.

 

11.     Les restrictions prévues par l'article 19 du Pacte à l'exercice de la liberté d'expression sont de deux ordres. Elles concernent premièrement le respect des droits ou de la réputation d'autrui. Lorsqu'il s'agit de particuliers, il est généralement prévu un recours devant les tribunaux pour diffamation. Et s'il s'agit d'un gouvernement, on fera observer qu'il est dans la nature même de la démocratie que le gouvernement puisse être l'objet de critiques. La deuxième série de restrictions concerne les atteintes à la sécurité nationale, à l'ordre public, à la santé ou à la moralité publiques; la délégation tunisienne n'a pas précisé en quoi l'article du journal Le Monde dont il a été question mettait en danger la sécurité nationale tunisienne. Le fait que ce journal n'ait pas permis au gouvernement d'exercer son droit de réponse ne saurait justifier, au regard du Pacte, la suspension d'un journal et, de surcroît, les gouvernements disposent de nombreux autres moyens pour faire connaître leurs vues. Par ailleurs, s'il faut se féliciter de la nouvelle disposition du Code de la presse évoquée par la délégation tunisienne, une durée maximale de six mois de suspension est tout à fait excessive.

 

12.     M. BAN, se référant à l'article 12 du Pacte, se demande quelles sont les implications de la disposition de l'article 2 de la Constitution, en vertu duquel "la République tunisienne constitue une partie du Grand Maghreb arabe, à l'unité duquel elle oeuvre dans le cadre de l'intérêt commun". Est-ce à dire que l'entrée et le séjour sont, pour les ressortissants des autres pays du Maghreb, plus aisés que pour les ressortissants d'autres pays ?

 

13.     En ce qui concerne l'article 17 du Pacte, on note que rien n'est dit, dans le rapport périodique, des méthodes secrètes utilisées par les autorités pour poursuivre l'objectif légitime de la protection de la sécurité nationale. M. Ban se demande s'il existe dans la législation interne des dispositions régissant l'emploi de telles méthodes et, dans l'affirmative, si seul le pouvoir judiciaire est habilité à autoriser leur emploi ou si d'autres autorités le peuvent également.

 

14.     A propos de la liberté de religion, M. Ban, étant donné qu'il est proclamé à l'article premier de la Constitution que la religion de la Tunisie est l'islam, souhaiterait savoir si le prosélytisme religieux est ou non interdit et quelle est la situation de l'islam dans ce domaine par rapport aux autres confessions.

 

15.     Pour ce qui est de la liberté de la presse, M. Ban croit savoir que les modifications apportées en 1993 au Code de la presse permettent à toute personne inculpée de diffamation de se défendre s'il est prouvé que l'information publiée est juste; toutefois cette règle ne s'applique pas si c'est le Président de la République qui porte plainte pour diffamation, exception qui ne laisse pas d'être préoccupante et qui appelle des explications.

 

16.     M. AGUILAR URBINA fait siennes les inquiétudes des autres membres du Comité en ce qui concerne la situation des Baha'is.

 

17.     Pour ce qui est des libertés publiques en général, et en particulier de la liberté de pensée et de la liberté d'expression, la procédure judiciaire applicable dans les procès en diffamation, telle qu'elle est exposée dans les paragraphes 169 à 172, appelle des précisions. Il est indiqué en effet dans le paragraphe 172 que "la preuve du fait diffamatoire n'est pas recevable lorsqu'il concerne la vie privée", ce qui, à première vue, constitue une violation flagrante de l'article 14 du Pacte, puisqu'en Tunisie toute personne accusée de diffamation qui détient la preuve que le fait qu'elle a dénoncé et sur lequel l'accusation se fonde est vrai ne peut se défendre en produisant cette preuve au procès.

 

18.     De plus amples renseignements seraient également bienvenus au sujet de la suspension des périodiques et en particulier des journaux étrangers. La délégation tunisienne a indiqué que deux journaux avaient été suspendus mais, selon d'autres sources, il y en a eu quatre. Pour ce qui est du motif invoqué - la propagation de fausses nouvelles - il faudrait savoir selon quels critères ces nouvelles ont été qualifiées de fausses et si les journalistes incriminés ont eu la possibilité de se justifier. Comme de surcroît des journalistes (du journal Le Monde et de la BBC) ont été expulsés, la délégation tunisienne devrait indiquer si la mesure a été exécutée à la suite d'une procédure judiciaire complète, avec la possibilité pour les intéressés de former un recours contre l'arrêté d'expulsion.

 

19.     Enfin, comme d'autres membres du Comité, M. Aguilar Urbina considère qu'il n'est pas dans l'intérêt de la démocratie de prévoir des peines plus sévères lorsque les délits de presse intéressent des corps constitués, l'armée ou l'administration, et il se demande pourquoi un pays dont la législation est la plus progressiste de la région estime avoir besoin d'une telle disposition.

20.     M. MAVROMMATIS s'associe aux questions qui ont été posées précédemment. Il demande en outre la raison pour laquelle, comme il est indiqué dans le paragraphe 234 c) du rapport, tout candidat aux élections présidentielles doit nécessairement être musulman. Toujours à propos de la liberté de religion, en particulier dans le cas des Baha'is, il fait observer qu'au moment de l'examen du troisième rapport périodique de la Tunisie et de l'établissement du quatrième rapport, le Comité n'avait pas encore adopté son Observation générale concernant l'article 18 du Pacte, dans laquelle le Comité fait observer notamment : "L'article 18 protège les convictions théistes, non théistes et athées, ainsi que le droit de ne professer aucune religion ou conviction. Les termes conviction et religion doivent être interprétés au sens large" (M/CCPR/93/11, par. 2). Le Comité a en outre fourni dans son Observation générale un grand nombre de précisions sur son interprétation des dispositions de l'article 18 du Pacte. Il serait bon en conséquence que la délégation tunisienne en prenne dûment connaissance.

 

21.     M. BRUNI CELLI partage toutes les préoccupations exprimées par les membres du Comité à propos de la situation des droits de l'homme en Tunisie. En ce qui concerne, en particulier, la liberté d'information et d'expression, il souhaiterait savoir à qui revient la responsabilité de juger si une information est juste ou fausse, qui juge des irrégularités éventuelles intervenant dans le processus électoral, et si l'amendement prévu au Code de la presse dans le sens d'une plus grande liberté d'information a été approuvé.

 

22.     M. POCAR s'associe aux questions posées précédemment par les membres du Comité. Il revient pour sa part sur l'application de l'article 22 du Pacte, concernant la liberté d'association, et sur la loi tunisienne du 7 novembre 1959, modifiée en 1988 puis en 1992. Il relève à cet égard que, comme il est dit dans les paragraphes 199 et 200 du rapport, les associations sont classées selon la nature de leurs activités (sociales, culturelles, sportives, scientifiques, littéraires, artistiques, juridiques, etc.) et que les associations "à caractère général" ne peuvent refuser l'adhésion de toute personne qui s'engage à respecter leurs principes et leurs décisions. Il se demande, à propos de cette catégorie "générale" d'associations, s'il n'y a pas un risque d'abus, ce dernier consistant à inclure dans cette catégorie des associations dont les activités et les intérêts, sans être assimilables à ceux des partis politiques, seraient néanmoins de nature politique. En outre, il doute que cette disposition de la loi soit conforme aux dispositions de l'article 22 du Pacte, selon lesquelles toute personne a le droit de s'associer "librement" avec d'autres et l'exercice de ce droit ne peut faire l'objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique. Enfin, il s'interroge sur le statut des associations non constituées selon la loi tunisienne.

 

23.     Mme EVATT, se référant à l'article 12 du Pacte, concernant la liberté de circulation, rappelle que lors de l'examen du troisième rapport périodique de la Tunisie, le Comité s'était inquiété du nombre considérable de motifs pour lesquels les citoyens tunisiens pouvaient se voir refuser la délivrance d'un passeport, et elle note qu'encore à l'heure actuelle nombre de personnes dont les opinions politiques sont opposées à celles du gouvernement ou qui appartiennent à certaines confessions religieuses sont dans l'impossibilité d'obtenir ce document. Elle demande en conséquence si la loi sur les passeports a été effectivement modifiée comme la délégation tunisienne l'avait annoncé. Elle demande également la raison pour laquelle les personnes qui, condamnées pour délit d'opinion, ont purgé leur peine, doivent encore se soumettre à des contrôles auprès des autorités de police, qui leur confisquent leur passeport.

 

24.     A propos du droit à la liberté de religion, consacré à l'article 18 du Pacte, Mme Evatt fait siennes les questions posées précédemment par les membres du Comité. Elle relève en outre qu'il est dit dans le paragraphe 174 du rapport que les autorités s'efforcent d'éviter l'exploitation des mosquées à des fins politiques, ce qui lui paraît entièrement justifié, mais elle se demande par ailleurs si des pressions politiques ne sont pas précisément exercées sur les Baha'is en particulier pour les priver de leur droit à la liberté de religion. Pour ce qui est de la liberté d'expression, telle qu'elle est consacrée à l'article 19 du Pacte, elle croit comprendre qu'en réaction aux critiques formulées à son égard, le Gouvernement tunisien a décidé de censurer la presse et de condamner pour diffamation les journalistes qui expriment des opinions politiques dissidentes. A son avis, une telle décision est contraire au principe de la démocratie et du respect des droits de l'homme. En outre, il devrait appartenir à une autorité indépendante, et non pas à un ministre du gouvernement, de décider si une information est fausse ou non.

 

25.     A propos de l'application de l'article 22 du Pacte, relatif à la liberté d'association, Mme Evatt a été informée par la presse du cas de 18 personnes qui avaient constitué un groupe de défense des prisonniers d'opinion, lequel a été déclaré illégal et dont tous les membres ont été arrêtés et mis en détention. Elle souhaiterait savoir de quel type de délit ces personnes ont été accusées. Enfin, à propos de l'article 25 du Pacte, concernant la participation à la vie publique, elle demande si la loi garantit la représentation au Parlement de tous les partis politiques, y compris des petits partis, si le droit de voter et d'être candidat aux élections est reconnu aux femmes au même titre qu'aux hommes, et pour quelle raison les faillis réhabilités, les anciens détenus et les militaires en activité n'ont pas le droit de vote, comme il est indiqué dans le paragraphe 233 du rapport.

 

26.     Le PRESIDENT annonce que la délégation tunisienne répondra aux questions des membres du Comité après une brève interruption de séance.

 

La séance est suspendue à 11 h 25; elle reprend à 11 h 50.

 

27.     M. ENNACEUR (Tunisie) répond aux membres du Comité en regroupant les questions selon les articles du Pacte auxquels elles se rapportent. Au sujet de l'article 12, qui concerne la liberté de circulation, il précise que tout Tunisien a droit à un titre de voyage et que la liberté de circuler existe donc à l'intérieur et à l'extérieur du pays; les seules restrictions à cette liberté sont prévues par la loi, et sont décidées par le Procureur de la République dans le cas, par exemple, de personnes qui ont une affaire pendante en justice ou d'un mineur qui n'a pas d'autorisation parentale pour voyager. Tout Tunisien estimant être victime d'une restriction abusive du droit de circuler a la possibilité de recourir contre cette décision devant le tribunal administratif. On a parlé des facilités existant pour les ressortissants des pays du Maghreb; en effet, l'intégration maghrébine, sans être totalement réalisée, a fait des progrès; les Maghrébins peuvent donc entrer en Tunisie en bénéficiant de formalités réduites et peuvent même s'y établir dans des conditions peut-être plus favorables que celles qui sont faites à d'autres étrangers.

 

28.     En ce qui concerne l'application de l'article 17 du Pacte en Tunisie, M. Ennaceur déclare que la protection de la vie privée, de la correspondance et de la vie familiale font partie des libertés fondamentales protégées par la Constitution tunisienne. Quant à l'article 18 (liberté de pensée, de conscience et de religion), il a déjà été dit que la liberté de religion et de culte était garantie par la Constitution tunisienne. Au sujet des Baha'is, M. Ennaceur tient à préciser que la Tunisie n'a pas, ni en droit ni en fait, de système d'inquisition permettant de contrôler les croyances d'une personne, et qu'il n'existe pas de législation qui interdise ou favorise une religion quelconque. La Tunisie a un Ministère des affaires religieuses, ce qui est une garantie supplémentaire pour le libre exercice du culte. Pour sa part, M. Ennaceur n'a connaissance d'aucun problème ou d'un cas quelconque évoqué dans une plainte émanant de Baha'is et il s'étonne même que la question ait été posée. Peut-être des problèmes se posent-ils dans d'autres pays musulmans. Enfin, les questions sur la religion du Président de la République tunisienne et la boutade consistant à demander pourquoi celui-ci ne pourrait pas être un Baha'i ont une réponse simple : le droit étant l'expression d'une réalité et la réalité sociale et démographique de la Tunisie, pays démocratique, étant ce qu'elle est, le Président est élu par la majorité et, par conséquent, c'est un musulman. On pourrait aussi demander pourquoi un musulman ne serait pas Président de la République en France ou en Italie.

 

29.     Répondant ensuite aux questions concernant les articles 19 et 20 du Pacte (liberté d'expression et interdiction de la propagande en faveur de la guerre et de l'incitation à la haine et à la discrimination), M. Ennaceur souligne que les réformes récentes du Code de la presse ont marqué un progrès dans le sens de la protection de la liberté d'expression en Tunisie. En ce qui concerne la définition de la diffamation, la nouveauté est que, dès lors qu'une personne peut apporter des éléments matériels à l'appui de ce qu'elle avance (qu'il s'agisse de corruption ou d'abus de droits), il n'y a plus diffamation. On voit donc que la réforme va dans le sens de l'article 19 du Pacte. De plus, le nombre des cas où il y a injure a été réduit : désormais, seules peuvent être considérées comme un délit les injures qui n'ont pas été précédées d'une provocation. De surcroît, les sanctions sont renforcées si les injures sont dirigées contre un groupe religieux, ethnique, racial ou culturel. Conformément à l'article 20 du Pacte, le nouveau Code pénal sanctionne tout appel à la haine raciale ou religieuse ou à la haine dirigée contre un peuple.

 

30.     A la question de savoir si la critique est systématiquement condamnée en Tunisie, la réponse est "non". La critique est permise et même sollicitée, l'information circule, les contacts entre le gouvernement, les responsables politiques et la population se font à travers la presse, mais aussi dans le cadre des réunions que tiennent les organisations de masse et les associations. La critique est d'ailleurs indispensable au progrès d'une société démocratique. En revanche, sont sanctionnées en Tunisie les fausses nouvelles. C'est le ministère public qui établit s'il y a fausse nouvelle et cela doit être confirmé ou infirmé par le juge. A propos des éclaircissements demandés en ce qui concerne les quotidiens français Le Monde et Libération, M. Ennaceur précise que des journalistes envoyés par ces journaux continuent de se rendre en Tunisie et d'écrire des articles sur le pays. M. Ennaceur n'a pas le texte de l'article précis qui a été cité, mais il indique que Tunis avait envoyé une mise au point que le journal a refusé de publier, ce qui est contraire à la déontologie professionnelle.

 

31.     Les partis d'opposition sont au nombre de six en Tunisie dont quatre siègent au Parlement; ils tiennent des réunions, ont des journaux et critiquent le gouvernement et la gestion à différents niveaux. On a parlé de l'expulsion d'un journaliste de la BBC; ce journaliste a été remplacé et la BBC a bien un correspondant en Tunisie. En ce qui concerne les observations de Mme Evatt sur le fait que la presse serait systématiquement surveillée en Tunisie et que la critique ne serait pas autorisée, il s'agit d'une affirmation qui émane sans doute d'une organisation non gouvernementale; or elle est excessive et ne correspond pas à la réalité.

 

32.     M. Ennaceur passe ensuite aux questions qui ont trait aux articles 21 et 22 du Pacte, c'est-à-dire aux droits de réunion et d'association. A propos du droit d'association, qui est garanti en Tunisie, M. Pocar s'est demandé si les dispositions de la nouvelle loi tunisienne étaient conformes aux articles 21 et 22 du Pacte. Concrètement, la loi classe les associations en distinguant les associations à caractère général et les autres, à but plus limité, et elle protège le droit de tous à adhérer à une association de caractère général, en stipulant que ce type d'organisation ne peut refuser l'adhésion d'une personne qui accepte d'en respecter les principes. Or il s'est trouvé que des personnes se sont regroupées dans une association à caractère général qui se propose de défendre les droits de l'homme - alors que cet objectif devrait être celui de l'ensemble de la société - et a refusé certaines adhésions. Sur quelles bases légales ce refus est-il fondé ? Le droit tunisien, en pareil cas, donne la possibilité à celui dont l'adhésion a été refusée d'aller devant les tribunaux, qui diront si le refus est fondé sur des motifs légitimes ou non. On a dit aussi que la loi sur les associations était trop générale, mais cela est en faveur de quiconque est incriminé en vertu de cette loi, le juge ne pouvant que sanctionner les délits expressément prévus par la loi. Ayant un caractère général, la loi est souple et limite la possibilité de prononcer des sanctions.

 

33.     M. MAVROMMATIS fait une mise au point à propos de la réponse donnée par la délégation tunisienne à la question de savoir si la condition exigée pour être éligible à la présidence de la République tunisienne, à savoir d'être musulman, est conforme ou non aux dispositions du Pacte. Il est évident que les Tunisiens sont libres d'élire qui ils veulent, pour autant que les conditions d'éligibilité soient conformes aux dispositions du Pacte. M. Mavrommatis souhaiterait aussi que la délégation tunisienne réponde de manière précise aux questions qui ont été posées sur les Baha'is et le parti communiste. Premièrement, c'est le Département d'Etat des Etats-Unis qui écrit dans un rapport que, depuis 1994, les Baha'is ne peuvent avoir d'activités religieuses publiques étant donné que le gouvernement les considère comme une secte hérétique de l'islam. La question ayant déjà été soulevée à l'occasion du troisième rapport, la délégation devrait être au courant de ces faits et en mesure de les vérifier. Deuxièmement, le parti communiste des travailleurs est-il interdit et peut-il ou non participer aux élections ?

 

34.     Mme EVATT s'associe aux remarques de M. Mavrommatis concernant les Baha'is, rappelle qu'elle a elle-même demandé si porter atteinte à l'image de la Tunisie est un motif de refus du passeport, et constate que ses questions sur l'article 25 du Pacte, à savoir la condition d'éligibilité et les motifs entraînant le retrait du droit de vote, sont restées sans réponse.

 

35.     M. ENNACEUR (Tunisie) réitère la réponse qu'il a apportée à propos des Baha'is, à savoir qu'il n'y a eu ni réclamation ni plainte émanant de Baha'is qui auraient été persécutés.

 

36.     Le Parti communiste tunisien a changé de nom et s'appelle maintenant Al-Tajdid; il a participé aux élections législatives et compte quatre sièges au Parlement. On a dit que son chef avait été condamné; c'est une erreur : il est membre du Parlement et préside du reste ce parti depuis au moins 25 ans.

 

37.     En réponse à Mme Evatt, M. Ennaceur explique que la liberté de circulation peut être restreinte à la demande du Procureur de la République; quiconque s'estime victime d'un abus de pouvoir peut présenter un recours devant le Ministre de l'intérieur et, s'il n'obtient pas satisfaction, devant le tribunal administratif. Quant au droit de vote des faillis et des personnes condamnées à une peine afflictive ou infamante, il fait l'objet d'une privation limitée dans le temps puisque ces personnes peuvent être réhabilitées au bout d'un certain temps. Elles font une demande et la réhabilitation est accordée par le Chef de l'Etat. Mais cette règle va être modifiée et la réhabilitation interviendra systématiquement après un certain délai, qui variera selon que la personne aura été condamnée pour un crime ou pour un délit.

 

38.     Mme HIGGINS fait observer qu'elle n'a pas entendu de réponse à la question de Mme Evatt sur le point de savoir si un passeport pouvait être refusé pour offense à l'Etat, de même qu'à la question de savoir s'il existait une loi interdisant toute activité publique aux Baha'is.

 

39.     M. BRUNI CELLI commente la réponse de la délégation tunisienne au sujet de la loi sur le droit d'association et la protection des personnes souhaitant adhérer à une association. Il s'agit en fait d'un problème qui concerne la Ligue tunisienne des droits de l'homme, laquelle s'est vu contrainte par la nouvelle loi à accepter de nombreux nouveaux adhérents qu'elle ne souhaitait pas particulièrement compter parmi ses membres. Pour M. Bruni Celli, le droit d'association comporte le droit de choisir les personnes avec lesquelles on veut s'associer. S'il est vrai que les droits de l'homme sont une préoccupation de tous, il peut y avoir de nombreuses associations de défense des droits de l'homme et la Ligue tunisienne a le droit de choisir ses adhérents.

 

40.     Se référant à la réponse donnée par M. Ennaceur au sujet du Parti communiste, M. Bruni Celli déclare qu'il voudrait connaître le sort d'un dirigeant de ce parti dénommé Boudjema Remili, qui a été arrêté en 1994 puis condamné à huit mois de prison et à une amende pour délit de diffusion de fausses nouvelles.

 

41.     M. ENNACEUR (Tunisie) déclare, au sujet des Baha'is que rien, dans la législation ou dans la pratique, ne vient restreindre la liberté de ces personnes en Tunisie. Pour ce qui est des motifs de refus de délivrer un passeport, la règle, en Tunisie, est que chacun a son passeport, mais la liberté de circuler peut être limitée dans des cas exceptionnels, à la demande du Procureur de la République, et cette décision peut faire l'objet d'un recours auprès du Ministère de l'intérieur. Si ce recours n'aboutit pas, le plaignant peut s'adresser au tribunal administratif, qui annulera la décision si elle est fondée sur des motifs non prévus par la loi.

 

42.     Au sujet du droit d'association, il est vrai que la Ligue tunisienne des droits de l'homme refusait de se soumettre à la nouvelle loi, qui l'a classée association de caractère général, ce qui l'obligeait à accepter toutes les personnes voulant travailler à promouvoir ses objectifs. Le droit tunisien n'oblige pas une association à accepter n'importe qui en son sein, mais il donne à la personne dont l'adhésion a été refusée la possibilité d'aller en justice pour demander au juge de se prononcer sur l'admission. C'est au juge de décider en dernier recours du bien-fondé ou non de la décision. Pour la délégation tunisienne, la nouvelle loi sur les associations s'inscrit dans la logique de l'article 22 du Pacte. Par ailleurs, la loi sur les associations dit qu'un dirigeant de parti politique ne peut diriger une association, et la Ligue tunisienne des droits de l'homme s'est heurtée à ce problème de l'appartenance des dirigeants à un parti politique. A son dernier congrès, elle a modifié ses statuts pour les mettre en conformité avec la loi.

 

43.     Le PRESIDENT invite ensuite les membres du Comité à formuler leurs observations finales sur l'examen du rapport (CCPR/C/84/Add.1).

 

44.     M. EL SHAFEI remercie la délégation tunisienne pour la présentation qu'elle a faite du rapport (CCPR/C/84/Add.1) et pour ses réponses. Il lui sait gré de ne pas avoir caché les difficultés qui entravent l'application du Pacte. La Tunisie vit une époque charnière, marquée par d'importants changements sur le triple plan économique, politique et social, ce dont rendent bien compte les mesures législatives qui ont été prises ces dernières années. Même si, comme l'a d'ailleurs reconnu la délégation tunisienne, d'autres mesures doivent encore être prises, nul doute qu'il existe une volonté politique claire de faire évoluer les choses dans le bon sens.

 

45.     Certaines questions soulevées par des membres du Comité n'ont toutefois pas trouvé de réponse. En particulier, plusieurs dispositions de la loi sur les partis politiques ne paraissent pas conformes à l'article 22 du Pacte. De même, le Code de la presse ne paraît pas conforme à l'article 19 du Pacte, et les textes régissant le service civil ne semblent pas compatibles avec l'article 8. Enfin, même si le nombre des délits passibles de la peine capitale a été réduit, les dispositions légales dans ce domaine restent incompatibles avec l'article 6. A ce propos, M. El Shafei aimerait savoir si la Tunisie, qui a adhéré à un grand nombre d'instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme, envisage de devenir partie au deuxième Protocole facultatif. Dans l'affirmative, elle serait ainsi l'un des premiers pays à le faire dans cette région du monde et pourrait donner l'exemple. En ce qui concerne l'adhésion de l'Etat tunisien au premier Protocole facultatif, rien ne semble s'y opposer, et M. El Shafei souhaite vivement qu'elle devienne

réalité.

 

46.     M. BRUNI CELLI remercie la délégation tunisienne du rapport très détaillé (CCPR/C/84/Add.1) qu'elle a présenté et complété oralement. Il relève un certain nombre de points positifs, notamment le fait que le gouvernement ait envoyé une délégation de si haut niveau, ce qui montre l'importance qu'il attache aux obligations qui lui incombent en vertu du Pacte ainsi qu'aux travaux du Comité; il faut ajouter à cela la création de plusieurs organes visant à promouvoir les droits de l'homme et l'adhésion de la Tunisie à plusieurs instruments internationaux relatifs à cette question.

 

47.     Certains doutes demeurent néanmoins, en particulier en ce qui concerne la liberté d'expression. Plus précisément, M. Bruni Celli aimerait savoir ce que recouvre le délit de propagation de fausse information, et qui décide qu'une information est fausse. En résumé, le droit à l'information ne lui semble pas pleinement garanti en Tunisie. Par ailleurs, en ce qui concerne le droit d'association, il s'interroge sur les raisons pour lesquelles la Ligue tunisienne des droits de l'homme a accepté la nouvelle loi sur les associations, qui lui impose d'admettre en son sein toute personne qui demande à en faire partie et de justifier son refus de façon détaillée, le cas échéant. M. Bruni Celli veut croire que la Ligue ne s'est pas pliée à ces nouvelles dispositions sous la menace.

 

48.     D'autres sujets de préoccupation demeurent, en particulier certains aspects discriminatoires du traitement accordé aux femmes et la réglementation du mariage. La question de la peine de mort suscite également des inquiétudes. Par ailleurs, en ce qui concerne les abus commis par des fonctionnaires ou des membres de la police, le Comité ne sait toujours pas si les allégations à ce sujet ont donné lieu à des enquêtes judiciaires ou autres. Enfin, M. Bruni Celli reste préoccupé par le fait que les autorités tunisiennes ne paraissent avoir fixé aucune échéance précise pour l'adhésion au premier Protocole facultatif.

 

49.     Mme EVATT remercie la délégation tunisienne pour le rapport détaillé qu'elle a présenté (CCPR/C/84/Add.1) et le dialogue utile qu'elle a noué avec le Comité. Outre le rapport, Mme Evatt a lu avec attention plusieurs documents d'ONG relatifs à la situation en Tunisie, et elle croit comprendre que ce pays est doté d'un système juridique moderne et relativement complet. Plusieurs aspects positifs méritent d'être signalés, comme la réforme du Code du statut personnel ou les efforts entrepris en ce qui concerne la planification de la famille et l'éducation des femmes. Même s'il reste encore beaucoup à faire, toutes ces mesures ont néanmoins amélioré la situation des femmes en Tunisie. D'autre part, la réduction du nombre des cas de détention avant jugement et l'assouplissement des dispositions légales relatives à la presse constituent un progrès, qui reste toutefois à traduire pleinement dans les faits. D'une façon générale, les efforts entrepris par les autorités tunisiennes sur le plan législatif permettent d'espérer que, en tenant compte notamment des remarques des membres du Comité, la législation pourra être mise en pleine conformité avec les dispositions du Pacte.

 

50.     Cela étant dit, les membres du Comité ont exprimé un certain nombre de préoccupations, qui portent non seulement sur les dispositions légales, mais aussi sur la pratique. A cet égard, Mme Evatt constate que l'Etat exerce encore un contrôle trop important sur la société tunisienne, et qu'il est difficile, en Tunisie, de critiquer le gouvernement. D'un côté, celui-ci s'est officiellement engagé en faveur des droits fondamentaux et, de l'autre, certains militants des droits de l'homme sont victimes de mesures de répression, de même que leurs familles.

 

51.     Mme Evatt tient à exprimer un certain nombre de préoccupations précises, en particulier pour ce qui concerne la détention au secret, les violences auxquelles sont soumis certains détenus, les cas de décès en garde à vue, les aveux extorqués sous la contrainte, l'impunité dont jouissent les fonctionnaires coupables d'abus, et les restrictions imposées à la liberté de la presse. Elle fait observer que, faute d'ordonner des enquêtes sur les allégations de violations des droits de l'homme, de poursuivre les coupables et d'offrir des possibilités de recours, le gouvernement, même s'il n'est pas directement coupable des faits incriminés, s'en rend complice par son inaction. Mme Evatt insiste sur la nécessité de respecter strictement le délai de garde à vue et les dispositions relatives à l'examen médical des personnes privées de liberté. D'une façon générale, il convient de renforcer le rôle des juges et des enquêteurs dans ce domaine.

 

52.     Pour conclure, Mme Evatt rappelle que des inquiétudes ont été exprimées au sujet du respect des dispositions des articles 12, 18, 19, 22 et 25 du Pacte et que, pour le Comité, c'est la compatibilité à la fois des lois tunisiennes et de leur application avec le Pacte qui est ainsi mise en doute.

 

53.     M. FRANCIS se félicite du dialogue fructueux qui s'est engagé avec la délégation tunisienne, de la qualité du rapport qu'elle a présenté (CCPR/C/84/Add.1) et des réponses claires qu'elle a apportées aux questions des membres du Comité. Il se félicite également du cadre constitutionnel dans lequel s'inscrit la protection des droits de l'homme en Tunisie, et de la création d'une série d'organes qui devraient permettre d'accélérer la pleine réalisation des droits prévus dans le Pacte.

 

54.     Un certain nombre de questions cruciales n'ont toutefois pas reçu de réponse, ce qui est préoccupant. Les membres du Comité ont évoqué plusieurs faits relatés dans des documents émanant d'ONG, en particulier Amnesty International. Cette dernière organisation fait en général preuve d'une grande rigueur dans ses affirmations, ce que M. Francis a eu l'occasion de constater à propos de son propre pays, et, par ailleurs, le Gouvernement tunisien ne saurait ignorer le contenu des publications d'Amnesty International relatives à la Tunisie, qui ont été très largement diffusées dans le monde.

 

55.     Cela étant dit, M. Francis met l'accent sur la nécessité, pour les autorités tunisiennes, de mettre fin aux abus commis par les forces de sécurité, d'enquêter sur les plaintes, de publier les conclusions de ces enquêtes et de châtier les coupables. Il espère que le gouvernement prendra des mesures appropriées pour remédier à une situation qui contredit pleinement l'image qu'offre par ailleurs la Tunisie dans le domaine des droits de l'homme.

 

56.     M. Francis se déclare aussi préoccupé par la question de la torture. Il veut croire que ce sujet a été traité dans les rapports présentés par la Tunisie à d'autres organes créés en vertu d'instruments internationaux, mais cela ne saurait dispenser les autorités tunisiennes de traiter cette question dans le cadre des rapports périodiques soumis au Comité des droits de l'homme.

57.     Enfin, M. Francis espère que les aspects discriminatoires qui subsistent dans la société tunisienne, en particulier ceux qui concernent le sexe, disparaîtront et que, par ailleurs, les autorités adhéreront aux deux Protocoles facultatifs.

 

58.     M. AGUILAR URBINA remercie la délégation tunisienne des réponses qu'elle a apportées au Comité, dont certaines le laissent toutefois insatisfait. En ce qui concerne notamment les conditions liées à la religion qui sont requises pour être éligible à la fonction présidentielle, il déclare qu'à son avis elles sont contraires aux dispositions du Pacte. Il cite l'exemple de son pays, le Costa Rica, dont la population est majoritairement catholique et où, lors de la dernière élection présidentielle, plusieurs candidats étaient d'une autre confession.

 

59.     M. Aguilar Urbina relève cependant plusieurs améliorations, notamment en ce qui concerne le statut de la femme et les questions d'héritage et de nationalité. Il note toutefois, au sujet du devoir d'obéissance de la femme à son mari, que si une loi datant de juillet 1993 a modifié la situation dans ce domaine, elle stipule qu'il convient de se référer aux us et coutumes du pays. A son sens, une telle disposition est dangereuse, car elle pourrait justifier des pratiques renvoyant à un passé inégalitaire.

 

60.     En ce qui concerne la question du droit d'association, M. Aguilar Urbina s'associe aux remarques de MM. Pocar et Bruni Celli. Il s'associe également aux préoccupations de ce dernier concernant la divulgation de fausses informations. Selon lui, il est important de savoir non seulement qui décide qu'une information est fausse, mais aussi selon quels critères, et comment ces dispositions sont appliquées.

 

61.     Pour conclure, M. Aguilar Urbina fait part de son inquiétude quant au pouvoir excessif que paraît avoir le Président de la République en Tunisie. En effet, certaines décisions présidentielles ne sont pas susceptibles de recours devant les tribunaux. De plus, certains organes de défense des droits de l'homme dépendent directement du Président, ce qui ne garantit pas pleinement leur indépendance et les empêche notamment de critiquer ce qui doit l'être. Or on sait que la critique est indispensable au progrès de toute société.

 

62.     M. PRADO VALLEJO s'associe aux autres membres du Comité pour remercier la délégation tunisienne pour le rapport de grande qualité (CCPR/C/84/Add.1) qu'elle a présenté et complété oralement, ainsi que pour le dialogue constructif qu'elle a engagé avec le Comité. Il fait observer que la Tunisie coopère d'ailleurs de longue date avec le Comité.

 

63.     Cela étant dit, la situation au regard des droits de l'homme reste préoccupante dans plusieurs domaines essentiels. En particulier, le fait que certains partis politiques ne soient pas reconnus par le gouvernement entrave l'exercice du droit d'association et la liberté d'expression. En outre, la situation politique est encore instable en Tunisie; elle n'est pas totalement exempte de cas de répression. Par ailleurs, et malgré les déclarations de la délégation tunisienne, tout laisse à penser que la communauté baha'ie se trouve dans une situation difficile en Tunisie, et certains de ses membres auraient même été menacés d'expulsion. Enfin, M. Prado Vallejo se déclare particulièrement préoccupé par le fait que la loi sur la presse de 1988 n'a pas aboli la censure. Certes, le gouvernement a assoupli les exigences auxquelles la presse doit se plier, mais force est de constater que certaines publications ont été récemment interdites de vente pour avoir exprimé des opinions qui ne plaisaient pas aux autorités. M. Prado Vallejo rappelle que la censure est une atteinte à la liberté d'expression prévue par le Pacte.

 

64.     M. Prado Vallejo veut croire qu'à l'issue de l'examen du quatrième rapport périodique (CCPR/C/84/Add.1), les autorités tunisiennes seront mieux informées des préoccupations du Comité et veilleront à prendre les mesures appropriées afin de garantir le plein respect des dispositions du Pacte.

 

65.     Le PRESIDENT annonce que l'examen du quatrième rapport périodique de la Tunisie (CCPR/C/84/Add.1) se poursuivra au cours de la prochaine séance.

 

La séance est levée à 13 heures.

 

----



Home | About Bayefsky.com | Text of the Treaties | Amendments to the Treaties

Documents by State | Documents by Category | Documents by Theme or Subject Matter

How to Complain About Human Rights Treaty Violations | Working Methods of the Treaty Bodies | Report: Universality at the Crossroads