Distr.

GENERALE

CERD/C/SR.1113
15 août 1995


Original: FRANCAIS
Compte rendu analytique de la 1113ème seance : United Arab Emirates. 15/08/95.
CERD/C/SR.1113. (Summary Record)

Convention Abbreviation: CERD
COMITE POUR L'ELIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE


Quarante-septième session


COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 1113ème SEANCE


tenue au Palais des Nations, à Genève,
le mercredi 9 août 1995, à 15 heures

Président : M. GARVALOV


SOMMAIRE

Examen des rapports, observations et renseignements présentés par les Etats parties conformément à l'article 9 de la Convention (suite)

- Septième, huitième, neuvième, dixième et onzième rapports périodiques des Emirats arabes unis


La séance est ouverte à 15 h 10.

EXAMEN DES RAPPORTS, OBSERVATIONS ET RENSEIGNEMENTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES CONFORMEMENT A L'ARTICLE 9 DE LA CONVENTION (point 4 de l'ordre du jour) (suite)

Septième, huitième, neuvième, dixième et onzième rapports périodiques des Emirats arabes unis (CERD/C/279/Add.1)

1. La délégation des Emirats arabes unis prend place à la table du Comité.

2. M. AL JARMAN (Emirats arabes unis) présente les excuses de l'Union pour sa longue absence des travaux du Comité et son retard dans la présentation des rapports périodiques. Il explique que l'Union a d'abord voulu asseoir le jeune Etat sur des bases solides.

3. Les principes sur lesquels l'Union est fondée sont les principes modernes de justice et d'égalité entre tous les membres de la société. La Constitution, qui a pour objectifs le bien-être de la société, la réalisation des droits fondamentaux et la préservation de l'Union, consacre solennellement ces principes, notamment en son chapitre II qui garantit les droits économiques et sociaux fondamentaux, et en son chapitre III qui traite des droits civils et politiques. Elle est donc en tous points conforme aux dispositions de l'article 5 de la Convention.

4. Détaillant les structures de l'Etat qui permettent le libre exercice des droits fondamentaux, M. Al Jarman fait observer que les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire sont indépendants les uns des autres, comme le veut le chapitre IV de la Constitution. Il s'attarde plus longuement sur le pouvoir judiciaire, dont l'importance tient à ce qu'il est gardien de la Constitution et garant des libertés fondamentales. Les articles 94 à 109 de la Constitution garantissent l'indépendance de la magistrature et du pouvoir judiciaire, au sommet duquel se trouve la Haute Cour de l'Union. Celle-ci veille à la constitutionnalité des lois de l'Union et des différents Emirats, elle interprète la Constitution, précise les responsabilités du gouvernement et des ministres et connaît des délits touchant les intérêts de l'Union ainsi que des conflits sur les compétences juridictionnelles.

5. Parmi les nombreux textes qui ordonnent les domaines civil, pénal, économique et social, le Code pénal occupe une place prépondérante. Il protège la vie et les libertés des individus, le caractère sacré des religions et la liberté de pensée, qui s'accompagne naturellement de la liberté d'expression orale ou écrite. Toute infraction à ces textes est sanctionnée par des peines d'emprisonnement ou des amendes. En application de l'article 25 de la Constitution, leurs dispositions s'appliquent à tous, sans distinction d'origine, de lieu de résidence, de croyance religieuse ou de rang social. Outre les articles 26, 29, 30 et 32 de la Constitution qui protègent les libertés fondamentales du citoyen, il faut mentionner l'article 41 qui prévoit le recours aux instances judiciaires compétentes en cas d'atteinte à ces libertés.

6. Depuis sa création, qui remonte à moins de 25 ans, l'Union a pris toutes les dispositions et mis en place toutes les structures nécessaires au développement économique, social et culturel de la population, dont non seulement la société en général, mais chaque citoyen en particulier a pu bénéficier. Ainsi, sur une population d'environ deux millions d'habitants, 400 000 enfants, soit le cinquième de la population, sont scolarisés, sans considération de sexe ou d'origine nationale ou étrangère. L'enseignement est obligatoire dans le cycle primaire et gratuit à tous les niveaux. Dès 1972, trois lois portant organisation de l'enseignement réglementaient les écoles privées et l'envoi d'étudiants à l'étranger, et confirmaient le caractère obligatoire de l'enseignement. L'orateur souligne que les communautés étrangères peuvent ouvrir leurs propres écoles privées et que l'enseignement y est dispensé gratuitement, conformément aux articles 17 et 18 de la Constitution.

7. Dans le domaine de la santé, les progrès ne sont pas moindres. Le pays est bien équipé en hôpitaux et centres de soins et l'on compte un médecin pour moins de 1 000 habitants et un lit d'hôpital pour 150 personnes. De plus, les soins de santé, garantis à tous par l'article 19 de la Constitution, sont gratuits. L'Union a là une situation plus que satisfaisante au regard des normes internationales. Sur le plan social, la loi No 20 de 1981 régit la constitution d'associations professionnelles, lesquelles s'organisent sans ingérence de l'Etat. De plus, en application des articles 15 et 16 de la Constitution, la famille et les membres les plus vulnérables de la société - les enfants, les jeunes et les personnes âgées - sont protégés.

8. Pour développer le pays, l'Union a fait appel à la main-d'oeuvre étrangère, mais elle ne l'abandonne pas au bon plaisir des employeurs. Toute une législation du travail régit les droits et obligations des employeurs et des employés. Conformément à l'article 20 de la Constitution, qui reconnaît que le travail est une composante essentielle du progrès de la société, les droits et libertés des travailleurs sont garantis et l'Union respecte les résolutions et recommandations de l'Organisation internationale du Travail; elle a adhéré aux Conventions Nos 1, 29, 80 et 89 de cette organisation et a conclu des accords bilatéraux avec les pays d'origine des travailleurs étrangers.

9. L'Union accorde une grande importance à la liberté d'expression, et par conséquent à la liberté de la presse, qui sont protégées par l'article 30 de la Constitution. Un grand nombre de journaux et de revues diffusent les opinions des organismes publics comme des entités privées. Aucun sujet n'est tabou.

10. Enfin, les Emirats arabes unis ont largement contribué à l'assistance à plusieurs pays en développement, notamment par le Fonds de développement économique d'Abu Dhabi et par une assistance de type humanitaire.

11. M. Al Jarman espère avoir donné un complément d'information assez abondant au Comité et l'assure que dorénavant les rapports périodiques des Emirats arabes unis seront complets et envoyés à temps.

12. M. DIACONU (Rapporteur pour le pays) se déclare impressionné par le nombre et la qualité des membres de la délégation que les Emirats arabes unis ont envoyée. Leur présence contraste heureusement avec l'absence totale de représentants de l'Etat partie lors de l'examen de son sixième rapport. Il recommande à l'Union de ne plus laisser s'écouler autant de temps entre les présentations de ses rapports périodiques.

13. M. Diaconu se félicite que M. Al Jarman ait fait la lumière sur certains points importants qui ne sont pas traités dans le dernier rapport. D'abord, la présentation du cadre législatif est plus claire, non seulement en ce qui concerne la constitution de 1971, qui est renouvelée tous les cinq ans, mais en ce qui concerne le grand nombre de lois adoptées depuis cette date dans les domaines qui intéressent particulièrement le Comité, c'est-à-dire les lois concernant les écoles privées, la législation du travail et le Code pénal.

14. Le représentant des Emirats arabes unis a aussi parlé des travailleurs étrangers présents dans l'Union - qui, selon certains documents, représentent 80 % de la main-d'oeuvre - et de la législation qui semble tendre à leur accorder de plus en plus des droits économiques égaux à ceux des ressortissants de l'Union. Certains points restent cependant à éclaircir : la nationalité de ces travailleurs migrants, qui devrait être précisée dans les statistiques qui les concernent, et les conditions dans lesquelles ils font venir leurs familles et leurs enfants, si toutefois ils y sont autorisés; les possibilités offertes à ces enfants d'étudier dans leur langue maternelle et de pratiquer leur religion; enfin, les conditions dans lesquelles un étranger peut devenir citoyen des Emirats arabes unis, si toutefois une telle possibilité existe. Selon diverses informations, des traitements inhumains seraient infligés à des ressortissants de pays d'Asie, surtout des femmes, travaillant dans les Etats du Golfe. Le Comité aimerait savoir ce qu'il en est dans les Emirats arabes unis, si des femmes asiatiques sont employées comme domestiques, si des plaintes pour mauvais traitements ont été déposées, bref, si le droit de ne pas subir de traitements inhumains est respecté en ce qui les concerne. Le rapport de 1985 donnait des chiffres concernant les écoles enseignant en langue étrangère et leurs effectifs. M. Diaconu demande si la situation, qui paraissait tout à fait favorable, a évolué, combien d'élèves sont inscrits dans ces écoles, s'il y a des enfants de travailleurs migrants parmi eux et s'il existe pour ces enfants des maisons de la culture ou des clubs leur permettant de garder des liens avec leurs traditions d'origine.

15. De l'avis de M. Diaconu, la mise en oeuvre de l'article 4 n'est pas satisfaisante. Etant donné que le précédent rapport annonçait qu'un projet de Code pénal était à l'étude, il voudrait savoir si ce code est désormais applicable dans l'ensemble de l'Union. Il y relève une carence manifeste pour ce qui est de l'application de l'article 4. En effet, les offenses faites aux sentiments religieux et la diffamation sont réprimées, mais il est difficile d'assimiler ces infractions à de la propagande raciste ou à de l'incitation à la discrimination raciale. M. Diaconu voudrait savoir si des articles de ce code ont été invoqués et si, par analogie, des infractions aux dispositions concernant la liberté d'exercer la religion de son choix ont pu être assimilées à des cas de discrimination raciale ou ethnique. Quoi qu'il en soit, M. Diaconu engage le Gouvernement de l'Union à réexaminer sa législation afin d'assurer sa conformité avec l'article 4 de la Convention.

16. Concernant l'application de l'article 5 de la Convention, M. Diaconu note que le rapport contient bien peu d'informations. Il aimerait savoir avec précision si l'exercice de tous les droits mentionnés dans cet article est garanti à tous sans discrimination.

17. S'agissant de l'article 6, l'information que donne le rapport sur le partage des compétences entre les tribunaux islamiques et les tribunaux civils est très intéressante. Il semble, d'après ces informations, que les actes de discrimination raciale sont de la compétence des tribunaux civils. Il serait utile maintenant de préciser si ces tribunaux ont effectivement eu à connaître de cas de ce genre.

18. Enfin, le représentant de l'Union a parlé d'accords bilatéraux concernant les travailleurs migrants. M. Diaconu voudrait savoir avec quels pays de tels accords ont été signés et quel est le contenu de ces accords.

19. En conclusion, il engage les Emirats arabes unis à présenter un douzième rapport contenant des données démographiques, économiques, sociales et culturelles plus complètes.

20. Mme SADIQ ALI rappelle, à propos du paragraphe 23 du rapport, que selon la réglementation en vigueur sur les visas, seuls les hommes qui gagnent plus de 4 000 dirhams, sont autorisés à faire venir leur famille. Elle voudrait savoir quel principe sous-tend une telle mesure.

21. Elle fait ensuite part au Comité d'un fait significatif et inquiétant survenu aux Emirats arabes unis et dont le journal Los Angeles Times se fait l'écho. Il s'agit du cas d'une jeune employée de maison philippine de 15 ans qui a tué son employeur alors que celui-ci, après lui avoir offert de l'argent contre sa virginité, la violait sous la menace d'un couteau. Le tribunal islamique a d'une part reconnu que la jeune fille avait été victime d'un viol et lui a accordé 27 000 dollars de dommages-intérêts et l'a d'autre part condamnée à sept ans de prison et à 40 500 dollars d'amende pour homicide sans préméditation. L'émotion suscitée par ce verdict contradictoire a été grande dans la communauté philippine et dans le corps diplomatique des pays d'Asie. Ce fait illustre la vulnérabilité des gens de maison travaillant dans les pays du Golfe, dont certains sont pratiquement tenus en esclavage. Il arrive que leurs employeurs, après leur avoir confisqué leur passeport, s'autorisent toutes sortes de mauvais traitements, que des agents recruteurs exigent un fort pourcentage de leurs gages et que, dans certains pays, la législation du travail ne s'applique pas à eux. Les milliers de kilomètres qui les séparent de leur famille accentuent encore leur vulnérabilité.

22. De tels cas de mauvais traitements ne sont certes pas la règle générale, mais ceux qui se produisent ne grandissent pas l'Islam et les pays islamiques. Mme Sadiq Ali voudrait savoir quelles mesures prend un pays aussi civilisé que les Emirats arabes unis pour assurer la protection des femmes étrangères qui viennent y travailler.

23. M. de GOUTTES demande des éclaircissements sur les paragraphes 36 et 38 du rapport. D'une part, les infractions à caractère raciste peuvent-elles être jugées par les tribunaux islamiques et de quels droits disposeraient les étrangers qui en seraient victimes, devant ces tribunaux, si ceux-ci étaient compétents ? D'autre part, la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale peut-elle être, le cas échéant, invoquée directement par des particuliers devant les tribunaux islamiques ?

24. M. FERRERO COSTA se félicite de la reprise du dialogue entre les Emirats arabes unis et le Comité. L'importance que l'Etat partie attache aux travaux du Comité se reflète dans la présence d'une délégation nombreuse et de haut niveau. Ceci dit, M. Ferrero Costa espère que le prochain rapport périodique contiendra plus d'informations et sera établi conformément aux principes directeurs concernant la forme et la teneur des rapports, adoptés par le Comité. L'Etat partie devrait également élaborer un document de base à l'intention des différents organes chargés des droits de l'homme.

25. M. Ferrero Costa demande ensuite des précisions sur la composition démographique des Emirats arabes unis qui, selon le rapport précédent, réunit un large éventail d'appartenances nationales et religieuses. Quelles sont-elles ? Quel est le nombre d'étrangers ? Par ailleurs, il se demande s'il n'y a pas une incompatibilité entre des dispositions constitutionnelles visant à assurer l'égalité de tous les citoyens sans distinction d'origine, de lieu de résidence, de croyance religieuse ou de rang social mentionnées au paragraphe 2 du rapport, et la définition plus large de la discrimination raciale donnée à l'article premier de la Convention dans laquelle est mentionnée aussi la distinction fondée sur la race, la couleur, l'ascendance ou l'origine nationale ou ethnique. Il aimerait aussi avoir des explications sur la façon dont les Emirats arabes unis adoptent et promulguent les traités internationaux et les incorporent dans le droit interne. Comme M. Diaconu et M. de Gouttes, il aimerait savoir dans quelle mesure les tribunaux appliquent la Convention, puisqu'elle fait partie du droit interne, et accordent réparation aux victimes de discrimination.

26. D'autre part, M. Ferrero Costa rappelle que les Emirats arabes unis, comme tous les autres Etats parties, doivent promulguer des lois spécifiques pour tenir compte des dispositions de l'article 4 de la Convention, même si la discrimination raciale ne semble pas exister dans ce pays. Il serait utile que l'Etat partie fournisse au Comité des informations supplémentaires sur la situation des étrangers, les normes relatives à la nationalité, les juridictions compétentes pour trancher les questions relatives à la discrimination raciale et, enfin, sur le fonctionnement du Comité chargé de recevoir les demandes en réparation soumises par des particuliers et des institutions pour dommages subis pendant la guerre du Golfe, mentionné au paragraphe 40 du rapport.

27. M. SHAHI se félicite lui aussi de la reprise du dialogue entre les Emirats arabes unis et le Comité. Le rapport n'a pas été établi conformément aux principes directeurs arrêtés par le Comité, mais il comprend de nombreuses informations intéressantes, notamment sur l'application des droits qui font l'objet de l'article 5 de la Convention. Il convient de féliciter les Emirats arabes unis pour les mesures prises afin d'assurer la gratuité de l'enseignement à tous les niveaux et de fournir des soins de santé à tous, même aux non-ressortissants. Les droits économiques, culturels et sociaux sont également garantis à tous, y compris aux non-résidents, qui constituent 80 % de la population. Dans l'ensemble, les Emirats arabes unis ont adopté des politiques progressistes, même si des lacunes existent dans certains domaines, comme l'ont déjà signalé plusieurs membres du Comité. La situation des domestiques étrangères reste cependant une source de préoccupation et il importe que les Emirats arabes unis accordent à ces femmes une plus grande protection. M. Shahi aimerait par ailleurs savoir si les dispositions de la Convention peuvent être invoquées devant les tribunaux civils ou islamiques et, dans l'affirmative, si elles l'ont déjà été. Il rappelle en outre que les Etats parties ont l'obligation de promulguer des lois prévoyant les sanctions applicables en cas de violation des dispositions de la Convention.

28. M. Shahi estime que, dans l'ensemble, les Emirats arabes unis assurent le respect de nombreux droits de l'homme, notamment civils, et des libertés fondamentales ainsi que de certains principes fondamentaux en la matière (droit à l'intégrité de la personne, à un procès équitable et au respect de la vie privée et droit de recours, absence de cas de disparition, de torture, d'arrestation arbitraire, indépendance du pouvoir judiciaire, liberté de pensée, d'opinion, d'expression, de religion, de circulation et de réunion pacifique, interdiction du travail forcé). Il serait bon toutefois d'avoir plus d'informations sur la compétence des tribunaux qui appliquent la chari'a, en cas de violation des dispositions de la Convention.

29. M. CHIGOVERA, se référant à l'application de l'article 4 de la Convention, note que pour l'Etat partie il n'y a aucune incompatibilité entre les principes fondamentaux énoncés dans la chari'a et les dispositions de cet article, puisque la chari'a islamique est la source fondamentale de la législation des Emirats arabes unis et interdit toute forme de discrimination raciale. Toutefois, étant donné que la Convention a un but à la fois préventif et défensif, il serait bon que les Emirats arabes unis promulguent des lois pour donner effet aux paragraphes a) et b) de l'article 4 de la Convention, même si aucun incident ne s'est produit et aucune pratique discriminatoire n'a été signalée dans le pays.

30. A propos du paragraphe 7 du rapport, M. Chigovera demande si la Convention peut être invoquée aussi bien devant les tribunaux pénaux que devant les tribunaux civils.

31. M. VALENCIA RODRIGUEZ se félicite que les Emirats arabes unis condamnent la discrimination raciale, en tant que principe contraire à la philosophie politique et religieuse du pays. Comme dans de nombreux autres pays islamiques, la chari'a y est la principale source de droit. Il serait donc important d'avoir des précisions sur les liens exacts entre la chari'a et la loi ordinaire, tant sur le plan civil que sur le plan pénal. M. Valencia Rodriguez souhaiterait, à l'instar des autres membres du Comité, que le prochain rapport périodique apporte des éclaircissements sur le contenu des paragraphes 7 et 8 ainsi que 34 à 38 du rapport.

32. Au sujet du paragraphe 18 du rapport où il est dit que le Code pénal consacre le principe de légalité exprimé par l'adage "il n'y a pas de peine sans loi", et stipule que nul ne peut être puni à moins que sa culpabilité n'ait été établie conformément à la loi, M. Valencia Rodriguez aimerait avoir des réponses aux trois questions suivantes : premièrement, si la Convention peut être invoquée devant les tribunaux, en l'absence de législation spécifique en matière de discrimination raciale prévoyant les sanctions applicables, comment pourra être puni l'auteur d'un acte de discrimination raciale ? Deuxièmement, en vertu de quelles dispositions de la loi coranique ou classique, un tribunal peut-il indemniser des victimes de discrimination raciale ? Troisièmement, quelles sont les mesures prises par le gouvernement pour s'acquitter des obligations qui lui incombent en vertu des articles 4 et 6 de la Convention, en l'absence de législation spécifique ?

33. Le paragraphe 21 du rapport selon lequel la loi n'établit aucune distinction entre les individus, appelle quelques précisions non seulement en ce qui concerne la procédure pénale, mais aussi et surtout dans des domaines tels que l'égalité en matière d'emploi, la santé, la sécurité sociale ou le logement. Le représentant des Emirats arabes unis en a parlé et il existe sans doute des textes à ce sujet, mais il serait utile de savoir comment ceux-ci prennent effet dans la pratique. A cet égard, les paragraphes 23 et 30 signalent que la loi de 1980 sur la main-d'oeuvre et la Constitution elle-même disposent que les normes internationales en vigueur sont applicables aux étrangers. Ce principe étant établi, M. Valencia Rodriguez voudrait savoir, à la lumière du rapport d'Amnesty International pour 1994, quel est actuellement le sort des quatre citoyens indiens résidant aux Emirats arabes unis qui ont été condamnés à une peine de prison par les autorités pour avoir insulté l'islam dans une pièce de théâtre donnée par une association indienne en 1992. Il voudrait aussi connaître le sort des trois étrangers arrêtés en 1993 pour activités anti-islamiques.

34. Enfin, en ce qui concerne les répercussions de la guerre du Golfe sur les droits et libertés des étrangers, évoquées dans la dernière partie du rapport, M. Valencia Rodriguez souhaiterait avoir des précisions sur les textes de lois et règlements promulgués après la guerre pour renforcer les droits et les libertés des travailleurs étrangers, dont il est question au paragraphe 42. A ce propos, le représentant des Emirats arabes unis a fait état de l'adhésion de son pays aux Conventions de l'OIT et de la signature d'accords bilatéraux : pour mieux évaluer les progrès accomplis, il serait utile de savoir quelle était la situation des travailleurs étrangers avant la guerre du Golfe et quelles ont concrètement été les mesures prises en leur faveur.

35. M. AHMADU se félicite de voir se poursuivre le fructueux dialogue engagé avec les Emirats arabes unis et souhaiterait, en l'absence d'un document de base consacré à cet Etat, poser une question d'ordre général. Puisque l'on est en présence d'une fédération, il serait utile de connaître, outre les renseignements d'ordre démographique déjà demandés par d'autres orateurs, la composition exacte de l'Union; quelles en sont, par exemple, les parties les plus prospères ?

36. Le rapport à l'examen, fort intéressant, rend compte avec clarté des mesures d'ordre législatif prises à ce jour. Il serait souhaitable de trouver, dans le prochain rapport périodique, un compte rendu de la façon dont celles-ci ont été mises en pratique. En particulier, le paragraphe 38 mentionne un point fort important, à savoir le fait que les dispositions de la Convention peuvent être invoquées devant les tribunaux. Il serait extrêmement instructif de savoir combien de fois ces dispositions ont effectivement été invoquées devant des tribunaux.

37. Il convient de féliciter les Emirats arabes unis pour la manière dont ils accueillent les nombreux étrangers qui se trouvent sur leur territoire. Dans cette région du monde où affluent les étrangers en quête de prospérité, les Emirats ont à cet égard une politique exemplaire par rapport à leurs voisins. Les doléances des travailleurs étrangers y sont entendues et, fait significatif, les femmes étrangères peuvent y prendre le volant. Dans le même ordre d'idées, M. Ahmadu souhaiterait savoir si les enfants des travailleurs étrangers peuvent accéder aux études supérieures en toute égalité. Enfin, il espère que les Emirats arabes unis décideront de donner l'exemple et d'être les premiers de la région à faire la déclaration prévue à l'article 14 de la Convention.

38. M. WOLFRUM dit qu'il se contentera d'aborder trois points précis, les précédents orateurs ayant déjà posé toutes les questions que lui-même se proposait d'évoquer. Tout d'abord, il est question, au paragraphe 21 du rapport à l'examen, du droit des accusés de se faire représenter par un avocat. Il semble que dans certains pays du Golfe, toutes les personnes ayant acquis les qualifications requises à l'université ne peuvent pas s'inscrire au barreau et que certaines restrictions sont apportées à l'accès à la profession d'avocat : qu'en est-il dans les Emirats ?

39. En second lieu, M. Wolfrum aimerait lui aussi être informé, à propos du paragraphe 38, d'affaires où la Convention aurait été invoquée devant les tribunaux, et connaître le cas échéant les décisions prises.

40. Enfin, il est indiqué au paragraphe 40 du rapport qu'un comité national a été chargé de recevoir les demandes en réparation pour dommages subis pendant la guerre du Golfe. Il semble que ce soit là une excellente mesure, mais il serait utile d'en savoir davantage sur la composition dudit comité et sur sa pratique : comprend-il uniquement des ressortissants des Emirats, a-t-il déjà reçu des demandes en réparation, et y a-t-il été fait droit rapidement ?

41. M. AL JARMAN (Emirats arabes unis) remercie le Comité pour ses observations et questions judicieuses. Les orateurs ont abordé différents aspects qui se trouvent être au coeur même des préoccupations de son gouvernement. Toutefois, il lui sera très difficile d'apporter d'emblée des réponses exhaustives aux multiples questions qui ont été posées. Il se propose donc de communiquer par écrit au Comité certaines données, notamment statistiques, par l'intermédiaire de la Mission permanente ou dans un rapport complémentaire. Entre-temps, il demande au Comité de bien vouloir laisser à sa délégation un peu de temps pour se consulter et apporter les réponses orales les plus complètes possible.

42. Le PRESIDENT décide de suspendre la séance pour laisser à la délégation des Emirats arabes unis le temps de se concerter.

La séance est suspendue à 16 h 45; elle est reprise à 17 h 15.

43. M. AL JARMAN (Emirats arabes unis) constate que près des deux tiers des questions posées par les membres du Comité portaient sur le sort des travailleurs migrants et la situation des étrangers dans des domaines aussi divers que l'éducation, le droit d'entrer sur le territoire et d'en sortir et le statut des gens de maison. Tout d'abord, il convient de rappeler que la Constitution des Emirats, ainsi que le Code pénal notamment, garantissent les droits et libertés des étrangers et notamment le droit à l'éducation. Tous les étrangers peuvent fréquenter les établissements scolaires publics, ou encore, les communautés étrangères peuvent se doter d'écoles privées enseignant dans la langue de leur choix; et de fait, compte tenu de la multiplicité de ces communautés résidant sur le territoire, les Emirats arabes unis ne comptent pas moins d'une trentaine d'écoles dispensant un enseignement dans les langues de diverses communautés originaires d'Asie, d'Europe, du Moyen-Orient ou d'Afrique. S'agissant de la santé, les hôpitaux et dispensaires des Emirats arabes unis prodiguent des soins gratuits à toutes les personnes, y compris les enfants et les personnes âgées, qui se trouvent sur le territoire des Emirats. Il a été demandé de fournir des chiffres précis sur les travailleurs étrangers et leur nationalité par exemple. Des statistiques sont jointes en annexe au rapport, par exemple sur le nombre des écoles privées. Ces données ne sont peut-être pas assez complètes et si le Comité le souhaite, la délégation des Emirats arabes unis fournira des statistiques précises sur le nombre d'écoles de chaque nationalité et sur la répartition géographique des écoles privées fréquentées par des enfants étrangers, ainsi que des informations détaillées sur le droit à l'éducation, à la santé et à la pratique religieuse notamment.

44. En réponse à la question posée par Mme Sadiq Ali à propos de l'octroi des visas, M. Al Jarman dit qu'aucun visa n'est accordé aux familles des personnes dont le revenu est inférieur à 4 000 dirhams par mois, car les autorités ont constaté que beaucoup de travailleurs se trouvant dans ce cas ne pouvaient pas subvenir aux besoins de leur famille étant donné le coût élevé de la vie dans les Emirats. Mme Sadiq Ali a également évoqué les abus dont seraient notamment victimes des adolescentes philippines. Lorsqu'une communauté étrangère s'établit en nombre important, il est inévitable que les infractions augmentent aussi. Mais la jeune femme dont a parlé Mme Sadiq Ali n'était pas une adolescente, car la loi interdit le travail des adolescents. Il y a peut-être eu un malentendu quant à l'âge de cette employée de maison. L'affaire a été jugée dans les règles par un tribunal, puis portée devant la Cour suprême. Un autre cas a été évoqué à propos d'une pièce de théâtre : les acteurs ayant proféré des attaques contre la religion, il a été estimé qu'il y avait eu violation du Code pénal et les intéressés ont fait l'objet d'une procédure pénale en bonne et due forme.

45. Dans les Emirats, tous les travailleurs jouissent de la liberté de religion et il existe des lieux de culte, mosquées, églises, etc., où ils peuvent pratiquer celle-ci. En outre, les différentes communautés étrangères jouissent du droit de s'exprimer sans restriction et de recevoir leurs propres journaux et magazines. Le droit de communiquer au sein de ces communautés a été évoqué : leurs membres sont entièrement libres d'envoyer des fonds dans leur pays d'origine, de téléphoner, de sortir des biens du territoire. Au sujet du paragraphe 2 de l'article premier de la Convention, M. Al Jarman souligne que dans les Emirats, les étrangers jouissent des mêmes droits que les nationaux, les seules restrictions apportées ayant trait, comme partout dans le monde, aux droits politiques et à l'acquisition de la citoyenneté.

46. M. HAMZAH (Emirats arabes unis), répondant aux questions posées par le Rapporteur et d'autres membres du Comité, notamment M. Wolfrum, Mme Sadiq Ali et M. Shahi, sur l'application directe de la Convention en droit interne et sur les rapports entre les tribunaux islamiques et les tribunaux civils, rappelle tout d'abord que, selon la Constitution, la chari'a est la principale source de droit aux Emirats arabes unis. Cependant, précise-t-il, il y fait rarement référence dans le corps même de la Constitution. Celle-ci est un texte progressiste, moderne et contemporain, qui s'inspire de la législation d'autres Etats modernes, notamment de la législation des Etats-Unis d'Amérique pour certains articles tels que ceux qui définissent le droit à une procédure régulière. La Constitution reprend également certains principes établis du système judiciaire allemand ainsi que d'autres systèmes judiciaires, notamment en ce qui concerne la publicité des débats, le droit des justiciables d'assurer leur propre défense ou de se faire assister par un avocat et le droit à une assistance judiciaire fournie par l'Etat. D'autres lois, promulguées à l'époque du protectorat britannique, sont fondées sur la common law. La Constitution a été modernisée sur la base aussi du droit romain et du droit français. Les Emirats arabes unis disposent donc d'un système juridique moderne, même si des efforts sont encore nécessaires pour faire en sorte que tous les domaines soient traités efficacement. A cet égard, M. Hamzah assure le Comité que la délégation des Emirats arabes unis s'efforcera de convaincre les autorités législatives de son pays de promulguer les textes nécessaires à l'application de l'article 4 de la Convention.

47. En ce qui concerne les tribunaux islamiques, le représentant des Emirats arabes unis rappelle que ces instances existent depuis l'époque du protectorat britannique et qu'elles n'ont donc rien de nouveau. Les tribunaux islamiques se fondent sur la doctrine musulmane pour veiller à ce que les musulmans s'acquittent des obligations islamiques prévues dans la chari'a, notamment celles qui concernent le statut personnel et la succession. Dans les cas de crime, ils doivent appliquer le Code pénal et il peut être fait appel de leurs décisions, comme cela s'est produit justement dans l'affaire signalée par Mme Sadiq Ali, où le jugement du tribunal islamique a été annulé. Cela prouve que la justice est pleinement garantie par les tribunaux des Emirats arabes unis.

48. A la question de savoir comment la Convention est incorporée dans le droit interne, M. Hamzah répond que la procédure à suivre est prévue dans la Constitution. Le Ministère des affaires étrangères est chargé de toutes les relations avec l'étranger et veille à l'application des instruments internationaux. Le Conseil suprême examine les instruments internationaux auxquels les Emirats arabes unis ont adhéré et les transmet au Président de l'Union qui les promulgue par décret publié au Journal Officiel. La Constitution stipule que tout décret ainsi publié a force exécutoire et peut être invoqué directement devant les tribunaux, ce qui signifie que la Convention peut être elle aussi invoquée directement par toute personne. Cependant, précise M. Hamzah, les Emirats arabes unis étant une société avancée exempte de conflits sociaux, le cas ne s'est jamais présenté.

49. En ce qui concerne l'indemnisation des victimes éventuelles de discrimination, M. Hamzah indique que la question est régie par le Code de procédure civile. Il ajoute enfin que la délégation fera en sorte que le pouvoir législatif promulgue une législation spéciale pour assurer le respect de l'article 4.

50. M. AL JARMAN (Emirats arabes unis), répondant aux questions de plusieurs membres du Comité concernant les plaintes et demandes de réparation liées à la guerre du Golfe, rappelle que les Emirats arabes unis ont été très touchés par cet événement auquel ils ont participé. Ils attachent par conséquent une grande importance à l'application des résolutions du Conseil de sécurité relatives à la guerre du Golfe. Un comité national a été créé pour examiner les cas de toutes les victimes ayant subi des dommages matériels ou moraux. Composé de représentants de différentes administrations, ce comité examine et classe les plaintes et les soumet à la Commission d'indemnisation des Nations Unies, à Genève, conformément aux résolutions pertinentes du Conseil de sécurité. Il surveille l'application des procédures officielles et statue sur la forme des plaintes, le fond étant examiné par la Commission des Nations Unies. Le Comité national veille en outre au respect de l'embargo contre l'Iraq et s'assure notamment que les navires faisant route vers l'Iraq respectent les résolutions du Conseil de sécurité.

51. En réponse à la question de M. Wolfrum, qui s'est inquiété de savoir qui pouvait être avocat et quelle était la situation des associations d'avocats aux Emirats arabes unis, M. Al Jarman indique que toute personne, qu'il s'agisse d'un citoyen ou d'un étranger, peut étudier le droit aux Emirats arabes unis. Les avocats étrangers peuvent exercer aux Emirats arabes unis à condition d'avoir 20 années d'expérience, d'être inscrits au Registre des avocats accrédités auprès du Ministère de l'intérieur et d'appartenir à un cabinet local d'avocats. Il est permis aux avocats des Emirats arabes unis de collaborer avec des confrères établis à l'étranger.

52. En ce qui concerne l'acquisition de la citoyenneté des Emirats arabes unis, M. Al Jarman indique que cette question est traitée dans une loi spécifique ainsi que dans la Constitution. Il s'engage par ailleurs à communiquer au Comité, à la séance suivante, le texte de différents textes législatifs ainsi que les statistiques disponibles sur la situation démographique nationale et la répartition des étrangers par catégories, afin de compléter les informations qui ont déjà été fournies par la délégation des Emirats arabes unis.

53. Le PRESIDENT remercie la délégation des Emirats arabes unis d'avoir répondu aux questions du Comité et invite M. Diaconu, en sa qualité de rapporteur pour le pays, à résumer ses vues sur le rapport de l'Etat partie.

54. M. DIACONU (Rapporteur pour le pays) remercie la délégation des Emirats arabes unis et dit qu'il se réjouit de voir s'instaurer un dialogue entre ce pays et le Comité. Il espère que le prochain rapport périodique sera aussi complet que possible afin que ce dialogue puisse se poursuivre de façon productive. Il pense que les Emirats arabes unis sont sur la bonne voie et prend note avec satisfaction de la décision de la délégation de recommander à son gouvernement de revoir la législation interne en tenant compte des dispositions de la Convention.

55. Le PRESIDENT dit que le Comité a ainsi achevé la première partie de l'examen du rapport des Emirats arabes unis. Il remercie la délégation et se félicite de l'intention qu'elle a exprimée de maintenir un dialogue constructif avec le Comité. Ce dernier se tient à la disposition des Emirats arabes unis pour les aider à présenter leurs rapports périodiques conformément aux principes directeurs en la matière. L'Etat partie pourra également compter sur le concours technique du Centre pour les droits de l'homme. Le Président prend note de l'attitude franche et honnête de la délégation et de sa volonté de fournir davantage d'informations sur l'application de la Convention dans son pays, notamment en ce qui concerne la situation et les droits des étrangers. Il prend également note avec satisfaction de l'engagement pris par la délégation des Emirats arabes unis d'insister auprès des autorités de son pays pour qu'elles adoptent de nouvelles lois en vue d'appliquer l'article 4 de la Convention.

56. La délégation des Emirats arabes unis se retire.


La séance est levée à 18 h 5.

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