Distr.

GENERALE

CERD/C/SR.1094
20 mars 1995


Original: FRANCAIS
Compte rendu analytique de la premiere partie de la 1094ème seance : Yugoslavia. 20/03/95.
CERD/C/SR.1094. (Summary Record)

Convention Abbreviation: CERD
COMITE POUR L'ELIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE


Quarante-sixième session


COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA PREMIERE PARTIE (PUBLIQUE)* DE LA 1094ème SEANCE


tenue au Palais des Nations, à Genève,
le mercredi 15 mars 1995, à 10 heures

Président : M. SHERIFIS

puis : M. GARVALOV



SOMMAIRE

Examen des rapports, observations et renseignements présentés par les Etats parties conformément à l'article 9 de la Convention (suite)

- République fédérative de Yougoslavie (document soumis en application d'une décision spéciale du Comité)

* Le compte rendu analytique de la deuxième partie (privée) de la séance est publié sous la cote CERD/C/SR.1094/Add.1.


La séance est ouverte à 10 h 20.

EXAMEN DES RAPPORTS, OBSERVATIONS ET RENSEIGNEMENTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES CONFORMEMENT A L'ARTICLE 9 DE LA CONVENTION (suite)

- REPUBLIQUE FEDERATIVE DE YOUGOSLAVIE (DOCUMENT SOUMIS EN APPLICATION D'UNE DECISION SPECIALE DU COMITE) (CERD/C/248/Add.1)

1. Le PRESIDENT invite M. Valencia Rodriguez, rapporteur pour la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro), à présenter une analyse de la situation qui y prévaut.

2. M. VALENCIA RODRIGUEZ (Rapporteur pour la République fédérative de Yougoslavie) dit aux membres du Comité qu'il a été saisi des documents suivants pour préparer son exposé sur la situation dans la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) : le document CERD/C/248/Add.1, qui contient les renseignements supplémentaires que le Comité avait demandés à l'Etat Partie en août 1993; les huitième, neuvième et dixième rapports de M. Mazowiecki, rapporteur spécial chargé d'étudier la situation des droits de l'homme dans le territoire de l'ex-Yougoslavie (E/CN.4/1994/10, A/49/641/1994/1252, E/CN.4/1995/57); le rapport spécial sur les médias dans le territoire de l'ex-Yougoslavie (E/CN.4/1995/54); le rapport présenté par M. Mandred Nowak sur le dispositif spécial concernant les personnes disparues sur le territoire de l'ex-Yougoslavie (E/CN.4/1995/37); les dernières résolutions adoptées par l'Assemblée générale des Nations Unies et la Commission des droits de l'homme; les derniers rapports du Comité pour l'élimination de la discrimination raciale présentés à l'Assemblée générale des Nations Unies; le rapport du Département d'Etat des Etats-Unis sur la situation des droits de l'homme; les déclarations documentées et exhaustives de Mme Sadiq Ali et de M. Yutzis respectivement sur la Bosnie-Herzégovine et la Croatie. Il s'est également fondé sur l'examen des divers aspects de cette question par le Comité et du dialogue avec la délégation de la Bosnie-Herzégovine qui a montré à quel point tous les problèmes qui se posent sur le territoire de l'ex-Yougoslavie sont étroitement imbriqués.

3. M. Valencia Rodriguez fait ensuite remarquer que la lettre adressée par le Président du Comité au représentant de la République fédérative de Yougoslavie indique le point de vue du Comité sur la position de ce pays en tant qu'Etat partie à la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale et rappelle que le Comité se dit prêt à reprendre le dialogue actuellement interrompu. M. Valencia Rodriguez déplore l'absence de réponse de la part du représentant de la Yougoslavie, ce qui aurait permis d'éclairer certains aspects et certains doutes qui subsistent.

4. M. Valencia Rodriguez précise que M. Mazowiecki a dit devant la Commission des droits de l'homme et devant le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale que la question de l'ex-Yougoslavie constitue un problème politique et que la situation actuelle n'est nullement due à des différences de nature religieuse ou ethnique. Divers membres du Comité ne partagent pas cet avis. Si l'on admet que l'objectif final est la lutte pour le pouvoir politique, il est clair que la haine raciale ou ethnique est utilisée comme un des moyens pour atteindre cette fin et comme une des manifestations les plus éloquentes du "nettoyage ethnique" pour la création d'une "grande Serbie" qui détiendrait seule le pouvoir politique dans les Balkans et ce, bien qu'il soit dit au paragraphe 11 du document CERD/C/248/Add.1 qu'il n'y a jamais eu de "nettoyage ethnique" sur le territoire de la République fédérative de Yougoslavie. Dans ce contexte, M. Valencia Rodriguez estime que le Comité se doit d'analyser la situation et d'adopter les mesures qu'il juge opportunes.

5. Selon le document présenté par la République fédérative de Yougoslavie, le conflit se poursuivrait pour deux raisons principales : d'une part, l'objectif de sécession et de séparation encouragé par la communauté albanaise du Kosovo et la guerre civile déclenchée par cette ambition et, d'autre part, l'application des sanctions par le Conseil de sécurité de l'ONU.

6. Sur le premier point, il faut rappeler qu'à plusieurs reprises le Comité avait déclaré qu'il n'appuierait jamais cet objectif sécessionniste et s'était prononcé en faveur de l'intégrité territoriale de l'Etat partie, conformément aux principes fondamentaux énoncés dans la Charte des Nations Unies.

7. Sur le deuxième point, il faut rappeler que les sanctions des Nations Unies n'ont été imposées qu'après l'échec des efforts visant à faire cesser les activités d'instigation et de propagande ainsi que la violence dans les territoires des Etats voisins de la Yougoslavie (Serbie et Monténégro), y compris les violations massives des droits de l'homme par des groupes serbes que le régime de Belgrade appuie.

8. M. Valencia Rodriguez dit que son exposé sur la situation en Yougoslavie se fonde à la fois sur les principes énoncés dans la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale et sur les renseignements supplémentaires présentés par l'Etat partie; il espère ainsi dresser un tableau qui corresponde à la réalité. Cette analyse est complétée par les aspects relatifs à la discrimination raciale et des questions de nature politique.

9. Premièrement, il fait remarquer que la République fédérative de Yougoslavie a fait de la question de la mise en oeuvre et de la protection des droits de l'homme et des droits des minorités sa préoccupation prioritaire et qu'une nouveauté importante a été apportée dans le domaine de la protection de l'un des droits fondamentaux, à savoir le droit à la vie. Il rappelle à cet égard la résolution E/CN.4/1995/L.88/Rev.1, où la Commission des droits de l'homme condamne énergiquement la politique systématique de "nettoyage ethnique" et d'actes de génocide ... qui prennent la forme de tueries massives, de tortures, de disparitions, de viols et autres sévices sexuels sur la personne de femmes et d'enfants ... et d'autres exécutions arbitraires. Les documents visés plus haut soulignent que les autorités poursuivent leur politique d'intimidation contre les groupes minoritaires, non seulement albanais mais aussi tziganes, bulgares, hongrois, etc. Aussi la Commission des droits de l'homme a-t-elle enjoint de toute urgence aux autorités de la République de Serbie de mettre un terme à toutes les violations des droits de l'homme, mesures et pratiques discriminatoires à l'encontre des Albanais de souche au Kosovo, en particulier aux détentions arbitraires et aux actes qui constituent des violations du droit à un procès équitable, aux tortures et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants. La Commission s'est dite préoccupée par la nouvelle escalade de la violence et des persécutions principalement dirigées contre les membres de la communauté musulmane au Sandjak, notamment dans les régions situées à la frontière de la République de Bosnie-Herzégovine. De nouvelles violations des droits de l'homme ont été signalées en Voïvodine et sont dirigées contre les membres de la minorité bulgare et de la minorité croate.

10. Deuxièmement, M. Valencia Rodriguez se félicite des observations mentionnées aux paragraphes 24 et 25 du rapport, qui précisent que, selon la loi sur l'usage officiel des langues et des alphabets, chacun a le droit d'utiliser sa langue maternelle et que, selon d'autres lois en vigueur, l'enseignement peut être dispensé dans les langues de toutes les minorités du niveau préscolaire au niveau universitaire. Toutefois, la résolution de la Commission des droits de l'homme rappelle que les élèves et enseignants albanais de souche sont victimes de discrimination dans les écoles primaires et que les écoles secondaires et l'université de langue albanaise sont fermées ainsi que des institutions culturelles et scientifiques albanaises. De plus, la langue albanaise est, dans la pratique, éliminée en particulier dans l'administration et les services publics.

11. Troisièmement, le paragraphe 66 du rapport précise que le droit aux soins de santé est garanti à tous les citoyens sans distinction de religion, de race, de sexe ou de nationalité, et les paragraphes suivants mentionnent la prestation des soins de santé aux citoyens du Kosovo-Metohija. Toutefois, M. Valencia Rodriguez déplore que des médecins et membres d'autres catégories médicales qui sont Albanais de souche sont renvoyés des cliniques et hôpitaux. La situation sur ce plan est désastreuse au Kosovo et au Sandjak.

12. Quatrièmement, M. Valencia Rodriguez dit que le rapport fait à plusieurs reprises mention du sentiment général d'insécurité engendré notamment par la guerre civile et les mouvements des séparatistes albanais. Il est fait état d'arrestations arbitraires commises par la police, de brutalités perpétrées sur les lieux de domicile, de perquisitions, d'actes de torture. Certains groupes ethniques font l'objet d'une surveillance policière et sont souvent mis sur écoute téléphonique. Le pouvoir judiciaire n'est pas indépendant et il se conforme à des directives politiques relatives à la persécution des minorités ethniques. Il semble difficile d'avoir confiance dans l'administration publique, la police et la fonction judiciaire. Les militants politiques et défenseurs des droits de l'homme qui sont Albanais de souche font systématiquement l'objet d'arrestations, d'incarcération et de peines très sévères. Tel est le sentiment général d'insécurité.

13. Cinquièmement, M. Valencia Rodriguez note que le paragraphe 81 du rapport (CERD/C/248) fait état du droit des minorités nationales à l'information et que le paragraphe 82 mentionne les journaux et revues publiés en Serbie et dans le Kovoso-Metohija. Il fait remarquer que la quasi-totalité des journalistes de souche albanaise font l'objet de perquisitions. Le gouvernement contrôle sévèrement les principaux moyens de communication, notamment la télévision. Des menaces sont proférées constamment à l'encontre des communautés minoritaires, notamment du Kosovo et du Sandjak dans le cadre de la politique gouvernementale. Le rapport fait souvent état des activités dites séparatistes et sécessionnistes de ces communautés et insiste pour qu'il soit mis fin à ces menaces. De plus, une campagne ouverte de désinformation est organisée pour empêcher la circulation d'informations impartiales diffusées par le gouvernement. Les autres droits et libertés sont également affectés, et parmi eux notamment le droit de réunion et d'association politiques et la liberté de mouvement. Les personnes appartenant à des communautés victimes de discrimination se voient saisir leurs passeports. Les relations de travail sont réglementées. Dans son rapport sur le dispositif spécial concernant les personnes disparues sur le territoire de l'ex-Yougoslavie (E/CN.4/1995/37), M. Nowak dit que le Gouvernement de la République fédérative de Yougoslavie serait responsable de la plupart des disparitions qui se sont produites en Croatie (paragraphe 47 du rapport) et que les autorités yougoslaves ont l'obligation de traduire en justice toutes les personnes placées sous leur autorité que l'on présume responsables d'un acte conduisant à une disparition forcée. Ces faits ne semblent pas acceptés par le Gouvernement de la République fédérative de Yougoslavie. Le paragraphe 84 du rapport mentionne la mission des trois membres du CERD qui a eu lieu en décembre 1993 pour entamer un dialogue afin d'améliorer l'éducation et la santé pour la communauté albanaise. M. Valencia Rodriguez se dit très préoccupé par le fait que ce dialogue n'ait pas progressé par manque de coopération de la part du Gouvernement yougoslave, et il espère que ces réticences disparaîtront pour le bien des populations victimes de discrimination. Les grands espoirs fondés sur le Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l'ex-Yougoslavie depuis 1991 semblent déçus. Il serait important de préciser le mandat de la FORPRONU afin qu'elle ne continue pas à demeurer impassible face à un massacre annoncé, garantisse la sécurité politique et l'intégrité territoriale et dispense l'aide humanitaire voulue.

14. Enfin, M. Valencia Rodriguez souhaite appeler l'attention du Gouvernement de la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) sur le fait qu'elle devrait, dans un esprit de conciliation, revoir sa politique afin de pouvoir s'acquitter des obligations qui lui incombent en tant qu'Etat partie à la Convention. Il déplore le manque de coopération du Gouvernement yougoslave avec les Rapporteurs spéciaux, MM. Mazowiecki et Nowak, qu'il accuse de partialité. Il serait temps que le Gouvernement yougoslave se rende compte que la communauté internationale condamne sa politique. Il importe enfin qu'il prenne en considération les décisions et recommandations des divers organes des Nations Unies, et comprenne que cette situation tragique ne sera jamais résolue par la force et que son isolement ne fera que croître s'il n'accepte pas de s'asseoir autour de la table des négociations pour parvenir à une solution de compromis. M. Valencia Rodriguez assure le Gouvernement yougoslave que le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale est prêt à offrir sa coopération dans un esprit d'impartialité et d'honnêteté.

15. M. Garvalov prend la présidence.

16. M. WOLFRUM remercie M. Valencia Rodriguez de son analyse excellente de la situation qui prévaut dans la République fédérative de Yougoslavie, mais il déplore que le Comité n'ait pas la possibilité d'examiner cette situation en présence d'un représentant du Gouvernement yougoslave. Il se dit très préoccupé par la discrimination dont sont victimes les habitants de souche albanaise du Kosovo, en particulier dans les domaines de la santé, de l'éducation et de l'emploi. Il confirme à cet égard que la mission envoyée en décembre 1993 au Kosovo avait un mandat limité et n'a pu atteindre son objectif faute de coopération du Gouvernement yougoslave. La situation des droits de l'homme au Kosovo est très préoccupante. M. Wolfrum pense que le Comité pourrait jouer un rôle utile à cet égard en faisant abstraction de la connotation politique de la situation. Il propose donc que le Comité lance un appel au Gouvernement yougoslave pour avoir le droit de reprendre les fonctions confiées au groupe de trois experts, afin de tenter d'améliorer la situation des droits de l'homme de la population du Kosovo. Il ne pense pas qu'une nouvelle déclaration ou résolution qui s'ajouterait à la kyrielle des résolutions existantes aurait un impact quelconque sur le Gouvernement yougoslave.

17. Le PRESIDENT rappelle aux membres du Comité qu'au cours de la quarante-cinquième session il avait pris contact avec le représentant permanent de la République fédérative de Yougoslavie à Genève pour connaître la position de son gouvernement par rapport au Comité pour l'élimination de la discrimination raciale.

18. M. ABOUL-NASR dit qu'il importe avant tout d'éclaircir la position du Gouvernement yougoslave. A-t-il dénoncé la Convention aux termes de l'article 21 ? Il demande au Président de préciser l'impression qu'il a eue lors de son entretien avec le représentant permanent de ce gouvernement à Genève. La Yougoslavie se considère-t-elle encore comme un Etat partie à la Convention et liée par les obligations qui en découlent ?

19. Le PRESIDENT dit qu'il a eu l'impression que le représentant permanent de la République fédérative de Yougoslavie à Genève était reconnaissant de l'esprit de coopération que lui avait manifesté le Comité. A la fin de septembre 1994, date à laquelle a eu lieu cette rencontre, il lui a semblé évident que la Yougoslavie se considérait comme Etat partie à la Convention. Peut-être la situation a-t-elle changé depuis. Il a envoyé une lettre au représentant permanent en lui demandant de clarifier la position de son pays mais n'a toujours pas reçu de réponse. Dans l'état actuel des choses, le Président considère que le Comité devrait maintenir sa position et sa compréhension à l'égard du Gouvernement de la République fédérative de Yougoslavie qui n'a jamais invoqué l'article 21 de la Convention et n'a jamais déclaré avoir dénoncé son statut d'Etat partie à la Convention.

20. M. SHAHI estime, étant donné le refus de la République fédérative de Yougoslavie d'envoyer des représentants devant le Comité, que celui-ci est bien obligé d'examiner le rapport de cet Etat partie en son absence. Tant que le gouvernement de l'Etat partie n'aura pas dénoncé la Convention conformément à l'article 21 de ladite décision, le Comité doit considérer que la République fédérative de Yougoslavie continue d'être partie à la Convention. Le Comité pourrait cependant envisager de respecter la décision de l'Etat partie de suspendre temporairement sa collaboration avec le Comité.

21. M. Shahi émet des réserves à l'égard de la proposition de M. Wolfrum d'envoyer trois membres du Comité en République fédérative de Yougoslavie car cette mission lui paraît vouée à l'échec. Ne risquerait-elle pas, tout au plus, de conférer une certaine respectabilité au gouvernement ? Il rappelle à cet égard que la dernière mission envoyée dans ce pays, munie d'un mandat limité aux domaines de l'éducation et de la santé, n'a pas bénéficié de la coopération, même modeste, de la Yougoslavie. Il insiste sur l'attitude peu engageante du Gouvernement de la République fédérative de Yougoslavie qui ne lui semble pas disposé à collaborer de bonne foi avec le Comité. Toutefois, M. Shahi est disposé à se ranger à l'avis des autres membres du Comité même s'il doute fortement des chances qu'a la mission proposée de contribuer à améliorer en quoi que ce soit la situation de la population du Kosovo. En tout état de cause, il faudrait que le Comité s'abstienne de toute demande ou démarche qui serait de nature à le diminuer vis-à-vis de l'Etat partie.

22. M. FERRERO COSTA déplore l'absence d'un représentant de la République fédérative de Yougoslavie qui ne permet pas au Comité d'instaurer le dialogue nécessaire. S'agissant du refus de la République fédérative de Yougoslavie de présenter son rapport périodique, M. Ferrero Costa préconise de s'en tenir à l'explication fournie par ce pays qui affirme avoir suspendu unilatéralement l'application de la Convention pour ne pas avoir été invité à la réunion précédente des Etats parties. Cela ne saurait signifier, à son avis, que la République fédérative de Yougoslavie a dénoncé la Convention et que ce pays n'est plus partie à la Convention. M. Ferrero Costa signale à cet égard que le fait pour un Etat de suspendre unilatéralement ses obligations ne signifie pas qu'il en est dégagé. Pour être acceptable, une dénonciation doit respecter la procédure définie dans la Convention de Vienne sur le droit des traités. Le Comité n'est pas compétent pour se prononcer sur la décision prise par un autre organe des Nations Unies de ne pas permettre à la Yougoslavie d'assister à la réunion des Etats parties, mais il peut réaffirmer la validité de la Convention à l'égard de la République fédérative de Yougoslavie. Il doit donc continuer d'affirmer que ce pays est partie à la Convention et qu'il doit donc s'acquitter entièrement des obligations qui en découlent. M. Ferrero Costa pense avoir ainsi répondu, sur le plan des principes, à la question soulevée par M. Aboul-Nasr.

23. Sur le plan pratique, M. Ferrero Costa rappelle que le Comité dispose d'informations de caractère général et de renseignements précieux émanant de diverses sources, dont le système des Nations Unies, sur lesquels il pourrait se fonder pour prendre une décision. Il est dit, par exemple : dans la section du dixième rapport périodique sur la situation des droits de l'homme dans le territoire de l'ex-Yougoslavie concernant la République fédérative de Yougoslavie établi par le Rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme (E/CN.4/1995/57) que, "selon des sources locales, il y aurait une intolérance croissante entre les différentes nationalités qui vivent en République fédérative de Yougoslavie" et que "les cas de personnes brutalisées et maltraitées par leurs voisins à cause de leur origine ethnique ou de leurs opinions antinationalistes seraient de plus en plus nombreux" (par. 82). Il est dit, en substance, au paragraphe 63, que les réfugiés ne peuvent pas faire reconnaître leur condition de réfugiés et qu'ils vivent dans la peur constante d'une mesure d'expulsion. Au paragraphe 92, il est dit que "la minorité bulgare est sujette à des harcèlements". Il ressort donc clairement du rapport du Rapporteur spécial que la situation empire de jour en jour en République fédérative de Yougoslavie dans le domaine de la discrimination raciale.

24. M. Ferrero Costa invite le Comité à s'inspirer des recommandations formulées par le Rapporteur spécial au paragraphe 100 de son rapport périodique, invitant le Gouvernement de la République fédérative de Yougoslavie à prendre des mesures pour veiller au plein respect des droits des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, conformément aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et des dispositions correspondantes de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale.

25. En ce qui concerne la question du Kosovo, le Comité devrait exprimer son opinion et ses préoccupations sur la situation dans cette région et réaffirmer sa volonté de continuer de contribuer de son mieux à l'amélioration de la situation de la minorité albanaise.

26. Après avoir entendu les représentants de la Bosnie, M. Ferrero Costa estime qu'il est impossible de fermer les yeux sur la situation dans les territoires occupés par la République fédérative de Yougoslavie ou par des Serbes, où des cas flagrants de nettoyage ethnique relevant des compétences du Comité ont été commis.

27. Le Comité devrait affirmer sa volonté de collaborer avec le Tribunal international sur les crimes de guerre commis en ex-Yougoslavie, décider d'exprimer ses préoccupations au sujet de la situation dans les différents domaines relevant de sa compétence, tant sur le territoire de la Yougoslavie que dans le Kosovo et les zones occupées, rappeler qu'il est disposé à collaborer avec la République fédérative de Yougoslavie en ce qui concerne la question du Kosovo sans toutefois se mettre dans une situation de quémandeur, demander que cesse l'impunité des auteurs de violations des droits de l'homme et réaffirmer sa volonté de collaborer avec le Tribunal international dans l'accomplissement de sa très importante mission.

28. M. SHERIFIS salue l'excellente analyse de la situation en République fédérative de Yougoslavie faite par M. Valencia Rodriguez dans son rapport. A titre de remarque de caractère général, il déclare que le Comité devrait s'efforcer de renouer le dialogue avec ce pays et laisser la porte ouverte à la coopération en vue d'assurer l'application des dispositions énoncées dans la Convention. Il rejoint donc sur ce point les positions de MM. Ferrero Costa, Wolfrum et Valencia Rodriguez.

29. Quant à l'importante question de procédure soulevée par M. Aboul-Nasr, il n'apparaît pas à M. Sherifis que la Yougoslavie ait dénoncé la Convention car, si l'article 21 de cet instrument stipule que "tout Etat partie peut dénoncer la Convention par voie de notification", il précise en outre que cette notification doit être adressée au Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies et ne peut prendre effet qu'un an après la date à laquelle le Secrétaire général en a reçu notification. Il s'ensuit que la lettre que le Gouvernement de la République fédérative de Yougoslavie a adressée au Président du Comité pour dénoncer la Convention est nulle et non avenue et devra demeurer sans effet sauf si le gouvernement avise le Secrétaire général de l'ONU dans les conditions prévues à l'article 21. A toutes fins utiles, la République fédérative de Yougoslavie demeure donc partie à la Convention et le Comité est en droit de lui demander d'en appliquer les dispositions conformément à ses obligations.

30. M. BANTON s'associe à la recommandation formulée par MM. Valencia Rodriguez et Wolfrum, assortie des éclaircissements proposés par M. Ferrero Costa. Dans sa décision, le Comité devrait

à son avis insister sur la nécessité de garantir aux habitants du Kosovo, les droits qui leur sont reconnus dans la Convention et affirmer sa détermination à tout mettre en oeuvre pour améliorer la situation à cet égard.

31. Se référant au rapport spécial sur les médias (E/CN.4/1995/54), établi par le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l'homme dans le territoire de l'ex-Yougoslavie et compte tenu du rôle néfaste joué par les médias dans l'exacerbation des tensions dans les conflits récents au Rwanda, en Yougoslavie et dans d'autres pays, M. Banton estime que le Comité devrait formuler des conclusions générales sur l'influence des médias. Il rappelle que, depuis 1987, les médias ont joué un rôle important dans le développement des tensions ethniques dans le territoire de l'ex-Yougoslavie en présentant les événements d'une façon qui a rendu difficile la condamnation des responsables, que le Gouvernement de l'ex-Yougoslavie n'a pas assumé la responsabilité qui lui incombait d'empêcher la propagande en faveur de la haine raciale, que nombre de journalistes attachés au respect de l'objectivité ont subi à des pressions politiques, que l'indépendance des médias est capitale et que l'Etat partie doit se doter de moyens de répression à l'encontre des journaux et des médias diffusant des informations qui déforment la réalité. Il conviendrait enfin, de promouvoir l'impartialité des médias en associant des étrangers au processus de prise de décision.

32. M. Banton déclare que ses propositions devraient être lues à la lumière des recommandations figurant aux paragraphes 211 à 216 du rapport spécial sur les médias (E/CN.4/1995/54) et qu'il faudrait en particulier tenir compte de la proposition de faire appel à la collaboration d'organisations internationales telles que le Conseil de l'Europe.

33. M. YUTZIS estime que la situation vis-à-vis de la République fédérative de Yougoslavie n'est pas tout à fait claire mais laisse néanmoins au Comité certaines possibilités d'action pour accomplir sa mission. Il appuie la proposition, formulée par M. Wolfrum et d'autres membres du Comité, d'insister sur le maintien de la continuité de la mission engagée en Yougoslavie, étant convaincu que cette démarche permettra d'éviter tout risque d'isolement. Il lui semble en effet important de saisir toutes les possibilités, aussi petites soient-elles, d'améliorer la situation au Kosovo, notamment dans le domaine de l'éducation.

34. M. RECHETOV regrette qu'un représentant de la République fédérative de Yougoslavie ne se soit pas présenté devant le Comité, absence qui n'a pas permis à ce dernier d'instaurer le dialogue avec l'Etat partie et de lui poser des questions propres à infirmer ou confirmer les informations dont il dispose. Pour sa part, M. Rechetov préfère s'abstenir de commenter les documents disponibles. Il espère que la République fédérative de Yougoslavie continuera de coopérer avec le Comité et qu'elle enverra de nouveau des représentants répondre à ses questions.

35. La question la plus importante demeure la nécessité de maintenir le dialogue entre le Comité et l'Etat partie, d'autant plus que cette situation risque de se reproduire avec d'autres pays. C'est pourquoi M. Rechetov, comme M. Yutzis, estime que le Comité devrait exprimer de nouveau son inquiétude au sujet de la situation en République fédérative de Yougoslavie et affirmer que seule une politique d'ouverture serait efficace pour assurer la protection des droits de l'homme dans ce pays. A cet égard, il rappelle, à l'instar de M. van Boven, que l'envoi d'une mission au Chili a contribué, en son temps, au rétablissement de la démocratie dans ce pays.

36. A propos du caractère "limité" de la mission de bons offices qui s'est rendue au Kosovo, M. Rechetov explique que si les membres de la mission ont décidé de se limiter aux secteurs de la santé et de l'éducation, c'est parce qu'ils pensaient sincèrement qu'il y avait là des possibilités évidentes d'améliorer la situation des droits de l'homme. Ils avaient constaté par exemple, que toute une génération d'enfants albanais grandissaient sans pouvoir aller normalement à l'école et qu'il y avait très peu de médecins albanais pour s'occuper de patients en majorité albanais. Il semble malheureusement que la situation ne se soit pas améliorée depuis. Est-il possible d'influer positivement sur la situation des droits de l'homme en République fédérative de Yougoslavie ? C'est de ce point de vue-là que le Comité doit considérer la question de la poursuite de sa mission.

37. Sur le problème des médias, M. Rechetov souscrit à l'analyse de M. Banton et appuie pleinement sa proposition tendant à élaborer à ce sujet une recommandation générale. Le Comité devrait attacher davantage d'attention au rôle considérable, parfois extrêmement négatif comme on a pu le voir notamment dans la République fédérative de Yougoslavie, que jouent les médias et en particulier la télévision.

38. M. CHIGOVERA est favorable à toute mesure permettant de renforcer le respect de la Convention par la République fédérative de Yougoslavie. Si une nouvelle mission de bons offices peut y contribuer, il l'appuiera. Quant à la lettre envoyée par le Gouvernement yougoslave, la question n'est pas d'évaluer le bien-fondé des arguments qui y sont contenus; cela ne ferait que compliquer la situation. Le Comité doit considérer que la République fédérative de Yougoslavie est toujours partie à la Convention.

39. Selon M. ABOUL-NASR, le Comité, dans son rapport à l'Assemblée générale, devra indiquer clairement que c'est la première fois qu'il reçoit une lettre d'un Etat partie qui refuse de coopérer et de venir discuter avec lui. S'agissant de la mission, le Comité devrait inclure dans ses recommandations l'expression de ses remerciements à l'égard de cette mission pour ce qu'elle a essayé, malheureusement sans succès, de faire. Les résultats de la mission, en effet, ne sont guère convaincants, mais M. Aboul-Nasr n'avait d'ailleurs jamais entretenu d'illusions à cet égard. Qu'a fait la mission en ce qui concerne l'université que les Albanais voulaient créer au Kosovo ? Que veut-elle dire en indiquant que les médecins albanais sont peu nombreux ? Ceci étant, si le Comité décidait d'envoyer une nouvelle mission et si l'Etat partie était d'accord, M. Aboul-Nasr ne s'y opposerait pas, à condition toutefois que le mandat de cette mission soit différent : elle devrait être chargée d'enquêter sur les violations des droits de l'homme au Kosovo en examinant l'application de chacun des articles de la Convention et de présenter un rapport détaillé au Comité. Elle ne devrait pas se limiter aux domaines de la santé et de l'éducation.

40. M. van BOVEN considère que la position du Comité concernant le statut de la République fédérative de Yougoslavie par rapport à la Convention est très claire et a été exprimée dans la lettre que le Président du Comité a adressée à l'ambassadeur de ce pays. Cela signifie que la République fédérative de Yougoslavie est toujours tenue de respecter les obligations qu'elle a assumées au titre de la Convention. En ce qui concerne la mission de bons offices, M. van Boven est en principe favorable à sa poursuite, encore que les perspectives actuelles ne soient guère favorables. Il importe de poursuivre ce qui a été entrepris, mais il convient de le faire compte dûment tenu des obligations prescrites par la Convention. Enfin, M. van Boven remercie M. Banton pour l'analyse qu'il a faite du rôle des médias. Il s'agit d'une question qui mérite davantage d'attention de la part du Comité et, éventuellement, l'adoption d'une recommandation générale. Le rôle des médias est en effet parfois extrêmement destructeur et contraire à l'article 4 de la Convention.

41. Se gardant de vouloir polémiquer, M. RECHETOV, pense que M. Aboul-Nasr n'a pas bien compris ce qu'il a voulu dire. M. Rechetov n'a jamais dit qu'il n'y avait pas d'Albanais médecins, mais simplement que beaucoup de médecins albanais n'ont actuellement pas la possibilité de travailler dans les hôpitaux au Kosovo. En ce qui concerne la création d'une université albanaise, M. Aboul-Nasr a dû confondre avec la situation en Croatie.

42. M. AHMADU rappelle que la mission de bons offices, dont il a fait partie, avait été envoyée au Kosovo à l'invitation des autorités yougoslaves, qui avaient proposé au Comité à venir se rendre compte par lui-même de la situation. Des dizaines d'autres missions différentes s'étaient rendues au Kosovo avant celle-ci, mais la mission du Comité avait la particularité d'être composée à la fois de diplomates et d'universitaires, et il a semblé que les autorités yougoslaves étaient favorables à sa poursuite. Dans la situation complexe présente, le Comité ne doit ni tenter de forcer la main des autorités yougoslaves, ni les supplier, mais insister sur leurs obligations au titre de la Convention et déclarer qu'il est prêt à tout moment à reprendre sa mission de bons offices.

43. Mme SADIQ ALI pense, comme M. Aboul-Nasr, que si le Comité envoie une nouvelle mission, ce sera à lui et non aux autorités yougoslaves d'en définir le mandat. Il devra s'agir d'une mission d'enquête qui examinera toutes les questions relatives à la Convention et qui sera envoyée à l'invitation du gouvernement. Mme Sadiq Ali appuie d'autre part la suggestion de M. van Boven concernant l'élaboration d'une recommandation générale sur la liberté de l'information.

44. Le PRESIDENT, prenant la parole à titre individuel, souscrit entièrement à l'analyse de la situation faite par M. Valencia Rodriguez. Le Comité doit exprimer clairement sa position et continuer de considérer la République fédérative de Yougoslavie comme un Etat partie à la Convention au même titre que les autres. Il a d'ailleurs fait connaître cette position sans ambiguïté aux autorités yougoslaves par la lettre qu'il leur a adressée. Il appartient à présent à l'Etat partie de répondre.

45. La mission de bons offices au Kosovo, dont l'idée avait été suggérée par l'Etat partie, était délicate. Le Comité a examiné les conclusions de cette mission et considéré qu'il s'agissait d'une première étape, modeste mais néanmoins encourageante, qui devait avoir une suite. La situation a maintenant changé et il faut se montrer très prudent. Le Comité pourrait encourager l'Etat partie à reconsidérer sa position en ce qui concerne aussi bien son dialogue avec le Comité que la mission de bons offices.

46. S'agissant de la minorité bulgare résidant en République fédérative de Yougoslavie, M. Garvalov rappelle qu'il avait longuement présenté son point de vue sur cette question lors de l'examen du rapport de ce pays en 1993 et tient à souligner que son opinion n'a pas varié à ce sujet. Il appelle également l'attention des membres du Comité sur les paragraphes 92 à 97 du rapport de M. Mazowiecki sur la situation des droits de l'homme dans le territoire de l'ex-Yougoslavie (E/CN.4/1995/57) où figurent un certain nombre d'informations sur cette minorité.

47 Enfin, M. Garvalov souligne qu'au paragraphe 1 du document CERD/C/248/Add.1 soumis par le Gouvernement de la République fédérative de Yougoslavie, celui-ci dit qu'étant pleinement conscient des engagements qu'il a contractés envers le Comité en vertu du premier paragraphe de l'article 9 de la Convention, ainsi que des conclusions et observations que le Comité a approuvées à sa quarante-troisième session, il apporte dans cet additif un complément d'information à son rapport spécial sur l'application des dispositions de la Convention. Si M. Garvalov cite ce paragraphe, c'est simplement pour dire que s'il y a discordance elle ne se situe pas au niveau du Comité.


La première partie (publique) de la séance prend fin à 12 h 25.

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