CCPR

NATIONS

UNIES

#unlogo.gif

Pacte international

relatif aux droits civils

et politiques

 

 

 

 

Comment                       Distr.

                      GENERALE

 

                      CCPR/C/SR.1372

                      ler novembre 1994

 

                      Original : FRANCAIS

 

 

 

 

 

COMITE DES DROITS DE L'HOMME

 

Cinquante-deuxième session

 

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 1372ème SEANCE

 

tenue au Palais des Nations, à Genève,

le mercredi 26 octobre 1994, à 10 heures

 

                              Président : M. ANDO

                                   puis : M. EL SHAFEI

 

  

SOMMAIRE

 

Examen des rapports présentés par les Etats parties conformément à l'article 40 du Pacte (suite)

 

          Yémen

 

 

 

 

__________

 

          Le présent compte rendu est sujet à rectifications.

 

          Les rectifications doivent être rédigées dans l'une des langues de travail. Elles doivent être présentées dans un mémorandum et être également portées sur un exemplaire du compte rendu. Il convient de les adresser, une semaine au plus tard à compter de la date du présent document, à la Section d'édition des documents officiels, bureau E.4108, Palais des Nations, Genève.

 

          Les rectifications aux comptes rendus des séances publiques de la présente session seront groupées dans un rectificatif unique qui sera publié peu après la clôture de la session.

 

GE.94-19655 (F)

 


La séance est ouverte à 10 h 20.

 

EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES CONFORMEMENT A L'ARTICLE 40 DU PACTE (point 4 de l'ordre du jour) (suite)

 

Deuxième rapport périodique du Yémen (CCPR/C/82/Add.1)

 

1.       M. Geghman, M. Al-Musibli et M. Ghobar (Yémen) prennent place à la table du Comité.

 

2.       Le PRESIDENT souhaite la bienvenue à la délégation yéménite et expose la façon dont le Comité va procéder. Il invite le chef de la délégation à présenter le deuxième rapport périodique du Yémen (CCPR/C/82/Add.1).

 

3.       M. GEGHMAN (Yémen) se félicite d'être présent devant le Comité. Cette journée est particulièrement importante pour la région du Proche-Orient, dont une nouvelle page de l'histoire est en train de s'écrire puisque la Jordanie et Israël vont signer un traité de paix en présence du Président des Etats-Unis. M. Geghman a toutefois tenu à se présenter devant le Comité au lieu de suivre cet événement capital.

 

4.       La nouvelle République du Yémen, issue de la fusion de la République démocratique populaire du Yémen et de la République arabe du Yémen, a succédé aux traités internationaux ratifiés par ces deux Etats aujourd'hui disparus. Elle est donc devenue partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui, en tant qu'instrument international, fait désormais partie du droit interne. Cela ne va pas manquer de créer des difficultés, car tout article du Pacte, même contraire à la Constitution, devra néanmoins être appliqué.

 

5.       M. AL-MUSIBLI (Yémen) s'attachera à présenter le rapport proprement dit. Il rend hommage aux membres du Comité, qui déploient des efforts inlassables pour renforcer la protection des droits de l'homme. Soucieuse de participer à cette action, la République du Yémen honore les engagements qu'elle a pris en devenant partie au Pacte. L'évolution de la situation des droits de l'homme au Yémen suit celle de l'histoire contemporaine, et elle a été marquée par deux grandes étapes. La première a été la révolution du peuple yéménite, qui a réussi le 14 octobre 1963 à triompher de l'oppression et de l'injustice. Les Yéménites ont recouvré tous les droits et libertés dont ils avaient été privés. La deuxième étape est la réunification, le 22 mai 1990. A partir de cette date, les droits de l'homme ont été considérablement développés et renforcés, une démocratie pluraliste a été instaurée et tous les droits civils et politiques ont été garantis à tous sans aucune distinction. La Constitution se caractérise par le fait qu'un chapitre entier, comportant 21 articles, est entièrement consacré aux droits civils. De plus, le chapitre premier de la Constitution renferme 11 articles relatifs aux droits sociaux et culturels. Ces dispositions visent à renforcer l'assise de la démocratie. Les dispositions constitutionnelles étant obligatoires, il existe divers mécanismes administratifs et judiciaires pour en assurer l'application.

 

6.       Pour ce qui est du fond, la Constitution reprend tous les droits énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et dans les deux pactes internationaux : la liberté de pensée, d'expression et de conviction, le droit d'association et la liberté de constituer des partis et des syndicats, le droit de voter et d'être élu, le droit de recourir en toute égalité à la justice, l'interdiction de la discrimination, la prohibition de la torture, le principe nulla poena sine lege, le droit à l'instruction et le droit à la santé. On voit donc que le législateur yéménite a voulu affirmer l'indissoluble lien qui existe entre les droits civils et politiques et les droits économiques et sociaux.

 

7.       Une fois la Constitution promulguée, de nombreux textes de loi réglant les relations entre les citoyens ont été adoptés dans des domaines très divers : droit pénal et civil, famille et nationalité, travail, partis politiques, presse, élections, assurances, etc. Le Yémen se trouve maintenant doté d'une structure législative et judiciaire solide. La protection de la femme figure en bonne place parmi les matières traitées, et des dispositions visent à assurer l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes. Une attention toute particulière est également portée à la protection que l'on doit à l'enfant pour faciliter son développement harmonieux dans la liberté et la dignité. Toutes les mesures qui sont prises pour donner effet aux dispositions visant à promouvoir les droits de l'homme tiennent compte des caractéristiques nationales et des fondements culturels et religieux du pays.

 

8.       Concrètement, depuis la rédaction du deuxième rapport périodique, un grand nombre de réalisations sont à signaler. Tout d'abord, des élections législatives ont été organisées le 27 avril 1993, et pour la première fois dans l'histoire du Yémen un parlement indépendant, représentant diverses tendances politiques, a été élu. Tout récemment, le Parlement a apporté quelques modifications à la Constitution. Dernièrement aussi, le Parlement a élu le Président de la République. Les premières élections municipales sont en préparation. Le Yémen a participé à diverses réunions internationales, dont la Conférence mondiale sur les droits de l'homme, tenue à Vienne en 1993, et a répondu à diverses requêtes du Centre pour les droits de l'homme et de la Commission des droits de l'homme. Enfin, le Yémen a accueilli et pris en charge de nombreux réfugiés somalis et éthiopiens.

 

9.       Il faut souligner que la nouvelle République du Yémen déploie des efforts considérables pour surmonter le handicap que lui ont légué des régimes qui ont privé le peuple de ses droits et la nation de sa souveraineté. La population a consenti d'énormes sacrifices pendant une guerre sanglante qui a eu pour conséquence, notamment, un climat d'instabilité économique et sociale. L'unité politique a été réalisée par le président Ali Abdullah Saleh, qui a décrété une amnistie générale.

 

10.     Malgré tous ces efforts, le Yémen a des difficultés à surmonter toutes les difficultés, ainsi que les conséquences des souffrances du passé. De nombreux citoyens ont été mutilés, blessés ou exilés, et l'Etat veut qu'ils retrouvent leur place dans la société yéménite. Il a besoin pour ce faire de l'aide internationale et de conseils dans divers domaines. La délégation yéménite ne doute pas que le Comité voudra contribuer à cet effort.           

11.     M. GEGHMAN (Yémen) précise qu'avant 1991 la République du Yémen a accueilli plus d'un million de réfugiés. Elle n'a eu droit à aucune aide internationale, car ces réfugiés étaient en majorité des Yéménites précédemment exilés. Or ces réfugiés, au moment de leur rapatriement, se trouvaient dans le plus grand dénuement. La situation a été aggravée par l'arrivée de dizaines de milliers de réfugiés venus de la corne de l'Afrique.

 

12.     Tous les progrès qui peuvent être amorcés par la voie législative ne peuvent qu'être entravés par la situation économique. Plus de 60 % des enfants d'âge scolaire n'ont même pas de chaise pour s'asseoir à l'école, et très souvent les établissements scolaires sont encore occupés par les nombreux réfugiés qui ne pouvaient pas être hébergés ailleurs.

 

13.     Au Yémen, la famille est considérée comme un élément essentiel de la société. Tout devrait être fait pour assurer sa protection. Or il ne semble pas que tous les pays du monde attachent à la famille la même importance que le Yémen. Ainsi, il est étonnant de constater que le mot "famille" n'apparaît qu'une seule fois dans la Liste des points à traiter à l'occasion de l'examen du deuxième rapport (M/CCPR/LST/52/YEM/2, pour la version française). Pour la société yéménite, droits de l'individu et droits de la famille vont de pair.

 

14.     Le Yémen est le seul pays de la région du Proche-Orient où coexistent plus de 25 partis politiques. Une centaine de publications paraissent dans le pays. De telles réalisations sont à remarquer et le Yémen a besoin d'aide pour continuer dans cette voie.

 

15.     La délégation yéménite appelle l'attention du Comité sur le fait qu'elle vient à peine de recevoir en arabe la Liste des points à traiter. Le Comité comprendra qu'il lui sera donc très difficile de répondre aux questions qui y sont posées. Il serait peut-être préférable que les réponses à toutes ces questions fassent l'objet d'un rapport distinct de la part du Yémen.

 

16.     Le PRESIDENT invite la délégation yéménite à répondre, section par section, aux questions de la Liste des points à traiter (M/CCPR/LST/52/YEM/2), en commençant par la section I. Il précise néanmoins que la délégation yéménite peut, si elle le souhaite, bénéficier d'un délai pour prendre contact avec son gouvernement afin de compléter telle ou telle réponse. La section I de la Liste se lit comme suit :

 

          "I.       Cadre constitutionnel et juridique de l'application du Pacte; droit à l'autodétermination; état d'urgence; non-discrimination; protection de la famille et des enfants; droits des personnes appartenant à des minorités

                     (art. premier, 2, 3, 4, 23, 24, 25, 26 et 27)

 

a)Quel statut a le Pacte au regard du droit interne depuis la fusion de la République démocratique populaire du Yémen et de la République arabe du Yémen en un Etat souverain unique, le 22 mai 1990 ? (voir par. 3, 14 et 83 du rapport)

 

b)Quelle a été l'incidence de la récente guerre civile au Yémen sur l'exercice des droits garantis aux articles premier, 4 et 25 du Pacte ? Précisez de quelles garanties et recours disposaient les personnes durant cette période, quel statut a été conféré aux droits énoncés au paragraphe 2 de l'article 4 du Pacte et pourquoi le Gouvernement yéménite n'a pas suivi la procédure de notification prévue au paragraphe 3 de l'article 4 du Pacte.

 

c)Veuillez fournir des renseignements, y compris des données statistiques, sur la participation des femmes à la vie politique et économique du pays ainsi que sur les mesures prises pour assurer l'égalité entre les hommes et les femmes.

 

d)Veuillez indiquer dans quelle mesure il y a compatibilité entre le paragraphe 40 de la loi No 20 sur le statut personnel de 1992, qui prévoit des droits différents pour les hommes et les femmes au sein de la famille et stipule, entre autres, que la femme doit obéissance à son mari pour tout ce qui concerne les intérêts de la famille, et le paragraphe 4 de l'article 24 du Pacte (voir par. 93 et 94 du rapport).

 

e)Veuillez fournir des renseignements sur la législation et la pratique relatives à l'emploi des mineurs.

 

f)Veuillez fournir de plus amples détails sur les mesures prises pour satisfaire à l'article 27 du Pacte (voir par. 113 du rapport).

 

g)Quelles dispositions ont été prises pour diffuser des informations sur les droits reconnus dans le Pacte ? Le public a-t-il été informé de l'examen du rapport par le Comité des droits de l'homme ?"

 

17.     M. GEGHMAN (Yémen) rappelle qu'il vient seulement de recevoir la version arabe de la Liste et n'a donc pas pu la communiquer aux autorités de son pays. Compte tenu également des lenteurs dues au fait que les services gouvernementaux et administratifs du Yémen ne sont pas informatisés et que les organes de l'ONU chargés des questions concernant les droits de l'homme adressent une correspondance nourrie à la mission du Yémen à Genève, qui n'est pas dotée non plus de moyens de communication ultramodernes, les autorités yéménites devraient disposer d'un délai plus long pour répondre comme il convient aux questions du Comité. M. Geghman s'efforcera néanmoins d'apporter oralement certains éléments de réponse, qui pourront être complétés ultérieurement par écrit.

 

18.     En ce qui concerne la question de l'alinéa a), M. Geghman indique que le Pacte a le statut de loi nationale. Il ajoute que, dans son pays, toute loi doit être conforme à la Constitution.

 

19.     Répondant aux questions de l'alinéa b), M. Geghman indique que la guerre civile a été très destructrice, même si elle n'a pas duré plus de deux mois. Toutefois, il n'a pas été porté atteinte aux libertés et droits fondamentaux de la population durant cette période. L'état d'urgence a été décrété, mais la guerre n'a pas été seulement l'affaire des militaires : la population s'est mobilisée, et chacun a pris part au conflit. Les mères de famille fabriquaient du pain destiné à l'armée, des jeunes filles se portaient volontaires pour aller soigner les blessés dans les hôpitaux, etc. En outre, nul n'a été expulsé du pays, ni maintenu en garde à vue plus de 48 heures, délai pendant lequel les personnes concernées pouvaient communiquer avec leurs familles et leurs avocats. Dans les 24 heures qui ont suivi la fin de la guerre, l'état d'urgence a été levé et la situation est rentrée dans l'ordre.

 

20.     En ce qui concerne l'alinéa c), M. Geghman déclare qu'il n'a pas connaissance de statistiques sur la participation des femmes à la vie politique et économique. Il souligne que l'analphabétisme est plus important chez les femmes que chez les hommes au Yémen, en particulier à cause des traditions et des coutumes d'une société essentiellement rurale. Beaucoup de villages n'ont pas encore d'école, ce qui contribue aux difficultés. En ce qui concerne la participation des femmes à la vie politique du pays, elle est nettement plus faible que celle des hommes, mais la situation s'améliore au fil du temps.

 

21.     Répondant aux questions de l'alinéa d), M. Geghman insiste sur l'importance de l'institution de la famille au Yémen. Sans famille, pas de droits, ni pour les individus, ni pour la société dans son ensemble. En outre, la vie de famille est avant tout affaire de sensibilité, et les rapports en son sein ne sauraient être régis par des textes, car ceux-ci n'ont pas d'âme.

 

22.     En ce qui concerne l'alinéa e), M. Geghman déclare que la loi interdit l'emploi des mineurs. Toutefois, si des mineurs âgés de 8 à 20 ans aident leurs parents aux travaux des champs, cela n'est pas considéré comme un emploi. Du reste, dans toutes les sociétés rurales, les enfants ont de tout temps aidé leurs parents, et c'est même là l'origine des vacances scolaires.

 

23.     Pour ce qui est des questions de l'alinéa g), M. Geghman indique que la présentation du rapport (CCPR/C/82/Add.1) a été annoncée dans les médias yéménites, bien que de façon très succincte.

 

24.     En réponse à la demande de l'alinéa f), M. Geghman précise qu'il n'existe pas de minorités au Yémen.

 

25.     Enfin, M. Geghman souligne une nouvelle fois les difficultés pratiques qui empêchent la délégation yéménite de répondre avec plus de précision aux questions du Comité, et ajoute que, compte tenu de l'immensité de la tâche que doivent accomplir les autorités yéménites (redressement du pays après la guerre, préparation des élections locales, amendement de la législation, présentation du programme gouvernemental au Parlement, etc.), il paraît difficile qu'elles soient en mesure d'envoyer dans un avenir proche une personne compétente pour répondre en tout point aux questions du Comité. M. Geghman fait observer que le fait que tous les membres de la mission du Yémen auprès de l'Office des Nations Unies à Genève soient aujourd'hui présents témoigne néanmoins de la volonté des autorités de son pays de coopérer avec le Comité. Il ajoute que, le cas échéant, il ne manquera pas d'adresser ultérieurement au Comité un complément d'information par écrit sur toute question qui appellerait des éclaircissements.

 

26.     Le PRESIDENT déclare qu'il est conscient des difficultés évoquées par M. Geghman. Toutefois, d'autres Etats parties dont la situation ne diffère guère de celle du Yémen ont envoyé au Comité des délégations venant de leur capitale. Après consultation des membres du Comité sur les modalités de la poursuite de l'examen du rapport (CCPR/C/82/Add.1), il invite ces derniers à poser à la délégation yéménite des questions orales en complément de la section I de la Liste (M/CCPR/LST/52/YEM/2).

 

27.     M. BRUNI CELLI dit comprendre les difficultés dont a fait état M. Geghman, mais il aimerait néanmoins des informations plus précises en réponse aux questions de la section I de la Liste (M/CCPR/LST/52/YEM/2). En particulier, il est important pour le Comité de savoir quelle information est donnée au Yémen sur les droits consacrés par le Pacte. Les traditions et les conflits internes rendent probablement difficile l'application du Pacte, et le Yémen a d'ailleurs sûrement besoin d'une campagne de promotion des droits de l'homme plus soutenue que ce qui a été fait jusqu'ici. M. Bruni Celli aimerait de plus amples informations sur ces points.

 

28.     Par ailleurs, quelle est la place du Pacte dans le droit interne yéménite ? Peut-on en invoquer les dispositions devant les tribunaux, et cela s'est-il déjà produit ?

 

29.     En ce qui concerne la question de l'égalité des sexes, M. Bruni Celli relève que le taux d'analphabétisme est beaucoup plus élevé chez les femmes que chez les hommes. Plus généralement, les informations dont il dispose laissent à penser que les femmes sont victimes d'une discrimination en matière d'éducation, de formation professionnelle, et probablement d'emploi également, en particulier dans la fonction publique. Par ailleurs, l'existence de la polygamie et la procédure de divorce sont préoccupantes du point de vue de l'égalité des sexes. Il semble également que les femmes soient souvent victimes de violences au Yémen. M. Bruni Celli aimerait recevoir de plus amples informations sur toutes ces questions.

 

30.     Il existe d'autres formes de discrimination dans la société yéménite, en particulier à l'égard des citoyens dont les parents sont étrangers, qui n'auraient pas droit à certains emplois, notamment dans l'administration ou à l'université. Là encore, des informations précises seraient bienvenues.

 

31.     M. Bruni Celli espère qu'un dialogue sur toutes ces questions permettra de dissiper les préoccupations du Comité, quitte à ce que les autorités yéménites complètent ultérieurement par écrit les informations qui seront données oralement par la délégation.

 

32.     M. EL SHAFEI indique que la présence de M. Geghman et de ses collègues montre que les autorités de la République du Yémen, qui présentent aujourd'hui leur premier rapport au Comité, ont la volonté de coopérer avec ce dernier et d'appliquer les dispositions du Pacte. Le fait qu'une mission ait été constituée à Genève juste après la fin des opérations militaires, qui ont fait de nombreuses victimes, et dans le contexte d'une situation économique très difficile, prouve également que les autorités yéménites entendent respecter les engagements qu'elles ont pris sur le plan international.

 

33.     Toutefois, compte tenu de la situation actuelle au Yémen, le Comité est préoccupé par la façon dont est assurée dans ce pays la jouissance des libertés et droits fondamentaux. Le rapport (CCPR/C/82/Add.1) ne fournit d'ailleurs guère d'indications sur ce point. Il ne comporte que des renseignements sur la législation, et rien sur la pratique dans le domaine des droits de l'homme. En particulier, il n'est pas fait mention des difficultés qui pourraient entraver la jouissance de tel ou tel droit reconnu dans le Pacte. M. El Shafei voudrait savoir notamment dans quelles conditions a été appliqué l'état d'urgence, et si toutes les dispositions de l'article 4 du Pacte ont été respectées durant cette période.

   

34.     Il est dit dans le rapport, à propos de l'application de l'article 7 du Pacte (par. 17), que selon les stipulations de l'article 33 de la Constitution, il est interdit d'appliquer des méthodes de châtiments cruelles ou inhumaines, mais rien n'indique que ces dispositions de la Constitution aient été traduites sous forme de loi ayant force obligatoire. En pareil cas, néanmoins, M. El Shafei souhaiterait savoir si des enquêtes ont été menées sur des cas éventuels de torture et, dans l'affirmative, si les personnes tenues pour responsables ont été jugées et si les victimes ont eu droit à réparation. De même, à propos de l'application de l'article 12 du Pacte, concernant la liberté de circulation et de résidence, le paragraphe 42 du rapport ne fait état que des dispositions de l'article 38 de la Constitution, qui garantit effectivement ce droit, mais rien n'indique la façon dont l'exercice de ce dernier est assuré dans la pratique. En outre, nombre de droits consacrés dans le Pacte, notamment dans les articles 6, 7, 8, 21, 23, 24 et 27, ne sont même pas énoncés dans la Constitution.

 

35.     M. El Shafei rappelle que le Yémen, en ratifiant le Pacte, a souscrit librement à toutes les obligations qui y sont énoncées, et s'est engagé à prendre toutes les mesures nécessaires pour sauvegarder les droits et les libertés fondamentales de tous les individus relevant de sa juridiction. Certes, le pays a traversé une période très difficile et ne dispose pas de beaucoup de moyens pour s'acquitter de ses obligations à l'égard du Comité, mais la délégation yéménite a néanmoins le devoir de coopérer avec celui-ci, afin qu'un dialogue fructueux puisse s'instaurer dans le but de contribuer à combler les lacunes de la législation de l'Etat partie et à éliminer les abus qui peuvent être commis dans l'application de la législation. Si la délégation n'est pas en mesure d'apporter oralement au Comité tous les renseignements voulus, le Gouvernement yéménite pourra peut-être fournir par la suite un complément d'information par écrit.

 

36.     M. AGUILAR URBINA souhaite la bienvenue à la délégation yéménite. Il regrette toutefois qu'un dialogue ne puisse pas s'engager avec le Comité conformément aux dispositions du Pacte, alors que le Gouvernement yéménite a souscrit de son plein gré aux obligations découlant notamment de l'article 40 du Pacte. Le deuxième rapport périodique du Yémen ne comporte que très peu de renseignements intéressant véritablement le Comité. Ainsi, sur la question de l'égalité des droits des hommes et des femmes, le paragraphe 11 du rapport est extrêmement bref. Par ailleurs, la délégation a affirmé, à propos de l'application de l'article 27 du Pacte, qu'il n'existait pas de minorités au Yémen, mais il est dit dans le paragraphe 113 du rapport qu'il existe une minorité juive. La délégation pourra peut-être apporter des précisions à ce sujet. Le problème le plus important, en réalité, est que le Comité ignore toujours quelle est la place exacte du Pacte dans la législation interne du Yémen, si le Pacte a effectivement force de loi dans le pays et si ses dispositions peuvent être invoquées devant les tribunaux. Le manque de précisions à cet égard entrave gravement le dialogue que le Comité souhaite poursuivre avec le Gouvernement yéménite, et il faut espérer que les renseignements nécessaires seront fournis par la délégation en temps voulu.

 

37.     Mme CHANET souhaite à son tour la bienvenue à la délégation yéménite. Elle comprend les difficultés qu'éprouve le Yémen après deux mois de guerre civile, et est sensible à l'appel à l'aide que la délégation a adressé au Comité. Ce dernier ne refuse jamais son assistance; encore faut-il que l'Etat partie soit disposé à entreprendre le dialogue, qu'il ait un véritable souci de coopération et qu'il soit conscient des obligations qu'il a contractées en vertu du Pacte, non seulement pour la mise en oeuvre des droits énoncés dans cet instrument, mais également pour ce qui est de la présentation de rapports et des échanges entre lui et le Comité.

 

38.     Mme Chanet souhaite que la délégation yéménite réponde en détail aux questions des membres du Comité et donne en tout premier lieu des explications sur la place du Pacte dans le droit interne du Yémen, car elle croit savoir que le Pacte a valeur de loi, mais qu'en cas de conflit la Constitution prévaut, ce qui lui paraît être une situation ambiguë. Elle note, par ailleurs, que les dispositions de l'article 4 du Pacte concernant les mesures qui peuvent être prises en cas de danger public exceptionnel ne sont nullement évoquées dans le rapport. A ce sujet, la délégation yéménite pourra donner des renseignements sur les droits et les garanties qui ont été apparemment suspendus au Yémen pendant la période de mai à juillet 1994, au cours de laquelle l'état d'urgence a été décrété.

 

39.     A propos de l'égalité des droits des hommes et des femmes au Yémen, Mme Chanet constate que le rapport est très succinct pour ce qui est de l'application de l'article 3 du Pacte, et qu'aucun détail n'est donné sur la proportion d'emplois occupés par les femmes, la place des femmes dans la société, le pourcentage de femmes accédant à l'enseignement supérieur, etc. La délégation a dit que l'analphabétisme était plus répandu parmi les femmes que parmi les hommes en raison du caractère rural de la société yéménite, mais Mme Chanet se demande si ce taux élevé n'est pas plutôt dû au fait que les femmes, en milieu rural, ont une charge de travail beaucoup plus lourde, par rapport aux femmes des zones urbaines. Elle s'interroge en outre sur l'interprétation qu'il faut faire des dispositions de l'article 6 de la loi No 20 de 1992 sur l'état des personnes, selon lesquelles le mariage est un lien contractuel entre deux époux en vertu duquel "la femme devient légalement accessible à l'homme..." (par. 93 du rapport), ainsi que des dispositions de l'article 40 de la même loi, selon lesquelles "la femme doit obéissance à son mari pour tout ce qui concerne les intérêts de la famille" (par. 94 du rapport), et elle se demande si toutes ces dispositions sont véritablement compatibles avec celles de l'article 23 du Pacte. En outre, elle voudrait savoir si, au Yémen, la femme mariée peut sortir du pays sans l'autorisation de son mari. Enfin, la délégation a indiqué que le travail des enfants était autorisé dans les activités agricoles, mais Mme Chanet se demande si l'emploi de mineurs dans des travaux qui peuvent être pénibles n'est pas contraire aux dispositions de l'article 24 du Pacte.

 

40.     M. MAVROMMATIS souhaite, lui aussi, la bienvenue à la délégation yéménite. Il regrette toutefois que la délégation ne soit pas en mesure de répondre comme prévu aux questions des membres du Comité, et que le dialogue attendu soit ainsi gravement compromis, alors que le Comité est entièrement disposé à aider autant que possible les autorités yéménites à améliorer la situation des droits de l'homme dans le pays. De plus, le deuxième rapport périodique du Yémen est extrêmement général et ne renseigne aucunement sur l'application, dans la pratique, des dispositions du Pacte, encore moins sur les restrictions imposées à l'exercice de certains droits énoncés dans le Pacte.

 

41.     Le Comité devrait être informé en premier lieu des modalités d'application du Pacte après la réunification du Yémen en mai 1990. En effet, selon la règle appliquée à l'ONU au sujet de la succession des Etats en matière de traités, le Pacte doit être applicable dans l'ensemble du Yémen unifié. Il semble toutefois que, dans la pratique, les dispositions appliquées ne soient pas les mêmes dans le nord et dans le sud du pays, et M. Mavrommatis souligne à ce sujet que, si des problèmes se posent dans ce domaine, le Centre pour les droits de l'homme offre des services consultatifs et d'assistance technique qui pourraient être d'une grande utilité au gouvernement. En effet, il semble que la majorité des droits consacrés dans le Pacte ne soient pas respectés au Yémen. Ainsi, Amnesty International signale qu'il existe encore dans le pays, après la fin de la guerre civile et la déclaration d'amnistie générale, un grand nombre de prisonniers politiques, et plusieurs organisations non gouvernementales, ainsi que le Département d'Etat américain, ont signalé de nombreux cas de disparition forcée ou involontaire, de détention arbitraire et de tortures infligées à des détenus. La délégation yéménite pourrait peut-être indiquer précisément quels sont les facteurs et les difficultés rencontrés dans le pays pour mettre un terme aux nombreuses violations des droits de l'homme qui continuent à s'y produire.

 

42.     M. BAN regrette, comme les autres membres du Comité, qu'un dialogue réel ne puisse pas s'instaurer entre la délégation yéménite et les membres du Comité, mais il croit possible néanmoins d'adresser au Gouvernement yéménite un message faisant état des préoccupations du Comité à l'égard de la situation des droits de l'homme dans le pays. Pour sa part, il considère que le deuxième rapport périodique du Yémen (CCPR/C/82/Add.1) présente certains aspects positifs, à savoir tout d'abord qu'il a été soumis dans les délais prescrits et, deuxièmement, qu'il comporte des renseignements très détaillés sur la mise en oeuvre de certains articles du Pacte, notamment des articles 9, 10 et 14.

 

43.     M. Bán souhaite être informé de la situation qui règne désormais dans le Yémen réunifié en ce qui concerne la législation en vigueur, et savoir en particulier si les lois applicables avant le 22 mai 1990 sont restées en vigueur dans chacune des deux parties du territoire. Il demande également si la structure des pouvoirs publics a été modifiée et si l'ancien système judiciaire subsiste ou s'il est envisagé de le modifier.

 

44.     Il souscrit aux propos de Mme Chanet sur la non-conformité de l'ordre juridique yéménite avec les exigences du Pacte en ce qui concerne la place de cet instrument par rapport au droit interne. Il rappelle que, lors de l'examen du rapport initial de la République démocratique populaire du Yémen (CCPR/C/50/Add.2), le représentant de l'Etat Partie avait déclaré que "les autorités législatives étaient très conscientes des insuffisances de la Constitution à cet égard et s'efforçaient de conférer au Pacte force de législation nationale" (A/45/40, par. 59).

 

45.     Le dernier sujet de préoccupation évoqué par M. Bán concerne les différences de statut entre l'homme et la femme au Yémen. Il relève notamment la contradiction qui existe entre d'une part la teneur du paragraphe 11 du rapport (CCPR/C/82/Add.1), qui concerne l'article 3 du Pacte ("...la Constitution garantit l'exercice par les femmes de tous les droits politiques, économiques, sociaux et culturels au même titre que les hommes"), et d'autre part le contenu des paragraphes 93 à 100 du même rapport, qui concernent l'article 23 du Pacte. Sans vouloir reprendre tous les aspects de la discrimination défavorable aux femmes qu'ont mentionnés Mme Chanet et M. Mavrommatis, M. Bán, de son côté, se bornera à regretter que la loi yéménite sur le statut personnel, bien que toute récente puisqu'elle date de 1992, ne soit absolument pas conforme aux prescriptions du Pacte, et il voudrait savoir si des mesures sont envisagées par les autorités yéménites en vue de la modifier.

 

46.     Mme HIGGINS précise tout d'abord qu'elle s'associe aux propos tenus par MM. Aguilar et Mavrommatis sur les conditions dans lesquelles s'engage le dialogue avec la délégation yéménite, et à ceux de Mme Chanet et de MM. El Shafei et Bán sur des points plus précis. Le chef de la délégation du Yémen a semblé s'offusquer de devoir répondre à des questions posées par le Comité. Mme Higgins rappelle que l'examen des rapports périodiques est un exercice qui se mène en collaboration avec l'Etat partie, et elle souhaiterait qu'il ne soit pas perçu comme une corvée. Si le Yémen se trouve être partie au Pacte parce qu'il succède à un autre Etat, c'est-à-dire en quelque sorte involontairement, il n'en demeure pas moins que la population yéménite est protégée par les droits qui sont énoncés dans le Pacte.

 

47.     En effet, gouverner un pays, c'est aussi y assurer le respect des droits de l'homme, et le Comité est là pour aider les Etats à agir ainsi. La délégation a fait valoir que la situation du Yémen était très spéciale puisqu'il est issu de l'unification entre deux Etats à la suite d'une guerre. Le Comité a déjà eu affaire à d'autres délégations de pays qui étaient aux prises avec des difficultés semblables (ressources limitées et traumatisme de la guerre), mais cela n'a pas empêché un dialogue fructueux de s'engager avec des délégations composées de personnes qui étaient en mesure de répondre aux questions posées.

 

48.     La première question orale de Mme Higgins concerne le point a) de la section I de la Liste (M/CCPR/LST/52/YEM/2). Ne disposant que du texte arabe de la Constitution yéménite, le Comité ne peut guère vérifier la compatibilité des articles de cette Constitution avec le Pacte. Mme Higgins souhaiterait savoir si, à la suite de l'unification, les deux systèmes de lois antérieures sont fusionnés en un seul et s'ils vont être harmonisés avec le Pacte.

 

49.     Deuxièmement, la réponse qui a été donnée à la question b) n'est pas suffisante; le Comité voudrait savoir pourquoi le Gouvernement yéménite n'a pas suivi la procédure de notification prévue à l'article 4 du Pacte, et quels sont les droits qui ont fait l'objet de restrictions. Troisièmement, au sujet de la demande formulée à l'alinéa f) de la Liste (droits reconnus aux personnes appartenant à des minorités), Mme Higgins considère qu'il ne suffit pas d'affirmer que le droit visé à l'article 27 du Pacte n'est pas dénié aux membres de la minorité juive vu qu'il s'agit de citoyens yéménites dont les droits sont garantis par la Constitution (par. 113, CCPR/C/82/Add.1) : en effet, il peut y avoir au Yémen des personnes qui ne sont pas des citoyens yéménites et qui appartiennent néanmoins à des minorités.

 

50.     Enfin, au sujet de l'article 25 du Pacte, qui concerne le droit de prendre part à la direction des affaires publiques et d'accéder aux fonctions publiques, on lit dans le rapport (alinéa c) du paragraphe 104) que "les libertés publiques reconnues par la Constitution, y compris le pluralisme politique et le multipartisme, sont considérées comme un droit et comme un pilier du système socio-politique de la République du Yémen"; du reste, dans l'ensemble, les dispositions constitutionnelles et législatives qui sont examinées sous la rubrique de l'article 25 du Pacte (par. 103 à 111) sont tout à fait louables. Mme Higgins voudrait toutefois savoir ce qui est fait pour assurer aux différents partis politiques qui seront autorisés l'égalité d'accès aux médias, et elle demande quelle est la position du Yémen en ce qui concerne la création de partis politiques exclusivement basés sur la religion.

    

51.     Mme EVATT prend note avec plaisir que le Yémen a ratifié le Pacte sans faire de réserve à l'égard des dispositions de fond et qu'il en reconnaît l'importance, mais elle est déçue par les réponses de la délégation aux questions écrites figurant dans la Liste des points à traiter, car elles sont insuffisantes pour le Comité, surtout du fait que le Yémen n'a pas expliqué pourquoi la proclamation de l'état d'urgence n'a pas été notifiée en vertu de l'article 4. Toutes les questions qui sont posées à l'Etat partie visent à permettre au Comité de mesurer les progrès réalisés pour donner effet aux droits individuels, et le Pacte est un instrument important, car il définit les limites du pouvoir de l'Etat à l'égard des citoyens, considérés à la fois en tant qu'individus et en tant que membres d'une famille, la délégation yéménite ayant particulièrement souligné l'importance de ce dernier aspect.

 

52.     Il est difficile au Comité d'engager un dialogue utile avec l'Etat partie lorsque ce dernier est représenté par des personnes qui n'ont ni accès à l'information nécessaire ni la compétence voulue pour répondre aux questions généralement assez précises qui sont posées au sujet de l'application des dispositions du Pacte. Les considérations générales sur les conditions de vie au Yémen sont intéressantes, mais elles n'apportent pas de réponse à ces questions précises.

 

53.     Il est réconfortant de lire au paragraphe 5 du rapport que, depuis l'adhésion du Yémen au Pacte, cet instrument "a joué un rôle de premier plan dans les efforts inlassables pour faire connaître au public les droits de l'homme, qui, avec les libertés publiques, constituent la base d'une société démocratique". Mais Mme Evatt note avec inquiétude qu'en cas de conflit avec une disposition du Pacte, c'est la Constitution qui l'emporte. Or il est très difficile de détecter les incompatibilités entre la Constitution et le Pacte étant donné que les membres du Comité ne disposent pas du texte de la Constitution dans une langue qu'ils comprennent tous. Ceci dit, si la Constitution actuelle s'inspire de la précédente, il y a certainement des incompatibilités avec le Pacte, car on en a relevé un certain nombre lors de l'examen du rapport précédent. C'est pourquoi Mme Evatt demande ce qui a été fait pour analyser les prescriptions du Pacte et harmoniser avec ce dernier les dispositions de la Constitution et de l'ordre juridique yéménites, processus nécessaire lorsqu'un Etat modifie sa Constitution. Les pays qui le souhaitent peuvent faire appel aux services consultatifs du Centre pour les droits de l'homme pour mener à bien ce genre de travail.

 

54.     Le statut de la femme a été évoqué par plusieurs membres du Comité qui ont posé des questions au sujet de la polygamie et du divorce. Mme Evatt, pour sa part, relève que deux femmes seulement siègent au Parlement et que le taux d'analphabétisme est très élevé chez les femmes. Le rapport mentionne de nombreuses dispositions du droit privé qui sont à l'évidence incompatibles avec celles du Pacte et qui concernent la dot, l'obligation d'obtenir le consentement du tuteur pour le mariage d'une femme, l'obéissance que la femme doit au mari (devoir qui a été supprimé dans plusieurs autres pays), l'impossibilité de refuser les rapports sexuels, ou de quitter le domicile sans la permission du mari (par. 94). Tous ces éléments ne sont pas compatibles avec l'égalité entre l'homme et la femme.

 

55.     Certes on lit également dans le rapport (par. 94) que le mari doit traiter toutes ses épouses équitablement et qu'il a à leur égard d'autres obligations. Mais le Pacte requiert l'égalité des droits et des obligations entre l'homme et la femme pendant le mariage et lors du divorce. Enfin, il n'y a pas égalité entre le père et la mère en ce qui concerne la transmission de la nationalité aux enfants. Tous ces domaines de la législation yéménite devraient être réexaminés.

 

56.     En ce qui concerne les enfants, Mme Evatt a pris note des observations de l'ambassadeur du Yémen; elle souligne que le droit de recevoir une instruction suffisante est dans l'intérêt de l'enfant, et que le respect des règles touchant le travail des enfants vise à protéger ce droit à l'éducation, c'est-à-dire à permettre à l'enfant de ménager son énergie pour la consacrer à l'étude, sans être accablé par un travail qui entrave son développement physique et l'empêche d'aller en classe ou même d'avoir la concentration nécessaire pour apprendre à lire et à écrire. C'est un élément très important qui, selon Mme Evatt, peut avoir des répercussions sur le développement du pays; aussi souhaiterait-on de plus amples informations au sujet du travail des enfants et du droit à l'éducation.

 

57.     D'autres questions concernant les enfants préoccupent Mme Evatt, qui fait état d'informations émanant d'organisations non gouvernementales selon lesquelles les mariages d'enfants seraient courants dans les régions rurales, de même que l'excision, qui est pratiquée dans la région côtière de la mer Morte, l'Hadramaout, et en bordure du golfe d'Aden, surtout chez les Yéménites d'origine africaine. Même si les services sanitaires découragent de telles pratiques, il ne semble pas y avoir de directives ou d'instructions particulières émanant des autorités à cet égard. Mme Evatt voudrait savoir quelles mesures sont prises ou envisagées pour que cette pratique cruelle soit abandonnée.

 

58.     Au sujet de la participation à la vie politique et démocratique, Mme Evatt s'associe aux questions formulées par Mme Higgins. A ce sujet, elle soulève une autre question liée au taux élevé d'analphabétisme au Yémen, à savoir les conséquences de cet état de choses pour l'exercice des droits démocratiques. Cela est particulièrement grave si l'on songe qu'"être instruit" est une condition pour être éligible (par. 107, CCPR/C/82/Add.1). Le fait que l'analphabétisme soit très élevé chez les femmes ne peut que porter atteinte au processus démocratique, et Mme Evatt voudrait avoir des renseignements plus précis sur les conséquences de l'analphabétisme ainsi que sur les programmes mis en place pour faire en sorte que tous les citoyens yéménites, hommes et femmes, puissent exercer leurs droits démocratiques sur une base d'égalité, qu'il s'agisse du droit de vote ou du droit de se porter candidat aux élections.

 

59.     M. El Shafei prend la présidence.

 

60.     M. FRANCIS convient qu'il est difficile aux petites délégations de se faire assister par des juristes et autres spécialistes compétents pour participer au dialogue avec le Comité des droits de l'homme, et que, si la délégation yéménite n'a pas pu s'entourer des compétences nécessaires, la faute en incombe aux autorités yéménites. Il existe indéniablement au Yémen des juristes et des spécialistes des domaines qui sont traités par le Comité des droits de l'homme.

 

61.     Quelques signes encourageants ont été signalés par le chef de la délégation dans son allocution d'ouverture, notamment la mise en place des processus d'une démocratie parlementaire avec la préparation des élections au niveau local, les efforts axés tout spécialement sur le développement et la proclamation d'une amnistie générale qui devrait faciliter le processus de réconciliation nationale.

 

62.     M. Francis s'associe aux questions qui ont été posées par les orateurs précédents, et il a la certitude que la délégation yéménite va les examiner et les transmettre aux autorités de son pays, en soulignant la nécessité d'envoyer à l'avenir des spécialistes pour répondre aux questions du Comité - c'est-à-dire les personnes qui ont établi le rapport périodique et celles qui sont chargées de l'application des lois.

 

63.     Le PRESIDENT déclare que les membres du Comité ont fini de poser leurs questions orales concernant la section I de la Liste des points à traiter à l'occasion de l'examen du deuxième rapport périodique du Yémen. Il invite donc la délégation yéménite à répondre.

 

64.     M. GEGHMAN (Yémen) tient tout d'abord à dissiper un malentendu : un membre du Comité ayant cru comprendre que la somme de 400 millions de dollars a été dépensée en armes pendant la guerre civile au Yémen, en a tiré la conclusion que, si l'un des camps pouvait se permettre de dépenser une telle somme, il devait donc y avoir de l'argent au Yémen pour acheter des ordinateurs. La somme citée par M. Geghman était en fait de 4 milliards de dollars, qui ont bien été dépensés en armements; cependant, ces milliards ne provenaient pas du Yémen, beaucoup trop pauvre, mais exclusivement de l'extérieur du pays. Cela devait être précisé.

 

65.     Par ailleurs, M. Geghman confirme une fois encore que le Pacte a rang de loi au Yémen, mais que toutes les lois doivent être conformes à la Constitution, qui est la loi suprême. Aucune autre loi n'a la primauté sur la Constitution.

 

66.     Pour pouvoir fournir des réponses détaillées, précises et point par point à toutes les questions qui ont été posées, le chef de la délégation souhaiterait qu'elles lui soient posées par écrit afin qu'il puisse les communiquer aux autorités yéménites en leur demandant de fournir des réponses écrites et d'envoyer des spécialistes qui pourront dialoguer avec le Comité.

 

67.     Le PRESIDENT rappelle qu'après les réponses fournies à la première série de questions orales des membres du Comité, d'autres questions peuvent être posées sur les mêmes points. Par ailleurs, il reste les sections I et II de la Liste des points à traiter, qui n'ont pas encore fait l'objet de réponses de la part de la délégation yéménite.

 

68.     M. GEGHMAN (Yémen) croit comprendre que le Comité a prévu de consacrer la séance de l'après-midi et celle du lendemain matin à la Liste des questions concernant le rapport du Yémen. Or à en juger par le déroulement de la présente séance, il pense que la délégation yéménite ne sera pas en mesure de fournir des réponses qui soient satisfaisantes pour le Comité et qu'il serait préférable, pour ne pas faire perdre de temps au Comité, que toutes les questions que souhaitent poser les membres soient communiquées par écrit à la délégation, laquelle pourra ensuite prendre des dispositions pour qu'il y soit répondu convenablement.

 

69.     Le PRESIDENT déclare que, si tel est le souhait de la délégation yéménite, il devra consulter les membres du Comité à ce sujet.

 

70.     M. MAVROMMATIS apprécie la franchise du chef de la délégation du Yémen. Il propose que le Comité tienne des consultations au début de l'après-midi, puis se réunisse de nouveau avec la délégation yéménite pour lui faire part de sa décision.

 

71.     Il en est ainsi décidé.

 

La séance est levée à 13 h 5.

 

-----



Home | About Bayefsky.com | Text of the Treaties | Amendments to the Treaties

Documents by State | Documents by Category | Documents by Theme or Subject Matter

How to Complain About Human Rights Treaty Violations | Working Methods of the Treaty Bodies | Report: Universality at the Crossroads